N° 237
Avril

https://piednoir.fr
    carte de M. Bartolini J.P.
     Les Bords de la SEYBOUSE à HIPPONE
1er Avril 2023
jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
https://www.seybouse.info/
Création de M. Bonemaint
LA SEYBOUSE
La petite Gazette de BÔNE la COQUETTE
Le site des Bônois en particulier et des Pieds-Noirs en Général
l'histoire de ce journal racontée par Louis ARNAUD
se trouve dans la page: La Seybouse,
Écusson de Bône généreusement offert au site de Bône par M. Bonemaint
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EDITO
MOIS D'AVRIL !!!

        En Avril, on ne se découvre pas d'un fil, dit un célèbre dicton et vu la météo actuelle, restons sur nos gardes.

         Nous le savons tous, le 1er avril est dédié aux farces et autres plaisanteries en tout genre. L'origine de cette coutume daterait à l'an 1564 quand le roi Charles IX décida de changer la date du jour de l'an pour la passer du 1er avril au 1er janvier.

        Le rendez-vous du 1er avril était devenu incontournable pour les médias. C'était devenu le jour des " poissons d'avril ", par des informations invraisemblables et inventées de toutes pièces qui étaient glissées dans les vrais informations courantes.

        Mais depuis les gilets jaunes, la pandémie et maintenant le feuilleton des retraites, l'agitation, et le désarroi du peuple ainsi que la fuite en avant du gouvernement avec ses 49,3 à répétition, la population n'a pas tellement la tête et l'esprit aux facéties pour des poissons du 1er avril.

        Nous ne devons pas oublier le scandaleux référendum du 8 avril 1962 et la trahison du 9 mars 1962 du guide de la France, la grande Zorah, qui avait voulu un nouveau Dien Bien Phu en Algérie pour les jeunes appelés français. Voir la lettre de M. Manuel Gomez, dans ce numéro.

        Je ne rentre pas dans le détail des innommables " accords déviants " que le FLN n'a jamais signé et reconnu mais qui à l'heure actuelle les fêtes comme une victoire.

        Pour ma part, je vous offre une carte de notre cher compatriote Salomon Assus avec son 1er avril.
        Bon mois d'avril à tous et toutes
        Bonne lecture
Jean Pierre Bartolini          

        Diobône,         
         A tchao.

        


AH CES ELECTIONS BONOISES !
Envoyé par M. Georges Barbara
           
            - " Aller vous voulez m'lacher à la fin ou quoi ? Et toi ô tanoude de promière, là-bas derrière te peux rire 'ac ta bouche ouverte, qu'on te dirait une moule dans le vivier du Cap de Garde quand on t'a pas changé l'eau ! Et pis d'abord même si t'yes un Chickeur à la manque comme te dis, et que t'yes du matin au soir fourré dans les chats noirs de la place d'Armes, viens sorts,…. viens un peu te tapper. Viens n'a pas peur o Oualioune'…. Comme ça on va s'les donner entre homme t'sur la placette à côté d'l 'ecole des chères sœurs ! Mais Diocane vous autres lachez-moi à la fin…. Te vas 'oir comme je va m'l'arranger je va t'le faire neuf neuf, qu'aprés il ira trouver Buttacavoli pour se rofaire faire la facade !….. Vous alllez 'oir ça qu'vous allez 'oir !

            - " Mais o frade y t'a fait quoi le Zizou ! Il est brave comme une bouchée de pain le pauvre ! Y te donnerait le bon Dieu sans confection lui Michkine, et toi te lui tiens une madonne de Rabbia … Et à pourquoi ?

            - " A pourquoi ? Et ben ce moins que rien, ça que vous savez pas, y fait que dire en ville et on l'a même entendu à l'apéritif à chez petit Poisson rue gambetta métenan que les elections elles z'aprochent que son gominé de Fadda il est mieux que Pantaloni ! Mais c'est pas possible que t'ientends des choses pareilles. Dis z'y un peu à cette fatche de Jean la Fi qu'y c'est qu'y t'a fait le Stade ? Qu'y sait qu'y t'a fait la gare ? Et en plusque qu'y sait qu'i t'a fait le Marché, que sa femme elle est bien contente le sam'di pour aller acheter le fromage de Sardaigne à chez Vito ou à chez Madame Baresi ! Et pour dubon comme y dit cette langue de trainé de rue, que Pantaloni y s'en est mis plein les poches, et bien tant mieux lui au moins il est roconnaissant, avec tous les anisettes qu'y nous a payées à nous les Bonois ! Y l'oublie cette chose-là ? Mais te crois qu 'y sait roflechir ce gabarit que j'en chie un tous les jours de l'année ! Il oublie ça ? Aller pour l'âme de vos morts lachez-moi je vous dis, que je m'en retourne à chez moi pourquoi je va z'être en rotard, que ce soir je dois aller coller les affiches pour Pantaloni ! Mais o toi là-bas face de Gatsous Marine, j'te le dis entre quatre zieux, te perds rien pour attendre. Les chikeurs comme toi ma sage femme a l'en met un au monde tous les jours, et en plusque te sais pas sur qui t'yes tombé ! Si te connaîs pas Nano d'la colonne te vas l'apprendre à le connaitre te va 'oir !

            - " Mais Nano fais nous plaisir mets-la au point mort méténan, rentre chez toi tranquile tranquile!

            - " Ouais à debon vous avez raison, mais faites-le pour l'âme de ceux que vous avez au purgatoire…. Accompagnez-moi jusqu'à chez moi qu'on sait jamais que cette langouste y vient pas m'attaquer quand je suis tout seul. Aller nous s'en allons!

Georges Barbara, août 2022


J'ai trouvé le trésor de DJABALA !
Envoyé par Jean-Claude PUGLISI.

           En ces jours de Noël, je viens de retrouver au plus profond de mes souliers, une bonne vieille histoire que tout le Bastion de France connaît :
Celle du trésor de DJABALA !
Mais était-ce une légende ou bien une réalité ?
            Pour ceux qui d'aventure, n'en auraient jamais entendu parlé, laissez-moi vous dire tout de suite et dans le creux de l'oreille, que ce fabuleux trésor, moi, je l'ai enfin trouvé !
            DJABALA, ce riche et distingué notable Callois, aurait - selon les dires ! - à l'insu des siens et en grand secret, enfoui toutes ses richesses quelque part - sur les pentes des monts du BOULIF... DJABALA et sa fidèle mule, étaient les seuls à connaître le chemin secret qui menait au fabuleux trésor.

Mais pourquoi la mule ? Serions-nous tentés de dire.

            Parce que tous les matins, sur le dos de sa mule perché, DJABALA s'en allait régulièrement par les chemins du BOULIF, pour se rendre en des lieux cachés où, il pouvait voir de prés, le spectacle merveilleux d'un trésor, dont aujourd'hui encore - on ne cesse d'évoquer.
            La mule connaissait donc parfaitement le parcours, qui menait à l'endroit où gisait l'or - que son maître avait mis à l'abri.
            Le temps passa... Et puis, un jour, DJABALA devait s'en aller pieusement - rejoindre le paradis d'Allah.

            Pendant le temps du deuil, la mule fût hélas oubliée dans l'écurie bien close - sans boire, ni manger - et finit par mourir d'inanition… C'est ainsi que d'un seul enterrement, partirent pour l'éternité DJABALA et sa mule, emportant chacun dans leur tombe le secret du fabuleux trésor...
            Malgré les recherches effectuées sur le site du BOULIF, jamais un seul indice ne fût trouvé, ni même la plus petite pièce d'or.

            A La Calle, la famille discrètement interrogée nous a un jour révélé, que, des sorciers marocains attirés par le gain, seraient venus rôder sur les lieux ? Après avoir usé de toutes les ficelles de leurs pouvoirs, pour certains, ces magiciens seraient repartis en emportant - peut-être ! - l'hypothétique trésor de DJABALA ! Pour d'autres, il semble que pendant leur mystérieux rituel, les sorciers furent effrayés par une énorme boule incandescente, qui devait jaillir du lieu même où était enfoui le présumé trésor, échappant ainsi à la cupidité des hommes - pour s'évaporer définitivement dans les airs !

            Alors plus de trésor ? Cette histoire serait terminée et l'affaire DJABALA, définitivement classée dans les archives poussiéreuses - à la rubrique " chroniques du Bastion de France. " Mais voilà ! Il faut dire que là-bas - à La Calle de France - et encore aujourd'hui, il est parfois question de cette mystérieuse légende, qui ne cesse d'intriguer fort et de passionner toujours les esprits. Pour preuve écoutons un instant, la drôle de mésaventure vécue par trois Cousins Callois, qui, avaient décidé, sur les conseils du patriarche de la famille - qui racontait, que, lui le vieux, connaissait parfaitement la cache du trésor -, de partir à la recherche de l'or de DJABALA... C'est ce qu'ils firent sans attendre ! … Car, dés le lendemain matin, les trois amis se mirent en campagne, avec la ferme intention d'explorer un coin particulier du BOULIF, en suivant à la lettre - les précieuses indications communiquées par le vieux sage.

            Du côté du vieux port, ils trouvèrent sans difficulté, un petit tunnel creusé à même le rocher et qui pénétrait sous la montagne : vraisemblable vestige - vieux d'un siècle à peine ! - des bâtisseurs portuaires d'antan ? Endroit - ô combien ! - idéal, pour mettre un trésor à l'abri de toutes les convoitises ! … Le trésor était manifestement à la portée de leurs mains et le patriarche ne pouvait pas les avoir trompé ! Prudents, souffle court et cœur battant, les trois acolytes lampes à la main, entamèrent une lente progression le long du boyau obscur... Étaient-ils superstitieux ? Certainement ! … Mais ils étaient surtout très inquiets, à la pensée que leur intrusion dans ces lieux, pourrait peut-être réveiller le spectre de DJABALA et de sa mule ! Sait-on jamais ! … Surtout qu'ils trouvèrent l'endroit bien sinistre et chacun de leur pas devait résonner en écho - d'une façon bien étrange... Autant dire, que, nos trois compères qui s'attendaient au pire, étaient d'ores et déjà prêts - à faire un retour précipité vers la surface à la moindre alerte…

C'est en effet, ce qui arriva !

            Nos chercheurs d'or - confinés dans l'atmosphère insolite du tunnel - restèrent à un moment tout à coup interdits : venant des entrailles de la terre, un bruit bien étrange se rapprochait d'une façon très inquiétante... Il n'en fallait pas plus à nos héros, pour sonner une retraite précipitée et déguerpir au plus vite vers la lumière du soleil ! Pensaient-ils alors, que, voulant les punir, DJABALA perché sur sa mule, dans un galop furieux courait à leurs trousses ? Mais ce n'était là, qu'un vol bruyant de chauves-souris dérangées dans leur sommeil ! Riant de leur frayeur et faisant fi des volatiles, les trois associés reprirent d'un seul élan, l'exploration méthodique des lieux à la lumière de leurs lampes de poche... De temps à autre et régulièrement, l'un d'eux sortait au grand air - bientôt rejoint par les autres - pour dire bonjour au couffin bien garni de succulents victuailles apportés pour la circonstance... Mais en même temps, ils ne manquaient pas de goûter avec une volupté non contenue, au silence et à la beauté majestueuse d'un BOULIF - qui ce jour là, s'était bien habillé.

Ah ! Ce BOULIF...
Quel lieu enchanteur... Quel paradis !...
Devaient-ils penser alors nos trois compères !

            Mais voilà ! La journée s'avançait et ce trésor il fallait bien continuer à le chercher ! Après tout, c'était pour cela qu'ils étaient venus et ce soir le patriarche les attendait - pour écouter sans mot dire, le rapport de la journée ! … Cependant dans le tunnel, le manque d'air - vous comprenez ! Et puis, peut-être bien, le couffin - vous voyez ! … Amenaient souvent les trois lascars vers la lumière. En somme et sans faire de comptabilité, il faut reconnaître qu'ils passèrent surtout la journée, à contempler l'éclat doré du soleil sur le bleu saphir de la mer, qui, tendrement jouait, aux pieds d'un BOULIF, dont, les chênes avaient revêtu ce jour-là, leur parure émeraude ponctuée çà et là, par quelques arbousiers, qui, sans se gêner, faisaient sous le soleil étinceler leurs fruits rouges - telle une pléiade de rubis dans un écrin parfumé...

            Dans le tunnel ! Ils trouvèrent un vague endroit cimenté... Le trésor était peut- être là ? Sûrement ! … Mais il se faisait tard et tellement beau dehors - surtout au coucher du soleil. Le trésor de DJABALA ! On verrait ça plus tard ! Une autre fois peut-être - si Dieu le veut !...
            A la tombée du jour, les trois associés fatigués mais ivre de grand air, rentrèrent au village doucement et sans même se presser. Par moments ils se retournaient, pour contempler avec bonheur la majesté de ce BOULIF, qui, tel un monceau de joyaux, scintillait de tous ses feux sous le soleil couchant.

            Ah ! Le BOULIF au couchant... Il n'y avait pas d'aussi beau spectacle au monde - autant qu'il m'en souvienne ! … Mais à présent les trois compères, se devaient d'aller sans plus attendre rendre visite au patriarche, qui, attendait le retour des aventuriers... Avait-il vraiment voulu leur livrer le secret du trésor de DJABALA ? Aujourd'hui encore je me le demande parfois ! …

            En traversant le village le plus jeune des Cousins, eut tout à coup une idée remarquable : et si l'on faisait croire au vieux père, qu'ils venaient enfin de découvrir le fabuleux trésor de DJABALA, grâce bien sûr aux précieuses indications que la veille il leur avait données ! C'est en croisant sur leur chemin la vitrine illuminée d'un antique magasin, que, leurs regards furent attirés, par des monceaux de pièces d'or qui s'étalaient là, bien empaquetés dans des goussets très ajourés, laissant voir au travers de leurs larges mailles, l'éclat de beaux et rutilants Louis et autres Napoléon... Mais, il est inutile de chercher ! Toute cette monnaie de papier doré, renfermait pour tout trésor - que du chocolat au lait à croquer ! C'est ainsi que dans la nuit qui tombait, les trois cousins étalèrent sur la table familiale, un tas de pièces dorées sous l'œil de l'aïeul un instant médusé, mais bien vite amusé par cette pluie d'or qui - n'avait même pas tintée ! …

            Si j'ai bien compris, ce soir-là chacun devait être satisfait, et somme toute, c'est par un fou rire quasi-général - que cette délicieuse aventure se terminait.

            Mais pour conclure, je pense que sur le visage ridé du vieux père, il devait y avoir ce soir-là un bien étrange sourire, qui, semble-t-il, en disait long sur cette mystérieuse affaire de trésor caché ?… Quel était donc le bût inavoué du patriarche en expédiant les trois cousins sur les sentiers du BOULIF ? Celui de trouver un trésor ! Par une belle et chaude journée ensoleillée. Ou bien, était-ce là une singulière morale, que, dans sa grande sagesse, le patriarche avait voulu enseigner - à ces jeunes écervelés de cousins ?

            Je vais tenter de l'expliquer : une coutume en usage chez les orientaux voulait, que, l'on raconte toujours une histoire, dont la moralité faisait admettre sans discussion aucune, le message que le conteur voulait faire passer : rappelons-nous Christ et de ses paraboles - les histoires de Djéha le malicieux - Jean de La Fontaine et ses divines fables… Si l'on comprends bien cette ancienne philosophie, je peux vous dire aujourd'hui, que, le trésor de DJABALA n'est plus un secret pour personne !

            Que je m'explique.
            A mon humble avis, la parabole de l'ancien n'avait qu'un seul bût, sinon, d'envoyer par une belle journée, les 3 cousins sur les pentes du BOULIF, pour sonder un vague tunnel où le manque d'air et l'obscurité aidant, maintiendraient surtout les trois chercheurs de trésor à l'extérieur et au grand air en compagnie d'un solide panier garni, et le tout, dans un site privilégié : un BOULIF féerique de tout l'or du soleil paré et revêtu d'un manteau de verdure, qui, n'enviait en rien, à la verte et précieuse émeraude… S'étalant mollement à ses pieds, le bleu étincelant des plus beaux joyaux de la Méditerranée... Si je laisse imaginer le fruit rouge de l'arbousier, je ne puis m'empêcher de vous rappeler cette source dont les perles fabuleuses, amènent encore sur mes lèvres toute la saveur nostalgique de mes jeunes années... Pour le reste ce tableau délicieux - mieux que moi vous le connaissez :

Il suffit de fermer les yeux et de rêver ! …
Le trésor de DJABALA ! ?
Regardez - Il est là au bout de notre nez :
C'est le BOULIF !
qui, depuis des lustres et des lustres
étale sa sauvage beauté,
pour qui veut bien le remarquer !


Voilà ! ce que le vieux père voulait démontrer.

            Dans sa grande maison à l'orée du BOULIF, DJABALA, campé sur le dos de sa fidèle mule, s'en allait tous les jours admirer de prés ce trésor de la nature, qui devait enchanter son vieux cœur par les ans fatigué ... A sa mort, si ses proches n'ont pas eu recours à la mendicité, c'est bien là une preuve que DJABALA n'a jamais enterré de ses richesses - une seule pièce d'or..

            Pourtant à La Calle, on disait parfois sous le sceau du secret, que, si l'on mettait bout à bout, toutes les pièces d'or de DJABALA, on pourrait sans peine tracer une longue et belle ligne dorée, qui, s'en irait du phare de la presqu'île, pour atteindre sans peine le vieux port du BOULIF ! Mais au pays où fleurit le Corail, fleurissent parfois des légendes… C'est ce qui en fait toute sa beauté !… Le trésor de DJABALA, il fallait bien tenter de le démythifier !…

            Cependant, il faudra que je demande à mon ami le berger - que j'ai retrouvé un jour, tout prés de la maison cassée -, si par hasard il n'a pas remarqué au soleil couchant, ou bien, par des jours de grands vents, une silhouette furtive cheminant sur le dos d'une mule, quelque part, là-bas, sur les pentes du BOULIF ? Peut-être, est-ce le spectre de DJABALA, qui revient parfois de l'au-delà pour hanter ces lieux ?

            Mon ami le berger, qui promenait son troupeau par un beau matin d'été, m'a très gentiment conduit à la source d'un BOULIF parfumé… Depuis longtemps pour fuir l'orage, dans ce paradis il s'est définitivement réfugié et peut-être bien que DJABALA qui passait par-là un soir de pleine lune, lui aurait enseigné son secret !

Jamais il ne me l'a dit,
et moi, je ne lui ai pas demandé !…

            J'avoue humblement, qu'en sortant cette belle histoire du fond de mes souliers, j'ai vécu un moment aux pieds des arbousiers, pour m'abreuver à la source divine - d'un BOULIF ensoleillé… La brise qui chantait dans ma tête, reflétait des trésors de souvenirs que je ne puis oublier et DJABALA qui passait par-là, m'a même livré une vérité que je vais vous confier - bien que tous, vous la connaissiez :

Au Bastion de France, mes frères,
Les trésors ! ?
Il n'y avait qu'à se baisser pour les ramasser !…
Jean-Claude PUGLISI
de La Calle de France.

LÉGENDE.

            Le Patriarche - Monsieur Abdel Rahman REZZAZ.
            Les 3 cousins : 3 fils REZZAZ - Hocine, Nourredine et un autre.
            DJABALA - Monsieur BOUMALI père - riche notable et personnalité Calloise la plus décorée de la guerre 14/18.
            Anecdote de la mort de la mule - racontée par Monsieur Cyprien HISSELLI ( + )
            Madame Beya BENABED + fille de DJABALA et son petit-fils Djamel + - m'ont discrètement évoqué cette histoire.
            Le berger de la maison cassée - DIAF Ramdane, autrefois policier français abandonné à l'indépendance et roué de coups par le F.L.N.
            La thèse d'un BOULIF dont la sauvage beauté serait peut-être le trésor de DJABALA - elle est de moi ! Mais... Sans trop y croire !
Le véritable trésor de DJABALA, existe-t-il ?
A cette question,
Je n'ose pas répondre par la négative !
Jean-Claude PUGLISI
- de La Calle bastion de France.
Août 1989.



Leçon d'histoire oubliée :
Le terrorisme en Algérie française.

ACEP-ENSEMBLE N° 301, septembre 2016
LE TRAGIOUE ATTENTAT DU CASINO DE LA CORNICHE A LA POINTE PESCADE - ALGER, LE BATACLAN EN AVANT PREMIERE DANS L'INDIFFERENCE NATIONALE
                                  "Le Casino de la Corniche représente la cible idéale. Le Casino de la Corniche est connu de tous les Algérois au même titre que le Santa-Lucia, son rival.
               Il est situé à une dizaine de kilomètres à l'ouest d'Alger près de Pointe-Pescade. C'est un imposant bâtiment bâti sur un éperon rocheux, face à la mer un peu en retrait de la route littorale, On y accède par une longue allée de gravier soigneusement entretenue. En semaine, il est surtout fréquenté par les joueurs.
               Le samedi et le dimanche, il attire la foule des danseurs. A son programme, les vedettes de la chanson en tournée en Algérie, des fantaisistes, des attractions de classe internationale. Dario Moreno beaucoup de succès à chacun de ses passages. Le fameux travesti Coccinelle y vient souvent avec la troupe du Carrousel de Pais.

               À l'intérieur la décoration est simple et de bon goût. La salle du night club est peinte en bleu sombre avec des étoiles qui piquent les murs de taches plus claires. Autour de la piste de danse, qui sert également de scène, de petites tables rondes. Les baies vitrées ouvrent sur la mer. Dans ce cadre de boîte de nuit hollywoodienne, évolue le patron, Henri Azzopardi, petit homme brun et jovial qui a hésité de ses origines maltaises le sens des affaires. Henri Azzopardi - Riri tout court pour une multitude d'amis appartenant à tous les milieux est également propriétaire de la brasserie le Novelty et d'un autre dancing, le Fantasio, deux établissements proches de l'hôtel Aletti.

               Le dimanche 9 juin, jour de pentecôte, aucun membre du personnel du Casino de la Corniche ne remarque que l'un des plongeurs, un musulman d'une quinzaine d'années, vient prendre son service avec un paquet sous le bras. Ce paquet, en apparence parfaitement inoffensif est une redoutable bombe de deux kilos que lui a fait remettre Yacef Saadi. L'employé a accepté de la dissimuler sous I'estrade de l'orchestre à la condition d'être pris en charge par le F.L.N. avant qu'elle explose et d'être acheminé ensuite vers le maquis.

               À partir de 16 heures, la salle du Casino commence à se remplir de couples. Il y a beaucoup de garçons et de jeunes filles qui ont préféré la danse plage. On échange des signes amicaux avec les musiciens de Lucky Starway. Ce sont tous des Algérois. Certains sont même des enfants de Bâb-el-Oued. A commencer par Lucien Serror, colosse de trente-cinq ans dont le visage rond et perpétuellement souriant est barré d'une fine moustache noire. Quand il a monté son orchestre avec des copains, il lui a donné le nom de Lucky Starway. Pour un ensemble de jazz, ça fait plus sérieux que Lucien Serror En tout cas, c'est plus dans la note.



               Il est 18 h 30. On danse au coude à coude et joue contre joue sur la piste cirée du Casino de la Corniche. Sur l'estrade, Lucky Starway dirige ses musiciens. Les garçons en veste blanche se faufilent à travers les tables pour apporter les consommations. Le soleil est encore haut dans le ciel et embrase la mer. C'est un dimanche comme les autres, un dimanche de détente pour toute une jeunesse qui a provisoirement chassé de son esprit la guerre et le terrorisme. Et pourtant /...

               Soudain, en quelques secondes, c'est le drame. Une terrible explosion secoue tout l'établissement. Un souffle d'une puissance inouïe balaie la salle, qui s'emplit instantanément de fumée et de poussière. À travers ce nuage on distingue des fantômes qui titubent avant de s'abattre dans un invraisemblable désordre.
               Sous l'effet de la bombe, I'estrade a été littéralement pulvérisée, projetant musiciens et instruments dans tous les sens. Rien n'a résisté à la déflagration. Des dizaines de corps sont allongés parmi les débris de tables, de chaises, de verre pilé. Le piano, éventré, tient en équilibre sur un pied.
               L'engin explosa à 18 h 55 fauchent des dizaines de couples qui dansaient tendrement. L'estrade fut littéralement soulevée par l'explosion. Le piano réduit en miettes. Lucky Starway, était mort sur le coup, éventré. Sa chanteuse eut les pieds arrachés, le danseur Paul Pérez, les jambes sectionnées. Lorsque la fumée et la poussière des gravats furent retombées, plus de cent personnes gisent dans les décombres, perdant leur sang. Le silence qui succéda à I'explosion fut bientôt déchiré par les hurlements des blessés. La bombe ayant explosé au ras du sol la plupart des victimes étaient atteintes aux membres inférieurs.

               Huit morts. Quatre-vingt-un blessés dont dix furent amputés ! Les douze blocs opératoires de l'hôpital de Mustapha fonctionnèrent toute la nuit. Alger était à nouveau atteint de folie sanguinaire. Le cycle répression - attentat avait repris avec une intensité que jamais la capitale n'avait connue.
               Et le mardi, aux obsèques des victimes, ce fut l'émeute. Comme à l'enterrement de Froger. Les ratonnades. Les magasins saccagés. Les C.R.S. qui tentent de contenir la foule en furie. Les grenades lacrymogènes,.. Le couvre-feu fut établi à 21 heures.

               L'exaspération était à son comble. Chez les Européens, on veillait des corps. Le fossé venait de s'élargir et de se creuser un peu plus.

               Ce n'était plus un fossé, mais un ravin ! Les débris laissés par l'émeute étaient tout juste balayés, la fumée des gaz lacrymogènes était à peine chassée par l'air printanier que Bigeard et ses hommes du 3ème R.P,C. revinrent dans le merdier "

               Un vieil et fidèle ami racontait au sujet de Lucien Serror :
               " C'était un ami personnel, il avait une boutique de tailleur dans l'avenue de la Bouzaréah à Bâb el Oued sous l'enseigne de " GIL STAR " il m'a confectionné mon premier complet " sur mesure " en "SPORTEX, S'il vous plait !"
               Il jouait surtout du SAXO, lorsque je dansais dans un de ses bals, il descendait de l'orchestre pour venir autour de mon couple en jouant.

               Lucky STARWAY jouait à peu près de tous les instruments : de l'accordéon, de la batterie, de la trompette, du saxophone et bien sûr, du piano.
               C'était le seul musicien de jazz de la ville d'Alger.
Publié par Hubert Zakine
    


MUTILE N° 170, 5 décembre1920

LES CRIMES DES CONSEILS DE GUERRE

               La Ligue des Droits de l'homme donne la publicité de ses Cahiers à une tragique affaire de Conseil de guerre au cours des hostilités.
               La voici succinctement rapportée.

               Le 9 mars 1915, une compagnie du 336ème d'infanterie devait, d'après les prévisions de l'Etat-Major, se porter sur Souain. Pour des raisons mal déterminées, la compagnie ne sortit pas à l'heure H. L'autorité militaire voulut voir là un refus d'obéissance concerté. Après la relève, on rassemble les hommes ; au hasard, en éliminant les officiers et chefs de section, on choisit deux soldats par section et six caporaux, et on les défère au Conseil de guerre.

               Celui-ci fait, une nouvelle sélection. Et, froidement, sans enquête préalable, sans se préoccuper d'assurer la défense des malheureux, il déclare coupables quatre caporaux qui sont condamnés à mort et exécutés.
               Ces hommes s'appelaient : Maupas classe 1894, instituteur au Chefresne (Manche) ; Girard, mécanicien à Paris ; Lefoulon, cultivateur à Coudé-sur-Vire ; Léchal, cultivateur au Ferré (Mayenne).

               A la Ligue des Droits de l'Homme qui, depuis de longs mois, demande la révision de ce procès, l'autorité militaire répond : " Il n'y a pas d'affaire Maupas. "
               Mais cela ne résout pas la question.
               Laissons de côté les arguments d'ordre sentimental, humain, qui figurent au dossier. Oublions un moment la lettre d'agonie qu'à la veille de sa mort, le caporal Maupas, innocent, écrit à sa femme."

               La question actuelle est de savoir s'il y a des raisons de droit pour justifier la révision.
               Nous disons tout d'abord qu'à l'origine de l'affaire, il y a illégalité flagrante. Il y a eu illégalité à procéder, dans la compagnie soi-disant coupable, à une décimation arbitraire, dont ne furent victimes, qu'une certaine catégorie de combattants, les plus humbles. Coupables, ils l'étaient tous ou pas un. Et on les devait tous juger, ou personne - les chefs en tête.
               Si on nous dit qu'à l'heure H, les chefs ont bondi sur le parapet, donné l'exemple du sacrifice et n'ont pas été suivis, nous répondrons a priori : "Cela n'est pas vrai ! Cela ne s'est jamais vu ! " Et, d'ailleurs, des témoignages précis le. ..nient. Les chefs ne sont pas sortis plus que les hommes.
               En fait, lorsqu'on parcourt les dépositions des hommes qui se trouvaient en ligne et que la Ligue des Droits de l'Homme a recueilli, on acquiert la certitude, que, l'ordre d'attaque n'arriva pas aux hommes de la compagnie incriminée.

