HERBILLON
Madame Marcelle WEISSEN - SZUMLANSKA
"L'Ame Archaïque de l'Afrique du Nord" Editions NBL 1933.
Dépêche de l'Est, lettre N° 29 du 15 septembre 2001 (pages 6 et 7 )

Petit clin d'œil à l'attention de notre Cher Charley et tous nos amis herbillonnais de la part d'Yves et Cathy.

Un golfe presque inconnu, parmi les mille golfes de la pittoresque, de l'étrange terre algérienne.
Des montagnes, plongeant à pic dans la mer, amorcent la baie ; les rives, longtemps, sont déchiquetées, les roches, superposées, les forêts de chênes-lièges, denses et désertes. Puis une dernière montagne forme toile de fond, à l'Ouest, tandis qu'en face d'elle, la mer ouvre grand l'horizon, sur le soleil levant.
Couché sur les dernières pentes de la montagne proche, qui s'amenuise en coteaux d'oliviers, le village se pelotonne, au Nord, dans un incroyable nid de verdure tropicale ! Canas géants, catalpas, bananiers, ficus, acacias, sycomores, poivriers de Ceylan, palmiers des Malabars - cela nous rappelle plutôt les petites îles des Seychelles, où la flore des Indes atteste l'origine asiatique des ces îlots semblant détachés - croirait le profane - du continent africain.

Mais quel caprice de la nature ou des hommes a rassemblé ici des sujets si divers et de si lointaine origine ? A l'orée du village, paisible, et combien secourable, une exquise petite église semble dire - à l'encontre de l'inscription du Dante aux portes des Enfers : "Gardez toute espérance, vous qui entrez..."
Enfin, ce nid de verdure restreint et l'allure accidentelle, est circonscrit, au Nord-Est, par des rochers de granit, transformés aujourd'hui en carrières à pavés, allant fermer le golfe par un cap aride et magnifique. Commerçants et propriétaires français ; ouvriers et pêcheurs italiens, pour la plupart francisés ; minorité arabe tranquille et courtoise, se partagent la jouissance de cet Eden inattendu.
La brise du large atténue, aux jours d'été, les rigueurs du sirocco ; le vent de terre souffle sur ses nuits .. Quand l'ombre descend sur les forêts profondes, le golfe semble un grand lac endormi sur lequel persistent des parfums d'acacias et de fleurs de poivre, tandis que longtemps, sur sa crête chevelue, émerge le marabout de Sidi benout.
Surgissant au loin de la mer, la lune épand sur tout cela son large sillon - étincelles mystiques et fleurs de féerie ... Troublante, mais placide, sa beauté souveraine promène nonchalamment sa traîne majestueuse d'un bord à l'autre des rivages en une longue et capricieuse caresse ... Seules, les nuits lunaires de Constantinople, des palais du Vieux Sérail aux Konaks du Bosphore, éveillent devant elle au fond de ma mémoire, la magie de leur souvenir...

La nature, à Herbillon, a multiplié ses dons et ses effets ; on les découvre lentement, puis on est subjugué par tant de séductions cachées, de charme presque indicible, dont les racines plongent autant dans la vie géologique de la Terre, que dans les effluves d'âmes matérialisées de ceux qui la pétrirent. L'amphore brisée sur le bord du chemin qui mène à la Fontaine Romaine mêle son grès grisâtre aux grisaille du temps : mais un je ne sais quoi plane encore autour d'elle de celle qui la porta sur son épaule et de celui qui s'y désaltéra...
A chaque pas, sur les côtes rongées par les flots, l'on heurte quelque pierre taillée ; on reconnaît l'emplacement d'une ferme isolée ou celui de plusieurs demeures. On creuse légèrement un talus, et des débris d'objets mobiliers se répandent : perles de verre, poterie fine ou grossière, gobelet entier, tesson de vase signé d'un nom que le Corpus ne nous indique pas. Sous deux vastes "teguloe" accrochées en aétos, un squelette intact est étendu, alors qu'à la couche inférieure, il sera replié sur lui même : les siècles s'amoncellent, la succession des races, des civilisations s'accuse, une fois de plus ; nous sommes en présence, non pas d'un début de l'Histoire, où l'autochtone cherche sa voie au bas de la spirale de l'Evolution, mais bien à divers tournants de cette spirale, dont les origines semblent presque aussi inaccessibles que son Devenir.
Enfin, tout le long de la Côte Est, les vaisseaux phéniciens ont accroché des noms retentissants à des grottes, tout au fond des criques où s'engloutit la mer, après avoir englouti les trésors de Jugurtha.

Le sol entier de l'Afrique du Nord intensifie les données du problème ; la Préhistoire y est encore plus riche : - et combien plus poignante - que son Histoire Ancienne elle même. les amas coquilliers en font la mine des époques moustériennes et aurignaciennes. Le 4ème glaciaire y garde les empreintes des travaux de contemporains du Cro-Magnon. Le Magdalénien y est riche et splendide ... Les dolmens, à l'idéale pureté de lignes et de conception, les indestructibles dolmens, preuves indestructibles de l'existence de races innomées, réoccupés servilement par tous les descendants de ces Djoals à l'esprit droit et au cœur solide, couvrent par groupes de plusieurs milliers tous ces territoires d'Atlas ...
Nous sommes dans un très vieux Pays ... D'innombrables générations ont vécu sur ce soi archaïque, y laissant à jamais des traces de leur passage, de leurs tendances, de leur art, de leurs douleurs ...
Mais en Herbillon, perle du littoral, golfe inimitable et délicat, ce n'est pas l'Homme qui fait un effort en arrière pour y cristalliser le Passé : aux accents berceurs de ces sources, fécondant les vallons depuis la nuit des siècles, c'est le Passé tout entier qui semble vivre encore de sa vie antérieure, et attendre, dans un perpétuel renouveau, que les hommes qui vivent aujourd'hui sentent palpiter devant eux, pour les comprendre et les aider, les millénaires révolus ...
L'harmonie qui a mêlé la flore insulaire, les sources tièdes, les roches primitives et les vestiges des races mortes, fait pénétrer au cœur de ceux qui la discernent, avec l'élan passionné de notre existence fugitive, avide de savoir et d'étreindre le secret éternel de la pérennité.


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