La Djihad.
Massacre des européens dans la semaine
du 8 mai 1945 dans le Constantinois. (suite)
Par Maurice VILLARD
ACEP ensemble N° 238 Juin 2003


        L'insurrection est maîtrisée à Sétif, mais va se propager vers le nord - la Petite Kabylie - Des taxis partent de Sétif dans toutes les directions, emmenant les meneurs qui apportent l'ordre de l'insurrection. Ces derniers propagent de fausses nouvelles, affirmant: "la ville de Sétif est entre nos mains, nous avons massacré tous les européens, tenez-vous prêts, nous allons recevoir des armes."
        C'est particulièrement Diaffet Mabrouk dit Ledouani, chauffeur de taxi qui porte cet ordre aux villages du nord de Sétif.
        Aussitôt la révolte s'étend à tous les villages, les meneurs qui n'attendaient que ce signal, donnent l'ordre d'attaquer.
        Ils vont commettre les pires exactions, les meurtres les plus horribles, pillent, détruisent les biens des européens.
        La liste des exactions, des assassinats, des viols, attaques des villages, des hameaux, des fermes est bien longue. Ici nous ne citerons que les principaux :
- El-Ouricia - Périgotville - Chevreul entièrement détruit - Sillègue - Kerrata - Ain-Abessa - Ain-Roua - Lafayette - Les Amouchas - au Bord de la Méditerranée : Oued Marsa - Cap Aokas - Souk el Tenine - Les Falaises - Ziama Mansouriah - la ville de Djidjelli - El Milia - la ville de Saint Arnaud - Fedj-M'Zala - la ville de Chateaudun-du-Rhumel.


Chevreul - Témoignage du Chef d'escadron commandant
du groupement de gendarmerie de Constantine:

        "Le centre de Chevreul est le siège d'une brigade de Gendarmerie qui à l'époque comportait théoriquement six militaires, mais où, le 8 mai, l'effectif se trouvait ramené à un maréchal des logis chef et un gendarme.
        "La journée du 8 mai avait été marquée par diverses réjouissances et un bal public avait terminé la soirée. Dans cette ambiance d'optimisme bien légitime, nul ne pouvait penser que des événements douloureux avaient déjà semé le deuil en d'autres régions ni se douter que la vague criminelle allait, quelques heures plus tard déferler sur le paisible village.
        "Cependant en fin de soirée, la nouvelle s'était répandue que la liaison téléphonique avec Saint-Arnaud était interrompue et que dans la matinée la ville de Sétif était le théâtre d'incidents." On ne se doutait pas non plus que si l'administrateur de Périgotville n'avait pas tenu sa promesse de venir inaugurer le bal, c'est qu'il venait d'être massacré sur la route en compagnie de son adjoint.
        "A deux heures du matin, le maréchal des logis Poilane, Commandant la brigade, est avisé par le receveur des postes, qu'il se passe quelque chose d'anormal dans le village. Des pierres sont jetées contre les demeures des européens, des coups de feu s'entendent au lointain. Une patrouille est immédiatement organisée mais ne révèle rien de suspect. A cinq heures, une nouvelle tournée de surveillance est entreprise. On constate que toutes les ampoules de l'éclairage public sont brisées et que la ligne téléphonique à la sortie du village a été sabotée. On pousse jusqu'à une maison cantonnière située à 800 à du village ; le chef cantonnier est absent. On apprendra plus tard que, surpris par l'émeute au moment où il regagnait son domicile, il est resté, pendant trente six heures, couché dans les blés en entendant à quelques pas passer des bandes d'émeutiers.
        "Des coups de feu sont entendus, le jour qui se lève permet d'apercevoir un groupe d'indigènes armés, une maison isolée est attaquée. Il est temps d'agir. Rapidement l'ordre est donné aux européens de se réfugier à la caserne de gendarmerie; les retardataires essuient des coups de feu. Trois douairs reçoivent mission d'aller chercher le receveur des postes et sa famille ; l'un d'eux, sur le chemin du retour, rejoint les émeutiers avec son arme et ses munitions.
        A la caserne, où on n'a eu que le temps de fermer les portes, la défense s'organise rapidement. On dispose des mousquetons militaires, d'un fusil mitrailleur modèle 1915 et de quelques fusils 74 de la préparation militaire, de quoi armer en tout une douzaine d'hommes. C'est d'ailleurs tout ce que comporte la petite garnison. Le maréchal des logis Poilane fixe à chacun son emplacement et sa mission. On se barricade pour le mieux en s'aménageant des créneaux de tir. La consigne est donnée d'économiser les munitions dont l'approvisionnement est limité et de ne tirer qu'à coup sûr.