               Toute la question est là. S'il est avéré que les hommes n'ont pas été 'touchés par l'ordre d'attaque, cela constitue bien le "fait nouveau ", juridiquement nécessaire pour provoquer la révision. Car, alors, il est bien évident que les hommes n'ont pu obéir à un ordre qui ne leur avait pas été transmis.
               Autre fait nouveau : une cinquantaine de témoignages viennent tous attester que le jugement qui condamna les quatre caporaux fut abominable. Ils proclament l'innocence des camarades exécutés. Ils étaient là : ils disent comment les choses se sont passées. Pourquoi le Conseil de guerre n'a-t-il pas entendu ces hommes?

               Et d'ailleurs quels témoins a-t-il entendu ? Et dans quelles conditions ?
               M. le Ministre de la guerre esquive, la difficulté. Ces témoignages, si sincères qu'ils apparaissent, ne le convainquent pas. Car il ne prend pas la peine de les vérifier. Ceux qui sont morts sont morts. Qu'ils laissent, donc tranquilles les vivants !

               Que la mort des quatre victimes soit légère à, ceux qui l'ordonnèrent ; à ceux aussi qui, contre toute évidence, veulent que la mémoire de ces hommes gardent la flétrissure de la lâcheté.
               Mais les anciens combattants, et l'opinion publique éclairée par eux, savent exactement ce que signifie cette fin de non recevoir. Ils savent bien que si l'accusation, portée contre les quatre caporaux, était débattue au grand jour, elle ferait surgir des responsabilités qui se cachent, des fautes que les auteurs ont voulu se faire pardonner en chargeant ceux qui ne pouvaient, se défendre.

               1915 ! Le temps où on "grignotait" les boches ! Le temps des attaques folles et des massacres inutiles !
               Dites-nous: Avez-vous eu connaissance que ceux qui les ordonnèrent, ces massacres, par ignorance ou bêtise, ou pour se faire " mousser ", aient jamais été appelés à rendre compte de leur faute, collés au poteau et fusillés ?
               Et puis, il faudrait savoir aussi quels considérants ont présidé au choix des victimes ? Un instituteur comme Maupas, c'était, n'est-ce pas, un "intellectuel " ! Peut-être en a-t-il porté la peine.

               Toutes les suppositions sont permises. Et le silence gêné de l'autorité militaire, silence sans courage et sans dignité, les autorise toutes, en effet, y compris les pires.


Henri LAMY.



PHOTOS de TIMIMOUN
VOYAGE 2019 du groupe Bartolini



































LA PARTIE DE BILLES
Envoyé par M. Georges Barbara
QUAND LES FI....BONOISES A TE
PRENNENT LE POUVOIR!

            - " Dis ZéZé, ô Frade! Te 'ois un peu, Dieu préserve, je crois que c'est pas demain qu'on va continuer à faire des Necks aux billes, si main'nant les Fi a se mettent à te jouer mieux que nous elles aussi ! Y te restera plus que les strapontins dans ce cinéma d'un autre monde ! Agas ça qu'j'te dis moi ! Là on va perdre la fugure quand y vont en parler dans le quartier….crois moi !

            - " Et de plusque, Nano, t'ya vu là, la Fifine, non seulement a te joue bien mais a te sorts aussi ça que nous z'autes on parle dans le jeu, a'c les " Maducaimse, les ta Tête au triangle Borvinang, pas tout pas rien pas hauteur, kiks qu'y m'arrete" et le reste et pis entention a t'les place quand y faut !

            - " Et rogards la depuis qu'elle t'a pris la main, y'a 10 minutes qu'elle fait que se prendre les billes dans le triangue. Y nous reste plus des pouces, même les billes agattes a s'les a prises. Mais ça que je m'es-plique pas, c'est où cats qu'elle a appris à jouer celle la . C'est pas toi des fois comme c'est ta soeur, que tu l'as appris ?

            - " Appris non, j'ai un peu joué avec elle une ou deux fois l'apre midi dans la cour, quand on se sauvait de cette madonne de sieste. Alors on te faisait une ou deux parties pour rigoler, com'ça mais pas à debon juste pour rire, ! Mais de là à sa'oir quelle jourait aussi bien, he ! qu'y madonne y t' l'aurait deviné ?

            - " Juste pour rire ou pas Zézé le mal y l 'est fait main'nan et elle nous tappe tous les billes. Et ben moi dans des machins comme ça j't'e marche plus Zézé. Moi j't'ai dit oui pour qu'elle joue, pourquoi d'abord que c'est ta sœur et pis que j't'e croyais qu'elle savait pas tenir un pouce dans sa main. Et le résultat,, On s' l'a pris dans l'os, bien bien! Alors moi avant qu'elle nous rafle tout, je va plus jouer, j'arrête. Et que c'est ta sœur ou pas ta sœur, ça me fait belles jambes et te vas 'oir, je va faire un coup d'courage bien sur, mais je va te lui dire ! ! " Dis Fifine aller on joue plus là parcque d'abord il est tard et pis pour te dire la franche vérité ma mère a moi, a veut pas que je joue avec les Fi ! Elle dit qu'aprés des fois je peux tourner mal...on sait jamais !

            - " Ah bon, il est tard….ma mère a veut pas ,,,, et quoi encore ? Aller va va delà. Ca qu'je sais c'est que j'ai la main moi et que vous avez la chcague que je vous mange même le linge que vous avez t'sur le dos….c'est ça qui vous fait caguer à tous les deux. Et l'autre agas le, le Zézé, mon frère, agas le la bas, comme toujours ce falso, y te reste dans son coin et y t'envoie les z'otres parler à sa place... Ce tournaga de promière. Et ben toi te veux qu'on s'l'arrête là la partie ? C'est bon, on s'l'arrête, mais quand te vas aller pleurer dans les jupons de ta ManMan ...elle cette belle à robe de promière, ...t'oublies pas de lui dire que si les Fi y z'ont rien dans les pantalons, y z'ont qua même des poches et qu'elles sont a bloc des billes ! Et toi le Zézé que t'ya la fugure comme ton derrière agas de venir encore ce soir pour que j'te fasse les devoirs... J'te jure t'sur la tête de Man'man que j'tenverrai faire des cages, dans les grandes largeurs !..

            - " Attends Fifine faut qu'j'te dise que c'est pas moi, attends !

            - " J'attends rien du tout Ze, va va t en à la maison …. Aller dégage. !

            Et pis ça qu'va vous dire, à vous les deux têtes de lune que vous êtes, ne comptez pas que je vous rende les billes, hein ! Ca qu'c'est pris c'est pris !

Georges Barbara, Août 2022



LE BARBIER ARABE
ECHO D'ORANIE - N° 226

        Si plusieurs coiffeurs arabes avaient comme leurs homologues européens un salon de coiffure moderne avec fauteuils, lavabos, glaces et tout l'attirail du parfait figaro, il y en avait un au coin de la "Marine" à Saïda, en face du café Diez, qui opérait en plein vent avec un minimum de matériel. En outre, il cumulait les fonctions de dentiste ou plutôt d'arracheur de dents et de poseur de sangsues.

        Sous l'immense frêne qui servait de parasol, il calait une vieille table de toilette en bois blanc et il disposait son matériel : une tondeuse, des pinces, un davier, une brosse, une cuvette, du savon, un broc rempli d'eau. D'une boite métallique, ancienne boite à biscuits s'échappaient quelques linges. Sur les Petites étagères, des fioles de diverses couleurs et de différentes grandeurs complétaient le tout.
        Parmi ses fioles, il y en avait une qui retenait l'attention, des sangsues étaient collées contre les parois et cela faisait des ronds noirs sur un fond vert. Un miroir de bazar, comme on en trouve dans les paquetages militaires était accroché à un clou planté dans I'arbre. Dès qu'un client arrivait, il était installé sur un banc assez haut et faisait face au barbier. Notre Patient se déchaussait et ramenait les jambes sous lui, et à croupetons, engoncé dans sa djellaba ou son burnous, il ôtait son chèche ou sa chéchia qu'il maintenait contre lui.

        Notre barbier pouvait commencer à travailler. Sans précipitation, il humectait la nuque et le sommet du crâne avec une éponge qu'il trempait dans sa cuvette. Durant ces manipulations, notre client subissait un discours où tout y passait : sa santé, des nouvelles de sa famille.
        - Que Dieu la bénisse du temps qu'il faisait, du prix du sucre ou de la semoule... Si les cheveux étaient longs, il passait sa tondeuse d'un mouvement rapide du poignet sans mouiller la tête du patient. Si les cheveux étaient courts, c'est que le client voulait "une boule à zéro" et pour cela, le grand moment était arrivé... Sortant de la poche de son tablier, un rasoir à la lame brillante, il sentait le fil en passant le pouce de la main gauche sur le tranchant' il complétait son affûtage en passant et repassant la lame sur une bande de cuir qui pendait de sa table. Alors, pouvait commencer la coupe. De la nuque au sommet du crâne, d'un mouvement précis, le rasoir ouvrait une large tranchée dans la chevelure courte de notre arabe.

        La lame crissait tandis que de la main gauche, le barbier soutenait la tête en appliquant la paume sur le front crispé du patient. En quelques minutes, la tête baissée pouvait se relever. Les Poils étaient époussetés et le crâne nu montrait quelques cicatrices roses, souvenirs de "néfras" entre gens des douars. Il pouvait alors se lever et se rafraîchir, les paumes ouvertes dans la cuvette du barbier. Satisfait, il se rechaussait, se regardait dans le miroir que lui tendait le coiffeur, remettait son chèche et réglait une somme modique. Alors recommençait le récital des salutations et des bénédictions qu'ils se souhaitaient mutuellement.

        C'est toujours ce barbier qui faisait office de guérisseur et pouvait placer deux ou trois sangsues sur la nuque dégarnie du client qui venait en "consultation". Tête lourde et douloureuse, bourdonnements d'oreilles, hypertension, notre barbier appliquait sa méthode. Il ouvrait son flacon de sangsues, en saisissait une, et après avoir dégagé la nuque du patient, lui appliquait la bestiole et ne la lâchait que lorsqu'elle était fixée, solidement.
        Pour la détacher, il se servait d'un peu de jus de citron qu'il pressait sur la sangsue, soit aussi la pointe d'une cigarette allumée. Qui ne se souvient aussi des ventouses qu'il plaçait en plein air et de sa façon d'arrêter les petites hémorragies avec du cumin en poudre. Il faisait également des pointes de feu avec son couteau dont il prenait -heureusement- la précaution de faire rougir la pointe. A une vitesse incroyable, il piquetait I'articulation douloureuse : épaule, genou et même les reins.
        Cela faisait un placard rouge et légèrement sanguinolent, qu'il recouvrait d'un petit linge.

        Pour I'arrachage d'une dent, c'était un numéro de haute voltige où il fallait parfois l'assistance d'un costaud pour retenir les bras du malade, tandis que le pseudo-dentiste d'une main ferme et d'un poignet sûr, arrachait la dent douloureuse.
        A la fin de la cérémonie, la dent était montrée au public hilare, et le malade n'avait plus qu'à se rincer la bouche avec un peu d'eau.
        Tout cela peut paraître dépassé par le progrès de la médecine, mais lors d'un récent voyage au Maroc, j'ai revu les mêmes scènes, les mêmes figaros, dentistes et guérisseurs qui accomplissaient les mêmes gestes avec un matériel aussi disparate et désuet qu'il y a 50 ans et peut-être avec le même succès.
Henri PEREZ



L'Ancienne Cathédrale Saint-Louis D'Oran
Bibliothéque Gallica


       Un de nos grands artistes peignant sur les plafonds de notre Sorbonne les captivantes figures de la Grèce et de la Rome antiques les soulignait par ces mots : " Non mimemor patrum studiosa juventus ".
       Successeurs de ces prêtres qui, au début de l'évangélisation chrétienne en Afrique, transmirent le flambeau de la foi, nous devons rappeler leurs luttes et leurs fatigues. Nous essayerons de le faire dans la petite esquisse qui va suivre.
       Nul ne l'ignore. Avant la conquête française, les Espagnols conduits par l'indomptable Cardinal Ximénès, abordèrent nos rivages.
       Le 18 mai 1609 la croisade espagnole, on peut lui donner ce nom, débarquait près de Mers-el-Kébir.
       La victoire leur ouvrit les portes d'Oran et par le Santon les troupes espagnoles entrèrent dans la ville. Le premier soin du pieux prélat après avoir délivré plusieurs centaines d'esclaves fut de donner un temple au vrai Dieu.
       Les Juifs, refoulés hors des portes, une synagogue fut destinée, après être réparée, à servir d'église.
       Jusque-là la mosquée, sous le nom de Sainte Marie de la Victoire, réunissait les fidèles.

       La construction de la nouvelle église traîna en longueur : la lutte contre les Maures ne cessait pas. Les Espagnols, comme autrefois les soldats de Zorobabel devaient bâtir tout en défendant les murs de la cité. Ce ne sera que le 16 avril 1679 que cette église enfin achevée sera consacrée au culte divin.
       Voici ce que l'on lisait au frontispice de ce monument : "Sous le règne de Charles II, par ordre de Marie d'Autriche, sa mère, régente du royaume, les Juifs qui étaient dans la ville avant l'occupation chrétienne furent expulsés : au lieu et place de leur synagogue, la présente église fut édifiée sous le vocable du Christ de la Patience."

       Ce fut le fondateur de Mascara, le fameux Mustapha-bou-Chelarem qui ayant chassé d'Oran les Espagnols viola cette église et la livra aux Juifs.
       Cette situation dura jusqu'en 1732.

       Après 24 ans, cette église redevint, avec le même titre, le lieu de culte des chrétiens de la ville.
       Lorsqu'en 1790 le tremblement de terre ruina complètement Oran, détruisit les édifices et précipita le départ des troupes espagnoles, l'église du S. Christ de la Patience tombait en ruines. Le chef arabe en dispersa les débris.
       C'était donc la fin du christianisme en Afrique.
       Mais selon la célèbre parole : "Resurgens non morifrur", la France victorieuse allait reprendre le flambeau de la foi tombé des mains espagnoles.

       Voici l'année 1831. Oran devient française et chrétienne. De l'église ancienne au milieu de pierres écroulées restent debout quelques arceaux. Une abside est reconstituée et sous cette voûte bien précaire un prêtre rassemble les premiers fidèles d'Oran.
       L'Abbé Azémar était alors aumônier militaire de la garnison. A son départ de Paris il avait rendu visite aux sœurs du roi et en avait reçu des ornements liturgiques pour la pauvre église d'Oran. De plus, la Propagande lui avait donné les pouvoirs nécessaires.
       Les archives de l'église indiquent que le vocable de Notre-Dame Sainte Marie avait été donné à cet embryon de paroisse.
       Mais les temps s'étaient écoulés. Le siège épiscopal d'Alger avait été établi par le Pape Grégoire 16.

       Mgr Dupuch, promu au nouveau siège, n'oublia pas Oran et profitant du décret qui, en décembre 1838 érigeait en paroisse l'aumônerie d'Oran, nomma en date du 13 février 1839, M. Drouet, curé de Sainte Marie.

       A peine quelques années étaient passées que l'Etat ayant demandé le changement de titulaire de l'église, Saint Louis remplaça le vocable donné par le Cardinal Ximénès et conservé jusque là.
       A son arrivée M. Drouet pensa à son église. Il la décrit pauvre, insuffisante, presqu'une ruine. Elle ne pouvait contenir plus de 150 personnes.
       Le nouveau curé pressa le gouvernement qui s'émut enfin. Mais il fit passer le char avant les bœufs et construisit d'abord le clocher. Ce monument des plus élégants fut élevé en 1834. Placé sur une éminence, il domine le port et la ville alors situé entièrement dans les bas-quartiers.
       Mais ce clocher, faute de cloches, était muet. Il fallut attendre jusqu'en 1843, date à laquelle les deux cloches qui sonnent encore furent bénites.
       Un vieil Oranais, ancien professeur, M. Poinsignon, avait noté ceci sur la garde d'un livre : Le lycée de la jeunesse. " Ce lundi 6 janvier 1843 les cloches d'Oran se sont faites entendre pour la première fois ". La bénédiction n'eut lieu, d'après les archives, que le 29 janvier 1843.

       Le clocher construit, il fallait penser à l'église. L'Etat peu pressé attendit jusqu'en 1845. La première pierre de l'édifice bâti sur l'emplacement de l'ancienne église fut bénite par M. le Chanoine Carron, Vicaire général de Mgr Dupuch, pour le département d'Oran. M. le Maréchal de Camp Thierry représentait le Général Lamoricière en ce moment à Alger. C'était le 12 octobre 1845.
       Nous voici en 1867 ; le 3 août la bulle " Supremum pascendi munus " fit de Saint Louis une cathédrale. La bulle disait : " En vertu de notre autorité apostolique, à la gloire du Dieu tout puissant et de la bienheureuse Marie, des SS. Apôtres Pierre et Paul et de Saint Louis, nous élevons à perpétuité à l'honneur et à la dignité de cathédrale, l'église qui existe dans la ville d'Oran sous l'invocation de Saint Louis."

       La nouvelle cathédrale s'avérait trop exiguë pour une ville qui se peuplait constamment. Aussi par un décret impérial du 16 août 1869 fut-il ordonné un agrandissement considérable.

       Le terrain vague qui précédait l'église servit à construire une crypte et sur elle se développait la nef supérieure.
       Au lendemain de la Toussaint, le 3 novembre 1869 on commença les travaux. Ils devaient durer trois ans. Une fois l'édifice terminé, Mgr Callot pensa à la consécration. Elle eut lieu le 17 novembre 1874, en présence de Mgr Meignan, futur Cardinal.
       Saint Louis est un édifice de belles proportions et mesure 50 mètres de long sur 25 de large. L'église possède cinq nefs de largeur différente. La superficie sur plan est de 1.440 mètres carrés ; la superficie nette est de 1.125 mètres. Ce bâtiment peut donc contenir une nombreuse assistance de fidèles.
       Une brève description de l'intérieur de l'église permettra de se rendre compte des détails.
       L'abside est formé par une coupole portée sur quatre arceaux. Un de ces arceaux a comme clef de voûte une pierre trouvée dans les ruines de l'ancienne église espagnole. Cette pierre porte les armes archiépiscopales du Cardinal Ximénès, entourant son blason : six points bruns et blancs qui sont de Tolède.

       L'arc triomphal qui porte ce blason est surmonté d'une peinture sur toile représentant la bénédiction de Jacob. Bien éclairée, cette toile produit beaucoup d'effet. Elle a cependant, d'après les artistes, moins de valeur que la peinture du fond de l'abside. Œuvre magistrale d'un jeune peintre, Saint-Pierre, cette toile de vastes dimensions représente Saint Louis débarquant à Carthage. A l'opposé, au fond de l'église, le Monument aux morts de la guerre en marbre violet attire les regards.
       Il y aurait à parler des différents autels qui ornent les bas-côtés.
       L'autel de la Sainte Vierge, tout de marbre blanc, avec application de marbre rouge de Kléber produit un bel effet.
       L'autel de Saint Joseph garde autour de la niche, trace des peintures dues à un artiste italien, M. Bossi. Il faudrait citer aussi la statue de Saint Michel, toute de métal, et fabriquée à Naples. Le casque et le cimier comme l'épée sont d'argent.

       Un mot encore des orgues de Saint Louis. Construit par la Maison Merklen de Lyon-Paris, cet orgue fut inaugurée en 1872. Il comprend 15 jeux effectifs et 22 registres avec deux claviers manuels grand orgue et récit, chacun de 56 notes, et un clavier à pédales de 27 notes. Cet instrument comprend au total 1.044 tuyaux dont 54 en bois. Tout cela est enfermé dans un buffet de chêne sculpté qui produit une impression de richesse et de force.
       Disons à la louange des fabricants de cet orgue que les divers organistes, dont quelques-uns célèbres, venus à Oran, ont déclaré combien cet instrument était puissant et harmonieux.
       Telle est, dans son ensemble, notre Eglise Saint Louis. Bien que découronnée de son titre de cathédrale elle n'en reste pas moins la plus ancienne et la mère des autres églises de l'Oranie.
V. F.

ALGERIE CATHOLIQUE N° 6, octobre 1936


la Recette de la Mouna

par Jean Claude PUGLISI, année 2000

        Ingrédients :
        1 kg de farine (4 mounas moyennes)
        350 gr à 400 gr de sucre
        4 oeufs
        1 verre à moutarde d'huile
        1 zeste d'orange + 1 zeste de citron râpé
        1 peu d'eau gazeuse de préférence
        1 carré de levure de bière du boulanger

        Préparation :
        1°/ Le levain :
        Avec 1/4 du paquet de farine, faire une fontaine, délayer la levure dans l'eau tiède
        Pétrir le tout et faire une pâte molle, la mettre dans un faitout avec 1 torchon
        Laisser lever jusqu'au double du volume

        2°/ Ensuite :
        Faire une autre fontaine avec le restant de farine
        Bien mélanger le sucre + oeufs + l'eau en ajoutant peu à peu la farine + les parfums + l'huile
        Et en dernier mélanger le levain + la pâte
        Pétrir le tout : important, bien 20 mn à 40 mn
        Jusqu'à obtenir une pâte souple mais pas trop molle

        3°/ Ensuite :
        Placer la pate dans un récipient, près du chauffage par exemple, avec un torchon dessus
        Voilà le secret : laisser monter la pâte toute la nuit, prévoir un récipient assez grand, type bassine ou grand saladier.

        4°/ Le lendemain :
        Faire des boules, les placer sur du papier sulfurisé et beurré et attendre 1/2 h
        Dorer à l'oeuf + cisailler le dessus + sucrer avec du sucre concassé
        Enfourner à four chaud (thermostat 6 ou 180°) - attention four pas trop chaud
        Cuisson entre 30 à 45 mn verifier si c'est cuit en pénétrant avec 1 couteau,
        Ne pas ouvrir le four avant 20 mn.
       
Docteur Jean-Claude PUGLISI, Octobre 2022
de La Calle de France
Paroisse de Saint Cyprien de Carthage.


Philippe Néel,
Par M. Marc Donato
Ma curieuse rencontre avec
Philippe Néel,
mari d'Alexandra David (Néel).

          Ce travail a été réalisé à titre confidentiel et non commercial pour la Seybouse.
          Au cas où il serait édité à titre commercial, il faudra obtenir les autorisations nécessaires à la publication de certains documents de la part de la Maison Alexandra David-Néel.


            Remettons à plat. (2ème partie)
Le retour d'Alexandra


            Dès le début du voyage en Asie, Philippe a demandé à sa femme de le rejoindre. Il réitère sa demande à plusieurs reprises, mais Alexandra a trop à faire avec Shiva pour penser à revenir. Elle une " peur affreuse du retour " ; elle ne veut pas rejoindre " le troupeau " ni marcher dans " l'ornière fangeuse ". Elle a un projet à réaliser et elle ne peut " s'arracher " à cette terre d'Asie qui l'a envoûtée tant qu'elle ne sera pas allée au bout.
            Elle s'en veut de s'être comportée comme " une femme banale… et d'avoir commis la folie du mariage " ; à plusieurs reprises, elle répète dans ses lettres qu'elle n'était pas faite pour la vie bourgeoise et encore moins pour être femme au foyer. Et pourtant, plus tard, au moment de son retour, elle plaidera pour le contraire !

            Voilà 11 ans qu'elle est partie de Tunis quand en 1924, elle envisage sérieusement son retour pour intégrer l'Europe, se mettre à écrire, donner des conférences et gagner sa vie.
            Elle qui avait écrit à Philippe : " Te rejoindre en Algérie, ce serait un arrêt de mort pour moi ", voilà qu'elle considère que le retour auprès de l'homme qu'elle aime est une cause de joie pour elle. " Je suis heureuse de penser qu'après une si longue séparation, nous allons nous retrouver réunis ". Aussi lui demande-t- s'il est d'accord pour qu'elle rentre auprès de lui.
            Où ?
            "j'ai terminé mes voyages. Où je vais ? Il me paraît t'avoir dit que c'était chez nous " (Padong, 15 août 1924.).
            Et là, la réponse ne va pas être celle qu'elle attendait. Philippe, apprenant que sa femme, au terme de ce long périple vers Lhassa, comptait revenir emménager à ses côtés, refusa net et lui fit part encore de sa volonté de divorcer. Elle s'y opposa comme elle l'avait déjà fait auparavant.
            Elle ne manquait pas d'arguments pour tenter de convaincre l'irréductible.
            Mais Philippe craint les dépenses que risque d'entraîner cette cohabitation. Pourtant pour Alexandra, une retraite à deux serait agréable " Je pourrai toujours, avec le peu que j'ai, m'arranger une vie d'ermite en un coin reculé du Tibet ou de la Mongolie et je le ferai sans récriminer si tu juges que tu as besoin, pour toi seul, de tous tes revenus et si tu crois que moi vivant auprès de toi, les frais seraient trop grands ". À lui de décider.
            Mais bientôt, avance-t-elle, " nous pourrons associer nos revenus et je ne te coûterai plus rien ".

            En ce sens, elle hypothèque l'avenir et les gains espérés avec ses droits d'auteur, ses conférences. L'avenir lui donnera raison.
            Elle revient à la charge : " Tu as été très bon pour moi, je m'en voudrais de t'en mal récompenser en diminuant la somme de confort que ta retraite pourra te procurer… nous [pourrions] nous faire une vieillesse agréable. Quand tu n'auras plus tes travaux pour t'occuper, il te plaira d'avoir à proximité une femme pas absolument ignorante et stupide qui a vu beaucoup de choses et dont la conversation pourra te faire passer quelques bonnes heures.
Samten Dzong, la "forteresse de la concentration".

            Après tout, comme celle-là est Mme Néel et que tes intérêts et les siens sont communs, ce sera mieux de la voir s'occuper de ton intérieur que de te confier à des mercenaires ". La voilà femme d'intérieur maintenant !
            Malgré tout, Philippe " doute de la recevoir ".

            Sa maison n'est pas assez vaste et il ne voit pas comment elle pourrait y caser ses livres et ses volumineux bagages.
            Mais la dame est tenace : si la maison est trop petite, on pourrait " l'agrandir d'une petite annexe du genre démontable en bois, sur le toit en terrasse ou alors aménager le grenier ou construire un chalet avec deux pièces dans le jardin, ce serait une petite maison personnelle avec une chambre à coucher et un cabinet de travail ".
            Philippe reste inflexible.
            Surtout qu'elle viendrait en compagnie de son " petit gamin " dont elle ne saurait se séparer. Son "petit gamin", c'est Yongden, il a 25 ans ! Philippe ne veut pas en entendre parler. Mais comment Alexandra pourrait-elle faire sans son aide tibétain sans lequel il lui serait impossible de se débrouiller parmi ses 400 livres et manuscrits qu'elle a à parcourir ?
            Dernier argument avancé par Philippe : Bône, ce n'est pas la ville où elle pourrait valoriser ses projets littéraires.

            " Je rends … justice à la prudence qui te fait dire que Bône n'est pas le séjour qui me convient si je veux mettre en valeur le trésor de mes connaissances orientales de tous genres ". Argument spécieux puisque Alexandra a réussi dans ce trou qu'était Digne en ce milieu de xxe siècle. Que penser alors du fait qu'elle s'y installa en 1929 ? Imaginons ce que pouvaient être ces Basses-Alpes de l'époque ! Le grand public a découvert cet univers en 1952 au travers de l'affaire Dominici qu'alexandra aura vécu en direct, puisque décédée en 1969.
            Un pays encore ignoré du modernisme, loin de tout, enclavé dans ses montagnes et c'est pourtant là qu'elle va valoriser toute son œuvre et c'est aussi de là qu'elle va rayonner dans le monde entier. Certes, elle s'installe à Digne, préfecture, Digne qui essaie de se faire une renommée avec ses eaux chaudes, Digne où on va construire un casino. Voilà qui peut intéresser Mouchy et l'attirer auprès d'elle. Elle ne manque pas de le lui signaler, d'ailleurs. Ce sera en vain.
            Alexandra est déçue, " désillusionnée ". " Mon pauvre Mouchy ne montreras-tu pas un peu de joie à l'idée de mon retour, moi qui m'en faisais une fête ? ".
            Et Philippe d'enfoncer encore le clou : " Il te sera difficile de reprendre une place de petite bourgeoise ".
            Et là, elle se fait à l'idée qu'il sera impossible de convaincre son mari et comprend qu'il ne veut vraiment pas d'elle à ses côtés. Alors, au moins une photo ? " Puisque tu as l'air de ne pas vouloir de moi pour le moment, je me consolerai en te regardant en effigie en attendant des temps meilleurs ".
            Et finalement, elle lâche l'estocade : " Est-ce que tu as une liaison ? ". Un jour à La Goulette, il lui avait dit qu'il ne prendrait plus de maîtresse, parce qu'elle les remplaçait. Alors, croyons-le !
            A partir de là le problème est évacué et Alexandra cherche quelque chose ailleurs. Elle ira s'établir à Digne où elle fera l'acquisition d'une propriété. Ce sera Samten Dzong, "la Résidence de la réflexion ".
            Les exigences d'Alexandra
            De ses lettres à Philippe, on retiendra l'immense et incomparable documentation qu'elle envoie à Mouchy en lui recommandant bien de tout conserver. C'est ce qui reste, c'est un témoignage unique. Il y a aussi, nous l'avons dit, ces déclarations d'amour réitérées ; rajoutons les mots de reconnaissance pour cet homme qui lui a ouvert les portes de la liberté en lui suggérant de partir pour soigner sa neurasthénie, lui permettant aussi de réaliser son grand projet. Mais il convient aussi de retenir la somme d'injonctions qui jalonnent son courrier. Elle lui fait fabriquer un lit pliant… Il gère ses photos en rechignant, mais il lui obéit. Elle demande des cartes postales illustrées en couleur de son voyage au Maroc, un album… " Tu colles, tu envoies en recommandé… Je tiens à ce que… ". Madame commande et Philippe obtempère ! Elle demande une liste de vêtements et différents ouvrages. Et son mari s'exécute toujours.
            En préparant son retour, en 1924, elle charge Philippe de multiples recommandations qui sont autant d'ordres. Achète l'argus de la presse… Découpe ce qui me concerne… Va voir le gouverneur de l'Algérie (Philippe est en rapport avec lui), parle-lui de mes voyages… Recherche le Grand Maître du Grand Orient et le Grand Maître au rite écossais…
            Elle lui demande d'aller voir un notaire avec leur contrat de mariage et de faire établir son testament. La moitié de ses avoirs iront à Philippe et pas à sa famille qu'elle ne connaît pas, une part ira à Yongden, son domestique.
            Elle écrit des articles en anglais, en français, au Mercure de France à diverses revues.



