SAINTE MONIQUE
Par l'Abbé N. Poupeney en 1994

Lorsque naît Monique, l'Afrique dit Nord sous tutelle romaine se déchire en violentes querelles religieuses. L'Eglise est coupée en deux : d'un côté, les partisans de la fidélité à Rome ; de l'autre, les donatistes, enclins à une certaine autonomie. On sait les Africains taillés dans un seul bloc, d'une seule pièce: la géographie et l'histoire les ont ainsi façonnés et les façonnent toujours ainsi. Tels ils étaient il y a seize siècles, tels ils sont aujourd'hui.

L'origine des querelles remonte à la violente persécution déclenchée par l'empereur Dioclétien, pratiquement la dernière persécution impériale dont souffrira l'Eglise. Par crainte des tortures et de la mort, beaucoup de chrétiens avaient apostasié, certainement des livres, pas de coeur. La paix revenue, ils demandent à faire amende honorable et à réintégrer l'Eglise. Ils se heurteront ait refus des purs et durs.

Confiante en la miséricorde infinie de Dieu qui pardonne à tout pécheur repentant, la hiérarchie ecclésiastique dans sont ensemble avait accepté de passer l'éponge sur une attitude peu glorieuse. Mais les purs et durs, quoique minoritaires, avaient provoqué un tel scandale que l'Eglise s'était scindée. Il y avait donc deux Eglises en Afrique du Nord: l'officielle et la parallèle se détestant et se combattant. Tous les coups étaient permis, même les plus fourrés.

Bientôt, les donatistes reçoivent un renfort de poids - celui des circoncellions. Les circoncellions étaient ces autochtones dépouillés de leurs terres par l'occupant romain, et ses collaborateurs, et réduits à la pauvreté. Ils s'étaient constitués en bandes qui brûlaient et pillaient les fermes, n'hésitant pas à tuer lorsqu'on leur résistait. Déjà en rébellion contre l'autorité religieuse, le donatisme va se trouver également en rébellion contre l'autorité politique, ce qui lui attirera les faveurs du menu peuple toujours hostile à l'occupant.

Monique appartient à une famille numide chrétienne fidèle à Rome. Le mari que ses parents lui imposent, comme c'est la coutume, est païen. Mais, tolérant, il laisse toute liberté à sa femme pour l'éducation des enfants: deux garçons, une fille. Comme nous ne savons pas grand-chose des autres, nous nous intéresserons à Monique dans ses rapports avec le seul Augustin.

Très jeune, Augustin manifeste de remarquables dispositions intellectuelles. Monique en est fière - quelle mère ne le serait pas ? - et entend donner à sort fils toutes ses chances. Mais elle n'oublie pas non plus de lui donner toutes se chances sur le plan spirituel. Augustin est instruit dès le berceau des vérités de notre foi. S'il ne reçoit pas le baptême, c'est qu'on ne baptise alors que les adultes, et encore au bout de trois ans de probation.

Augustin grandit donc sous la garde vigilante de sa mère. Mais, probablement parce qu'il a deviné en lui un vase d'élection, le démon le tourmente et finit par l'attirer dans les filets de la débauche. La souffrance de Monique est indicible. Si elle continue à favoriser son fils pour lui permettre de réussir dans la société, elle se dresse devant lui, toutes griffes dehors, pour défendre les droits de Dieu qu'il bafoue. S'ouvre a1ors une longue, suite d'années au cours desquelles Augustin essaiera par tous les moyens d'échapper à une mère qu'il juge possessive et en retard sur son temps. Ses études terminées, il part s'installer à Carthage, autant pour percer que pour fuir les reproches.

Mais Carthage n'est qu'à trois cents kilomètres de Thagaste. Les Africains ont toujours été de grands voyageurs que les distances n'effraient pas, surtout quand des intérêts majeurs sont en jeu. Monique apprend que son fils a mis le comble à l'infamie en prenant une concubine dont il a un fils.

Elle se met en route et arrive à Carthage à l'improviste. Quoique discret, Augustin nous laisse cependant clairement entendre, dans ses Confessions, que la vie lui est devenue impossible.

Monique est certainement le plus bel exemple à offrir aux mères de notre siècle. Que de mamans préoccupées de la réussite matérielle de leurs enfants, oublient de les aider à réussir spirituellement leur vie, ou du moins n'accordent qu'une importance secondaire à leur éducation religieuse ! Que de mamans croient qu'après la confirmation, leurs enfants ont le passeport pour le ciel et n'ont donc plus besoin d'aller à l'Eglise! Pourquoi s'étonnent- elles si, en grandissant, ces enfants auxquels elles n'ont pas montré le chemin du paradis cherchent les paradis artificiels et mortels de la drogue ou de la débauche, qui ne les mènent qu'à l'overdose ou au sida ?

Augustin converti décide de regagner le pays natal. Monique, qui a été près de lui lors du baptême, repart avec lui. Mais, à Ostie, en attendant le bateau, elle tombe gravement malade. A son fils qui lui parle de guérison, elle répond:
- J'ai prié, lutté et souffert pour t'amener là où tu es présentement. Mon but est atteint. A quoi me servirait de vivre plus longtemps ?

C'est à Ostie, loin de son pays, que celle femme admirable meurt et est enterrée.

Mères chrétiennes, ne baissez jamais les bras quand vos enfants se fourvoient dans les ornières du péché et du déshonneur ! Priez et luttez, que vous fassiez plaisir ou que vous agaciez ! Et si une rupture se dessille à l'horizon, n'hésitez pas à en courir le risque ! Monique est là pour vous soutenir et vous apprendre que celui qui combat pour Dieu force toujours, aujourd'hui ou demain, les portes de la victoire.

(Revue Ensemble N° 194, pages 13-14, Octobre 1994)