        A ce moment, le nombre des émeutiers qui ont envahi le village est de plusieurs milliers sans cesse augmenté par des hordes qui arrivent de toutes parts.
        Les maisons étant évacuées, la fureur de cette foule se tourne vers la caserne devenue l'objectif principal. Bientôt celle-ci est entourée et soumise à un tir nourri de mousqueton. Parmi les détonations des armes individuelles, on peut percevoir distinctement le claquement rythmé de quelques mitraillettes.
        Mais, malgré les balles qui frappent les fenêtres et font, en peu de temps voler tous les carreaux, nos défenseurs font résolument face au danger. Leur tir ajusté fait des coupes sombres dans les rangs des assaillants et y jette rapidement le plus grand désarroi. Tandis qu'après ce premier engagement la fusillade décroît, il faut à l'intérieur du réduit stimuler les énergies et donner des apaisements aux femmes et aux enfants que la peur tenaille. Il faut s'organiser solidement pour un siège qui peut durer. Installer les non combattants au premier étage pour plus de sûreté. La conduite d'eau ayant été coupée dès les premières minutes, il faut rapidement tenter de récupérer dans des seaux l'eau de l'abreuvoir et réserver précieusement celle des chasses des WC. pour la boisson. Il n'y a plus de courant électrique, le téléphone est coupé, c'est l'isolement total.
        Vers 10 h 30, alors que les émeutiers maintiennent autour de la caserne un cercle de feu, on entend un bruit d'avions. L'accès de la cour est trop dangereux pour permettre le déploiement des signaux réglementaires. Pour attirer leur attention, on profite de l'accalmie que la surprise crée chez les assaillants pour agiter des drapeaux, des draps de lits. Les avions disparaissent dans le ciel. Ont-ils au moins compris la gravité de la situation ? Est-ce l'espoir d'une délivrance prochaine ?
        Cependant les émeutiers se ressaisissent. Ils vont chercher une décision rapide. Leurs rangs se resserrent et l'on perçoit bientôt des préparatifs qui sont l'indice d'une attaque. Soudain, tandis que des groupes de tireurs embusqués sur les hauteurs qui entourent la caserne, font pleuvoir une grêle de balles pour neutraliser les ouvertures, une masse d'une centaine d'individus, profitant de cette protection se rue sur la porte d'entrée ou escalade les murs de la cour. Sous la poussée, la porte cède peu à peu. Les quelques défenseurs du rez-de-chaussée parviennent un instant à retarder, par un feu meurtrier, l'irruption du flot mais submergés, ils sont contraints de se replier au premier étage. Leur position est périlleuse. Il faut rapidement obstruer les escaliers avec du mobilier, ce à quoi tout le monde s'affaire et établir un barrage de feu pour interdire l'approche de cet ultime obstacle et éviter un corps à corps.
        Les assaillants déconcertés par cette résistance inattendue hésitent à poursuivre leur assaut que la solide position des défenseurs rend meurtrier. Ils se livrent alors au pillage du rez-de-chaussée, détruisant les archives du bureau, criblent de balles les plafonds, d'autres se répandent dans les communs, arrosent d'essence le fourrage et y mettent le feu. Bientôt la caserne est entourée d'un nuage opaque de fumée et, à la faveur de ce camouflage quelques assaillants tentent sans succès, de propager l'incendie au reste des bâtiments ; les défenseurs parviennent cependant, par leurs tirs ajustés, à desserrer progressivement la redoutable étreinte.
        L'attaque a échoué, mais les minutes passées ont été angoissantes. Les mémoires conserveront sans doute longtemps le spectacle de cette lutte inégale où, aux bruits des détonations et aux vociférations des assaillants, se mêlaient douloureusement les cris des enfants et les lamentations des femmes exhortant leurs maris à les abattre plutôt que de les laisser tomber entre les mains de cette meute sadique.
        A la suite de cet échec, les émeutiers, laissant une partie des leurs à l'investissement de la brigade, se répandent dans le village et, par l'incendie, le pillage, sèment la dévastation complète. Rien n'est épargné, maison d'habitation, chapelle, docks, silos, tout ce qui rappelle une oeuvre française est soumis à un anéantissement méthodique. Les européens qui n'avaient pas eu le temps de rejoindre la caserne, sont massacrés sans pitié et, parmi eux une femme doit, avant de mourir, subir les pires outrages.
        Les résultats de toute une vie de labeur patient disparaissent ainsi en quelques heures. En signe de réjouissance, on peu apercevoir quelques individus qui, devant ce spectacle, se livrent au son du "tam-tam", à des pitreries macabres, tandis que sur les hauteurs avoisinantes, des bandes de femmes kabyles, excitent les assassins par des you-you prolongés.
        La nuit arrive ainsi peu à peu sans qu'aucune autre tentative sérieuse ne soit entreprise contre la caserne. Cependant, la lueur des incendies traduit toute l'étendue du désastre qui s'accomplit et cet acharnement déployé dans la destruction ne laisse à nos défenseurs aucune illusion sur le sort qui les guette. Aussi, malgré tout l'avantage que les émeutiers vont tirer de l'obscurité et bien que la perte du fusil mitrailleur, touché par une balle soit venue diminuer considérablement la capacité défensive du réduit, sont-ils fermement décidés à tenir.
        A 20 heures, une fusillade enveloppe la caserne et des infiltrations d'isolés laissent présumer un nouvel assaut. Mais comme la réaction des défenseurs se révèle toujours aussi vigoureuse, les assaillants abandonnent leur tentative.
        Toute la nuit se passe ainsi en des alternatives de fusillades et d'accalmies qui obligent les défenseurs du réduit à une vigilance que toutes les émotions accumulées rendent des plus pénibles. Il n'y a rien à manger, l'eau potable est distribuée au compte goutte. A 8 heures, après une nuit de cauchemar où les rebelles pensaient avoir épuisé la résistance des assiégés, une nouvelle attaque en force est lancée contre le réduit. La riposte n'est pas moins énergique que les précédentes.