            Ordre à Philippe qui fait taper et envoyer. Autre sujet de souci pour Philippe, les objets ayant appartenant à Alexandra et qui sont entreposés chez lui à Bône, des statues, des tables, des horloges provenant de la maison de Tunis, la Mousmée. Et puis, ses nombreux colis postaux, ses malles où les envoyer sinon chez Philippe ?
            Et quand elle s'installe définitivement dans ses murs, à Digne, il lui faut se créer un decorum pour être bien, apparaître à ses visiteurs dans son environnement. Alexandra demande l'envoi de son armoire à glace, sa bibliothèque, une table de bureau, le petit meuble classeur à casiers, la petite bibliothèque tournante, son lit pliant sans toile à envoyer ensemble avec les caisses rapatriées de Chine… Les affaires d'Alexandra venues de Tunis partiront à Saint-Laurent avec le déménagement.

            Ce déménagement est une véritable affaire d'état pour Philippe excédé par les exigences de sa femme qui en rajoute encore après en lui demandant des vêtements qui seraient à Bône. C'est qu'elle a bonne mémoire, la dame !
            Si Philippe doit lui envoyer tout cela aux Mazots, près de Toulon, où elle a posé ses bagages pour un temps, il dresse le détail des frais. Et là on voit l'homme précis, ordonné…
            Pour l'envoi des livres, le transport serait très onéreux. Suit le détail de cette expédition envisagée :
            Emballage 200,00
            Transport 250,00
            Assurance, qui paraît utile 100,00
            Total 550,00
            A ajouter frais de transport de Marseille aux Mazots.
            Les chiffres, ça le connaît !

            En 1924, Philippe l'oublie un peu, il met sa correspondance en silence. " Tu es au courant de ma situation tu ne m'aides pas mais tu ne m'écris même pas " Le besoin d'argent était urgent, il y avait des dettes à rembourser.
            Tout cela l'irrite. Est-ce une des raisons pour lesquelles il ne va pas au Havre pour l'arrivée d'Alexandra en France le 10 mai 1925 ? Réserve diplomatique, maladie qui arrive à point ? Toujours est-il que Philippe n'ira pas accueillir sa voyageuse de femme quand elle rejoindra le sol français.

            Les réticences de Philippe
            Alexandra prit pied dans un premier temps dans une maison des environs de Toulon aux Mazots. A partir de ce moment, les époux se revirent au moins une fois par an. Sur le chemin de Vichy lorsqu'il allait prendre les eaux ; Philippe à Toulon, puis à Digne où son plus long séjour fut de 2 mois. Pas rancunier, il offre même des rosiers qu'Albert se fera un plaisir de planter.
            En juin 1936, c'est Alexandra qui vient en Afrique du Nord ; elle passera 5 jours à Tunis et 2 seulement à Bône chez son mari qui l'accueille dans la villa des Pins aux Caroubiers.
            Le 11 novembre 1936, Alexandra passe une soirée à Marseille avec Philippe qui embarque pour Bône. Un dernier conseil d'Alexandra à son "ami" : " Couvre-toi bien pendant la traversée ". Ils ne se reverront plus.

            L'homme inquiet
            Au fil des correspondances, Philippe apparaît comme un gestionnaire précautionneux de ses avoirs et de ceux d'Alexandra, mais aussi comme un homme terriblement inquiet. La diminution de revenus lui cause un très grand souci dans une période où les troubles monétaires d'après-guerre sont d'une réelle importance. La perte aussi d'une partie de sa retraite s'il rentre en France, 5 000 frs, mais compensée par les loyers qu'il n'aura plus à acquitter et les frais de domesticité qui disparaîtront de facto.
            Le retour d'Alexandra sans revenus est aussi une cause de souci que sa femme souligne bien lorsqu'elle évoque la "rente" qu'affectueusement il lui faisait. " Tu as été très bon pour moi, je m'en voudrais de t'en mal récompenser en diminuant la somme de confort que ta retraite pourra te procurer ".
            La période où Philippe aura vécu à Bône aura été fertile en événements graves au niveau national et international. D'idées libérales, il participe à l'expansion coloniale, au profit des Compagnies industrielles qui y contribuent. Les actions en bourses, les siennes et celles d'Alexandra, lui font souci. L'arrivée du Front populaire l'inquiète au plus haut point : " Depuis la reprise du pouvoir par Léon Blum, recrudescence des menées révolutionnaires. Réoccupation des grandes usines parisiennes et impuissance du gouvernement à faire respecter la légalité ".

            Il arrive à Bône juste avant la fin du premier conflit mondial après lequel les dévaluations s'enchaînent. La valeur or du franc ne cesse de baisser alors que le dollar pointe le bout de son nez. Poincaré met le franc à sa juste place.
            " Je t'ai exposé à maintes reprises la situation économique en France… Nous allons nous trouver l'un et l'autre dans une situation proche de la misère ", dit-il, mais " on peut espérer qu'après une année ou deux, la situation financière de la France s'éclaircira " …
            Arrive ensuite la grande dépression des années 30 et le Front Populaire déjà mentionné : " Les caisses de l'Etat sont vides et pour faire face aux paiements, on est obligés de recourir à l'inflation en attendant d'autres mesures, si on peut en trouver ".
            Alexandra éprouve aussi les conséquences de ces désordres avec l'augmentation du cours de la vie : " Qui est-ce qui peut encore se payer le luxe d'un pantalon ? ", le change qui lui est très défavorable et qui réduit à peau de chagrin ce qu'elle reçoit de France ou d'ailleurs quand les envois ne sont pas bloqués.

            Bon gestionnaire méthodique, scrupuleux, calculateur, ira-t-on jusqu'à dire pingre ? Réaliste serait plus convenable. Joueur au Casino de Tunis ou de Vichy, il sera aussi joueur en Bourse toute sa vie.
            Au total, les voyages et séjours d'Alexandra David-Néel auraient été impossibles sans le soutien de Philippe Néel qui a joué le rôle d'un confident, d'un conseiller financier et d'un banquier dans une période politique et financière très trouble.

            La Légion d'honneur
            Philippe aimait les honneurs. Autour de ses 74 ans, il va rencontrer une autre contrariété : le refus de la Légion d'honneur. Ce fut un sujet de frustration pour lui qui lui fit ressentir un sentiment d'injustice, par rapport à d'autres récipiendaires.
            Il sera appuyé au moins dans deux dossiers pour l'obtention de ruban rouge (Base Léonore).
            Premier dossier en 1930.
            Une lettre du Gouverneur Général de l'Algérie, lors de du centenaire de l'Algérie, lui annonçait qu'il était compris dans ses propositions. Il ne sera pas retenu dans cette promotion.
            Deuxième tentative en 1935.
            Plusieurs "recommandants", selon le mot consacré, appuient son dossier.
            M. Abel Hermann, directeur de la Compagnie générale de construction et d'entretien de matériel de chemins de fer, ingénieur en chef des Ponts et chaussées dont Philippe fut collaborateur.
            M. Saint-Romas, né en 1863, du même âge que lui.

            Chevalier en 1905, officier en 1931, administrateur, ingénieur en chef de la Compagnie fermière des Chemins de Fer tunisiens, devenue redoutable concurrente pour l'Ouenza depuis qu'il est à sa tête. Encore un ingénieur en chef des Ponts et Chaussées qui aura fait la plus grande partie de sa carrière en Algérie et au Gouvernement Général. Il affiche à son actif les réalisations suivantes : le chemin de fer de Dax à Saint-Sevin, la construction de l'avant-port de l'Agha à Alger, et, pour qui concerne Bône et sa région, la distribution d'eau de la ville, le chemin de fer d'intérêt local de Bône à La Calle, l'irrigation de la plaine de la Seybouse (La rivière qui se jette dans le golfe de Bône.) et la construction du port.


Signature de Philippe. " Toutes mes excuses pour l'emploi de la machine ; mais mon écriture est par trop détestable. "

            Les deux hommes se sont fatalement croisés parce que M. Saint-Romas a séjourné à Bône de 1893 à 1903 et Philippe y était déjà arrivé en 1884. Ce dernier entretient des relations avec son collègue : " Ce que tu me dis de la réponse de M. Saint-Romas est fort intéressant ", lui écrit Alexandra qui, de son côté, envoie à Monsieur Saint-Romas, deux exemplaires de son dernier livre.
            Dans une lettre de recommandation du 5 juillet 1935, Monsieur Saint-Romas qui était adjoint au directeur des Travaux Publics en Algérie évoque plusieurs tentatives pour faire passer Philippe sur le contingent de cette administration. Nouvel échec, le dossier est classé après celui de certains fonctionnaires. Il y a de quoi irriter Philippe et de remplir d'amertume un homme fatigué, malade qui se met à penser à de l'ostracisme à son égard.

            Une troisième tentative puis une quatrième en 1936 seront les bonnes.
            En mars, il obtiendra l'appui de M. André Bénac, grand officier de la Légion d'honneur, grand serviteur de l'Etat et de l'industrie, président des mines de houille de Marles-les-Mines dans le Pas-de-Calais et celui du député de Constantine, Joseph Serda.
            Mais la réponse du Grand Chancelier est négative : ses services sont primés par ceux d'autres postulants.
            Dans une lettre, dactylographiée parce qu'il écrit difficilement à cette époque, il s'adresse au Grand Chancelier ; " Aujourd'hui âgé, n'ayant plus grand-chose à attendre de la vie, je serais très heureux de voir couronner les services que j'estime avoir rendus à la collectivité pendant si longtemps, par la Légion d'honneur qui jusqu'à présent n'a pas voulu m'admettre dans ses membres ".
            Son dossier de demande, instruit par le préfet de Constantine, du fait de sa résidence à Bône, énumère les titres dont il s'honore et déjà évoqués précédemment.

            La bonne nouvelle arrive au cours de l'été 1936. Dans une lettre du 20 juillet, le Grand Chancelier Charles Nollet annonce à Philippe qu'il lui a été possible de le comprendre dans ses présentations pour la croix de chevalier, au titre de la Grande Chancellerie et que Monsieur le Président de la République l'a nommé chevalier de la Légion d'honneur.
            La médaille lui sera remise le 10 octobre par M. Hermann, son ancien supérieur.

            Six années d'acharnement ont porté leurs fruits. On peut comprendre objectivement les sentiments de rancœur de Philippe qui ne s'expliquait pas cette mise à l'écart. C'est aussi une non-reconnaissance des services rendus, aussi importants que ceux d'autres promus avant lui. C'est de plus, et de façon plus subjective, une vexation, une frustration pour celui qui aimant "paraître", ne peut arborer cette décoration de prestige, suprême récompense, au revers de sa redingote. Ces refus répétés ne peuvent qu'affecter un homme malade, de surcroît. Ce sera un des soucis qui empoisonneront sa fin de vie.
            Il lui aura fallu attendre six années.
            A Bône, il avait reçu la médaille de chevalier du Mérite agricole en mars 1914 ; avec celles de Commandeur dans l'Ordre du Nichan-Ifrikhar (pour services civils et militaires), d'officier d'Académie (1903), d'honneur du Ministère du commerce, de l'industrie, des postes et des télégraphes (1905), la Légion d'honneur complétera un palmarès élogieux.

            Yongden
            Qui était Yongden ?
            Aphur Yongden aussi appelé Albert Arthur Yongden et Lama Yongden, né de parents tibétains le 25 décembre 1899, était un lama du Sikkim. Alexandra David-Néel l'a rencontré en mai 1914 dans un monastère de sa région et elle l'a engagé comme boy. Il l'a accompagnée ensuite et elle en fera en 1929 son fils adoptif. Yongden fut la personne qui permit à Alexandra de réaliser tout ce qu'elle fit en Asie, et, à son retour en France, il fut aussi un précieux collaborateur, très important pour ses travaux d'écriture. Yongden, " Océan de compassion ", est mort brutalement à 56 ans, le 7 octobre 1955, à Samten Dzong, la maison d'Alexandra à Digne-les-Bains.

            Dès la rencontre Alexandra-Yongden, Philippe a toujours été mis au courant de la présence et du rôle du jeune homme à travers la correspondance que lui adressait Alexandra. Rencontre, changement des rapports au fil des dix ans passés ensemble, évolution vers des sentiments maternels... Alexandra raconte par le menu toutes ses aventures auxquelles Yongden été intimement mêlé. Mais " le garçon tibétain "(Lettre de Philippe à Alexandra du 29 avril 1929 écrite sur papier à en-tête de la Compagnie des Chemins de Fer de Bône-Guelma, alors qu'il est à la Compagnie de l'Ouenza depuis 12 ans). (on sent le dédain !) Est rentré plus précisément à deux reprises dans la période bônoise de Philippe.
            Une première fois quand Alexandra a manifesté l'intention de quitter l'Asie pour retrouver Philippe et venir s'installer dans sa maison à Bône, " chez nous " (Padong, 15 août 1924).

            C'est le moment où Philippe a changé de domicile, passant du Lever de l'Aurore à la porte des Caroubiers. Apprenant donc que sa femme, au terme de son long périple vers Lhassa, comptait revenir emménager à ses côtés, il refusa net. " Nous avons été longtemps séparés, l'intimité peut-elle se retrouver ? " et " il me sera impossible de conserver l'ami tibétain". Cette fois-ci, ce n'était plus du virtuel. Philippe allait toucher du doigt la réalité de Yongden.
            - Rassure-moi, mon grand cher, dis-moi que tu regarderas paternellement ce garçon.

            Alexandra tente d'amadouer et de convaincre son mari :
            - Tu verras le petit bonhomme et tu l'aimeras. Avec [mes] revenus je pourrai l'entretenir chez nous. Il est très raisonnable et très modeste. Avec lui nous ne serons jamais à la merci d'une domestique car il pourrait toujours, temporairement, cuisiner ce qu'il nous faut.
            C'est vrai que Yongden n'est pas manchot, " il est cuisinier, blanchisseur, tailleur et capable de bien d'autres choses ".

            Philippe est inflexible et insensible au discours de sa femme : " Je croyais que le "petit", comme je persiste à l'appeler… t'amuserait avec ses histoires, que tu en ferais un compagnon de promenade et comprendrais l'immense avantage que des gens de notre âge (Philippe a 63 ans, elle, 56. Note de l'auteur), d'avoir auprès d'eux un fils adoptif qui, selon toute vraisemblance, ayant longuement fait ses preuves, leur serait dévoué et leur épargnerait de tomber, dans leurs vieux jours, à la merci de domestiques comme l'était ma pauvre mère."

            À la rigueur, Philippe accepterait bien de partager sa maison avec Alexandra, mais il ne veut pas entendre parler de Yongden dont la présence dans leur foyer serait une source de perturbations et dont l'insolite allure dans la bourgeoise Bône ne passerait pas inaperçue. Tout cela provoquerait Dieu sait quels commérages et peut-être un scandale qui éclabousserait le nom des Néel. Raciste, le Philippe ?
            Toujours le paraître.
            Mais ce n'est pas la seule raison pour. Avec Yongden, Alexandra a un engagement personnel et moral : elle s'est juré de rentrer en France en sa compagnie parce qu'elle a envers lui une dette de reconnaissance,
            " Tu ne tarderais pas à me mépriser si je me dégageais d'une promesse formelle et abandonnais dans la misère le collaborateur dévoué qui m'a permis de mener à bien mes voyages et, en conscience, a droit à partager le profit qu'ils peuvent m'apporter. La question est définitivement réglée. Je ne t'en embarrasserai pas ".

            Et puis, pas folle la guêpe, Yongden peut lui rendre d'autres services : " j'ai absolument besoin de lui pour mon travail et tout le profit que j'escompte deviendrait impossible, s'il n'était pas auprès de moi ".
            Au final, après avoir reçu une fin de non-recevoir la concernant pour une installation à Bône, voilà maintenant un refus concernant Yongden.
            " Ce serait être ingrate de te causer de l'ennui quand nous nous retrouverons… Te parler d'Albert. Ne pas essayer de te t'imposer, j'ai pris sur moi d'arranger cette affaire dont la responsabilité n'incombe qu'à moi. Le garçon ne doit pas rentrer dans son pays. Il aura des problèmes quand les livres d'Alexandra seraient publiés. Quand on saura la nature de l'aide apportée par Yongden à Alexandra et le rôle joué (Pour entrer dans Lhassa clandestinement, entre autres.) … Je ne chercherai pas à aller contre ta volonté ".
            Finalement, Alexandra ira s'installer à Digne avec Yongden.

            Deuxième interférence, quand Alexandra a voulu adopter " le gamin ".
            Ce n'est qu'à ce moment que Philippe cite nommément Yongden : " ton compagnon de voyage, le jeune Yongden ".
            Vient alors le temps des rencontres. Une première à Livry-Gargan (Maspolo, p. 193.), puis fin janvier 1926, lors de retrouvailles à l'hôtel terminus de Marseille où Alexandra est descendue à l'occasion d'une conférence. Philippe affiche une " froide mine " devant Yongden. Alexandra, indignée, est sidérée par cette attitude. Elle ne comprend pas l'absence de reconnaissance envers celui qui a servi, secondé, sauvé sa femme.
            C'est là qu'alexandra évoque son autre projet : elle veut absolument adopter Yongden. Or, pour ce faire, elle doit obtenir le consentement légal de son mari. Philippe considère que la chose n'est pas bonne mais il finit par céder : " Fais ce que tu veux, je te donnerai les autorisations nécessaires ". Effectivement, le 29 mai 1928, devant Maître Rempfer, notaire à Bône, Philippe accorda à son épouse "toute autorisation maritale nécessaire" pour procéder à l'adoption d'Albert Yongden qui sera prononcée le 21 février 1929 par le tribunal de première instance de Digne dans les Basses-Alpes. Le "gamin" devient officiellement Albert Yongden David.
            Alexandra considère alors que Philippe a fait preuve d'une grande noblesse de cœur et de pensée.

            Par la suite, les relations vont s'apaiser. Alexandra invite avec insistance Philippe à venir à Digne dans sa nouvelle demeure. Albert de son côté insiste aussi pour que " le sahib " vienne prodiguer ses conseils sur les aménagements à effectuer. Philippe s'est arrêté à Toulon, aux Mazots, dans les Basses-Alpes où son plus long séjour fut de 2 mois achetant les fameux rosiers.
            La glace est rompue. Au fil des correspondances, on fait échange d'amabilités… ton compagnon des bons et mauvais jours, mes souvenirs sympathiques à ton compagnon, mes amitiés à Albert…
            Albert, de son côté, se rappelle au bon souvenir de Philippe à qui il envoie ses meilleurs vœux pour son prompt rétablissement après ses ennuis de santé.

            Une santé fragile
            Dès 1904, sa santé donne des signes inquiétants, ce que confirme Alexandra deux ans plus tard " Tu n'es pas bien portant", propos confortés par Philippe lui-même : " Surtout moi qui comme toi ne peux me dire robuste ".
            Il semblerait qu'il soit atteint de diverses affections : d'abord " délicat de poitrine ", selon l'expression de Jean Néel, son neveu, il ressentait aussi des maux d'intestins, et il faut lui reconnaître une certaine fragilité psychologique.

            Maux d'intestins
            " Quant à ton intestin, tu n'es pas gravement atteint ", lui écrit Alexandra. Alors hypocondriaque ?
            C'est un habitué des cures à Plombières, mais surtout à Vichy où il se rend tous les ans depuis Tunis, puis depuis Bône, pour tenter de soigner les maux de son système digestif. Jusqu'en 1938 où, fatigué de façon objective, il trouve que cela lui pèse. Cette obligation de " 21 jours fatidiques " finit par lui être pénible surtout quand il ne trouve pas de partenaire aux échecs ! D'ailleurs cette année-là, il ne restera que 15 jours à la cure, il est fatigué, il se couche tôt, son estomac qui le perturbe de plus en plus le contraint à un régime " sévère " et les médecins de la cure lui conseillent même de boire peu d'eau de Vichy trop excitante pour son affection. Conséquence, en 1937, ses maux d'estomac s'aggravent.
            Ces cures, finalement, n'étaient-elles pas inscrites dans un rituel propre à une aristocratie coloniale qui se sentait "obligée" à ce séjour annuel dans une station thermale de la métropole ? Il faut quand même insister sur le fait que se plaindra jusqu'à la fin de ses problèmes intestinaux.
            Le moral agissait-il sur le physique ? Irait-on jusqu'à dire qu'il avait un caractère atrabilaire ?

            Le moral
            C'est un homme psychologiquement fragile qui transparaît à travers la correspondance. Dualité entre l'ingénieur qui effectue avec bonheur une tâche difficile dans ces années de première moitié du xxe siècle, qui montre des qualités de solidité pour mener à bien sa tâche et l'homme fragile qu'il laisse apparaître avec une " certaine tendance à la mélancolie ". Ça frôle la bipolarité !
            " Mon brave Ami, lui écrit Alexandra, il ne faut pas voir les choses si en noir et compter toutes sortes d'infirmités que l'on n'a pas et des jours moroses qui ne viendront que si nous sommes assez sots pour les laisser arriver… Il faut réagir… Allons point d'idées noires, point de méditations tristes… De la joie au cœur ".
            Voilà qui en dit long sur la fragilité de Monsieur l'Ingénieur en chef !

            Dans la même lettre, Alexandra cerne de plus près encore " un autre fantôme… [que tu] dépeins très bien… il s'appelle "n'être personne" ! Oui, n'avoir plus à commander, n'être plus être salué bas par des subordonnés, passer partout ignoré, anonyme, sans avoir quelque part un petit coin de domaine où l'on est chef, "maître après Dieu"… ".
            Envie de paraître, toujours, bien perçue par sa femme.
            Et l'homme se dépeint lui-même à travers ses propos qui, pour Alexandra, traduisent " une vie triste et morne ". On est en 1937, Philippe a cessé ses activités professionnelles.
            " Les jours s'écoulent lentement dans une grisaille uniforme qui me rapproche du terme de ma vie ".

            Autre idée fixe pleine de pessimisme, c'est souvent qu'il évoque la vieillesse, cette " vieillesse qui ne sera pas très longue ". Il mourra quand même à 80 ans. Mais cette " idée de la mort [qui] lui était extrêmement pénible " l'aura possédé toute sa vie et surtout dans cette partie bônoise de son existence.
            L'année 1925, est importante, c'est celle du retour d'Alexandra. Les affections se multiplient et s'aggravent. De plus, le moral est atteint, Philippe parle d'arrêter ses activités ; ce n'est cependant que dans 6 ans qu'il doit prendre sa retraite, mais l'argent étant un souci récurrent, il craint la diminution de ses revenus.
            Par là-dessus la grippe " habituelle ", lui tombe dessus. De façon fréquente, Philippe est souvent touché par cette affection, et ce, jusqu'à la fin de sa vie, " Ma grippe a subi une rechute assez grave dont j'ai peine à me tirer et qui m'a beaucoup affaibli au point que je me demande si je pourrai continuer mes travaux et mes voyages… ". Réalité, à n'en pas douter, maladie diplomatique peut-être ? Le fait est, nous l'avons dit plus haut, qu'il n'ira pas accueillir Alexandra au Havre. Un grand retour après 14 ans d'absence qui lui avaient valu quelques crises de "neurasthénie".

            En 1927, sa santé " n'est pas florissante… misères de la vieillesse ".
            Et cela ne s'arrange pas, ce que confirme une lettre adressée à Alexandra par Simone, la nièce qui vit auprès de Philippe depuis 1931 (Simone était la fille d'un des frères de Philippe, Frédéric-Louis, plus âgé que lui de 10 ans, et de Louise Lydie Humbourg.). Alexandra lors de son passage à Bône en 1936 est rassurée de voir Simone auprès de lui. Un an plus tard, il vient passer l'été en France avec sa nièce, il est très faible. Il prend des précautions, évite de séjourner à l'ombre des arbres par crainte d'un refroidissement. Il stigmatise la vieillesse…
            Les dernières années montrent un affaiblissement évident.

            Le 1er janvier 1938, il est atteint d'une grave broncho-pneumonie dont il rend la météo responsable. Il reste quand même 10 jours au lit avec une fièvre violente voisine de 40 degrés causée par un abcès à l'aine, long à cicatriser et qui le fait souffrir. Il peut compter sur l'aide " précieuse " de Simone, mais aussi du docteur Bonnet qui perce cet abcès tenace et le cautérise. La température chute. Notre homme ressort affaibli de cette épreuve où, pendant un mois, il a perdu tout appétit.

            Curieux rapprochement personnel. Le docteur Bonnet exerçait à Bône où il aura pratiqué jusqu'après la guerre, cessant toute activité entre 1945 et 1950. C'était le médecin de famille de mes grands-parents qui a prodigué des soins à leur fille aînée âgée d'une dizaine d'années vers 1929. Impuissant à circonscrire une typhoïde, il avait annoncé à mon grand-père que " la petite était fichue (sic) " et, en désespoir de cause lui avait conseillé des enveloppements de bottes d'oignons aux deux jambes. Le remède de bonne femme a été efficace. La petite fille a été sauvée et elle a été ma maman. Le docteur Bonnet est devenu le médecin de famille de mes parents et m'a probablement soigné jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite. Il a ensuite été remplacé par un jeune docteur à l'époque, le docteur Castelli.
            Vers la fin de l'année, c'est un lumbago qui bloque ses reins et ses jambes déficientes le font souffrir, le contraignant à des sorties courtes limitées à une heure
            Au début de l'été, il revient de Bône très faible, avec Simone. " A mon âge !!! ", (il a 78 ans) et séjourne à Gandelu, une commune de l'Aisne, à une vingtaine de kilomètres de Château-Thierry. Simone y retrouve la maison familiale. À son bras, Philippe s'efforce de marcher un peu. Il se couche de bonne heure. Dans ces conditions, il n'est plus question d'aller à Digne. Une consultation auprès d'un médecin parisien ne donne rien de particulier. L'âge est la raison de cette faiblesse. Il lui faut prendre le plus de repos possible et il reste couché 12 à 14 h par jour.

            Le départ de Bône
            Après un séjour à Saint-Laurent et à Paris, à l'automne 38, certainement une prise de conscience de son état de santé, peut-être la nostalgie de son enfance dans le Gard, Philippe envisage de quitter Bône, ce qui sera effectif à l'été 1939. En août, Philippe est installé dans sa vieille maison familiale ayant appartenu à la famille de sa maman, Fanny Auzière, à Saint-Laurent-d'Aigouze, près d'Aigues-Mortes, où " s'écoula mon enfance et où se terminera ma vieillesse ". Les jours s'écoulent lentement dans une grisaille uniforme et Philippe sent venir la fin.
            Il revient une dernière fois à Bône. Son état de santé se dégradant, le départ définitif est envisagé sérieusement en novembre 1938 sur les conseils d'Alexandra et d'autres amis. Les raisons de partir ne manquent pas.
            De fait, il est définitivement à la retraite depuis 7 ans, et ce " manque de situation " l'affecte beaucoup. Ce qui paraît plus curieux, par contre, pour un homme qui a eu tant de contacts, il annonce qu'il n'a plus de relations à Bône. Isolement, donc ? Pourquoi ? D'où une envie de se rapprocher de sa famille et des amis conservés en France.
            Craignant de se retrouver seul et sans soins, il avait demandé à Simone, sa nièce, qu'il a eu le " bonheur de rencontrer à la fin de sa vie " de venir près de lui. Il a alors 76 ans. Elle arrive mi-décembre 1937 et elle s'occupe bien de son oncle, l'accompagne dans ses courtes promenades, se dévoue complètement à lui " admirable, me soignant avec une constance et une intelligence parfaite ne comptant ni sa peine ni ses forces ".
            Voilà qui rassure Alexandra venue passer deux petits jours à Bône. Seulement, " Simone se trouve mal dans ce pays dont la lumière est trop vive pour la délicatesse de ses pauvres yeux " ( Sur les photos où elle apparaît, Simone chausse une paire de lunettes de vue à verres épais. Déjà jeune, sur un dessin de sa grand-mère datant antérieur à 1918, Simone porte des lunettes.) et il faudra envisager de partir. L'air frais et pur de Gandelu, lui conviendrait mieux.

            Autre déconvenue, Emilie, la domestique de Philippe, le quitte après 18 ans de service, elle sera remplacée par une femme de ménage qui vient la matinée.
            Et puis, il y a la situation politique. Les évènements s'accélèrent. La guerre se profile.

            Elle est telle à la fin de 1938, qu'il y a lieu de croire à une confrontation imminente. À juste titre, Philippe pense que l'Italie entrant dans le conflit contre la France, les villes de la côte algérienne, et Bône, de surcroît la plus proche de l'Italie, seraient bien exposées et les communications bien " aléatoires ". Il n'a pas tort parce que les bombardements vont affecter la ville de Bône. Du 12 novembre 1942 au 30 juin 1943, il y en aura 73 pour 180 attaques, 1 800 bombes seront lâchées sur la ville et ses alentours faisant 302 morts et 535 blessés. (Hubert Cataldo, chiffres défense passive.)

            Philippe est donc prêt à partir, mais il appréhende le déménagement " de ce qui fut constitué pendant tout une vie, mobilier considérable, de grosses quantités de livres… revues, musique, impedimenta de toutes sortes ". Moyennant une somme " très élevée ", il s'adresse à des déménageurs, vend pour presque rien quelques meubles sans intérêt. Il se charge d'emballer des objets qu'il ne peut confier aux spécialistes. Il ressort très fatigué de l'affaire.
            Et puis il y a cette somme allouée par le Bône-Guelma, une pension de 5 000 frs, qui sera perdue, encore un souci, mais qui sera compensée par tous les frais qui disparaîtront aussi - location de la villa, domestiques, voyages, etc.
            Philippe demeurera à Bône jusqu'en 1939. Le 24 mars, il écrit sa dernière lettre depuis la cité de Saint Augustin. Le 30, il s'embarque pour Marseille et Saint-Laurent où il doit arriver avec Simone, le samedi 1er avril. Son deuxième séjour à Bône aura duré 22 ans.

Fresque de la gare de Bône, peinte par Marie Viton en 1938. Elle montre l'extraction du minerai de fer des mines de l'Ouenza.

            Cela aurait pu se passer ainsi :
            Le petit remorqueur arracha le Ville de Tunis du quai Warnier. Lentement, il le positionna
            Dans l'axe de la sortie de la petite darse et le navire entama sa marche vers la sortie du port.
            Philippe regarda une dernière fois la ville : la nouvelle gare (Marguerite Elisabeth Saïda Koechlin dite Marie Viton (1893-1954), peintre, illustratrice, costumière, aviatrice et traductrice de livres anglais, prit pour nom d'artiste, le nom de sa mère, Blanche Marie Viton de Saint-Allais. Elle fut proche d'Albert Camus.) récemment inaugurée, le cours Bertagna, le palais Loucheur et ses cariatides, le monument aux morts, le palais consulaire et la ville haute perchée sur ses vieux murs. Sur sa droite, défilaient la centrale électrique, puis ce furent les tas jaunes du phosphate du Kouif et tout de suite après, sur le quai sud, les énormes amoncellements couleur de rouille du minerai de l'Ouenza… Le terre-plein… les voies ferrées… Le résultat de son travail.
            Les yeux embués, Philippe rejoignit bâbord au bras de Simone. Le Ville de Tunis passait devant la colline des Caroubiers, avec sa porte et la villa des pins nichée quelque part dans la forêt. On dépassa la jetée de Babayaud pour atteindre l'avant-port. Le petit remorqueur récupéra son élingue et le bateau libéré de ses entraves franchit les phares rouge et vert marquant l'entrée du port. Sur la gauche, dans le fond, la plage du Lever de l'Aurore et la villa Louise s'estompaient dans la brume. Au loin, le cap de garde marquait la fin du golfe de Bône. Après, c'était la haute mer, l'aventure pour des heures d'un voyage entre Bône et Marseille.
            La mer, les souvenirs… L'Hirondelle… La Goulette… Mademoiselle Alexandrine David…

            L'image d'un doux souvenir
            Vient de s'offrir à la pensée
            Sur la trace qu'il a laissée
            Pourquoi crains-tu de revenir ?
            (Philippe à ses conquêtes.)


            Philippe - Alexandra deux égoïsmes… Je t'aime, moi non plus…
            Voyage effectué sans encombre et dans de bonnes conditions. La page bônoise est tournée définitivement pour Philippe.

            Epilogue
            Il passe l'été à Gandelu dans la maison de Simone. La saison y est plus supportable qu'à Saint-Laurent où il fait chaud.
            Le samedi 2 septembre 1939, c'est la mobilisation. Philippe et Simone sont rentrés à temps, les bruits de bottes sont plus précis. Le 23 septembre, ils quittent Gandelu, menacée de par sa situation géographique ; le 25, ils sont à Saint-Laurent.
            Dans ses lettres, Philippe se plaint de crampes aux mains qui l'obligent à s'y reprendre à deux fois pour écrire son courrier. Finalement, il le termine à la machine à écrire. C'est d'ailleurs une lettre dactylographiée qu'il adresse à la même époque à M. Bénac, président de la Compagnie des Mines de Marles pour son dossier de la Légion d'honneur.
            Des lettres qui sont de plus en plus riches de longues digressions sur la situation militaire.

            A ce sujet, citons Marie-Madeleine Peyronnet : " À partir de ce jour [16 juin 1940. N.P.], Philippe tient - sur les dramatiques événements qui endeuillent la France et l'Europe - un véritable journal. Douze pages ont été retrouvées, tapées à la machine, sans intervalle, sur papier pelure... Ce journal s'arrête le 20 novembre. Il semblerait qu'il n'a jamais été envoyé à Alexandra ".

            En février 1940, c'est Simone qui écrit à Madame Tante : l'oncle est sérieusement grippé. En fait, c'est un nouveau refroidissement moins important que le précédent. Le médecin vient le voir quotidiennement, il dort mal et il est contraint de rester couché. Mais Philippe est affecté en plus par son âge, par la vieillesse, cette maladie, " l'amie des gens âgés ". C'est frappant, dans chaque lettre, il fait référence à l'âge, à la vieillesse. C'est obsessionnel.
            Les remèdes du médecin, la sollicitude de Simone font qu'il est bien soigné, et la grippe disparaît.

            Au début de l'été, il fait état de ses forces déclinantes se plaint qu'il se déplace difficilement et qu'il ne quitte plus la maison. Pressentant une issue fatale à plus ou moins brève échéance, Philippe réitère et précise le testament déjà rédigé presque 20 ans plus tôt. Triste !

            " Bien chère amie,
            Ces lignes sont les dernières que tu liras écrites de ma main… "
            Par leur contrat de mariage et d'après le testament précédent, Alexandra est sa légataire universelle ; à ce titre, elle a droit à 1/3 de sa pension du Bône-Guelma, soit 8 753 frs. . Les valeurs diverses en dépôt à la Banque de la Cie Algérienne à Tunis assurent un revenu net de 8 000 frs. ; celles du Crédit Lyonnais de Bône 9 000 frs. Reste un petit compte courant de faible valeur. A l'agence du Crédit Lyonnais de Nîmes un paquet de titres au nom de Mlle Simone Néel que cette dernière doit remettre à Alexandra, ce sont ceux achetés avant le départ d'Alexandra pour son grand voyage et une forte quantité d'autres, donnant un revenu approximatif de 8 000 à 9 000 frs. Les coupons hollandais, norvégiens et belges sont impayés à cette époque, les pays étant occupés par les Allemands.

            La maison familiale de Saint-Laurent où il réside en ce moment appartient à sa sœur Eva, reçue comme héritage de ses parents. Elle la lui donne ainsi que le terrain avec les tombes de leurs parents car ce bien doit rester en possession d'un membre de la famille. Or, Alexandra étant légataire universelle de Philippe, il n'est pas possible à ce dernier d'en disposer. La maison sera vendue à Simone en reconnaissance de tout ce qu'elle a fait pour lui.

            Et la lettre se termine sur ces mots : " Un dernier adieu, ma bien chère amie ".
            L'année 1940 avance et Philippe sent ses forces s'amoindrir tous les jours, il ne sort plus. Et le lancinant refrain revient avec ces paroles : " Je vais vers la fin d'une extrême vieillesse ". Il devrait avoir 80 ans au mois de février suivant.
            Rajoutons d'autres maux : il n'a pratiquement plus de dents et son œil droit est atteint de cataracte. Ses forces déclinent, il a des crampes dans la main, ce qui l'amène maintenant à utiliser presque exclusivement la machine à écrire pour rédiger ses lettres.

            La guerre se fait sentir, Alexandra, alors encore en voyage au Tibet, écrit à Philippe pour lui demander de rapatrier ses affaires de sa maison de Digne, Samten-Dzong. Elle souhaite qu'ils soient mis en sécurité à Saint-Laurent, village qu'elle appréciait particulièrement, comme elle le souligne dans ses nombreuses correspondances. Elle redoutait qu'elles tombent dans les mains des Allemands ou des Italiens, car elle avait déjà subi de lourdes pertes lors de la guerre sino-japonaise (Certains de ces objets ont été exposés lors d'une exposition consacrée à Alexandra à Saint-Laurent-d'Aigouze, en septembre 2012.).

            En février 1941, après un silence de plusieurs semaines de Philippe, l'échange épistolaire avec Alexandra se fait avec sa nièce Lucy qui lui apprend le décès de Philippe, le samedi 8. Il n'aura pas atteint ses 80 ans.
            Et c'est ce télégramme en réponse :
            " Je reçois la triste nouvelle. Je suis désolée. Bien affectueusement. Alexandra. "
            C'est la fin de 37 ans de correspondance.

            Il semble que Philippe ait été emporté par un mal subit, inattendu et qu'il n'ait pas souffert plus que son état l'aurait laissé supposer… Physiquement, mais moralement, Alexandra

            Le souligne : " la mort l'épouvantait… Non point qu'il redoutât quelque chose dans l'au-delà, mais parce que, comme il le disait, l'anéantissement de l'esprit qui s'était peu à peu [façonné] au prix de tant d'efforts, qui avait acquis des connaissances, s'était constitué une personnalité, était une chose affreuse. Il était loin d'être stoïque à ce sujet…
Marie-Madeleine Peyronnet à qui on doit la publication de la correspondance entre Alexandra et Philippe.
            " Je crois bien que la guerre et le désastre qui l'a suivie ont dû miner ton oncle. Et puis il a été affreusement privé de la vue de la mer " sa grand amie " comme il disait. Peut-être aurait-il mieux fait de rester à Bône. Mais il a estimé cela dangereux ".

            Conclusion
            L'enveloppe évoquée au départ nous a menés bien loin.
            Nous aura-t-elle permis de mieux connaître Philippe Néel, cet homme vers lequel tant de détails me ramenaient ? Lui qui a foulé le sol que j'ai foulé, qui a mis les pieds dans le sable
            Où j'ai mis les miens, qui a aimé la mer que j'aime, qui a habité dans la ville où j'ai vu le jour… A-t-il pu prendre corps à travers la correspondance échangée avec Alexandra ?
            Il aura vécu près de 80 ans dont 54 outre-Méditerranée, 33 en Tunisie, 21 à Bône. Sa période bônoise n'est pas la plus heureuse et les préoccupations émanant des situations diverses vécues par Alexandra n'y sont pas étrangères.
            Une vie avec 3 guerres, 1870, la Première Guerre mondiale, celle de 39-45, la guerre d'Espagne, la révolution russe, les guerres en Asie par Alexandra interposée, la dévaluation ; à titre personnel, la vie loin de sa femme, l'adoption de Yongden…
La Maison Alexandra David-Néel à Digne.

            Mari d'une femme qui aura vécu loin de lui, amoureuse malgré tout, Philippe restera fidèlement son époux épistolier, administrateur et conservateur jusqu'au bout. Etonnant de voir cet homme qui s'exécute.
            Je me suis approprié Philippe. J'ai voulu le faire vivre par lui-même, le sortir du filigrane où il est présenté traditionnellement, en contrepoint d'Alexandra.

            On retiendra d'un côté, son grand cœur, sa largesse d'esprit, lui qui a permis le voyage d'Alexandra, qui a permis à Alexandra d'adopter, qui a géré ses affaires, lui permettant d'assumer ses besoins financiers. Il a laissé l'image d'un homme ordonné, soigneux, rigoureux, qualités qu'on retrouve dans ses activités professionnelles et dans la gestion, un gros travailleur, un homme d'honneur, sérieux, honorable sur tous les plans.

            D'un autre côté, l'homme est orgueilleux, prétentieux, vaniteux, il a le goût du luxe, le goût du paraître, un m'as tu vu, épicurien, séducteur, cassant, coupant, pas très poli dans son expression, caractère fort, entier. Il aura affiché un caractère difficile, grognon, d'humeur changeante avec un côté mélancolique et triste, des idées noires fréquentes, une tendance à la neurasthénie. Si les épisodes dépressifs d'une personne cyclothymique se caractérisent par une perte d'énergie, un sentiment d'inutilité et une perte d'intérêt à l'égard des choses qui procurent normalement du plaisir, une pensée récurrente à la mort et au suicide, alors n'hésitons pas, Philippe fut cyclothymique.

            La fin de vie de cet homme amoindri sera pitoyable. Quelqu'un d'autre le dira plus tard : " La vieillesse est un naufrage " (Charles de Gaulle.).

            " La vie est brève, bien que je l'aie vécue au-delà de sa moyenne normale ! Je la quitterai avec la satisfaction de croire qu'elle a été bien et utilement remplie. " (Lettre de PHILIPPE du 1er octobre 1940.)

            Bibliographie
            L'obligatoire :
            Alexandra David-Néel. Correspondance avec son mari. Edition intégrale 1904-1941 - Plon, 2016.

            Les incontournables :
            Jacques Brosse. Alexandra David-Neel. Albin Michel - 1991.
            Jean Chalon. Le lumineux destin d'Alexandra David-Néel. Perrin, 1985.
            Jeanne Mascolo de Filippis. Alexandra David-Néel : cent ans d'aventure. Paulsen - Paris, 2018.
            Joëlle Désiré-Marchand. Philippe et Alexandra David-Neel, l'étrange équilibre d'un couple exceptionnel - éditions Ampélos, 2019.

            Sur Philippe Néel :
            Base Léonore. Dossier Philippe Néel.

            Sur la famille Humbourg (Simone) :
            Une famille gandelusienne pas ordinaire. Humbourg.pdf - Free.
            Http://gandelu.loisir.free.fr- histoire. Humbourg.

            Sur la correspondance :
            Fanny Martin Quatremare. Les débuts difficiles d'un mariage épistolaire entre Alexandra et Philippe Néel (1904-1911). Universidad de Granada. Cédille Revista de estudios franceses. Avril 2019.

            Sur Bône :
            René Lespès. Le port de Bône et les mines du Constantinois. Annales de géographie. 1923.
            Hubert Cataldo. Bône de ma jeunesse, 1935-1962 - Editions Gandini,1999.
            Louis Arnaud. Bône : Son histoire, ses histoires. Bône, 1958.

            Sur les chemins de fer en Algérie et en Tunisie :
            Laurent Debernardi : Le premier chemin de fer tunisien, le T. G. M. (1870-1898). Revue
            Française d'histoire d'Outre-Mer. Tome 50, n°179, deuxième trimestre 1963.
            Hamdi Raissi. L'Introduction du chemin de fer en Tunisie. Jeunes Tunisiens.com 31, décembre 2008.
            Compagnie des Chemins de fer de Bône-Guelma et prolongements. Archives nationales d'Outre-Mer.
            Compagnie des Chemins de fer de Bône-Guelma et prolongements. Entreprises-coloniales. Www.entreprises-coloniales.fr
            Le Bône-Guelma-L'Ouenza. Gouvernement général de l'Algérie. Sur le rachat du Bône Guelma. Janvier 1913. Gallica.
            Sur la fresque de la gare de Bône (Annaba). Dan Sloan - Wall art - Annaba Train Station.
FIN
Marc DONATO


La Clinique du Champ de Mars
BONJOUR N°37 du 18 juin 1933, journal satyrique bônois.

Pour ceux qui souffrent


               - C'est une œuvre bônoise, totalement, exclusivement bônoise que celle-ci, nous disait le Docteur Génova alors que, sur notre demande, il nous faisait visiter, de la cave au grenier, la Clinique du Champ de Mars dont il est le créateur.
               Et bien " ceux qui ont œuvré " ainsi ont le droit d'être fiers.
               Je ne suis rien du tout, moi, ici ajouta notre cicérone. Ou, plus exactement, je suis médecin et chirurgien pour mes malades et c'est tout. Chacun de mes confrères a, ici, ses malades qu'il traite et opère - comme il l'entend.
               Bref, nous nous trouvions dans une œuvre de mutualité dont la porte est ouverte à tous, et ceux qui ont institué cela ont fait merveille. Nous mettons, ici, un pluriel intentionnel car si nous parlions du Docteur Génova exclusivement, nous nous attirerions l'inimitié de l'éminent praticien. Ce sont des choses auxquelles il ne faut pas s'exposer car on ne sait jamais qui, demain, vous tiendra sous le bistouri.

               Nous avons eu l'occasion de visiter bien des cliniques. Dès l'entrée, le sens olfactif est impressionné ou bien, par une sorte d'autosuggestion, on imagine l'odeur pharmaceutique. Ici, grosse surprise. On est dans une grande villa aérée, aux vastes couloirs, aux pièces spacieuses et aux ouvertures multipliées. De la Chambre d'attente à celle de Radio-pansement, photographie de la Radio, Salle des grandes Opérations et celle des petites, on s'arrête un instant dans la salle de Stérilisation meublée d'appareils en cuivre rouge aux formes importantes et bizarres.
               C'est là que tout est stérilisé à 134 degrés. C'est là, et dans les pièces voisines que se trouve tout l'arsenal des Opérations septiques et aseptiques. A n'importe quelle heure, de jour ou de nuit, on peut procéder à une intervention immédiate et le bon Docteur nous dit d'un ton cordial : --Si vous désirez, cher ami, que je vous ouvre le ventre, je peux vous faire cela dans un instant. Tout est prêt. N'est-ce pas, ma sœur ? ajoute-t-il en se retournant.
               Sous la cornette, une religieuse s'incline ; dans son beau visage calme et grave, un sourire éclaire deux grands yeux couleur d'angélique.
               Evidemment, l'invitation est bien tentante et il nous semble, en un éclair, qu'un journaliste dévoué à sa profession devrait s'informer de toutes les façons. Nous renverrons ce reportage à plus tard.

               Car, la maison est régie par des religieuses. Elles appartiennent à l'ordre des Filles de Marie auxiliatrice. Le dévouement de ces femmes admirables défie tous les commentaires. Une Mère Supérieure et cinq infirmières expertes dirigent un personnel qui compte, en tout, quinze personnes. Et ce personnel a été à l'ouvrage car dès le premier mois de sa fondation, la clinique a connu 34 opérations et à plusieurs reprises a logé, à la fois, 40 personnes.
               De l'étage chirurgical nous sommes passés à l'étage d'accouchement et de médecine. Et nous voici dans la chambre dite de Travail. On s'étonne, d'ailleurs, que dans les familles, on persiste encore à procéder aux accouchements dans le lit conjugal. il nous semble que ce meuble de repos et, quelquefois, de plaisir, ne devrait pas connaître certaines besognes.
               On est irrité quelque peu d'avoir à lutter, dans notre siècle de remarquables progrès, contre ces vieilles traditions de bonnes femmes attardées. Les médecins, à l'unanimité, s'élèvent contre ces pratiques et ils proclament qu'il est miraculeux que les accouchements auxquels ils ont procédé dans les familles n'aient pas amené plus d'accidents opératoires. Ils ont cent fois raison.

               Dans cette clinique que nous croyons être une des plus parfaites qui existent, tout à été prévu avec ce soin minutieux que l'on ne peut trouver que chez les techniciens de haut savoir. Les cas les plus imprévus sont prévus. Ainsi, au cours d'une opération dangereuse, le chirurgien se penche sur l'opéré, il peut d'ailleurs travailler dans n'importe quelle position, la lumière qui éclaire ne fait aucune ombre portée grâce à un dispositif spécial, Mais brusquement, la lumière s'éteint. Cela peut arriver, n'est-ce pas ? Cela peut être, pour l'opéré, la mort sans phrases devant le chirurgien impuissant ? Pas du tout. Un bouton touché et la lumière reprend instantanément.

               Les accus de la clinique, toujours chargés à bloc, donnent à plein rendement. Le chirurgien s'est à peine interrompu et voici évitée la panne mortelle.
               Eh bien ! tout cela est très beau. Nous n'adresserons des félicitations à personne, bien entendu. Puisqu'il est convenu que l'on ne doit pas parler du Docteur Génova sous peine d'encourir les remontrances les plus véhémentes, nous n'en parlerons donc pas.
               Nous ne dirons pas qu'il est le splendide animateur de cette œuvre salvatrice et de régénération humaine, qu'il en est l'inventeur et qu'il a consacré à cet ouvrage plusieurs années de patience. Nous ne dirons pas que c'est son nom d'apôtre et, peut-être, son nom seul qui a décidé les nombreux souscripteurs grands et petits à apporter l'argent nécessaire.
               Nous ne dirons pas que ses confrères, les médecins bônois, le remercient d'avoir mis à leur disposition cet outil dans notre ville. Nous voici donc condamnés au silence. Il ne faut pas contrarier un médecin. On peut se moquer du gendarme, pas du chirurgien. On ne sait jamais, n'est-ce pas !…

P.M.
 


Algérie, 9 mars 1962
PAR MANUEL GOMEZ
Envoi de M. R. Sanchez.
Sacrifice programmé d’une unité de jeunes appelés           

               Il faut que cela se sache.

                Cet épisode de la guerre d’Algérie a été soigneusement occulté par le gouvernement français et par tous les médias, (mais l’ont-ils su ?).

                Dix jours avant la signature des « accords d’Évian », l’armée française allait commettre, sur ordre de De Gaulle et de son gouvernement, la plus odieuse forfaiture de son histoire.

                Voici comment le chef de l’État français avait décidé de refaire un nouveau Dien Bien Phu, en laissant massacrer une unité d’infanterie, composée essentiellement de jeunes appelés du contingent, basée non loin de Souk-Ahras, dans l’Est algérien, face au village tunisien de Sakhiet-Sidi-Youssef.

                (Rien à voir bien entendu avec le fameux bombardement de ce même village le 2 février 1958 qui mobilisa toute la presse internationale et attira l’opprobre de nombreux pays contre la France)

                Depuis le lever du jour de ce 9 mars 1962, une pluie d’obus tirés par l’artillerie lourde de l’ALN, installée en Tunisie, pleut avec une intensité sans précédent sur cette unité composée de jeunes recrues, des appelés pour la plupart.

                Le commandant de l’unité n’a pas les moyens matériels de riposter car ses hommes ne sont équipés que d’armes légères.

                En effet, sur ordre du gouvernement, on lui a retiré quelques jours plus tôt son artillerie lourde plus un régiment de la Légion étrangère et une demi-brigade de blindés.

                Ordre bien singulier puisque les services secrets avaient signalé une concentration inhabituelle de forces adverses en territoire tunisien, juste en face de ce secteur.

                Sans cesse, le commandant demande par radio à sa hiérarchie basée à Constantine et à Bône l’appui de l’aviation pour le dégager.

                La situation devient désastreuse à l’aube du 10 mars. Les tirs redoublent de violence.

                Puis c’est le silence.

                -« Je vous en prie, réagissez ! Nous risquons une attaque massive des fellaghas ».

                De son poste d’observation le commandant constate, à l’aide de ses jumelles, qu’à moins d’un kilomètre plusieurs brèches ont été ouvertes dans le barrage électrifié qui délimite la frontière entre les deux pays. Sur les collines environnantes des milliers de combattants de l’ALN progressent à découvert dans sa direction.

                Ils sont à moins de deux kilomètres à vol d’oiseau. Il sait qu’il ne pourra pas résister à une attaque de cette envergure et que tous ses hommes vont se faire massacrer. Il se demande pourquoi on ne lui envoi aucune aide.

                Ce qu’il ignore c’est que l’état-major militaire a reçu l’ordre de ne pas intervenir.

                Pour quelles raisons ?

                Des négociations sont engagées avec les nationalistes algériens et Louis Joxe discute en ce moment même à Evian avec les représentants du GPRA.

                Pour amadouer les dirigeants nationalistes, le gouvernement français a décidé quelques jours plus tôt un « cessez-le-feu unilatéral ».

                Ainsi l’ALN (Armée de libération Nationale) peut agir en toute impunité et tenter une opération spectaculaire afin de négocier dans de meilleures conditions.

                Et c’est pour cette raison que De Gaulle va sacrifier sans aucune pitié, sans aucune émotion, quelques centaines de jeunes soldats appelés du contingent dans le seul but de démontrer à la métropole la nécessité urgente de terminer cette guerre quel qu’en soit le prix.

                Informé de tout cela, le lieutenant-colonel Lisbonis, commandant la base aérienne 213 de Bône, hésite à intervenir.

                Un an plus tôt, au moment du putsch des généraux, il était resté fidèle à De Gaulle.

                Mais sa conscience le tenaille et il ne peut concevoir de ne pas se porter au secours de ces jeunes soldats français sacrifiés au nom d’une odieuse politique d’abandon.

                Dès le lever du jour, il donne l’ordre aux escadrilles de décoller.

                En quelques heures la victoire change de camp. Les pilotes des T-6 arrosent de leurs mitrailleuses les fellaghas, surpris par une attaque aérienne qu’ils n’attendaient pas, et les A-26 franchissent la frontière, les poursuivant et lâchant leurs bombes sur les positions de l’artillerie adverse.

                Les soldats du contingent et la population civile sont sauvés.

                Quant au lieutenant-colonel Lisbonis, il s’envole pour Paris.

                Non pas pour être félicité mais par mesure disciplinaire.

                Le gouvernement lui reproche d’avoir enfreint les ordres et d’avoir gravement compromis les pourparlers d’Évian, même au prix de la vie de quelques centaines de jeunes soldats français.

                Le 14 mars 1962, le commandant de la base aérienne de Bône-les-Salines est mis aux arrêts pour avoir riposté aux attaques de l’ALN contre le barrage et sauvé quelques centaines de jeunes soldats et de civils français.
(Source : « J’accuse De Gaulle », édition 2016)
M. Publié par Manuel Gomez le 10 mars 2023

https://ripostelaique.com/algerie-9-mars-1962- sacrifice-programme-dune-unite-de-jeunes-appeles.html



LES BÔNOIS A CAISSARGUES
M. B. Palomba et JP Bouchet
Bonjour. Voici comme un historique des réunions organisées à Caissargues par B. Palomba et J. Zerbib
           ......LECTEURS du journal La SEYBOUSE vous allez y retrouver des noms, des silhouettes des visages, des lieux, des ambiances de chez nous comme d'habitude dans ce journal.
           Nous avons appelé cette reconstitution, (oublions les laisses, rassurez-vous), sans fausse modestie :
           LA CHANSON DE GESTE DES BONOIS à CAISSARGUES.
           Si JP Bartolini en est d'accord, quelques animations qui ont agrémenté ces retrouvailles auxquelles nous vous invitons à posteriori, vous seront présentées. Elles sont le produit d'un travail en duo : Bernard Palomba et Jean Pierre Bouchet. Auriez vous la vous la possibilité de réunir un petit groupe ?
           Quel bonheur de participer, bouger, chanter, agir ! Pour parler, pour parler, pour parler, de NOUS AUTRES.