Chevreul niche dans la verdure - au nord la montagne Sidi Mimoun.
De son sommet on avait au Nord, une vue sur le village de Mansouriah
au bord de la Méditerranée. Vers le sud, le lac de Bazer à Saint Arnaud.

        Des feux de salve précis fauchent les assaillants et les refoulent en désordre. Une nouvelle fois l'assaut est brisé. On peut voir au loin, sur les flancs de la montagne, ces derniers emporter des morts et des blessés. Désespérant alors de venir à bout de ces quelques français résolus, les agresseurs entreprennent de faire sauter la caserne. D'un chantier voisin, ils ont apporté tout un approvisionnement de dynamite, de détonateurs et de mèche lente. Des coups de pioches résonnent au rez-de-chaussée. Sans doute un ancien pionnier trouve-t-il là l'occasion d'exercer ses talents. Il semble que la situation est perdue. Une tentative de sortie pour contrarier ces préparatifs serait, semble-t-il, vouée à l'échec. Faut-il se résigner ? Les minutes passent avec une cruelle lenteur.
        Mais c'est à cet instant dramatique que la providence intervient. Soudain sur les visages, l'angoisse fait place à l'espoir. Au loin on entend des crépitements de mitrailleuses, tandis qu'en un clin d'oeil le village se vide et que les bandes d'indigènes s'enfuient en désordre vers la montagne. C'est la colonne de secours qui arrive et avec elle la délivrance dont on avait failli désespérer.
        Peu après, on assiste alors au spectacle poignant d'un groupe d'hommes aux visages défaits et durcis, de femmes échevelées et pleurant, d'enfants inconscients se jetant hors de cette caserne qui avait failli être leur tombeau, pour accueillir les libérateurs. Quelques uns, ne pouvant se retenir de crier "Vive la France".
        Il ne restait plus que quelques cartouches - Ainsi se terminait, après une lutte de plus de trente heures, l'épisode tragique et trop peu connu de l'attaque, de la destruction totale du village de Chevreul, de la résistance dans la caserne de gendarmerie d'une poignée de français à travers les pires souffrances physiques et morales, face à des milliers d'assaillants musulmans kabyles.

Drames dans les Forêts

        Nous ne citerons que les lieux où ont été commis les assassinats, les viols de Gardes Forestiers et de leurs familles, femmes et enfants et des destructions de leurs biens : - Biabel - Tamsout - Tâmentout - Aïn Settah - Beni Siar - Tamendjar M'Cid et Beni F'Tah - Aïn Ouadel - Aïn Leftet - sur la route de Chevreul à Tamentout.