LA CHANSON DE GESTE
DES BONOIS à CAISSARGUES

           Anciens de Ste Thérèse à Bône, quelques amis
            Y s'étaient réunis à " l'Ôtre Restaurant ",
            Resto choisi par l'regretté Loulou Genty,
            Tout près d'Aix en Provence, ça f'ra bientôt 10    ans ;
            Ca faisait cinquante ans qu'on s'était pas r'trouvé(s) ;
            Très vite, on s'a tous cru qu'on s'a jamais quit    té (s).
            Y avait la famille Lastes, et puis les 2 Cauvin,
            Annie, et Frédéric dit Freddy, son fran    gin,
            Y z'étaient pas encore là les 2 cousins Pane,
            Mais y'avait les Zerbib, les Sepe, les Samt    mann.
            Sans vouloir " faire le Schpak ", la fine fleur des Bônois,
            Anciens des rues d'Madrid, Gutenberg, Léon Du    bois.
            Qué madone de journée! On n'avait qu'une envie,
            C'était d'recommencer, retrouver les A mis.
            Pantaloni… Et Ceux là la qui parlent comme nous autres

            Y'a qu'avec eux qu'on peut, rien qu' en fermant les yeux,
            Re'oir le Cap de Garde, St Cloud et sa mer bleue,
            Ou la Fontaine Romaine, le coin des amou    reux ;
            Et aussi, retrouver le parfum des épices,
            Ou c'lui des orangers, qu' c'était un vrai dé    lice.
            Alors pourquoi qu'on pourrait pas s'retrouver chaque année ?
            " Même jour, même heure, mêmes pommes ", comme l'autre il a chan    té ?
            //// Ac Jean on s'a dit chiche ! Mais pas dessur qu'un jour:
            Pour ceuss qui viennent de loin, un seul jour, c'est trop    court.
            Sur 2 jours à de bon, ce s'rait plus sympa :
            Sam'di soir à l'hôtel on s'f'rait un bon repas;
            Et l'dimanche à midi, on s'tap'rait le méchoui.
            Oilà une bonne façon d'profiter des A mis.
            Mais où 'c' qu'on va s'la faire cett'réunion d'copains???
            Bessif y faut l' hôtel, un champ pour le lend'main !!!
            " A Caissargues chez le maire, y a un endroit terrib,
            Comme je suis son adjoint, peut-ête que c'est pos sib ??? "
            Cuila qu'il a dit ça, y s'appelle Jean Zer    bib !!!

            Et puis pourquoi seul'ment des Amis d'Ste Thérèse ?
            Pourquoi pas Galea? Pourquoi pas Mata rese?
            Pourquoi pas d'la Colonne, La choumarelle ou bien d'la Menadia
            Y'a des amis là-bas. De la Cité Bona,
            Y'a Rolande Renaudin, qu'il a marié Thev'net :
            Elle amènera ses sœurs, Charlette et puis Renée.
            Renée, elle amènera peut-êt son fils Rémi ?
            Même les Sorge y viendront, puisqu'y sont très a mis.
            La voisine à Charlette, Josette Bosc, elle viendra,
            Y s'ront une ribambelle rien qu'd' la Cité Bo    na.
            Et puis des ôt'quartiers beaucoup y sont venus
            Certains qu'y avait longtemps qu'on s'était pas revus :
            Borghero, Lambert, Longo, Suzy Mons, Ruggeri,
            Gisbert, Nadia, Nieddu, et Michèle Portelli
            La copine à Jacqu'line, va z'y qu'on s'les inscrit.
            Les Taillefer/Galea avec leur p'tite Morgane,
            Bien sûr qu' aussi y peuvent venir les 3, Dio cane !!!

            Alors, des ôt' quartiers beaucoup y sont venus,
            Certains qu'y avait longtemps qu'on s'était pas re    vus
            Et tous ces p'tits nouveaux venus de l'AEB
            Aux copains du début y se sont rajoutés ;
            Tout ça grâce à Guy Gresse, l'AEB, l'ABV
            parc'qu' en toute amitié y'z'avaient diffusé
            L'invitation qu' nous z'ôtres on avait envoyée///
            Alors vous comprenez pourquoi :
            Partis de Ste Thérèse, maintenant on se targue,
            D'être le rassemblement " Des Bônois à Cais    sargues ".
            Maint'nant le sam'di soir on se marre entre soi :
            Une soirée magnifique puisqu'on est ent'    Bônois !!!!

            Le dimanche y z'arrivent ceuss qui viennent qu'au méchoui…..
            Dans la cour de l'hôtel on est tous réjouis :
            Café, petits croissants et beaucoup d'embrassades,
            A l'Orangerie déjà commence la ri    go    lade.
            L'Orangerie, c'est l'hôtel. C'était aussi à Bône
            Un quartier qu'on y 'allait en partant d'la Co    lonne
            De là, chez Becamel on va tous en convoi;
            Les agneaux nous attendent sur un grand feu de    bois.
            M'sieur Ferrer le traiteur, fait servir l'apéro :
            Des moules en escabèche, des fèves au cho    ri    zo,
            On s'tape la sangria, l'anisette, le porto ;
            Et les " organiseurs " y font leur nu    mé    ro :

            Y'a 2 ans par exemple, on avait baptisé
            Notr'hôte M'sieur Becamel. Du coup y s'est r'trouvé
            Bônois d'honneur avec un beau diplôme signé,
            Qu'c'est Roger Sorbara qui l'avait pré    pa    ré.
            Dessur sa tête, avec Guy Gresse on a versé
            De l'eau, que d'la Seybouse Spitoche il a ram'née ;
            Même que M'sieur Becamel il était tout mou    illé.
            Et maint'nant au Bolchet, au pied d'un jujubier,
            Offerte par l'AEB, y'a une plaque qui rappelle
            Qu'y a un Bônois de plusss : Monsieur Jacques Be    camel.

            Après on passe à table, sous les pins du p'tit bois
            Jean il avait raison, c'est un très bel endroit.
            On chante les Africains, et puis tout l'monde s'assoit.
            On est bien installé, et servis comme des    rois.
            Et le vin du Bolchet, c'est du nectar qu'on boit :
            Y vaut le vin Tannières et même le Darrou    ssa.
            A table, on parle du pays, on parle même que d' çà :
            On se re'oit gamin avec les camarades,
            Qu'on jouait aux noyaux, ou bien à zotch ou farde
            Des fois c'était aux billes, vous vous souv'nez peut-êt ?
            " A ta tête bourvinan, Quix' é grand qui m'ar    rête "
            Et à celui qui triche, en-ten-tion le coup d'    tête !!!
            Empoisonné

            Plus tard, c'était l'époque des surboums dans l'garage,
            Qu'on f'sait l'après midi ac les jeunes de notre âge.
            On buvait pas d'alcool, avant ça s'faisait pas,
            Seul'ment le Selecto ou bien l'Oran    gi    na,
            Toutes ces gazouz qu' y fabriquait Baby Jour    dan,
            Mêm' qu'on a jamais su ça qu' y mettait de    dans.
            On s'amusait quand même, et on dansait aussi,
            Les slows sur les Platters, le rock dessur Joh    nny.
            On f'sait le joue à joue et bien sûr on flirtait.
            Mais l'honneur de la famille et la vir    gi    nité,
            C'était à cette époque une terrib' obsession :
            Y'avait pas la pilule, fallait faire en    ten    tion.
            Souvent on s'tapait la kémia. Au Coq Hardi
            Y'avait les escargots au kamoun le jeu    di,
            Coin d'la rue Bouscarein et des Allées Guynemer,
            On l'app'lait " Le Pt'it Poisson
            C'était la p'tite matsame ou les haricots d'    mer.
            C'était ça not'jeunesse, et quelque soit nôtre âge

            Malgré les attentats, les bombes, les mitraillages,
            Les stroungas et les fellaghas, on avait qu'une envie,
            C'était d'rester chez nous et profiter d'la    vie.
            Sauf que faute à Degaulle maint'nant on    est    i    ci.
            C'est vrai qu'avec le temps on s'est tous intégrés,
            Malgré qu' on était v'nus à l'insu d'not plein    gré.
            J'voudrais pour terminer vous dire quelques mercis
            A Jean d'abord, rien n' se s'rait fait sans lui.
            J' crois que j' vous ai déjà dit tout çà qu'on lui devait :
            Becamel, l'hôtel, la munici palité…
            Et si pour l'méchoui du dimanche , il aurait plu,
            Une grand' salle d' la Mairie il avait rete nue
            A Marc son cousin qu'y'est notre trésorier.
            Y pass'ra vous d'mander vos pièces et vos bi    llets",
            A Pierre Borg : chaque fois y nous aide à transporter
            Les tables et les chaises pour mieux vous installer.
            Et comme Marc il est v'nu en pluss cett' année ,
            A quatre on a fait ça vraiment les doigts dans l'nez.
            Merci d'avance à ceux qui voudraient nous aider
            A tout remettre en place quand ce s'ra termi    né.

            Un grand merci également
            A Guy Gresse de l'AEB, Evelyne et Michel de l'ABV,
            Leur soutien amical nous a beaucoup aidés
            Sans eux, not' réunion elle s'rait pas ça qu'elle est…
            Et puis bien sûr un immense MERCi
            A Monsieur et Madame Becamel, pour l'accueil sous leur toit,
            Y z'ont l'sens de l'accueil comme tous les " Caissarguois ".
            Sachez qu'nous vous sommes tous vraiment reconnaissants
            Pour tout ça que vous faîtes pour not'rassem    blement.
            (Tonnerre d'applaudissements pour M. et Madame Becamel)

            10 ans déjà qu'elle dure not' fête de l'amitié,
            Même pas y vient Azrine, on voudrait la man    quer.
            Elle nous permet d' revoir les amis de chez nous,
            D'retrouver notr'accent, nos mots, notre bagout,
            Qu'y faut pas qu'y s'éteignent ; et j'ai juste qu'un regrêt :
            C'est qu'nos enfants cherchent pas à le conti    nuer.
            Nos P'tits enfants peut-être ? On peut toujours rêver…
            Notre rassemblement y nous permet aussi
            De penser aux amis qu' trop tôt y sont partis.
            Chaque fois on s'les rappelle ceuss qui nous ont quittés
            Loulou, Jacky Zerbib, René Attard, Roland Riboud,
            Pierre Robin, Nono Zammit , Yolande Gurriet :
            C'est que la liste hélas, d'plus en pluss elle s'allonge
            Et l'départ des amis, dans l'malheur y nous plonge.
            C'est vrai qu'on est une race en voie d'disparition
            Et qu'la vie sans Bônois, s'ra qu'une aber    ra    tion.
            Aussi, faut profiter jusqu'à la dernière goutte
            De tous ces bons moments, les pluss meilleurs sans doute,
            Qu'on passe ici entre nous. Ce retour au pays,
            Sûr qu'c'est pour nous Amis, vraiment du pain bé    ni.
            Alors, pourvu qu'ça dure que'ques années de pluss !!!!
            Inch Allah comme on disait là-bas !!! On y croit
            .                                                                Mor    di    cus….
B. Palomba, J. Zerbib et JP Bouchet


RECETTE COCAS
AUX BLETTES ET AUX ANCHOIS

ACEP-ENSEMBLE N° 301- 2016



                  
         La cuisine pied-noir est la cuisine méditerranéenne chaleureuse résultant de la combinaison des trois communautés qui vivaient en Algérie Française.
         La coca dont nous vous donnons quelques recettes, petit pâté délicieux, était bien souvent confectionnée pour les pique-niques de la Saint Couffin.

         Pour la farce : le vert d'un à 2 paquets de blettes suivant la taille, 8 filets d'anchois à I'huile ou 4 filets d'anchois au sel dessalés, 2 C.A.S. de pignons, 1 oignon, 1 piment de Cayenne (facultatif), sel, poivre, un peu d'huile.
         Roulez-les feuilles de blettes et coupez ces rouleaux en rondelles d'un cm. Faites-les ensuite blanchir 8mn à I'eau bouillante salée.
         Egouttez, laissez refroidir dans une passoire à pied et pressez pour éliminer le maximum de liquide.
         Faites revenir un oignon haché dans une poêle avec les pignons et le piment. Quand I'oignon est transparent et ramolli, Ies pignons dorés, ajoutez le vert de blettes, laissez chauffer 1 mn ou 2 en remuant. Ajoutez alors les filets d'anchois, continuez à faire cuire à feu pas trop fort en remuant à la spatule jusqu'à ce que les filets d'anchois se dissolvent dans le mélange. Goûtez et rectifiez l'assaisonnement. Otez le piment, laissez refroidir le mélange.

         Pour la pâte brisée 6 cocas : un verre d'huile, un verre d'eau tiède et la farine qui rentre... Faire des ronds dans la pâte à l'aide d'un bol, étaler la Frita (nature ou avec soubressade ou anchois) ou la préparation à base de blettes et refermer le chausson que vous enfournerez à th 180-200' pendant 30 mn (la pâte doit être cuite et solide en dessous.)

    


El Achaïchi
Envoyé par M. Christian Graille

                 N'avez-vous jamais pénétré dans une mehachacha, taverne des fumeurs de kif ? Le coup d'œil en vaut cependant la peine.
                 La mehachacha se trouve ordinairement dans l'arrière-boutique d'un café maure, c'est là que se donnent rendez-vous les hachaïacha (fumeurs de hachich) et que trône le Hachaïchi, préparateur de la plante à fumer que les Arabes appellent aussi Il kif (l'ivresse).
                 Ce singulier industriel est toujours un arabe de la ville qui réussit à vivre avec le mince profit que lui procure son curieux métier de bourreur de pipes et de préparateur de chanvre indien.

                 De nombreux bissakra (des Ouled Djellal de Biskra) exercent aussi cette profession dans les villes algériennes où ils se répandent annuellement pour gagner leur vie comme portefaix, porteurs d'eau à la façon de nos auvergnats.
                 Une natte étendue à terre, quelques verres, une petite plaque de marbre, suffisent à notre homme pour s'installer Hachaïchi.
                 La feuille de chanvre (cannabis indica) est séchée préalablement puis hachée par le Hachaïchi.
                 Il prépare aussi avec les graines de chanvre pulvérisées et du miel, une sorte de confiture (Mâdjoune) qui a des propriétés enivrantes plus prononcées que la feuille.
                 A Constantine les Hachaïchi font, dans la journée la chasse aux hérissons. Ils sont aidés dans cette chasse par de maigres roquets qui décèlent la présence du gibier et sont accompagnés d'un jeune homme, au corps fluet pouvant pénétrer dans les anfractuosités des rochers.
*
* *

                 Lorsque plusieurs adeptes du kif se trouvent réunis, le Hachaïchi apporte son bouri. Le bouri consiste en une noix de coco évidée, munie d'un long tuyau en roseau sur un de ses flans qui communique avec un plus petit tube fixé au sommet de la noix, c'est ce tube qui constitue le fourneau de la pipe.
                 La noix est remplie d'eau pour rafraîchir la fumée et le fourneau est bourré de la feuille stupéfiante, soigneusement préparée et à laquelle est joint un petit morceau de la Madjoune signalée plus haut.
                 Lorsque cet instrument pittoresque est chargé, une petite braise est placée méthodiquement par le Hachaïchi sur le fourneau et le bouri circule parmi les clients.

                 Le premier des Hachaïcha présents aspire le plus fortement possible, avale la fumée et la rejette par les narines avec un air de béatitude satisfaction ; il passe ensuite le bouri à son voisin qui procède de même, et ainsi de suite jusqu'au dernier des fumeurs accroupis sur la nuit.
                 Lorsque le bouri a fait deux ou trois fois le tour du cercle, des huit ou dix clients qui peuplent ordinairement les tavernes, le Hachaïchi préparateur perçoit de chaque consommateur une somme variant de dix à quinze centimes.
                 Il se contente de peu, comme on le voit et il lui suffit de récolter quelques sous pour vivre ... d'illusions car lui aussi use du bouri en adorateur passionné.

                 Il a du reste été amené à exercer cette profession de Hachaïchi qu'en raison de son goût prononcé pour le kif.
                 Indépendamment du bouri, certains fumeurs se servent de la petite pipe (sebissi) en terre rouge à petit fourneau, ressemblant absolument à la pipe provençale, et qui n'est bourrée ordinairement que de feuilles de chanvre, sans addition de Mâdjoune. Après un moment d'absorption de fumée de kif, l'on constate chez les Hachaïcha : un étourdissement, un ahurissement, une ivresse incroyables.

                 L'atmosphère surchargée des vapeurs enivrantes du hachich devient insupportable pour les profanes. Les fumeurs de kif sont alors en plein idéal, rêvant de l'au-delà avec ses joies futures, car pour eux, la vie réelle n'existe pas.
                 Maigres, décharnés, livides, dans un état de langueur indéfinissable, ils en sont arrivés, comme les fumeurs d'opium, à n'admettre que les sensations factices qu'ils se créent.
                 N'y a-t-il pas eu chez ces êtres, alors que leur cerveau n'était pas encore atrophié un lamentable raisonnement philosophique qui les a poussés ainsi au suicide de leur pensée, en leur faisant rechercher ce que Baudelaire appelait si justement " les paradis artificiels ".

                 Tout-à-coup, l'un d'eux mélomane se met à jouer lentement sur une petite flûte, les airs arabes connus ; ces airs nullement compliqués, constituent : en modulations simples, à mesure étrange et sur un court motif, revenant continuellement et dont la monotonie surprend d'abord, et gagne ensuite les oreilles européennes habituées : au brio, au rythme, à la mesure, au sentiment de notre belle musique.

                 Souvent aussi, à défaut de flûtiste un fumeur chante une mélopée triste, à, phrases musicales également d'une simplicité outrée : J'ai souhaité bon matin à celle dont les houes sont teintes de belles couleurs.
                 Mais elle n'a pas voulu accepter mes souhaits.
                 Celle qui a des membres si beaux, une taille si parfaite
                 C'est elle qui a causé ma blessure !
                 Blessé au siège du principe de la vie.
                 Je n'ai aucun ami qui compatisse à ma douleur
                 Et je reste comme un enfant couché dans le berceau,
                 Qui a soif, mais dont la mère est malade.
                 Un rossignol a fait entendre sa voix
                 Et a lancé les accents les plus touchants
                 Il t'a inspiré ainsi un amour irrésistible
                 Et te fait pleurer comme un jeune enfant.


                 Le chanteur est quelquefois accompagné par une petite guitare à deux cordes (guibri) pincée par un de ses collègues. Les sons retirés de cette guitare : en carapace de tortue sont très faibles et d'une douceur plutôt mélancolique.
                 Sous l'empire des senteurs du kif, dans l'extase la plus complète, et pendant que l'un d'eux augmente le concert en faisant résonner un verre à boire, à l'aide d'une petite cuillère en fer, tous les autres assistants, abrutis par le narcotique, suivent le rythme de la musique en frappant des mains et balançant mollement leur tête de droite à gauche.
                 De temps et temps pour manifester sa satisfaction, un des Hachaïcha pousse un cri guttural n'ayant rien d'humain et qui a le don de surexciter les exécutants.
                 Quelquefois aussi, un d'entre eux, les yeux hagards, la marche mal assurée se lève, en proie à une sorte de folie furieuse analogue à celle du delirium tremens et s'armant de ce qui lui tombe sous la main, couteau ou bâton, sort de la taverne, et sans avoir été provoqué, frappe à tort et à travers, blessant, tuant les passants indigènes ou autres qui se trouvent sur son passage !

                 La séance se prolonge fort avant la nuit, et les vapeurs ne cessent de s'échapper du bouri que lorsque les Hachaïcha : ce cerveau et les paupières alourdis s'allongent inertes sur la natte se laissant aller au rêve écrasant sous leur tête appesantie, le bouquet de jonquilles des champs qu'ils y avaient fixé le matin.

                 Le Hachaïchi met alors : un peu d'ordre dans son matériel, compte sa recette, s'allonge aussi à côté de ses fidèles clients puis laissant également errer sa pensée il contemple un instant, d'un œil éteint, les derniers nuages de fumée qui tourbillonnent encore dans la taverne, et s'endort lourdement anéanti.

Achille Robert. Les clochettes algériennes et tunisiennes (09-08-1903)


Féminisme musulman
Envoyé par M. Christian Graille

                 On ne perd jamais son temps à lire les journaux de Paris. Sans doute n'y rencontre-t-on pas les principes de toute science et ne s'y formerait-on guère l'esprit et le cœur, même dans l'étude la plus approfondie des assassinats de demi-mondaines et du dernier combat livré par l'armée apache.
                 Mais la vieille gaieté française fait dans le torrent de l'information à outrance des pêches miraculeuses.
                 C'est ainsi que la révolution est à nos portes. Elle va secouer le monde musulman, figé depuis tant de siècles dans son rigorisme fanatique et ses impénétrables mystères.
                 Il paraît en effet qu'on télégraphe de Constantinople que Mesdames les Mauresques ont décidé de quitter le voile, telles des Carmélites expulsées, et d'exhiber publiquement, aux yeux du peuple aussi laid que fort, ce que la pudeur coranique leur tenait jusqu'aujourd'hui hermétiquement caché : leur visage bien entendu.
*
* *

                 Le parti jeune turc exulte. Si la Fronde vivait encore, sa rédaction féminine.
                 Bas les masques !
                 Assez d'esclavage !
                 Guerre aux abus !
                 A mort les préjugés !
                 A nous le XXe siècle !


                 Voilà un des côtés, et non des moins charmants que la diplomatie européenne n'avait pas prévu dans la question d'Orient.
                 Réjouissons-nous en pensant que ce ne seront plus les navires de guerre qui marcheront toutes voiles dehors dans les parages de Stamboul, mais les ondoyantes sultanes aux charmes épanouis. S.M Abdul Hamid a dû sursauter sur son trône.
                 Grand prêtre musulman, successeur de Mahomet, gardien sévère des traditions religieuses, il voit tout d'un coup lever le rideau que quarante siècles ont pu contempler.
                 Le petit nez de Fatma troue de ses ailes frémissantes la plus grande page du Livre de Piété : le voilà passé au travers du parchemin respecté au-delà duquel jamais un visage pâle n'a encore osé lire. Notre Evangile a, pour les situations de ce genre, une formule qu'il convient d'appliquer : c'est l'abomination de la désolation. Il ne reste plus aux dames du harem qu'à se constituer en syndicat.
*
* *

                 Le féminisme prendrait-il le chemin de l'Orient ? Serions-nous débarrassés pour un temps de ses théories fadasses et lancinantes ?
                 hacun sait que la France étant le plus fertile, est essentiellement favorable aux germinations les plus abracadabrantes et aux éclosions les plus étranges, surtout dans le champ des idées.
                 Sans qu'aucuns de ses protagonistes les plus ardents eut jamais daigné en donner une définition approximative, le féminisme, à peine semé, a poussé dru comme l'herbe folle. Il a eu ses prêtresses, il aurait pu avoir ses martyres.

                 Les bas-bleus : ont infesté les rues, encombré les antichambres, empoisonné les cuisines.
                 Les femmes savantes qu'on aurait cru condamnées à mort et exécutées depuis Molière, se sont imaginées de ressusciter, glapissantes et vivaces.
                 Et les femmes qui n'étaient pas savantes, il en reste encore quelques-unes, emboîtèrent crânement le pas, de leurs petits pieds finement chaussés, faisant claquer les talons pour se donner du courage.
                 Les hommes toujours bons diables, cédèrent sur tous les points, donnèrent raison même lorsqu'elles pouvaient avoir tort, s'adoucirent de concessions en concessions. Disons le mot, ils furent conquis. Le moyen de faire autrement ?

                 Et puis, toutes les réclamations n'étaient pas présentées sur un ton suraigu ; souvent elles étaient délicatement insinuées dans la forme suppliante, avec accompagnement de mains jointes et de mines savamment composées.
                 Nos femmes ont donc à l'heure qu'il est les mêmes droits que les hommes.
                 Le seul qu'elles aient consenti à leur laisser, c'est celui de régler les notes de leurs couturières.
                 Quand elles auront obtenu la recherche de la paternité, ce qui arrivera un jour, elles feront les enfants toutes seules : elles sauront bien leur trouver un père après.
*
* *

                 Mais revenons à nos moutons, si ce terme n'est pas trop irrévérencieux dans un pareil sujet. Quand la mode sera définitivement implantée à Constantinople de sortir sans voile, ce qui ne tardera guère, les Mauresques d'Algérie ne voudront pas rester en arrière.
                 Elles n'oublient pas à l'occasion qu'elles sont restées, nonobstant la domination française, les sujettes respectueuses et soumises du Sultan Rouge.

                 Il leur faudra donc imiter en toute hâte les usages nouveaux pratiqués le long du Bosphore. C'est la révolution dans les douars. Hormis les négresses hors d'âge et les fillettes mendiantes, pas une femme n'est encore sortie dévoilée. Et pourtant ces poupées de linge savaient enflammer les cœurs musulmans d'irrésistibles passions de féroces jalousies.
                 Le jour où les minois décorés d'étoiles bleues aux tempes vont s'étaler sous notre grand soleil le jour où les trésors dissimulés depuis des siècles vont luire aux yeux de tous, ce sera fini de la tranquillité publique.

                 Le monde arabe danse sur un volcan, dirait M Prudhomme. La paix du foyer est à jamais troublée dans le gourbi le plus reculé et l'autorité incontesté du mari irrévocablement battue en brèche.
                 Madame Zohra se rendra à la promenade avec son ombrelle, elle ira écouter la musique des zouaves elle fera de la bicyclette. Le pittoresque n'y perdra rien.
*
* *

                 Je crois que les maris musulmans arriveront pourtant à enrayer ce mouvement révolutionnaire. Ils ont à leur service deux armes également redoutables. La première c'est le fanatisme étroit de la religion. Avec de bons sermons des muftis, les idées nouvelles expireront au seuil des mosquées.
                 Les femmes imbues de plus de superstition que de piété, répugneront à entrer en lutte contre leurs seigneurs, qui, eux, ont jalousement conservé l'intégralité de leurs droits.
                 Le mari est pour la femme arabe ce que le capitaine est pour son navire : maître après Dieu.
                 L'autre arme, plus directement menaçante, sera brandie par des mains solides : elles ne manqueront pas d'avoir un effet immédiat et radical.

                 Les matraques partiront tout seuls. Et je gage que nous continuerons longtemps encore à n'apercevoir, à la petite fenêtre des haïks, que les yeux de velours, alanguis par le koheul ...
Loys. Les clochettes algériennes et tunisienne (04-10-1903)


Le Juif pourri
Envoyé par M. Christian Graille

                 Qui ne connaît à Alger le Juif Pourri ?
                 Voulez-vous savoir où il se tient ?
                 Demandez-le au premier potache que vous rencontrerez sur votre chemin.
                 Il vous amènera à une espèce de soupente ou dessous d'escalier où le Juif Pourri (ainsi dénommé par, je ne sais quel caprice d'enfants) détient une petite boutique en plein vent et portative de papeterie, mercerie etc...
                 Le Juif Pourri établi là depuis quelques vingt ans, a ainsi trouvé le moyen de ne payer qu'un loyer relatif de 15 à 20 francs par mois, alors que les magasins d'à côté paient un prix exorbitant.
                 On trouve chez lui : du papier à lettre bien blanc avec enveloppes de toutes dimensions, ainsi que du papier de luxe ou de deuil, des plumes de toute qualité, chaque genre en sa boîte spéciale, des agendas, de l'encre de toutes les couleurs, des carnets, des crayons, des règles, des cartables, des sous-mains et tous autres articles d'écoliers.

                 A côté sont également mis en vente : des cure-dents, des boutons de manchette, des porte-monnaie remplis .... d'ouate, de pinceaux à barbe, des caleçons de bain etc... Il n'y manque plus guère que di bas i di soussettes, pour en faire un petit bazar universel.
                 Le maître de céans, de haute taille légèrement voûté et réfractaire à la civilisation française, porte encore le fez et le turban ainsi que le costume indigène des enfants d'Israël.
                 Il est en outre possesseur d'un nez superbe qui rendrait des points en grosseur, rougeur et acuité au nez musical d'Octave Camuzot de la Guêpe ou à celui d'un Cyrano de Bergerac.

                 Ce nez, tel un mur infranchissable, parage en deux parties égales un visage glabre, émacié et rend son propriétaire connaissable de fort loin.
                 Le Juif Pourri débite sa marchandise d'une voix nasillarde, toujours serviable et affable envers ses clients, le plus souvent des enfants qu'il sait attirer à lui en leur donnant toujours par-dessus le marché de ce qu'ils achètent, un bec qu'ils choisissent eux-mêmes comme le " moutchou " donne une figue ou une datte ceux qui vont acheter chez lui.

                 Pendant les moments de répit, à l'heure où le soleil se trouve être au zénith, et où la vente ne donne pas autant, il est loisible de voir le Juif Pourri et un de ses coreligionnaires du même âge que lui, assis chacun sur un escabeau, formant vis-à-vis, et jouant à un jeu de cartes graisseuses, sur une planchette placée sur leurs genoux rugueux et qui leur sert de table.
                 Par terre sont deux petites tasses de café maure, à moitié vidées.
                 Tous deux sont complètement absorbés par le jeu ; leurs yeux gris de fouine se cherchent et s'étudient réciproquement en silence et leurs doigts osseux, rendent un son creux en retombant sur la planchette, accompagnés de la carte.
                 On les entend de temps à autre proférer de petits cris aigres et stridents : c'est quand l'un des deux compères cherche à " la faire " à l'autre et que partenaire s'en aperçoit.

                 Pour les initiés seulement le Juif Pourri vend aussi d'autres petits articles d'origine anglaise, dit-on, qui ne sont pas d'écoliers ceux-là, et qui ont été inventés pour le soulagement de l'humanité souffrante.
                 Mais bast ! Pas d'indiscrétions.
                 Disons seulement que pour le Juif Pourri tout ce qui se rapporte à l'argent est bon à vendre.

Jacques Terzualli. Les clochettes algériennes et tunisiennes (05-04-1903)


MON PAYS MONSIEUR........
Envoyé par Annie

         Mon pays monsieur c'était le chant des cigales qui, ivres de chaleur dans les grands chênes lièges, lançaient leurs chants stridents qui montaient vers le soleil qui faisaient retomber ses rayons en une myriade d'étoiles venant miroiter à la surface de la mer bleue.!!

         Mon pays monsieur c'était le délicat parfum des orangers en fleurs qui venait se mêler à celui des figuiers formant une symphonie olfactive à nulle autre pareille !!!

         Mon pays monsieur c'était une explosion de couleurs qui auraient fait d'un simple peintre un artiste de talent !!!

         Mon pays monsieur c'étaient les rires, les cris de joies des familles qui pique-niquaient sous les grands pins avant que la grande faucheuse ne vienne accomplir sa sale besogne !!!

         Mon pays monsieur c'étaient les cloches qui carillonnaient pour les messes, les baptêmes, les communions et toutes les fêtes qui rythmaient notre vie et qui hélas bien souvent se transformaient en un lugubre glas accompagnant la malheureuse victime d'un attentat !

         Mon pays monsieur c'était un petit gars aux cheveux blonds tombé les bras en croix dans un oueds desséché, c'était cet officier tombé sous les balles d'un peloton d'exécution c'était mon camarde Gonzague âgé de 14 ans égorgé par les fellaghas, c'était mon camarade Noël, 15 ans , assassiné par un officier français .....!

         Mon pays monsieur c'était. non ce n'est plus rien !!! Ce ne sont que des souvenirs à jamais gravés dans ma tète et que la mer n'a pas réussi à engloutir, que le temps n'arrive pas à effacer !

         Et tant que je vivrais monsieur tout ceci restera à jamais gravé dans ma mémoire jusqu'à mon dernier souffle. Car ce pays monsieur c'était ............... l'ALGERIE

Jacques Huver.




Le Sahel d'Alger
Envoyé par M. Christian Graille

                 Long de trente kilomètres, large de vingt, le Sahel d'Alger est ce riant ensemble de collines aux pentes adoucies, disposées en rides parallèles au bord de la mer qui se trouve entre l'Oued-el-Harrach et l'Oued Mazafran.
                 C'est l'écrin vert en charmant qui enchâsse ce bijou blanc et or : Alger.
                 Sur ses trente-cinq kilomètres de développement s'échelonnent, au long de la Méditerranée les opulents villages de : Castiglione ; Zéralda ; Sidi-Ferruch ; Alger ; Guyotville ; Maison-Carrée

                 A l'intérieur : Bouzaréa ; El-Biar ; Kouba ; Chéragas ; Dély-Ibrahim ; El Achour ; Birmandrëis ; Birkadem ; Staouéli ; Draria ; Saoula ; Crescia et Douéra étendent dans tout le massif la grande banlieue de la capitale, jusqu'à la plaine opulente de la Mitidja.
                 Ce Sahel : tout coupé de bois ombreux, d'eaux courantes, de frais vallons parmi de vastes cultures où le vignoble domine, est de toute l'Algérie la région la plus prospère.
                 Au milieu des sites agréables que ménagent les mouvements gracieux du sol, les bourgs sont nombreux et des domaines fort bien tenus, depuis la modeste ferme du colon jusqu'aux énormes exploitations industrialisées y témoignent d'une colonisation florissante.

                 L'altitude du massif est faible, son mont le plus élevé, celui de la Bouzaréa, surplombe Alger de 407 mètres et du village tout moderne qui le couronne, observatoire merveilleusement situé, la vue embrasse un espace immense ; de mer ; de plaines ; de montagnes.

                 Dans ce magnifique paysage coloré par les chaudes nuances africaines, s'encadrent les villages agricoles, épars sur les collines proches, les ravins abrupts qui descendent : vers la Pointe Pescade ; vers la capitale et vers Sidi-Ferruch.

                 Enfin la ville elle-même, aux pieds mêmes du mont ; mollement étalée au bord de la mer bleue : avec sa couronne de villas blanches et roses de jardins fleuris de bois vert sombre où fusent le panache des palmiers.
                 La corniche maritime, bordure du Sahel, s'étend à l'Est et à l'Ouest d'Alger.
                 Elle pare de ses paysages jolis la grâce des flots méditerranéens.
                 Habitat privilégié de la culture des primeurs, elle est découpée en parcelles étroitement mesurées partout où la roche fait place à la terre végétale.
                 Sur les falaises échelonnées en immenses escaliers de pierres sèches, l'espace cultivable est, jusqu'à la hauteur de Chéragas et de Staouéli : aussi convoité, aussi disputé, soigneusement aménagé.
                 En arrière de cette corniche, l'intérieur plus élevé, plus exposé aux froids courts mais vifs de l'hiver ne se prête plus à la culture des primeurs.
                 C'est le domaine par excellence de la vigne accessoirement celui des céréales et même, dans certaines de ses parties, celui de l'élevage.

                 Depuis longtemps les indigènes y ont fait place aux colons et dans ce pays essentiellement agricole, où les raïs turcs possédaient de somptueuses maisons de plaisance, on ne rencontre plus, entre les villas modernes de Mustapha et la petite ville de Douéra, naguère encore poste avancé du Sahel, aux temps difficiles de la lutte contre les pillards hadjoutes, que des exploitations européennes du Sahel.

                 Plus loin encore au Sud-Ouest, Koléa et Douéra étagent sur les rebords de la coupure de l'Oued Mazafran, leurs coteaux aux pentes molles, couvertes de vignobles et d'orangers.
                 Puis le prolongement oriental du Sahel se resserre en une mince crête côtière, démesurément étirée jusqu'à Cherchell.
                 La plaine de la Mitidja la borde au Sud et c'est sur cet isthme étroit fait de collines, qu'on trouve le mausolée des Syphax, baptisé tombeau de la chrétienne, et Ténès antique colonie phénicienne.
                 Enfin Cherchell qui fut Caesarea, capitale de Juba-le-Jeune aux temps lointains de la domination romaine.
                 Pour explorer le Sahel, banlieue charmante d'un charmant lieu de séjour, le villégiateur qui séjourne dans la capitale ou dans ses environs immédiats n'a que l'embarras du choix :
                 Routes ; chemins de fer dont certaines, extrêmement importantes, mesurent la haute valeur économique ; autobus, s'offrent à lui dans toutes les directions.

                 Mais la première excursion qui s'impose, celle qui permet le mieux de goûter la grâce des campagnes algéroises, c'est le court voyage d'Alger à Castiglione et à Koléa, avec retour par l'intérieur.
                 Elle permet aussi de parcourir dans toute son étendue la côte des primeurs.
                 Sur cette côte, la production des fruits, et surtout des légumes, se pratique principalement à l'Est et à l'Ouest de la capitale, de Courbet (zamori), non loin de l'embouchure de l'Isser, à Bérard, entre Castiglione et Tipaza.
                 C'est la ceinture dorée de l'Algérie, une de ses régions les plus prospères.
Victor Soyer.
(Extraits du Bulletin Officiel du Touring Club de Belgique.)



Le paludisme
Envoyé par M. Christian Graille

                 Tout le monde connaît de nom le paludisme ; il sévit en Italie sous le nom de malaria ; certaines régions de ce pays sont absolument inhabitables ; il se trouve des gares de chemins de fer où il faut remplacer les ouvriers tous les trois mois.
                 La côte orientale de la Corse est désolée par le paludisme, les villages sont abandonnés pendant l'été, la population émigre dans la montagne.

                 En Algérie le paludisme a fait autrefois de nombreuses victimes et en fait encore à l'heure actuelle.
                 A Boufarik des générations entières ont disparu, tuées par le paludisme.
                 Le paludisme, c'est la fièvre des marais qui affecte des formes plus ou moins violentes depuis l'accès de fièvre ordinaire qui se contente de nous indisposer jusqu'à l'accès de fièvre pernicieuse qui emporte sa victime en quelques heures.
                 Autrefois on ne savait quelle explication fournir ; quand on avait dit que le miasme paludéen produisait la fièvre, on était au bout de son rouleau.

                 On connaissait le mal on savait qu'il ne se produisait que dans les endroits humides, on savait même comment le combattre avec le remède spécifique qui avait été découvert en Amérique, la quinine ; on était en plein domaine de l'empirisme. Aujourd'hui tout est expliqué ; on connaît la cause de la fièvre et l'on peut, si l'on veut s'en donner la peine, s'en préserver à coup sûr.
                 L'expérience a été faite : des gens se sont rendus dans des pays affectés de paludisme où tout le monde avait la fièvre et où de nombreuses victimes payaient chaque jour leur tribut à la maladie ; ils ont pris les précautions qui vont être indiquées et, après un séjour prolongé, ont pu se retirer sans avoir été touché par le fléau.

                 La fièvre des marais est une maladie microbienne.
                 Il y a plus de vingt ans que le docteur Laveran découvrit le microbe d'un fiévreux à Constantine, mais on ne savait pas comment il était venu.
                 Était-ce par la respiration ?
                 Le microbe pénétrait-il avec l'air dans les poumons ?
                 Était-ce par l'absorption d'eaux contaminées ?
                 On ne retrouvait le microbe ni dans l'air, ni dans l'eau.
                 Le Dr Laveran émit le premier l'hypothèse que les moustiques toujours abondants dans les lieux marécageux devaient inoculer le mal à l'homme.

                 Un médecin anglais de l'armée des Indes travailla sur cette supposition, disséqua les estomacs de moustiques, s'inocula lui-même la fièvre en se faisant piquer par un moustique contaminé et mit hors de doute les faits suivants qui furent confirmés par des études d'autres savants en sont actuellement des faits acquis.
                 1° La fièvre paludéenne se produit chez l'homme sain à la suite d'une piqûre du moustique.

                 2° Parmi les nombreuses espèces de moustiques, une seule appelée anophèle jouit de cette curieuse propriété ; cet insecte ne pique jamais pendant le jour, mais seulement pendant la nuit.

                 L'anophèle a fait simplement le transfert du contaminé de l'homme malade à l'homme sain.
                 En ce cas une inoculation de sang contaminé au moyen d'une lancette déterminera la fièvre. L'expérience a prouvé qu'il n'en était pas ainsi.
                 Le microbe évolue dans l'estomac des moustiques ; cette évolution dure une quinzaine de jours, et ce n'est qu'après que le moustique peut, par une piqûre, transmettre à l'homme sain le microbe du paludisme.
                 Il se passe là quelque chose de comparable à la production du ver solitaire chez l'homme.

                 4° La cause du mal étant connue, il s'agit simplement pour l'éviter, de se préserver des piqûres de moustiques pendant la nuit. La cause du mal était connue, il s'agit tout simplement pour l'éviter, de se préserver des piqûres de moustiques pendant la nuit. Cela a été fait pour des gares de l'Est, en fermant toutes les issues, cheminées comprises, au moyen de toiles métalliques à réseau assez fin pour ne pas laisser passer l'anophèle.
                 On peut se préserver individuellement en mettant des gants, puis une sorte de voile analogue à ceux employés par les éleveurs d'abeilles.

                 5° La quinine est le remède spécifique contre le paludisme, et il y a lieu dans les pays malsains de chercher à se préserver du paludisme par l'absorption quotidienne de quinine.

                 6° On diminuera le paludisme en diminuant le nombre des anophèles et comme ceux-ci ne se reproduisent que dans les mares, étangs, flaques d'eau, on diminuera les chances de contamination en supprimant autant que possible toutes les eaux stagnantes.

                 7° On détruira les larves d'anophèles au moyen de pétrole versé à la surface des eaux stagnantes.
                 Tels sont les faits aujourd'hui bien connus qui permettent de lutter avec succès de lutter contre le paludisme.
                 Il est permis d'affirmer qu'avec les précautions indiquées, on peut préserver du mal des groupements d'hommes et se préserver individuellement.
Ch. Gauthier. Les clochettes algériennes et tunisiennes (05-07-1903)


Le lazaret de Mers-el-Kébir
Envoyé par M. Christian Graille

                 Il est probable qu'aujourd'hui ou demain une bonne partie des passagers actuellement à bord des bâtiments en quarantaine, pourront être installés au lazaret.
                  Le lazaret que nous avons visité ces jours-ci, alors que tous les préparatifs étaient sur le point d'être terminés, nous a paru répondre à toutes les conditions voulues, du moins relativement aux ressources de temps et d'argent dont on pouvait disposer.
                  Il est établi dans la partie du fort de Mers-el-Kébir qui regarde Oran, l'autre partie du fort reste affectée aux ateliers des condamnés et aux bureaux.

                  Les zouaves campent derrière le fort, à environ une centaine de mètres de la grande porte d'entrée. L'entrée du lazaret se trouve sur la mer.
                  En descendant des embarcations, les passagers passeront près de la salle de désinfection et non loin d'un bâtiment commode, destiné à recevoir ceux chez lesquels il sera constaté une affection suspecte, pouvant donner lieu à des craintes. Un escalier assez élevé conduit dans le fort.
                  Arrivés là, les passagers seront installés, ceux des premières et secondes, dans une vaste chambre où chaque personne aura son lit.
                  Dans le réfectoire également commun, il y a un piano ; les quarantenaires auront exactement de la nourriture du bord, au même prix et avec la faculté de choisir plus facilement.
                  Les passagers de troisième et de quatrième auront également leur réfectoire et leur salle à manger.

                  Les militaires et ceux qu'on aurait pour mettre à part, seront placés dans une longue pièce destinée aux prisonniers ; ils auront une couche avec une paillasse. Si des paquebots amènent des prisonniers, ils seront mis dans une autre pièce et enfermés au besoin.
                  Les dames auront leurs chambres séparées. En outre un local spécial est réservé pour celles qui voyageraient seules.
                  Autour des bâtiments, il y a suffisamment d'espace pour quelques passagers puissent se promener et se réunir. Des jeux et des distractions de toutes sortes seront à leur disposition.

                  Le lazaret est séparé des prisonniers par une haute palissade seulement, mais derrière cette palissade est une cour dans laquelle il ne sera pas permis aux prisonniers de se promener.
                  On sait d'ailleurs que quand un prisonnier sort, il est accompagné d'uns sous-officier et ne peut que le suivre. De ce côté donc, point de contact à craindre.
                  Pour le parloir, mêmes précautions, une barrière à claire-voie ne pourra être dépassée par les quarantenaires.
                  A dix mètres environ de cette barrière se trouve une cloison avec des guichets par lesquels les visiteurs pourront voir leurs amis et leur causer.

                  Le lazaret sera relié à Oran par le téléphone.
                  Il existe encore au milieu du lazaret, une dizaine de logements composés de trois ou quatre pièces qui seront mis à la disposition des familles qui en feraient la demande.
                  Les familles ainsi logées, pourraient se faire servir chez elles, même par leurs domestiques. On le voit toutes les précautions semblent prises.

                  Un bassin est installé pour l'approvisionnement ; le lessivage et le blanchissage seront faits sur place etc.
                  Espérons que dans ces conditions, nous n'aurons pas le choléra en ville, ni même au lazaret. Si cependant un cas se produisait le malade serait immédiatement transporté à l'hôpital entre Saint-André et Roseville.

L'Indépendant de Mascara (24-07-1884)


Printemps
Envoyé par Mme Marquet


       Tandis qu’à leurs œuvres perverses,
       Les hommes courent, haletants,
       Mars, qui rit malgré les averses,
       Prépare en secret le printemps.

         Pour les petites pâquerettes,
       Sournoisement, lorsque tout dort,
       Il repasse les collerettes,
       Et cisèle les boutons d’or.

         Puis, lorsque sa besogne est faite,
       Et que son règne va finir,
       Au seuil d’avril, tournant la tête
       Il dit : « Printemps, tu peux venir !».
      
Théophile Gautier          





Hygiène du colon en Algérie
Envoyé par M. Christian Graille

                 En même temps qu'il appelle l'émigration vers l'Algérie, le gouvernement général de la colonie lui prépare les premiers éléments du succès en choisissant l'emplacement des localités à peupler, en garantissant de son mieux l'installation des colons dans de bonnes conditions de salubrité.
                 Mais cela ne suffit pas : il faut qu'une fois en possession de ses terres, le colon contribue de lui-même, par ses propres efforts à son acclimatement, à celui de sa famille, en observant toutes les précautions d'hygiène nécessitées par le changement de climat et les circonstances toutes nouvelles au milieu desquelles il vient s'établir.

                 Selon qu'il dirige sa santé : par le régime, par les habitudes, par sa prévoyance, le colon tient donc entre les mains le succès de : son entreprise, son existence, celle de ses enfants et jusqu'à l'avenir de la colonisation algérienne à laquelle il vient travailler.

                 Il dépend, en effet : de sa volonté, de son intelligence, de sa conduite de tirer bon parti des facilités de tous genres dont l'administration a considéré comme un devoir sacré d'entourer ses débuts.
                 Quand l'Européen du Nord met le pied en Algérie, il est d'abord frappé par l'étrangeté du pays qu'il va habiter.
                 La végétation est luxuriante et toute particulière, l'habitation et toute particulière, la lumière éclatante les saisons sont réduites à deux, celles des pluies et celles des chaleurs.

                 Les Arabes auprès desquels on va vivre ont des mœurs et des coutumes à eux.
                 L'histoire des premières années de l'occupation algérienne démontre le danger des défrichements entrepris ou continués dans la saison des chaleurs.
                 Il faut encore l'oubli des dessèchements d'endroits marécageux ; des eaux stagnantes ; l'incurie de leur écoulement dans des fossés convenablement entretenus l'inaptitude de bon nombre d'émigrants à la profession agricole ; le manque de ressources pécuniaires suffisantes en attendant le placement sur les concessions, etc.

                 Nous signalons surtout l'habitation dans des lieux : bas humides rapprochés des rivières où l'eau n'est pas toujours courante ; l'abandon trop fréquent de la culture pour l'exploitation de débits de boissons sur les chemins de communication ; les déceptions et la misère qu'amènent trop souvent les reprises d'hostilités ; les chômages qui succèdent aux bénéfices du passage des colonnes expéditionnaires, etc.
                 Enfin les difficultés de l'acclimatation contrariée par tant de causes nuisibles, la négligence de l'hygiène la plus élémentaire, surtout les abus de l'absinthe, et cent autres fautes ou imprudences personnelles.

                 Les prescriptions du gouvernement général concernant les meilleures conditions d'immigration, sous le rapport : de l'âge, des ressources, de l'époque du voyage, depuis l'institution des médecins de colonisation dans presque tous les centres nouvellement créés, depuis qu'on a multiplié les bonnes voies de communication, etc. , la mortalité a progressivement diminué, la possibilité et la facilité de l'acclimatation des Européens sont devenues évidentes.

                 La meilleure époque de débarquement en Algérie comprend l'automne jusqu'à la fin du printemps.
                 Pendant cette période la température se maintient assez fraîche, à cause surtout des pluies intermittentes ; le passage d'Europe à celui d'Algérie est alors bien moins sensible que si l'arrivée se faisait au milieu des quatre mois de grande chaleur pendant lesquels le remuement des terres devient non seulement difficile mais dangereux.
                 Si le colon a le choix de son terrain, qu'il s'établisse de préférence sur les hauteurs.
                 Qu'il craigne les vallées chaudes et humides, les lieux encaissés où règnent les brouillards intenses. Il ne faut jamais s'installer sur des terres vierges non défrichées.

                 Le colon ne doit pas perdre de vue que l'eau stagnante est son plus mortel ennemi pendant les chaleurs.
                 Les fossés, dont le besoin de la défense lui font parfois entourer sa demeure, manquent souvent d'un écoulement suffisant pour les eaux pluviales et autres.
                 C'est là un danger. Mieux vaut remplacer ce mode de protection par des haies vives et impénétrables de cactus, ou plus tard par des murailles.
                 A plus forte raison, doit-il s'éloigner des rivières car en Afrique les cours d'eau, qui forment en hiver des courants torrentiels sujets aux débordements, deviennent en été des marais desséchés, foyers pestilentiels de fièvres rebelles.

                 Les alentours des demeures seront sévèrement surveillés au point de vue de la propreté ; les colons ont la funeste habitude d'y accumuler du fumier, des débris végétaux, des épluchures, d'y jeter des eaux grasses, d'y vider des eaux ménagères, quelquefois même les vases de nuit.
                 Aux premières chaleurs ces matières entrent en fermentation, infectent l'atmosphère, prédisposent ainsi aux maux de ventre, aux flux de sang, aux fièvres.

                 Il sera nécessaire de surélever le rez-de-chaussée d'un premier étage dans lequel seront disposés des chambres à coucher pour toute la famille.
                 Le nombre de ces pièces devra être proportionné à l'âge et au sexe des habitants, de telle sorte que la même chambre ne serve pas à trop de monde et que pour les enfants déjà grands, les filles et les garçons soient séparés.
                 Les fenêtres des chambres doivent s'ouvrir, pour la plupart, à l'Est, quelques-unes au Nord et toujours du côté des vents sains et dominant dans la localité. Chaque pièce possèdera des conduits de cheminée, ou, à leur défaut, des ventilateurs ou ventouses, par lesquelles l'air se renouvellera toujours et facilement.
                 On établira écuries et les latrines dans un corps de bâtiment séparé de l'habitation, et on tiendra habituellement fermées les ouvertures des fosses.
                 On entourera la maison de plantations d'arbres.
                 La verdure purifie l'air, le rafraîchit, réjouit l'œil ; les haies et les rideaux d'arbustes produisent de l'ombrage, garantissent de la forte chaleur, de la poussière et aussi de la violence du vent ; les arbres à essence et à feuillage persistants, les pins, les eucalyptus devront être préférés.

                 Une maison ne peut guère être habitée dans les premiers six mois de sa construction : ce n'est généralement pas trop d'une saison complète des grandes chaleurs pour enlever toute trace d'humidité.
                 Le changement de climat produit par l'émigration détermine, le plus souvent, des troubles plus ou moins intenses, des dérangements de l'état ordinaire de la santé. Il est facile en obéissant scrupuleusement à quelques précautions, à certains conseils de prudence, de prévenir, d'amoindrir tout au moins, les fâcheux effets de ces influences.

                 Dans le climat algérien, il y a à considérer principalement la chaleur et l'humidité de l'air, l'une et l'autre sujettes à des variations assez brusques et fréquentes.
                 Il en résulte, pour les fonctions et la susceptibilité de la peau et de l'intestin, des perturbations assez constantes.
                 Aussi, dès le débarquement, le colon doit s'habituer à porter de la flanelle, couvrant entièrement la poitrine et le ventre.
                 La ceinture de laine en usage dans l'armée, ou mieux encore la longue ceinture arabe a le double avantage de préserver l'abdomen et en même temps de soutenir les vêtements autour des reins.

                 Il convient de prescrire absolument la toile comme linge de corps : si la flanelle ne peut être tolérée sur la peau, on la portera par-dessus des chemises en tissu de coton. L'usage permanent du caleçon est indispensable pour les deux sexes.
                 Les hommes doivent porter le pantalon de drap léger en été, celui de toile s'imbibe trop facilement de la sueur et expose à des refroidissements dangereux.
                 L'emploi du bas ou, chaussettes en coton, ou en laine est de rigueur.

                 Pour coiffure, le chapeau sera élevé, à larges bords, avec ventouses latérales et mieux au fond, afin de renouveler constamment la couche d'air qui baigne le sommet de la tête.
                 Comme couleur, la coiffure pourra être en feutre noir-gris l'hiver, en paille blanche l'été. Pour protéger : la tête et le cou, les yeux et les oreilles contre une lumière éclatante et directe, il convient d'adopter, pendant la saison chaude, l'usage du couvre-nuque, sorte de coiffe en coton blanc qui flotte autour du crâne et retombe sur les épaules ainsi que sur les faces latérales du visage.
                 Bien se garder de travailler ou d'aller au soleil la tête nue.

                 Jamais de vêtements ni de liens serrés autour ; du crâne, du cou, de la poitrine ; aussi le col de la chemise doit être large et la cravate légère et peu épaisse.
                 Une fois le colon rentré au logis, en été, il doit craindre le refroidissement résultant du passage de l'air chaud à un air plus : Calme, Frais, souvent humide.

                 Il fera bien de changer, dans son vêtement toutes les pièces qui seraient imbibées de transpiration et de se couvrir soit avec un burnous arabe soit avec une blouse en laine à manches (vareuse) et à capuchon. Sous aucun prétexte, même par les plus fortes chaleurs il ne doit se mettre " trop à nu."
                 Il n'y a rien à dire de particulier sous le rapport de l'habillement des femmes, si ce n'est que dans la forme et la légèreté des vêtements, elles ne cèderont pas à la tentation, par une température élevée, de se découvrir d'une façon exagérée et imprudente, surtout les épaules et le cou, ce qui les expose : aux névralgies, aux douleurs rhumatismales, aux coups de soleil.

                 Les matelas et oreillers de plumes et de laine seront évités : on les remplacera avantageusement par le crin végétal.
                 Les draps de toile valent mieux que les draps de coton.
                 En raison de la température, il faut éviter de se surcharger de couvertures et proscrire absolument les édredons.
                 Dans les vêtements préférer les couleurs claires parce qu'elles absorbent moins la chaleur solaire et les miasmes.
                 Les soins de la peau sont beaucoup trop négligés par les colons. Il ne suffit pas de changer de linge au moins deux fois par semaine, il est regrettable qu'ils ne prennent point l'habitude des grands bains d'été, soit à domicile, soit dans les rivières, soit dans la mer.
                 Ces lavages rapides ont pour avantage : de rafraîchir la peau fatiguée par la sueur du travail, de diminuer considérablement la soif et les démangeaisons entretenues par les dépôts de transpiration, de délasser les membres fatigués et de prévenir les indispositions intestinales.

                 Les bains de mer, quelque peu prolongés ont l'inconvénient de déterminer une éruption accompagnée de démangeaisons fort désagréables appelées improprement " gale bédouine. " Les nuits étant généralement fraîches et humides, le colon doit être suffisamment couvert au lit et ne jamais, même en été, coucher avec les croisées ouvertes, imprudence qui occasionne des maux d'yeux ou d'oreilles des courbatures etc.
                 Les petits enfants, surtout, seront soumis à des lavages à grande eau tiède, chaque matin les nouveau-nés seront, de très bonne heure, accoutumés à l'usage des bains entiers, tièdes l'hiver, froids l'été.
                 Le colon ne doit jamais se rendre à jeun au travail des champs : il prendra du pain avec le café ou le thé ou un demi-verre de vin, soit une infusion amère.

                 L'abondance des fruits acidulés du pays exige une extrême prudence ; soit pour calmer la soif ardente dans les premiers temps, soit parce qu'ils cèdent à la gourmandise qu'éveillent ces produits délicieux, les immigrants ne tardent pas à ingurgités des quantités assez démesurées pour déterminer : des indigestions, des diarrhées rebelles, la fièvre, l'affaiblissement général.
                 Certes le fruit bien mûr est avantageux, mais à la condition qu'on en mange modérément. Cette recommandation s'applique surtout aux oranges et aux figues de barbarie.
                 Il en est de même des aliments épicés : Ail, piments, salaisons ; sous l'influence de ces substances excitantes, peu nourrissantes les forces dépensées ne sont pas réparées et l'intestin devient sujet aux indispositions.
                 La charcuterie, les chairs fumées ne conviennent que l'hiver et encore dans une faible proportion.
                 Le pot au feu avec de la viande fraîche est nécessaire à l'agriculteur au moins deux fois par semaine ; la volaille, le poisson, les œufs, entreront dans la nourriture de chaque jour ainsi que les légumes frais.

                 Avec le café noir on aura un excellent déjeuner du matin ; on peut l'additionner de lait selon les goûts mais il devient alors d'une digestion moins facile.
                 Il est encore avantageux de faire suivre le déjeuner de midi d'une infusion de café ou de thé surtout dans les localités basses et humides.
                 L'alimentation des enfants mérite une attention particulière.

                 L'élève au biberon paraît moins bien réussir qu'en Europe ; au lait de la mère il faudra adjoindre des aliments de facile digestion : Fécules, Œufs, Chocolat, café.
                 La poussée des dents pendant la saison hivernale n'offre rien de particulier, mais en été, les chaleurs, parfois fatigantes, influent sur les voies digestives du nourrisson et déterminent : des diarrhées, des dysenterie, de la fièvre.
                 Pour la boisson et la préparation des aliments une eau doit être : Limpide, Incolore, inodore et sans saveur.

                 Les eaux de source montagneuses sont très fraîches et dans certains états maladifs : rhumes, diarrhées, fièvre ou de santé, transpiration, l'usage n'en est pas sans quelque danger.
                 Les eaux de neige et de glace utilisées sur les hauts plateaux sont difficiles à digérer et on les accuse de produire des goitres.
                 Les eaux de puits sont généralement calcaires et difficiles à digérer.
                 L'eau pure fraîche étanche la soif : coupée avec un tiers de vin au repas ou aiguisée d'un vingtième de bonne eau-de-vie pour le travail des champs, elle constitue une boisson tonique et salubre.