Guelma et sa région

        La plaine de Guelma s'étend en arc de cercle d'Ouest en Est, entre au Nord le Djebel Ouara (923 m) et au Sud le Djebel Mahouna (1.411 m).
        C'est dans ce dernier que le célèbre chasseur de lions Jules Gérard fit ses plus belles chasses.
        Dans cette plaine serpente l'Oued Seybouse, seul fleuve navigable de l'Algérie, sur ses 30 derniers kilomètres avant de se jeter à la mer près de Bône.
        Guelma est situé sur la rive droite de la Seybouse sur l'emplacement de l'ancienne Calama des Romains, au carrefour des voies de pénétrations Ouest-Est : Constantine-Tunis, Nord-Sud : Bône-Sédrata-Aïn-Beïda.
        Du temps des Romains, Calama a été le siège d'un Episcopat dont l'un des évêques, Saint Possidius, a rédigé la biographie de Saint Augustin.
        C'est le Maréchal Clauzel, lors de la conquête de l'Algérie qui a ordonné la construction de Guelma sur ce site stratégique. Peu après, le long de la Seybouse, ont été créés les villages, au Nord de Guelma, sur la rive gauche : Kellermann et Héliopolis - sur la rive droite, à l'Ouest de Guelma: Medjez Amar et à l'Est, Millésimo, Petit et Nador, ces derniers sur la voie ferrée Constantine-Le Kroubs-Guelma-Tunis.
        Guelma, sous préfecture d'environ 18.000 habitants à la fin de la deuxième guerre mondiale, avait comme garnison une compagnie du 3ème régiment de tirailleurs algériens, spécialisés à l'époque dans l'instruction des jeunes recrues et d'Alsaciens enrôlés de force dans l'armée allemande et ayant déserté afin de servir la France. La région de Guelma est essentiellement agricole, exceptée une mine de soufre proche d'Héliopolis, une de zinc à Nador et une carrière de marbre à la Mahouna.
        Elle produit du blé, de l'orge, de l'avoine, du tabac, plantée d'oliviers, de riches cultures d'agrumes, orangers, mandariniers, arbres fruitiers de toutes natures, légumes et primeurs. Un important cheptel composé de bovins, ovins, caprins, chevalins et mulassiers.
        L'école d'agriculture de Guelma a créé par croisement entre les races Montbéliardes, Tarentaises et indigènes, la race dite de "Guelma". Elle a également créé la variété de blé dur "Oued Zénati", réputé jusqu'en métropole, l'orge "Condorcet" et l'avoine "Guelma 4".
        Face à Guelma, sur la route de Bône, le village d'Héliopolis, 4.500 habitants, possède une minoterie très importante "Les pâtes Lavie" et une huilerie "Guiraud". A la sortie Nord du village, sur la droite, entourée d'oliviers on trouve une piscine romaine circulaire, surnommée "la fontaine chaude". Une source d'eau chaude jaillit à l'intérieur et par le jeu de blocs de pierre on peut faire varier l'arrivée d'eau froide d'un oued et ainsi régler la température de la piscine.
        Millésimo situé entre l'Oued Maïs et l'Oued Zimba à 4 kms de Guelma n'a qu'une halte de chemin de fer.
        Petit, à 8 kms de Guelma, entre l'Oued Rouadjél et Boussorah possède une gare. La ressource essentielle de la commune provient des oliviers. Mon grand-père, cantonnier du village a pratiquement greffé tous les oliviers sauvages des Djebel Bougroun et de la Montagne Carrée.
        Le hameau de Bled-Gaffar à 7 kms au Sud de Sédrata, dépend de Petit. Dans ce dernier village outre la forge Perri, il y avait les moulins à blé Bouvard et Ayadi Messaoud. Dans tous les villages, les colons avaient construit d'importantes canalisations captant l'eau des oueds pour l'irrigation des jardins européens et indigènes.

        L'entente entre les communautés a été excellente jusqu'au débarquement des alliés en A.F.N. en novembre 1942. Pendant la campagne de Tunisie, des parachutistes Allemands avaient essayé, en vain, de soulever les indigènes. Malheureusement la propagande des indépendantistes entreprit un travail de sape basé sur l'Islam, poussant les indigènes à la révolte sous le couvert de la Djihad. Les nombreuses armes de guerre récupérées sur les champs de bataille de Libye et de Tunisie leur fit espérer une victoire facile et rapide, la majeure partie de nos troupes se trouvant en Europe. Heureusement les initiatives rapides, énergiques et avisées de chefs comme le sous-préfet Achiary et le Général Duval, ont permis de rétablir une situation très grave et de sauver de multiples vies humaines.
Maurice GRAVIER          

GUELMA

        L'objectif des chefs de l'insurrection était dans un premier temps de s'emparer des villes de Sétif et de Guelma.
        Cette dernière est sauvée grâce à la détermination de deux hommes.
        Mis au courant des sanglantes émeutes de Sétif, ils ne furent pas pris par surprise et eurent le temps d'organiser la défense de la ville.

Le Sous Préfet Achiary et le Maire M. Maubert

        Le sous préfet qui, en véritable chef, prend en main la défense de la ville. Privé de moyens militaires, il n'a à sa disposition que 20 policiers et 12 gendarmes. Les tirailleurs très peu encadrés sont douteux. Sur ordre du Commandant d'arme, ils sont consignés au quartier militaire et les armes enchaînées.
        Le sous-préfet se rend sans hésiter dans tous les quartiers de la ville, les plus dangereux, n'hésitant pas à mettre sa vie en danger, se portant au devant des manifestants, essayant de les convaincre de renoncer.
        Le Maire M. Maubert, par son autorité, sa sagesse, apporte une aide précieuse et efficace au sous-préfet.
        Le premier mai, les manifestants avaient parcouru les rues de la ville porteurs d'inscriptions séditieuses. Depuis plusieurs mois, la propagande incessante pousse les indigènes à une hostilité envers les européens, leur slogan était "ça va changer". Le 8 mai, toute la population se prépare à fêter la victoire des armées alliées. A l'heure fixée, les cloches et la sirène annoncent le début de la cérémonie à laquelle toutes les autorités, les notables de la ville, les anciens combattants européens et musulmans étaient invités, les enfants des écoles y participent également. Les anciens combattants, chargés officiellement de l'organisation de la cérémonie, afin d'y associer de façon fraternelle leurs camarades musulmans, avaient décidé de faire porter le drapeau de leur association par le vice président, M. Amar Boussouria.
        Le cortège officiel traverse la ville européenne décorée de drapeaux et d'oriflammes; c'est l'enthousiasme le plus complet pour les européens. La provocation
        Mais d'importants groupes d'indigènes se réunissent sur la place Saint Augustin et principalement devant le café Régui. Vers 15 heures, des enfants musulmans se rendent en groupe sur la place de l'école en portant des petits drapeaux verts et blancs, ils entonnent un chant nationaliste, l'hymne "Oustania" ; une foule d'environ 500 indigènes se joint à eux, créant l'inquiétude.
        Dès le début de la cérémonie officielle, la plupart des notables et anciens combattants indigènes quittent la cérémonie se dirigeant vers le haut de la ville.
        Lorsque la Marseillaise retentit, les notables et les dirigeants nationalistes attablés à une brasserie restent assis afin de montrer leur mépris pour l'hymne national.

        Tout à coup, par la rue Medjez-Amar, débouche un cortège composé de plus de mille indigènes portant des pancartes et des banderoles avec les inscriptions "Vive l'Algérie indépendante", "à bas le communisme", "libérez Messali"....
        Le sous-préfet qui se trouve sur place en compagnie du maire et des autorités, se porte au devant des manifestants rue Victor-Bernès, à hauteur du magasin "Azzéroé". Au premier rang, les jeunes hurlent des slogans anti-français ; le sous-préfet essaie de leur rappeler qu'ils sont conviés à participer aux cérémonies et qu'ils doivent se calmer, mais ils ne l'écoutent pas, n'acceptent aucun dialogue, bousculent même le sous-préfet et le maire échangeant des coups avec le service d'ordre.

Guelma - le Théâtre antique
Guelma - le Théâtre antique

        A cet instant, arrivant de la direction du café Groce, surgit un indigène armé d'un "débous" attaque le sous-préfet par derrière qui n'est épargné que grâce à l'intervention musclée de personnes de son entourage.
        Un coup de feu retentit tiré de la foule des manifestants, les policiers débordés, sortent leurs armes de poing et afin de se dégager tirent en l'air, puis voyant les leurs tomber, deux agents, deux gendarmes et un inspecteur de police, visent les manifestants.
        Ces derniers refluent vers le théâtre antique, la rue Saint Augustin et la rue d'Annoua.

Mesures de sécurité

        Dans la soirée, les mesures de sécurité qui s'imposent sont prises : fermeture des établissements publics, circulation interdite, carrefours gardés par les forces de l'ordre, arrestations de quelques meneurs et le couvre feu est établi à 21 heures. Le bal public qui devait clôturer les réjouissances est annulé ainsi que la soirée dansante dans les sous?sols du café Régui où étaient invitées toutes les autorités.

Les premières attaques

        Mercredi 9 mai d'importants rassemblements d'indigènes sont signalés dans les environs de la ville. Vers 9 heures, des gendarmes s'opposent à une bande de plusieurs centaines d'émeutiers armés, certains porteurs d'armes de guerre. Un engagement a lieu route de Constantine, vers la briqueterie, les gendarmes essuient des coups de feu et sont dans l'obligation de riposter afin de couvrir leur retraite, abattant des assaillants.