                 La bière est une boisson très saine mais peut-être d'un prix un peu élevé en Algérie.
                 Quant aux eaux-de-vie, aux spiritueux, aux préparations alcooliques, cognac, rhum, absinthe, kirsch, genièvre, curaçao, marasquin, anisette l'usage à jeun en doit être sévèrement évité.

                 Outre la chaleur et l'humidité qui caractérise particulièrement l'air algérien, il faut lui reconnaître également une assez grande mobilité marquée par des variations brusques et instantanées plusieurs fois dans le même jour.
                 Le colon doit se mettre en garde contre ces fréquentes mutations dans la température dont les effets ordinaires se traduisent par : des refroidissements faciles, des douleurs rhumatismales, des maux de gorge, des coliques etc.

                 Les vêtements de laine (drap, flanelle) sont donc bien d'une absolue et constante nécessité. Vers la fin de l'été, surtout en septembre et en octobre, souffle par intervalles le siroco (vent du désert) chargé de fines poussières et assez brûlant pour : racornir les feuilles des végétaux, sécher la gorge et la peau du visage, irriter les yeux et le système nerveux.
                 A ce moment, la prudence exige que le colon s'enferme chez lui : toute marche tout travail sous le règne de ce vent de feu détermineraient des accidents (asphyxies, délire) ainsi qu'on l'a maintes fois constaté chez les militaires en expédition.

                 L'air très pur est principalement nécessaire aux nouveaux nés : aussi leur berceau à claire-voie doit être suffisamment élevé au-dessus du sol, placé dans un endroit aéré de la chambre. Une simple mousseline l'entourera la nuit pour que les moustiques n'y pénètrent pas.
                 Dès que l'enfant commencera à marcher, on lui fera prendre ses ébats au grand air, sur une natte ou une couverture, dans un endroit bien abrité.
                 Les jeunes enfants sont très sensibles aux variations de température, surtout à l'humidité ; c'est une mauvaise habitude de les laisser jouer, à la tombée de la nuit, dans la cour et aux abords de la ferme.

                 Les travaux agricoles qui ont pour but de remuer profondément le sol, tels que : Fossés, d'écoulement, canaux de dérivation, opérations de dessèchements doivent être entrepris en automne sitôt après les premières pluies.
                 Dès que les chaleurs arrivent (mai, juin) la sécheresse et la terre et l'abondance des émanations qui s'échappent de ses larges crevasses, des bords des fonds vaseux des marécages des embouchures de cours d'eau, exigent impérieusement que l'on cesse tout travail de ces terrains : en effet les maladies dominantes chez les ouvriers sont celles du foie et du cerveau..

                 Malgré cet éloignement nécessaire de pareils foyers pestilentiels le colon ne restera pas inactif : la fabrication des tuiles, des briques, l'extraction de la pierre, la préparation des bois de charpente et de menuiserie, le transport des matériaux nécessaires aux constructions privées ou publiques les détails minutieux des amélioration de l'habitation et de ses dépendances sauront occuper utilement ses loisirs.
                 Toutefois, la journée ouvrière au grand air ne commencera qu'après que le soleil levant aura dissipé les brouillards du matin ; elle sera terminée avant la chute complète du jour.
                 Ne pas oublier qu'en Algérie il n'y a point de crépuscule ; par conséquent le passage du chaud au froid, du froid au chaud, le matin et le soir se prononcent très brusquement et les refroidissements de l'atmosphère au coucher du soleil sont des plus funestes quand on ne s'est pas hâté de rentrer au logis.
                 Le climat algérien est, en raison de sa température, généralement assez élevée énervant et affaiblissant.
                 Le colon doit donc proportionner à ses propres forces les fatigues de son travail journalier, notamment en été.
                 Le cultivateur aura besoin de rester chez lui durant le milieu du jour et juin à septembre pour s'y livrer à de petites occupations d'intérieur.

                 Bien des ouvriers agricoles, par exemple les moissonneurs, ont la coutume de passer la méridienne en plein air, le plus souvent sur le lieu même de leur travail sur le sol plus ou moins humide sur des bottes de foin ou sous les arbres les arbustes (lauriers-roses) du voisinage; ce sont là de mauvaises pratiques qui exposent : aux névralgies rhumatismales, aux fièvres, aux douleurs de reins etc.
                 Ils doivent, pendant la suspension forcée du travail, se reposer suffisamment couverts sous des tentes dans des baraques en planches dressées sur des éminences et à quelque distance des champs et des végétaux à forte émanations.
                 Cette précaution est à plus forte raison indispensable si le travailleur doit passer la nuit dehors.

                 Tout ce qui vient d'être dit concernant la nécessité d'un travail bien réglé proportionné avec les forces individuelles aura pour effet de les ménager et d'en prévenir la perte avant l'âge.
                 Il s'applique surtout aux femmes qui, en raison de leur sensibilité plus grande, sont plus affectées par le climat et ont en outre à supporter les fatigues domestiques et sexuelles de toute nature.
                 Quant aux jeunes gens qui font de bonne heure l'apprentissage d'une industrie ou des travaux agricoles, leur labeur doit être en rapport non pas avec la taille que le climat algérien développe prématurément mais avec la force effective dont ils sont réellement pourvus : cette croissance précoce exige, en effet, beaucoup de ménagements pour ne pas provoquer des déformations ou l'usure de certains organes.

                 Deux conseils encore avant de terminer.
                 Le colon, débarqué en Algérie, ne peut pas toujours être immédiatement dirigé sur les terres qui lui sont destinées, livré à lui-même sans guide ni conseil il n'a pas toujours la sagesse de ménager ses modestes ressources.
                 Aux émotions du départ du pays natal et aux fatigues du voyage, il devrait opposer le repos du corps le calme de l'esprit pour lui comme pour sa famille. Loin de là, il s'abandonne volontiers aux excitations trompeuses du climat nouveau, il promène son oisiveté dans les cabarets, il y dissipe peu à peu ses petites économies, il prépare à tous les siens les duretés de la gêne et quand il arrive sur sa concession, le corps est déjà épuisé par les excès et la souffrance physique comme sa bourse s'est vidée pour le plaisir ; quel soutien pourra-t-il donner à sa famille.

                 D'autre part mille circonstances inutiles à détailler, mais que chacun peut prévoir, viendront peut-être soumettre l'émigrant agricole aux dures épreuves de l'isolement de la nostalgie.
                 De faux calculs, une mauvaise récolte, la maladie absorberont ses économies et compromettront les rentrées sur lesquelles il croyait pouvoir compter.
                 Il adoucira du moins, s'il ne réussit pas à l'éviter complètement cette douloureuse situation matérielle et morale, en s'affiliant, dès l'arrivée à une institution de secours mutuels.
                 Chaque centre de population devrait, avec ses annexes, organiser une société de ce genre qui faciliterait partout les rapports des colons expérimentés avec les nouveaux venus.
                 On soutiendrait ainsi bien des défaillances on préviendrait bien des misères et bien des maladies.

                 Les habitants d'un même village se connaissant tous, s'apprécieraient et se prêteraient volontiers aide conseils et assistance en toutes circonstances.
                 Intéressés les uns vis-à-vis des autres à se faire considérer par de bons exemples, ils auraient bientôt déraciné au milieu d'eux : l'inconduite, l'intempérance, l'égoïsme et la démoralisation qui est la perte de toute énergie sociale.
                 Enfin, cette association permettrait d'avoir, à la disposition des familles et à peu de frais, une salle de lecture pourvue de livres instructifs, et une ou plusieurs baignoires économiquement chauffées, qui seraient mises à tour de rôle à la disposition des membres associés, pour le grand bienfait de l'hygiène individuelle.

Hygiène du colon en Algérie par le Dr E. Bertherand,
secrétaire général de la Société de climatologie d'Alger,
ancien médecin des circonscriptions médicales
de Teniet-el-Hâad, de Castiglione etc. 1875


Enseignement de la langue arabe
Envoyé par M. Christian Graille

          Il existe depuis longtemps à Alger une chaire d'arabe. Le cours est public ; mais l'étude de la langue arabe se menant aujourd'hui à rien de certain, il en résulte qu'il est peu suivi.
          D'ailleurs les auditeurs bénévoles sont sans cesse distraits par leurs occupations personnelles parce qu'il n'en est pas un seul pour qui ce puisse être l'occupation principale, comme cela aurait lieu si l'Etat intervenait d'une manière plus active, en montrant une carrière assurée au bout de quelques années de travail, en exigeant par compensation une grande assiduité des élèves.

          Cette difficulté au reste n'est pas la seule qui rende presque désert le cours d'arabe et paralyse le zèle et la capacité du professeur. La langue arabe est double : elle se compose de l'arabe littéral et de l'arabe vulgaire.
          Le premier s'écrit et ne se parle pas ; le second se parle et ne s'écrit pas.
          Or veut-on savoir la véritable raison pour laquelle le cours est désert ? La voici :
          Tout le monde sent bien à Alger qu'il ne s'agit pas comme en France, de former de savants orientalistes, mais des hommes pratiques qui puissent directement, et sans le concours d'interprètes, échanger des idées avec le peuple indigène.
          Or dans le cours d'arabe littéral on apprend à lire et pas à parler ; la langue qui se parle ne se lit pas.
          Voilà pourquoi le cours d'arabe littéral ne voit venir à lui que quelques curieux.
          D'un autre côté, tout le monde sent bien que dans un pays où : chaque café, chaque maison, chaque coin de rue fourmille des gens qui parlent la langue vulgaire, ce n'est pas autour d'une chaire qu'on apprendra cette langue mais bien : dans les cafés, dans les maisons, dans les coins de rue.

          Ce n'est pas, en un mot, avec le professeur qui parle une heure tous les deux jours, mais avec les gens de toute classe et de tout rang, qui vous font entrer cette langue dans tous les pores à tous les instincts du jour et dans toutes les circonstances de la vie.
          C'est pourquoi le cours d'arabe vulgaire est aussi désert. Du reste, la grande difficulté pour l'enseignement de la langue arabe est celle-ci ; si on apprend l'arabe par la lecture des livres, on ne sait pas le parler ; et si on l'apprend par la conversation, on ne sait ni le lire, ni l'écrire.
          Il y a là un combat entre la lettre morte et le son vivant dont il faudrait sortir à tout prix. Si on consulte les Orientalistes, ils vous répondent, au nom de M. de Sacy et des communicateurs du Coran que la langue parlée n'est qu'un misérable patois qu'il faut laisser aux portefaix que les règlements de la discipline grammaticale s'opposent à ce que les mots de la langue usuelle soit transportés sur le papier.

          Les savants font donc de cela une question pure et simple de correction orthographique. Or, à notre sens, c'est bien autre chose ; car nous y voyons, nous, une question de transformation politique.
          Ceci peut avoir besoin d'explication.
          A l'époque où Montaigne et Rabelais parurent en France, il y avait une langue qui s'écrivait et une langue qui se parlait.
          La langue qui s'écrivait était celle dans laquelle on discutait les questions théologiques, celle dans laquelle on disait et on dit encore la messe ; c'était la langue latine.
          Quant à notre vieux langage français, c'était encore un patois indigne de figurer à côté de la langue des pontifes et des Césars.

          C'est alors que sans y mettre beaucoup de prétention Montaigne et Rabelais s'avisèrent de transporter sous la presse l'idiome des rues, et ils crurent, comme ils le disaient eux avec une modestie naïve, écrire à peu d'hommes et à peu d'années.
          Que firent-ils cependant ? Une véritable révolution ; car c'est à dater de cette époque que la langue française, sans rien perdre de sa grâce native, devint peu à peu et plus chaste et plus correcte.

          L'orthographe, d'abord mal assise, se consolida par degrés, et il en résulta cette langue : que nous parlons, que nous écrivons et que nous aimons tous.
          C'est ainsi que ces deux hommes ont posé, sans le savoir, les bases de l'unité française.
          La révolution politique qui s'accomplit aujourd'hui non seulement en Algérie, mais dans l'Afrique septentrionale, et qui se manifeste à l'Est et à l'Ouest par des signes méconnaissables, attend comme complément et comme instrument, une révolution semblable dans le langage.
          La langue littérale, la langue du Coran est pour les Arabes ce qu'était pour les Français du moyen âge la langue latine.

          Au besoin d'échange que la conquête d'Alger a fait naître, il faut un idiome qui serve à la fois aux Arabes et aux Français, qui tienne compte du présent et prépare l'avenir.
          Malgré la résistance des savants (les savants du XVIe siècle résistaient aussi, c'est de l'essence des savants), le temps est venu de donner la consécration de la presse à la langue usuelle de l'Algérie.
          C'est un moyen de rendre la lecture facile aux Arabes, puisqu'ils n'auront plus que des lettres à apprendre, au lieu d'avoir à se jeter dans les difficultés d'un idiome nouveau.
          C'est un moyen de rendre facile pour les Français l'étude de la langue arabe, puisqu'ils trouveraient dans les ouvrages écrits ainsi des modèles de langage en même temps que des modèles d'écriture.
          C'est un moyen de faire pénétrer promptement la domination française dans les mœurs et les habitudes du pays, puisque la lecture d'un livre ou d'une proclamation écrite de cette manière, sera, même pour les auditeurs illettrés parfaitement intelligibles, et que notre gouvernement peut ainsi avoir une tribune dans toutes les classes de la population.

          Nous insistons sur ce point parce que cette simple innovation qui consiste à transporter sur le papier la langue usuelle rencontrait parmi les Orientalistes de l'Ecole une opposition très vive, opposition fondée sur des difficultés de grammaire, mais qui tombe devant des considérations d'un autre ordre, comme est celle de la facilité d'échanges oraux entre les deux peuples, base de tout commerce et de toute industrie.
          Ne serait-il pas utile de fonder, dès à présent par quelques ouvrages élémentaires, le règne de cette langue usuelle qui doit grandir et se perfectionner à mesure que la domination française grandira et se développera ?
          Ces ouvrages auraient l'avantage de fournir des moyens d'étude soit aux Français, soit aux indigènes qui désirent s'instruire.
          Les ouvrages qui devraient composer l'enseignement élémentaire commun aux uns et aux autres nous paraissent se rattacher à cinq ordres différents de connaissances, savoir :
          1° les langues
          2° l'histoire
          3° la géographie
          4° les connaissances usuelles
          5° la législation comparée.


          La classe des langues comprendrait :
          1° une grammaire française à l'usage des Arabes
          2° une grammaire arabe à l'usage des Français
          3° un dictionnaire français - arabe et arabe- français
          4° un recueil contenant des passages d'auteurs français traduits en arabe vulgaire, et quelques extraits d'auteurs arabes traduits en français.


          La section d'histoire se composerait : d'une histoire simple et brève des relations entre les musulmans et les chrétiens comprenant les croisades, les traités avec les Etats barbaresques et l'expédition d'Egypte.
          On s'attacherait surtout à mettre en lumière les faits qui sont de nature à inspirer aux uns et aux autres une estimation réciproque, en évitant avec soin de reproduire ce qui tendrait à réveiller les antipathies.

          La section de géographie comprendrait :
          1° un exposé succinct de la forme générale du globe et de la division des continents
          2° un exposé succinct de la géographie de la France
          3° un exposé plus complet de la géographie de l'Afrique et en particulier de l'Algérie.


          La section des connaissances usuelles comprendrait :
          1° les premiers éléments d'arithmétique
          2 ° les premiers éléments de géométrie
          3° les premiers éléments d'astronomie
          4° les premiers éléments de physique et de chimie
          5° des notions sur les arts industriels et en particulier sur l'application de la vapeur à l'industrie et aux transports.


          La section de législation comparée comprendrait :
          1° l'exposé simple et succinct des coutumes musulmanes qui a rapport au cas les plus vulgaires en y joignant simplement les passages du Coran sur lesquels ces coutumes sont fondées.
          On éviterait avec soin tout ce qui peut soulever des controverses, le but n'étant pas de former des jurisconsultes, mais seulement de donner aux français une idée générale de la législation et de la jurisprudence musulmane.

          2° un exposé simple et succinct des dispositions générales de la législation française. On éviterait avec soin tout ce qui peut donner lieu à des discussions.
          Le but de cet ouvrage étant simplement de fournir aux musulmans une idée générale de la législation française.

          3° le recueil des principaux arrêtés ordonnances ou lois qui composent la législation spéciale de l'Algérie.
          Tous ces ouvrages seraient écrits en arabe vulgaire et en français les deux textes placés en regard.

          Tels sont les divers ouvrages dont la publication bilingue nous paraîtrait d'une haute utilité, autant pour inaugurer dans cinq genres différents de connaissances cette langue vulgaire écrite, qui doit marquer le règne pacifique et rénovateur de la France, que pour fournir des moyens d'instruction désirés universellement aux jeunes gens laborieux qui entreprennent l'étude de la langue arabe.
          Si l'école spéciale d'administration algérienne, dont nous avons plusieurs fois demandé la création, destinée à former des administrateurs civils, des gouvernants militaires et des agents consulaires dans les états musulmans.

          Si cette école, disons-le, parvenait un jour à se fonder, le gouvernement trouverait dans ces différents ouvrages la base de l'enseignement commun à ces divers ordres de fonction, et si cette institution demeurait à l'état de projet, chacun au moins y trouverait et des facilités pour les études spéciales que l'Algérie comporte et une preuve de l'intérêt du gouvernement pour la propagation de la langue arabe parmi les Français comme de la langue française parmi les Arabes.
Th. Scribe, Administrateur-gérant
L'Algérie, courrier d'Afrique, de l'Orient et de la Méditerranée (07-02-1846)


Enquête sur la population indigène.
Envoyé par M. Christian Graille

                 Une des dernières circulaires de M. le maréchal Bugeaud enjoint à MM. Les généraux commandants supérieurs de province de donner des ordres dans les subdivisions et cercles afin qu'il soit précédé immédiatement à la révision complète des travaux statistiques, travaux qui permettront de déterminer enfin le chiffre de la population de l'Algérie.
                 Dans l'état actuel de nos relations avec les indigènes, rien n'est plus facile que de recueillir des renseignements propres à fixer l'opinion publique.
                 Sous le rapport de la population, l'Algérie peut être divisée en population sédentaire et population mobile.

                 Les sédentaires habitent des villes : des villages, des ksour, des bordj, des haouch dont nous devons connaître les noms.
                 Les villes se subdivisent en quartiers.
                 Les villages arabes (dechra)
                 Les villages kabyles(kebila) sont habités par une ou plusieurs familles distinctes.
                 Les ksour comprennent une population sédentaire et une population alternativement sédentaire et nomade ; leurs habitants constituent des familles bien connues des indigènes.
                 Les bordj et les haouch ne sont habités que par une famille dont le nom spécial différencie chacun de ces établissements particuliers.

                 Ainsi, pour obtenir le chiffre à peu près exact de la population sédentaire, il faut :
                 Dans chaque village, procéder à une décomposition par familles principales puis compter les maisons habitées par chaque famille et fixer un chiffre moyen d'habitants par maison.
                 Le chiffre moyen d'habitants par maison admis jusqu'alors a été de 7 minimum 9 maximum.
                 Ce chiffre est-il exact partout ?
                 En général, le nombre des habitants d'une maison soit arabe, soit kabyle est supérieur à celui d'une tente.
                 Il importe que les officiers chargés de ces études donnent un minimum et un maximum d'habitants par maison dans chacun des grands centres de population qu'ils auront à étudier.
                 Le recensement réel ou fictif, difficile dans les villes où la population est très mélangée, où quelquefois une seule maison donne asile à plusieurs familles, devient plus facile lorsqu'on arrive à la tribu sédentaire.
                 Là, chaque grande famille est isolée là chaque membre de la famille habite une maison qui porte son nom.
                 Dans les villes que nous occupons, on peut procéder à cette opération par un dénombrement exact.
                 Dans les villes et les villages où nous ne sommes pas établis, on peut, par voie d'enquête, arriver à des résultats satisfaisants parce que les habitants d'un même village se connaissent entre eux.
                 Différents moyens de contrôle peuvent faire apprécier si les renseignements donnés sont exacts. Les nombre de fusils, de mosquées, de pressoirs, de charrues est généralement en rapport avec celui des habitants.
                 La population mobile qu'il faut distinguer en deux grandes classes : mobile sur un territoire limité et restreint et mobiles sur de vastes espaces non délimités ou nomades proprement dit, vit réunie en tribu.
                 Chaque tribu se divise en fraction ou ferka ; chaque ferka se subdivise en douars ou en ronds de tente.
                 Le douar compte un nombre de tentes généralement connu et peu variable. Ainsi, pour inventorier la population mobile, il faut indiquer le nom de chaque tribu ; dans chaque tribu, le nombre des ferka ; dans chaque ferka, les noms et le nombre des douars, et dans chaque douar le nombre de tentes.

                 Dans chaque tribu, il faut, pour chaque tente, fixer un maximum et un minimum d'habitants. Les calculs faits jusqu'à ce jour donnent 8 pour maximum 6 pour minimum.
                 On peut facilement arriver à une décomposition semblable de la population mobile de l'Algérie ; pour cela, il suffit de trouver pour chaque tribu plusieurs individus qui la connaissent bien.
                 On contrôlera : les renseignements obtenus pour l'étendue du territoire le nombre de charrues cultivées le chiffre des cavaliers et fantassins, etc.

                 Des calculs faits dans la province de Constantine porte à croire que chaque tente, dans le Tell et les contrées arables, occupe une surface de 21 hectares. Chaque tente cultive généralement une djebba ou zouidja (charrue), et s'il est un petit nombre qui ne cultive un thor (demi-charrue) d'autres cultivent trois quatre cinq et même dix charrues, de sorte qu'il y a compensation, et qu'il est à peu près vrai de dire que le nombre de charrues représente exactement le nombre de tentes.
                 Une tente n'existe qu'à une condition, c'est qu'elle soit habitée par un individu en état de la défendre ; ainsi, dans chaque tente, on compte toujours un, parfois plusieurs hommes en état de porter les armes ; ainsi, le chiffre exact du nombre de fusils, diminué d'un tiers environ, donne un chiffre à peu près égal au nombre des tentes.

                 Ces divers moyens de contrôle permettent de constater à la première vue si les renseignements sont exacts ou faux.
                 En procédant de cette manière, le chiffre total des investigations faites sur toute l'Algérie serait rapproché que possible de la vérité.

                 Des systèmes de gouvernement et d'administration. Alors seulement il sera permis de bâtir, sur le chiffre de la population algérienne,
L'Algérie, courrier d'Afrique (16-09-1845)


ALGER ETUDIANT

N°174, 9 mars 1934
Source Gallica

Le Caporal Messaoud
Par M.-H. ALBERTY

      Paresseux, menteur et, disons-le, un peu voleur, échappant à toutes les corvées, toujours de sortie, il vivait dans sa garnison comme un rat dans un fromage, rognant le bon, se souciant fort peu du mauvais.
      Eternel sujet de soucis et de haine pour les adjudants, de rires et de bienveillance pour les officiers, son prestige était indiscutable, aussi bien dans la caserne, que dans certains quartiers où les femmes sont sédentaires et les hommes nomades.

      Il eût pu, comme bien d'autres de ses collègues, se contenter de peu et, économisant ses primes de rengagement, se préparer une vieillesse tranquille.

      De cela, il ne s'était jamais inquiété, d'autant plus qu'on lui avait dit un jour que des postes de chaouchs étaient distribués aux anciens combattants, et, ma foi, il se voyait très bien dans l'antichambre d'un administrateur, rudoyant les pauvres fellahs et plastronnant dans un brillant uniforme.
      Ce goût pour la parade avait été la grande préoccupation de sa vie ; il aimait les plaisirs, la bonne chère, mais plus encore les beaux uniformes. Vivant au jour le jour, couvert de dettes, on était sur de ne pas trouver dans toute la garnison un caporal, même jeune, mieux habillé que lui.
      En attendant, il serait bientôt libéré, mais peut-être contracterait-il encore un engagement de cinq ans avant l'inexorable mise à la retraite qui le frapperait, ce dernier déblai écoulé, après, on verrait...

      Il continuait de mener cette existence insouciante lorsque brusquement une aventure extraordinaire, inattendue, lui arriva. Un jour, en revenant des manœuvres qu'il avait courageusement faites en qualité de malade, il apprit qu'un sien cousin, oublié depuis bien des années, venait de mourir (ce qui ne le toucha guère), et lui laissait la somme inconcevable de vingt-cinq mille francs, ce qui pour lors l'émut d'avantage.

      Pendant les six jours de permission, ce fut une noce mémorable, qui eut pour cadres toutes les gargotes de la ville. Non seulement ses dépenses montèrent jusqu'au chiffre rarement égalé de quatre cent francs, mais encore l'expression un peu trop exagérée de ses sentiments lui valu deux ou trois fois d'être pourchassé par la garde qu'il perdit régulièrement dans les ruelles tortueuses, la laissant déconcertée, essoufflée.

      Jamais il ne s'était connu tant d'amis et ceux-ci, connaissant sa réputation, pensaient vivre joyeusement au moins six mois durant, lorsque tout changea.

      C'est que, formé par ce miracle, Messaoud, pour la première fois de sa vie sans doute, Messaoud réfléchit sérieusement. D'ailleurs, il en avait eu tout le loisir pendant les huit jours de salle de police qu'il fit, son capitaine ne comprenant pas du tout sa façon de pleurer un parent défunt en rossant, en compagnie de connaissances plus ou moins suspectes, d'inoffensifs passants dans les rues de Blida.

      Ce traitement n'avait pas été sans affecter le caporal. Comment pouvait-on infliger une telle sanction à un homme qui possédait vingt-cinq mille francs ?
      Les sujets de mécontentement fusaient de toutes parts dans son crâne obtus, apparaissant et disparaissant d'un seul coup sans aucun lien entre eux.

      Après tout, il' en avait assez d'être commandé beaucoup plus qu'il ne commandait, de se battre toujours et de se plier, si peu que ce fut, à une discipline qu'il jugeait maintenant par trop sévère. Tout ce qu'avait d'amer, de dur, le métier militaire, éclatait à ses yeux pour la première fois certainement.
      Tandis que s'il était libre...

      Les permissions de minuit dureraient dès lors jusqu'au matin sans crainte des rondes. On le saluerait désormais lui, le premier. En un mot c'était la liberté.
      Son dernier rengagement allait finir sous peu; dans quelques semaines, il serait libéré. Et puis à cinquante ans il était grand temps d'en finir avec ce genre d'existence.

      Une fois rendu au civil, il s'achèterait une petite ferme, se marierait et terminerait ses jours dignement en bon croyant, loin des plaisirs impurs qui l'avaient jusqu'ici toujours attiré et qui maintenant, sans transition, lui répugnaient.

      Telles étaient les pensées du caporal Messaoud, tandis que dune main malhabile il couvrait les murs de la geôle de dessins vengeurs, très primitifs, mais ne laissant aucun doute quant à leur signification.

      Les huit jours lui semblèrent beaucoup plus longs que d'habitude. Ils finirent cependant par passer et, à quelque temps de là, Messaoud, une fleur de jasmin derrière l'oreille, la chéchia sur le côté, déambulait dans les rues, resplendissant dans son uniforme bleu un peu fantaisie où sa barbe trop teinte mettait une tache noire et luisante.

      Fendant la foule avec autorité, saluant au passage, d'un geste protecteur un visage connu, il commuait son chemin sans s'arrêter aux innombrables cafés maures, les regardant à peine.

      Aux environs de la place du marché il s'enfonça brusquement dans une impasse boueuse et sombre, il fit encore quelques pas et s'arrêta devant une porte massive à gros clous de bronze et ornée de la rituelle " Khamça " (Main porte-bonheur.).

      Deux jours auparavant, des nouvelles connaissances lui avaient offert un marché fort alléchant : il s'agissait de lui vendre une petite maison qui, paraît-il, répondait à tous ses désirs. On lui avait dit de se trouver là pour discuter à l'aise et convenir du prix.
      L'entente paraissait si imminente qu'il devait apporter l'argent.

      Or, au moment de conclure, le voilà qui hésitait, ne pouvant se résoudre à abandonner à jamais la vie qu'il avait toujours menée. La prison était loin et, son âme simple, facile à oublier les mauvais moments, ne pensait plus qu'aux bons côtés de son état actuel.

      Cependant la tentation d'être propriétaire était forte mais malgré tout pas au point de le rendre joyeux à l'idée de, quitter la caserne.

      Il se surprit même à souhaiter un échec des négociations car il sentait qu'il n'aurait pas le courage d'en entamer d'autres. De nouveau la vision de sa future maison lui sourit, immédiatement chassée par celle plus familière d'un camp, à ses yeux, paré d'infiniment plus d'attraits.
      Pourquoi ne ferait-il pas une dernière période de cinq ans ? Après il se déciderait.
      Par malheur les pourparlers étaient avancés avec ses nouveaux amis, il n'aurait pas voulu avoir l'air de reculer...