La Défense de la Ville - Constitution de la Milice

Le Sous-Préfet de Guelma
M. Achiary

        A 11 heures le sous-préfet convoque les personnalités suivantes :
        M. Champ, président des anciens combattants - M. Garrimel, membre de la S.F.I.O., président de la France Combattante - M. Cheylan, secrétaire de l'Union Locale des Syndicats - Le Colonel, Commandant d'arme - le Commissaire de police.
        Il leur expose la situation. Ne disposant pas de forces militaires suffisantes afin de maîtriser l'insurrection, il décide de constituer une milice qui aura pour mission d'apporter son concours aux forces de police.
        Une grande partie des européens s'inscrit, mais en définitive ne peut recevoir que 65 fusils de guerre. La milice se voit confier la garde de quelques points sensibles : le carrefour du cinéma, la porte de Constantine, le carrefour du monument aux morts, le quartier des H.B.M. et devra effectuer des patrouilles de jour et de nuit.

        Au début de l'après-midi, une colonne d'indigènes armés montant le ravin de Millésirno et de la route de Guelma, se heurte à une patrouille de gendarmes à la hauteur de la ferme Cheyrol. Après un échange de coups de feu, les émeutiers s'enfuient abandonnant quelques blessés.

La Ville est complètement encerclée

        Dans l'après-midi, vers le cimetière, des colonnes d'assaillants armés tentent de s'introduire en ville ; ils sont repoussés par les forces de l'ordre.
        Croyant la ville aux mains des insurgés, de nombreux indigènes armés descendent de leur montagne et se dirigent vers Guelma. Ils se heurtent au 7ème bataillon d'instruction et à la milice civile.
        La ville est complètement encerclée, des groupes armés arrivant de toutes parts. L'intervention de deux avions avec des tirs d'intimidation arrive à les disperser.

Au secours des villages et des fermes isolées

        La décision de secourir le village de Petit est prise. Vers le soir des miliciens en camion partent pour ramener et mettre à l'abri la population de ce village. Un véhicule avec des gendarmes et des miliciens se dirige vers Bled Gaffar pour secourir les européens ; il est stoppé au 9ème kilomètre, avant la ferme Dubois. Des hordes armées, excitées et déchaînées barrent la route, ne voulant pas entendre les paroles de sagesse de l'adjudant-chef Cantais. Le véhicule est obligé de faire demi-tour devant l'inégalité des forces. Le jeudi 10 mai, les villages de Millésimo et de Petit assiégés par les émeutiers sont dégagés par les tirailleurs Sénégalais et les gendarmes. Dans la vallée de la Seybouse et au dessus du marché aux bestiaux, deux avions mitraillent de fortes concentrations armées qui encerclent toujours la ville de Guelma. Guelma et ses environs, les villages de Bled-Gaffar, Lapaine, Kellerman, Galliéni, Gounod, la plupart des fermes isolées ne seront dégagés que grâce à l'arrivée du groupe mobile motorisé Comborieu, dépêché d'urgence de Tunisie. L'adjudant Sadok commandait un peloton de ce groupe mobile ; c'est lui qui fut la première victime, assassiné le 1er novembre 1954 sur une petite route de l'Aurès avec l'instituteur Monnerot, car il fallait détruire ce symbole d'attachement à la France.

Rapport de l'Union Locale des Syndicats

        Ce document est daté du 20 juin 1945, il émane de l'Union locale qui regroupe plusieurs syndicats de la ville de Guelma : les P.T.T., les Cheminots, les employés Communaux, le personnel civil de la guerre ... tous fervents adeptes de la C.G.T. Devant la gravité de la situation, le bureau a pris part, aux côtés des autorités constituées, à la défense de la ville. Cela a été vivement reproché par le Comité Général Français, qui a traité son action "d'activité anti-syndicaliste et dangereuse".
        L'Union locale a répondu par un rapport dont nous publions les passages essentiels.

Analyse des faits

        Avant l'insurrection - Depuis quelques mois, le milieu syndicaliste musulman qui comprenait la majorité des adhérents dans tous les syndicats de Guelma et de sa région, montrait une hostilité très marquée à l'égard des éléments européens du syndicalisme. La plus petite revendication, l'incident de travail le plus insignifiant étaient grossis et déformés intentionnellement par les musulmans, dans un but de propagande anti-française d'abord et surtout pour en arriver à déconsidérer les responsables ou les membres européens des différents syndicats. La démagogie la plus grossière et la surenchère se donnaient libre cours et elles étaient la conséquence de directives reçues de milieux nationalistes. Certains musulmans qui étaient jusque là fidèles à la cause France adoptèrent même une attitude suspecte qui dénotait la naissance d'un courant profond, d'une véritable folie collective, qui allait tout emporter. Dans les derniers jours qui précédèrent les événements, l'arrogance était à son comble et les provocations se succédaient sans cesse, la lutte était ouvertement engagée. Sur certains visages on lisait une haine féroce qui allait pouvoir s'assouvir, tandis que d'autres affichaient un sourire entendu qui présageait une explosion très proche. "Ca va changer" tel était le slogan en vogue. Il est certain que la masse syndicale musulmane ne suivait plus les principes que le syndicalisme défendait, pour se replier sur le terrain purement nationaliste. Pour les responsables locaux, la situation était considérée comme très grave.

Considérations générales

        L'insurrection sanglante n'a, du point de vue syndicaliste, aucun rapport avec la légende d'un complot fasciste et il n'existe, d'autre part, aucune corrélation entre les insurgés et les "marcheurs de la faim" ou les foules conscientes pleines de foi qui partaient à la conquête d'un avenir meilleur, tant économique que politique et social.
        Les insurgés armés de fusils, de haches, de serpes et de pioches, fanatisés par une longue campagne d'excitation faite sous le couvert de la religion par le P.P.A. et les "Amis du Manifeste", ne visaient qu'un seul but:

Détruire la France dans ce pays en exterminant tous les éléments non musulmans

        Ces troupes d'émeutiers étaient composées de tous les musulmans, du plus riche au plus pauvre, du demi intellectuel à l'ignorant, de l'athée au fanatique religieux en passant par le syndicaliste, le petit bourgeois, l'ancien combattant, l'élu, le scout, le sportif.
        La quasi unanimité des musulmans s'est donc réalisée contre tout ce qui est français, contre les organisations patriotiques, politiques, corporatives ou autres, qui, à différents titres, représentaient un idéal qui n'est pas le leur.
        D'où venaient les insurgés ? De la ville de Guelma d'abord, où les conditions de la vie et le ravitaillement local étaient particulièrement favorables et où la misère n'avait pas fait son apparition. Les nombreuses perquisitions opérées dans les habitations des musulmans ont permis de découvrir des quantités très importantes de blé, de farine, de semoule, d'huile et de toutes sortes de denrées alimentaires. Les insurgés venaient des environs de Guelma, descendaient des hauteurs surplombant la ville : Gounod, Lapaine, Petit, Millésimo, Héliopolis, Guelât-bou-Sba, Galliéni, Kellerman, Clauzel, Durembourg. Toutes ces contrées très riches, assuraient une vie facile et paisible aussi bien aux européens qu'aux musulmans. La nature riante et prospère, malgré le cataclysme qui vient de l'endeuiller et de détruire une partie de la vie, semble adresser un nouvel appel à l'homme et à la paix.


        Dans toutes ces régions, les fermes et les villages européens sont détruits, les habitations pillées. Les conduites d'eau détruites par endroits alors que les fermes et les mechtas des musulmans avec leurs terres cultivées, leurs jardins sourient encore au soleil du printemps.
        Les insurgés sont donc partis de ces régions riches, où les stocks de blé, par centaines de quintaux, d'huile, de tissus en ballots, etc.. ont été retrouvés après la fuite des émeutiers en dissidence. Tous ces croisés d'une époque nouvelle avaient revêtu leur tenue de parade; ils avaient dans leurs rangs toutes les couches de la masse musulmane : du gros terrien au Khamès, de l'affranchi au fanatique religieux, marabout en tête et à l'ancien militaire qui dirigeait les opérations au point de vue stratégique.

        Il est donc avéré que les tristes événements qui viennent de se dérouler n'ont rien d'une explosion soudaine provoquée par des conditions économiques du temps présent. Aucune revendication particulière, aucun désir spécial n'ont conduit les insurgés vers cette sauvagerie inconnue depuis les temps les plus reculés de la pacification de l'Algérie. Seulement la guerre sainte a galvanisé tous ces hommes pour un combat qui dépasse le cadre du syndicalisme et vise purement et simplement à bouter hors de l'Algérie, par le crime et par la plus grande sauvagerie, tous les européens qui vivent sur son sol.
        La France, au cours d'une longue histoire, a vu toujours malgré tous les écueils rencontrés depuis des siècles sur les chemins de sa grandeur, renaître et s'affirmer un idéal de justice et de fraternité. Les Français d'Algérie lui font confiance pour les remèdes à apporter à une situation qui, si elle n'était pas comprise, constituerait à brève échéance, ...

la perte des trois départements algériens
et celle de lAfrique du Nord française

        Devant la ferme attitude des européens qui se sont mis en auto défense, les indigènes à l'intérieur de la ville, toujours déterminés, attendent que les défenseurs soient submergés par les contingents qui arrivent de toutes part de l'extérieur. Des nouvelles alarmantes arrivent, des attroupements armés encerclent la ville, des Européens sont assassinés dans les fermes et les villages environnants. Les lignes téléphoniques et les voies ferrées sont coupées, les routes barrées et les ponts endommagés, la guerre sainte est déclarée.

        La rumeur de la prise de la ville de Guelma avait motivé les assaillants qui venaient de tous les douars environnants, mais s'apercevant que la ville résistait, ils s'attaquent alors à tous les villages, les fermes isolées :
        Les villages de Lapaine - Petit - Bled Gaffar et la ferme Saint Claude - la ferme Luzet à Sekaka - Sédrata - Villars - Millésimo - Guelâat-bou-Sba - Galliéni - Clauzel - Bordj Sabah - Gounod - Héliopolis - Hammam Meskoutine - Kellermann - La Mahouna - Medjez el Bab - Bekaria.
        C'est l'ensemble de la région de Guelma qui est à feu et à sang, destructions, incendies, crimes, européens égorgés. Les prisonniers Italiens travaillant dans les fermes ne seront pas eux aussi épargnés.

        La propagande des indépendantistes afin de convaincre a toujours affirmé que l'insurrection était soutenue par les puissances étrangères.
        Les insurgés circulent en très grand nombre sur toutes les routes. On remarque une grande discipline, ils marchent en tirailleurs deux par deux, sont armés de fusils, de serpes, de faucilles.
        Chaque groupe d'une dizaine d'hommes est commandé par un chef habillé en bleu, cela dénote bien une préparation et une organisation militaires. Au passage de quelques avions, les groupes se dispersent pour se reformer aussitôt.
        C'est un escadron motorisé, commandé par le capitaine René Brincourt, venant du camp du Bardo, près de Tunis, après avoir roulé sans arrêt toute la nuit, se mettant à la disposition du Général Duval, qui arrive dans la région de Guelma et mettra fin à l'insurrection.

        Témoignage du Capitaine Brincourt : "je reçois l'ordre d'opérer dans les communes de Villard, Petit, Lapaine, Héliopolis et Millésimo, qui sont assiégées par des bandes rebelles fanatisées. Il y a de nombreuses victimes parmi les colons et les fonctionnaires. je répartis les missions ainsi : lieutenant Chaylard premier peloton, Adjudant Sadok deuxième peloton, se rendront par la route sur les villages de Petit, Lapaine et Héliopolis, afin de dégager les agglomérations assiégées et se mettre à la disposition des autorités. Lieutenant Boudiaf troisième peloton, lieutenant Petit quatrième peloton, le peloton de commandement et moi-même sur Villars.
        La nuit tombée, ma mission étant accomplie dans de bonnes conditions, avec un seul homme blessé par chevrotines, je me rends à Guelma avec les pelotons réduits. Au crépuscule, nous voyons à notre approche les rebelles fuir. Nous abordons la ville par un mouvement tournant, après avoir pris un contact radio avec la sous-préfecture. Nous entrons dans la ville sous les applaudissements de la population qui vient de vivre un cauchemar.

        Au cours des jours suivants notre action se limite à des patrouilles, des surveillances de villages, des contrôles d'identité et même des rassemblements de troupeaux, appartenant à des indigènes disséminés dans la nature.


        Quelques jours plus tard, le Général Duval est venu nous passer en revue et nous féliciter. Il nous demande de lui signaler les militaires qui s'étaient distingués au cours des opérations, afin de les citer. Accompagnant le général qui passait devant ma troupe, je lui présente l'adjudant Sadok, qui allait prendre sa retraite et qui espérait voir aboutir favorablement la demande qu'il avait faite pour une nomination de caïd. Le général serrant la main de l'adjudant, lui dit : "je sais que tu es un brave et que tu appartiens à une grande famille de l'Aurès fidèle à la France. Tu es caïd à partir d'aujourd'hui". Au retour du détachement à Batna, Sadok est mis à la retraite et nommé caïd de M'Chounech.

        Symbole de l'attachement et de la fidélité à la France, il sera assassiné le 1er novembre 1954 avec l'instituteur Monnerot dans les gorges de Tighanimine dans l'Aurès.

Tiré de l'ouvrage : "La Vérité sur l'insurrection du 8 mai 1945 dans le Constantinois
- Menaces sur l'Algérie Française" de Maurice Villard
(quelques ouvrages encore disponibles à L'A.C.E.P)