      L'argent était soigneusement dissimulé dans sa ceinture, oh ! Mais pas tout : en homme prudent il n'avait apporté qu'un acompte de cinq mille francs sur les vingt mille demandés.
      Les donnerait-il ? Que faire ?
      Il en était là de ses réflexions perplexes, lorsque quatre indigènes l'entourèrent. C'étaient les deux vendeurs accompagnés de deux inconnus, sans doute des parents.
      Après les formules de politesses, les marchandages commencèrent, acharnés. Au cours de la discussion, l'un des hommes, l'air dédaigneux, dit que le tirailleur était de mauvaise foi et n'avait même pas d'argent.

      Rouge sous l'insulte, Messaoud tira de leur cachette la liasse de billets. Au même instant, il reçut un coup formidable sur la tête et un autre dans le ventre.
      Il s'écroula sans un cri.
      Un quart d'heure après, entraîné sans douceur par une patrouille qui l'avait trouvé là, dans la boue et qui le croyait ivre, le caporal Messaoud, la tête douloureuse, ne savait s'il devait se lamenter de la perte de ses cinq mille francs ou se réjouir de sa décision inébranlable de se rengager.


Conte inédit extrait
du recueil " VISAGES D'AFRIQUE"




PHOTOS de TIMIMOUN
VOYAGE 2019 du groupe Bartolini





































PEINTURE
De Jacques Grieu


Je peins et donc je suis , Descartes aurait pu dire
S'il avait eu en mains, un pinceau à brandir.
Son Discours eut alors été un beau tableau
Car on peint ses idées au moyen du cerveau.

Ah ! Si tous les tableaux, tous ceux de nos musées
Etaient plus regardés, décryptés, commentés,
Probablement le monde irait mieux de l'avant,
S'imprégnant de couleurs, d'éclairages savants.

On peint ses illusions ; mais rien de plus réel.
En captant l'invisible, l'absolu se révèle.
Et parfois on s'étonne en voyant prendre forme,
Beaucoup de sensations qui au fond de nous, dorment.

Il ne faut pas confondre et peinture et teinture.
La lumière et les ombres sont à la peinture,
Ce que le plomb et l'or sont à un alchimiste.
Le mystère tremblote au pinceau de l'artiste...

En pensant sa peinture on a quelquefois peur :
Celui qui peint la fleur veut peindre son odeur...
Le langage est au fond peinture des idées ;
On ne peint pas la chose mais on peint ses effets.

La musique et le chant sont aux paroles vraies
Ce que chaque peinture est au dessin et trait.
On rêve sa peinture : et puis on peint son rêve ;
Alors, pour la finir, on est son propre élève…

Jacques Grieu                  



Tirailleur Algérien,
N° 1, 20 août 1899

Source Gallica

UN MYSTÈRE

            Avant que le monastère de la Trappe fut construit, il existait, non loin de Sidi-Ferruch, un hameau où l'on voyait déjà, au milieu de nombreux gourbis, s'élever quelques maisonnettes de construction récente. Une allée d'eucalyptus traversait ce petit village et en formait le seul lieu de promenade. A l'extrémité, un massif d arbres plus nombreux et plus beaux servaient d'ombrage au presbytère ainsi qu'à une modeste chapelle.

            C'était le 28 mai 1845, dimanche de la Trinité. L'abbé Lelu, pour expliquer à ses ouailles le mystère d'un seul Dieu en trois personnes, leur avait dit :
            " Vous savez tous ce que c'est qu'une fourche. Une fourche a trois dents, et pourtant ces trois dents forment qu'un seul instrument. Eh bien, mes frères, le mystère de la Sainte Trinité est la même chose. Il y a trois personnes en Dieu, et ces trois personnes ne forment qu'un seul Dieu. "
            Un jeune capucin, qui assistait à la messe, choqué de la comparaison, alla trouver l'Archevêque et lui dit :
            " Songez, monseigneur, combien il importe de rappeler ce curé à l'ordre. Comparer le mystère de la Sainte Trinité à une fourche !... ce vil instrument dont on se sert pour remuer le fumier ?... Mais c'est presque un blasphème !..."
            - " C'est bien, dit le prélat, j'aviserai. "

            Le mercredi suivant, veille de la Fête-Dieu, l'abbé venait rendre ses comptes de fin de mois à l'Archevêché, lorsqu'il apprit que Monseigneur le demandait.
            Un moment après le vieux curé recevait quelques douces remontrances et le conseil d'employer, à l'avenir, des modèles plus religieux.
            Le dimanche suivant à l'heure du prône, le pasteur disait à ses paroissiens :
            - " Oui, mes chers frères dimanche dernier je vous ai comparé la Sainte Trinité à une fourche, ce mystère a besoin d'une démonstration plus éclatante : Fixez tous vos regards du côté de la porte ; vous verrez un homme dont la tête est rasée comme un singe, la barbe pareille à celle d'un bouc, la ceinture sanglée comme un bourriquot, et pourtant ces trois bêtes n'en forment qu'une !.... Le mystère de la Sainte Trinité est la même chose. Amen.
            La comparaison étant faite sur un sujet religieux, l'abbé Lelu ne fut pas réprimandé.

Favouille.



LE SANG DES RACES
Par LOUIS BERTRAND
Source Gallica
BOUGZOUL
VIII

pages de 82 à 88

         Le vent du Sud s'éleva tout à coup comme un souffle de colère. Des tourbillons de sable montaient en colonnes verticales, qui, depuis les montagnes de Boghar, s'avançaient d'une course furieuse à travers le désert de Bougzoul. De larges gouttes de pluie commençaient à tomber. En un instant, la' chaîne de l'Atlas disparut sous la tourmente, la terre et le ciel se confondirent dans la poussière et les ténèbres.
         Les équipages de Bacanète descendaient d'El-Krechen, lorsque l'ouragan les enveloppa. Les bâches des chariots palpitèrent d'un grand frisson farouche, comme si elles allaient s'arracher, puis elles crépitèrent continûment sous l'averse des cailloux et des sables. Rafael, qui ouvrait la marche, soudainement aveuglé, suffoqué par la poussière, n'eut que le temps de se boucher là bouche et les narines avec son mouchoir.

         Son attelage s'arrêtait, pris dans les ornières mouvantes, et le mulet Marquis, s'arc-boutant sur ses pieds de devant, les oreilles dressées, avec un braiement d'épouvante, empêchait à lui seul les autres bêtes d'avancer. Rafael claqua inutilement du fouet. Alors, tournant le dos à l'orage, il s'arrêta, lui aussi, découragé. Mais Bacanète arrivait, gris de poussière, gesticulant-et criant :
         - Nous n'allons pas coucher ici, je pense !... Moi j'ai envie de voir ma femme demain soir !... Allez ! commande tes bêtes !...
         - Commande-les, toi, si tu veux ! - et, jetant son fouet avec emportement : - Ma cagiten Déu ! En voilà un métier !
         Rafael alla s'abriter derrière le chariot, s'entêtant à ne pas bouger. Bacanète, par peur qu'il ne l'abandonnât, regagna le sien, des injures entre les dents; et, s'étant réfugié derrière la bâche, il se mit à exciter contre Rafael, Pépico qui l'avait rejoint.
         Rafael, de son côté, fermant les yeux sous la rafale, ne récriminait pas moins contre Bacanète. Pourquoi lui en voulait-il ? D'où cette rancune lui était-elle venue?
         Il n'aurait pas pu le dire. Mais il en avait assez de travailler pour lui. Il savait seulement qu'il avait quitté Laghouat à contre-cœur.

         Il y avait fait la connaissance d'une Juive, une certaine Rébecca, dont le souvenir l'obsédait. C'était le soir de leur arrivée : il l'avait aperçue devant sa porte, en compagnie d'une jeune Mauresque, dans une de ces petites rues qui avoisinent l'église. Les deux femmes, couvertes de colliers, de bracelets et de bagues, se tenaient enlacées, et, de temps en temps, se passant la main sur le cou, elles se baisaient comme deux colombes. Il avait passé la nuit sur les tapis de leur terrasse, et, au réveil, dans la fraîcheur du matin, Rébecca lui avait fait promettre de revenir. Mais Bacanète, pressé de rentrer à Alger, avait avancé d'un jour la date du départ.

         Dès lors, ses plaisanteries, ses scies qui duraient des journées entières, ses farces continuelles et ses incongruités voulues avaient exaspéré Rafael. Il y avait longtemps, d'ailleurs, que cette irritation couvait en lui. La futilité apparente de Bacanète, sa gaîté souvent factice, répugnaient au sérieux de son caractère. Maintenant il en était arrivé au point que le seul contact de ce petit homme lui causait une véritable gêne physique. - Celui-là, je vais l'envoyer promener, et vivement! se disait Rafaël... Sitôt arrivé, je lui demande mon compte...

         L'image de la Juive achevait de le troubler. Les résolutions qu'il avait prises, l'été dernier, en quittant sa mère l'abandonnaient. La poussière lui entrait dans les yeux, le vent lui coupait la respiration et lui brûlait la poitrine. Son ressentiment contre Bacanète, sa satiété du métier, devenaient de la colère et du dégoût.
         Mais ces orages de septembre sont de courte durée. Quelques gouttes de pluie suffirent pour abattre l'ouragan ; et, après une demi-heure d'immobilité, les chariots purent se remettre en marche. Rafael, sans l'aide de personne, avait dégagé son équipage. Il avait même renvoyé, avec des injures, Bacanète et Pépico qui amenaient, pour doubler, une branche de mulets.

         Ils arrivèrent très tard au caravansérail. Au bruit des chariots, Carmen était accourue sur la route. En touchant la main de Rafael, elle éclata de rire, à le voir ainsi, la moustache et les cheveux comme poudrés de poussière et les cils collés. Elle avait une robe de couleur claire qui semblait grandir sa taille. Sa pâleur splendide éclairait autour d'elle, et les cercles d'or de ses oreilles, où se brisaient les flammes du couchant, augmentaient l'éclat de sa figure.
         Toute seule, au milieu de la route, dans le crépuscule tombant et l'immensité de l'horizon, elle éblouit les yeux de Rafael.
         Il l'avait oubliée depuis Laghouat. Mais aussitôt tous ses désirs contrariés se précipitèrent vers elle, et sa colère tomba.
         Elle le suivit dans la cour qu'encombrait une caravane de chameaux. Il fallut les refouler dans le fond, du côté des écuries, afin de faire de la place aux chariots.
         Les bêtes, qui étaient accroupies, se levèrent péniblement aux cris des chameliers, en balançant leurs longs cous d'un air de majesté offensée et en poussant de petits gloussements furieux. Au milieu du troupeau, des spahis indigènes en tenue de corvée allaient et venaient, des seaux d'eau à la main.

         Les équipages de Bacanète et de Pépico, qui arrivaient, accrurent encore la confusion. Beaucoup de temps se passa à les mettre en place ; mais Rafael, qui avait déjà dételé, se garda bien de venir en aide à ses camarades. Il évitait Bacanète à dessein, et suivant de l'œil Carmen qui coquetait avec un maréchal des logis, il cherchait un prétexte pour le quitter tout de suite.
         Bacanète, en revenant de son chariot, lui demanda, d'un ton assez calme, s'il n'avait pas pris une bouteille d'absinthe entamée le matin. Rafaël l'avait prise effectivement et serrée dans son propre caisson.
         Mais, afin de provoquer une dispute, il répondit insolemment :
         - Si tu crois que je m'occupe, de tes bouteilles !... Je ne l'ai pas, ta bouteille !...

         Bacanète, à sa grande surprise, ne répondit rien, ce qui le déconcerta. Alors, pour l'obliger à se fâcher, il ajouta :
         - A partir de demain, je ne travaille plus tu peux te chercher un homme à ta fantaisie...
         - Tout de suite, si tu veux, mon ami ! dit froidement Bacanète. Je vais te régler ton compte !...
         Et, suivi par Rafael, il se mit à marcher comme un fou vers la cour, en criant au patron :
         - Monsieur Emile, apportez de l'encre et du papier, que je lui règle son compte !...
         Le patron, qui avait l'habitude de ces querelles, essaya d'abord de s'interposer. Il disait à Bacanète :
         - Mais c'est de la folie de vous fâcher comme ça pour rien. Tu ne vois pas que Rafael veut rire!...
         Et, se tournant vers Rafaël :
         - Voyons, tu ne vas pas le laisser en plan... avec un homme de peine qui ne sait pas conduire !...
         - Non, non ! monsieur Emile, apportez l'encre et le papier!... S'il croit me mettre dans l'embarras...

         Bacanète, criant encore plus haut, entraîna le patron dans la salle de débit et le força de prendre la plume. Celui-ci. Ne cessait de raisonner Rafaël.
         - Non ! je ne veux rien entendre ! hurlait Rafaël... Je me ferais plutôt couper un doigt que de travailler pour lui...
         Bacanète ripostait, en levant sa cigarette en l'air :
         - Que cette cigarette-là m'empoisonne, si je te reprends ..
         Il fouillait dans la grande bourse de cuir. Quand le patron eut calculé le prix des journées de travail, il jeta l'argent avec colère sur le comptoir, et, sans regarder Rafaël :
         - Tu n'es pas bon à mener des bourricots !.
         - Mener des bourricots ?... Et toi tu ne vaux pas seulement l'eau de ton baptême !
         Ils allaient en venir aux gros mots, peut-être aux coups. Pépico, dans la crainte qu'il ne s'échauffât davantage, emmena Rafael dans la cour.

         Quand celui-ci se fut un peu calmé, il se mit à se dévêtir pour s'endimancher, afin de bien marquer à Bacanète que la rupture était définitive et qu'il quittait le travail. Sans nulle pensée de coquetterie pour Carmen, il fit longuement sa toilette devant le chariot, pendant que Pépico étendait des couvertures à côté du sien. Les chambres étaient chauffées à blanc ; les meubles craquant de chaleur, tout le monde dormait dans la cour. Le domestique arabe disposait un matelas pour ses maîtres sur la table de la tonnelle. Les chameliers, enveloppés, de leurs burnous, étaient allongés auprès de leurs bêtes. Après l'agitation du souper, le grand silence des terres désertes recommençait à envahir le caravansérail.

         Seule, la chienne Saïda, sous le chariot de Pépico, se démenait continuellement en tirant sur sa chaîne. Comme un cri de mégère hystérique, elle poussait son aboiement enragé, qui excitait les chiens de la maison, puis ceux des tentes arabes. Au loin les chacals répondaient, et, par intervalle un hurlement prolongé montait d'un bout à l'autre de la plaine.
         Sitôt habillé, Rafael rentra dans la salle, où Bacanète, resté seul, achevait de fumer un cigare. Il demanda un peu de café à la patronne, qui, aidée de Carmen, rangeait les bouteilles et les verres sur les rayons. A dessein, il prolongea l'entretien avec les deux femmes, pour humilier Bacanète tout poudreux par l'étalage de son linge blanc. Puis, ayant échangé un coup d'œil avec la jeune fille, il alla prendre son caban et une couverture, et il sortit sur la route.

         Le puits était de l'autre côté, en face du caravansérail, mais un peu caché par le remblai que forme la route en cet endroit. Rafael s'assit sur la margelle en attendant Carmen. Un commencement de fraîcheur tempérait le hâle torride de la journée. C'était une nuit douce, limpide, aux rares étoiles pâlissantes, comme les soirs de vent. À demi effacé dans le ciel clair, le char de l'Ourse était en marche, et Rafaël, suivant les lueurs intermittentes des essieux, descendait en pensée vers le Sud. Il vit Rébecca sur la terrasse avec ses colliers, et Randjà, la petite Mauresque aux mains caressantes.

         Mais le désir de Carmen était le plus fort : comme elle était belle, ce soir, dans sa robe claire, au bord de la route ! Et cependant un charme mauvais l'emportait sans cesse vers la Juive. Le souvenir de voluptés plus savantes et plus sauvages aussi faisait se précipiter le battement de ses veines. Il avait soif de plaisir, une soif irrassasiable. Il s'y jetait avec une telle violence qu'il ne voyait plus rien, que toutes les nécessités de sa vie disparaissaient au souffle luxurieux de ses pensées. Il oubliait son métier. Un instant, il songea à sa mère ; mais il s'irrita contre elle, il lui en voulut de se dresser sans cesse comme un obstacle au devant de sa jeunesse et des élans les plus magnifiques de son sang. Avec une sorte de colère, il s'enfonça plus impétueusement dans les images de volupté qui flattaient sa chair, et, se rappelant sa sœur, morte en couches six mois auparavant, avec l'enfant qu'elle avait eu de Louisot, il trouva dans son exemple un stimulant, de plus à jouir sans remords de l'abondance de sa force et de toutes ces illusions triomphantes qui faisaient sa vie si belle.

         Carmen, dans sa grâce de danseuse traversa de nouveau sa pensée. Il revit ce triste soir, où, pour la première fois, elle l'avait aimé. Elle était presque une petite fille en ce temps-là. Maintenant elle était devenue une superbe femme. Ses hanches s'étaient élargies, ses lèvres pâles s'étaient fleuries de pourpre et, bien qu'elle conservât toute sa finesse de race, quelque chose de plus robuste s'était épanoui en elle. Par la beauté de son sang, par son exubérance de vie et son emportement de volupté, elle était digne de lui.
         Il la vit dévaler le long du talus de la route. Elle enjamba le fossé, elle courut vers lui et, le prenant à pleins bras, elle colla sa bouche contre la sienne. Rafael sentit le frisson de désir qui faisait trembler tout son corps :
         - Oh ! viens, viens vite ! murmura-t-elle à son oreille. Ils s'unirent d'un mouvement farouche.
         Ce fut une brève étreinte, une secousse violente qui les brisa. Aussitôt leurs mains inertes se, dénouèrent, et tout à coup ils se virent seuls au milieu du cercle infini des terres, qui, s'élargissant autour d'eux, se perdait dans des profondeurs vagues. La molle baleine de la nuit achevait d'alanguir leur corps et d'engourdir leur pensée.

         Rafael étendit la couverture contre la margelle du puits, et, ayant roulé son caban sur la tête de Carmen, il se coucha à son côté. Ils restaient silencieux l'un et l'autre, n'ayant rien à se dire. Rafael goûtait une joie qu'il n'avait jamais connue.
         C'était une plénitude de bonheur, qu'aucune femme ne lui avait donnée ; et Carmen, ne souhaitant pas autre chose que de l'avoir près d'elle, se contentait de baiser ses lèvres.
         Elle passa son bras sous le cou du jeune homme, puis, vaincus tous les deux par la fatigue de cette longue journée, leurs yeux se fermèrent sous le scintillement monotone des étoiles, et, caressés, par les souffles, devant la paix de la terre, ils s'endormirent.
         Avant l'aube, un bruit pareil à celui des gouttes de pluie sur le sable les réveilla.
         C'était le piétinement des troupeaux, qui venaient boire aux puits de Bougzoul. Rafael colla son oreille contre le sol, et il jugea qu'ils devaient être encore à une grande distance. Carmen et lui s'étreignirent de nouveau avec la même hâte fiévreuse. Dans les écuries du caravansérail, les grelots des colliers sonnaient déjà au cou des bêtes. On entendait les lourds sabots heurter les cailloux de la cour.

         Carmen s'en alla vite pour préparer le café des hommes, Rafael replia la couverture, secoua son caban, et il s'assit sur la margelle pour rouler une cigarette. Il prêtait l'oreille aux bruits de ce départ qui s'annonçait et dont il ne serait pas. La joie de sa chair l'inclinait vers des pensées douces. Il ressentait ce petit frisson d'aise mêlé d'une vague appréhension devant l'inconnu, qui le prenait, à chaque réveil, quand il fallait se lever dans la nuit pour partir. En ce moment, il regretta d'avoir abandonné Bacanète : " Comment celui-ci allait-il s'en tirer avec son homme de peine qui n'avait jamais conduit ?"
         - Rafael savait qu'ils rencontreraient une passe difficile avant d'arriver à Aïn-Sba, un torrent grossi par les derniers orages ayant rompu un pont. Il faudrait couper dans le sable et passer à gué pour rejoindre la route...

         Lorsqu'il rentra au caravansérail, sa résolution était prise. Il offrit à Bacanète de l'accompagner jusqu'au-delà du pont. L'autre, plus calme et convaincu maintenant qu'il avait eu tous les torts, s'empressa d'accepter. En réalité, il était fort embarrassé et se demandait ce qu'il allait devenir avec un conducteur novice. L'offre de Rafael lui fit croire qu'il se repentait de l'avoir quitté; et, sûr qu:il allait le suivie jusqu'au bout, il évita toute allusion à la scène de la veille.
         Le torrent était presque desséché. Ils passèrent sans trop d'efforts. Quand les équipages eurent repris la route, Rafael rendit son fouet à l'homme de peine.
         - Tu fais demi-tour, Rafaël ? dit Bacanète stupéfait.
         - Je ne t'ai pas dit, hier, que je ne travaillais plus
         - Tu ne feras pas cela, Rafaelète !...amis comme nous le sommes !
         Rafael aperçut une larme dans les yeux de Bacanète, qui ne lui lâchait pas la main.

         Il s'attendrit lui-même, il vit le moment où il allait céder. Mais il se domina tout de suite :
         - Non, Bacanète ! Ça n'est pas possible ; D'abord, j'ai laissé mon linge à Bougzoul...
         - L'Arabe va courir le chercher !...
         Le croissant mince de la lune se fondait alors dans la lumière de l'aube. La couleur de la terre et du ciel était suave comme une caresse. Rafael revit la robe de Carmen.
         - Non, n'en parlons plus, Bacanète ! Ce qui est dit est dit. J'ai juré que je ne travaillerais plus pour toi.
         La volonté de Rafael était invincible : Bacanète le sentit. Ils se séparèrent en se serrant la main, un peu tristes l'un et l'autre, mais sans colère ni rancune.

         Les montagnes de Boghar se revêtaient de lilas et d'or, les terres, à perte de vue, reflétaient les nuances changeantes de l'air, et la bande blanche de la route qui s'enfonce vers le désert de Bougzoul semblait conduire à un pays d'enchantements et de prestiges. Les reflets nacrés de l'orient se muaient en opales et en améthystes aux transparences indécises. On ne distinguait pas encore les montagnes de Guelt-es-Stel.
         Cependant les contours des choses restaient nets et lumineux. A travers le réseau frêle des vapeurs matinales, la courbe de l'horizon se dessinait sur le ciel comme les bords d'une mer calme.
         Au milieu de tous ces voiles qui flottaient dans l'air à cette heure du crépuscule, Rafael sentait son corps allégé et sa pensée plus agile. Le sang rafraîchi par l'aube, il voyait se lever devant lui des promesses de félicités si belles qu'elles faisaient bondir sa marche. Cette heure était vraiment féminine, enveloppante et tendre, comme si l'influence de Carmen se fût mêlée aux délices de l'air, au jeu voluptueux des formes et de la lumière...

         Au moment même où il arrivait, le courrier qui descendait de Laghouat venait d'entrer dans la cour du caravansérail. Lopez, un des charretiers d'Espartéro, se montra à la portière, appelant Rafael et montrant une grande joie de le voir. lis allèrent ensemble prendre une anisette dans la salle de débit- Tout en buvant, Rafael lui expliqua qu'il avait quitté Bacanète.
         - C'est comme moi, dit le Basque, j'ai planté là le Valencien !
         - Pourquoi ?
         - Est-ce que je sais ?... Des raisons que nous avons eues.
         - Alors je prends ta place ?
         La chose fut décidée sur-le-champ. Rafael attendrait à Bougzoul le passage d'Espartéro, qui ne devait pas tarder : ce serait un jour de plus à rester avec Carmen.
         - Eh bien ! si tu restes ici, moi je reste, dit tout à coup Lopez. J'ai envie de me reposer un peu... encore que le pays ne soit guère plaisant.
         Il alla reprendre son sac à linge sous la bâche de la diligence et, quand il eut déjeuné avec Rafael, il proposa de partir en chasse à travers la steppe. Le patron du caravansérail leur prêta des fusils. Ils prirent sur la gauche de la route, et ils s'engagèrent dans le sable.

         Le soleil était déjà brûlant, bien qu'il fût à peine huit heures. L'étendue fauve miroitait d'un éclat douloureux à l'œil. Mais, quand on se baissait vers le sol, on sentait une faible humidité sortir des crevasses creusées profondément par les pluies d hiver ou les ondées torrentielles des orages ; et quand on soulevait les pierres, un air salin se déposait sur les joues et les lèvres.
         Aucune végétation, si ce n'est de loin en loin un peu de blé souffreteux semé par les Arabes et, - formant des plaques lépreuses d'un vert malade, - de petites plantes grasses pareilles à une moisissure qui, lorsqu'on les arrachait, s'écrasaient dans la main comme du plâtre. Des débris de coquillage craquaient sous les souliers.
         es trous d'eau, recouverts d'une croûte de boue fendillée, s'élargissaient, et soudain la steppe tout entière prenait l'aspect d'un grand lac desséché. C'était la désolation et l'aridité d'une mer morte.

         On eût dit que les eaux y régnaient toujours et que le lac ancien voulait retrouver son lit ; car le mirage par delà les dunes roses d'El-Krechen, envahissait les terres de ses débordements illusoires. Entre les dépressions de montagnes, des golfes se creusaient, des navires surgissaient à l'horizon et, derrière les promontoires, des échappées lumineuses .s'ouvraient dans un ciel d'une profondeur étrange.
         Cette hallucination de l'eau était d'autant plus décevante que la chaleur était âpre. Rafael, qui supportait si bien le poids du soleil pendant les marches, se sentait la tête lourde et vacillante. Etait-ce l'effet de son désœuvrement ? Il fut obligé de s'arrêter dans une tente, où Lopez infatigable, battait la steppe. Ils rentrèrent au caravansérail avec un chapelet de gangas et de perdrix rouges.

         Pendant le repas de midi, il faisait tellement chaud dans la salle que Rafael croyait avoir un cercle de braise autour des tempes. Ses vêtements brûlaient au toucher, comme s'ils sortaient d'un four. II était en proie à une sorte d'ivresse, qu'excitaient encore les propos extravagants de Lopez et surtout la présence de Carmen. Un désir fou de l'avoir s'empara de lui et ne le quitta plus de la soirée.
         Il fit une manille avec son camarade, puis tous deux, étant sortis dans la cour, se couchèrent sur un ban pour la sieste. Rafael s'endormit d'un mauvais sommeil plein de rêves pénibles.
         A quatre heures, un vol de ramiers qui passaient au-dessus de leurs têtes les réveilla. Pour secouer l'hébétement qui engourdissait leurs membres, ils firent quelques pas sur la route. Le soleil, encore très haut, incendiait le désert devenu d'une platitude morne. La- misère de la terre, ses plans heurtés et durs se montraient à nu dans la crudité de la lumière. Cependant les eaux trompeuses des mirages se couronnaient toujours de vapeurs à la limite des sables.

         Ils revinrent chercher un peu de fraîcheur sous la tonnelle, qui était tournée vers l'Est. Un petit cordonnier italien, un enfant de quatorze ou quinze ans, qui se louait à la journée dans les fermes et les caravansérails, s'y était installé avec son ouvrage. Carmen était assise à côté de lui, un crochet à la main par contenance :
         - Veux-tu voir mon amoureux, Rafaelète ?
         - dit-elle avec un rire sonore, en désignant l'enfant, dont les beaux yeux se troublèrent.
         - Il ne me quitte pas de la journée, et il m'apporte des fleurs de Boghari... Ah ! il ne pousse pas beaucoup de fleurs à Bougzoul !...
         Elle était fière de l'adoration muette de cet enfant, qu'elle considérait un peu comme son jeune frère. Mais Rafael la regarda avec de tels yeux qu'elle devint tout à coup sérieuse. Elle se fâcha même des familiarités de Lopez, bien qu'elle l'eût connu, déjà, comme tous ceux qui passaient, et elle affecta de ne parler qu'à Rafael, afin de bien montrer qu'elle entendait, ce soir, ne se donner qu'à lui.

         Ils devaient se retrouver dans l'ancien caravansérail du père Juan, qui se trouvait presque en face. Depuis la mort de ce dernier, les patrons de Carmen l'avaient loué, à seule fin d'empêcher toute concurrence. On y remisait du fourrage et, quand il y avait de l'encombrement de l'autre côté, on y couchait les charretiers de passage. Des lits de fer avaient été disposés dans la plus vaste des chambres.
         Lorsque Carmen en ouvrit la porte, une bouffée de chaleur torride lui coupa le souffle. Passer la nuit dans cette fournaise allait être intolérable. Rafael voulut retourner auprès du puits. Carmen s'y opposa : il y avait marché le lendemain à Boghari, et l'on serait surpris, dans la nuit, par les Arabes qui s'y rendaient de très bonne heure. Elle l'entraîna, elle le força à se dévêtir, l'enveloppa de ses caresses et de ses baisers. Mais Rafael la jeta brutalement sur le lit. Après cette journée de soleil et d'inaction, cette sieste énervante, il était gonflé du trop-plein de sa force, ivre de sa virilité, il allait à cette nuit d'amour comme à une rude besogne et comme à une revanche de sa paresse.

         Pareils à deux lutteurs, ils se prirent à pleins bras. Au hennissement de désir qui sortait de leurs bouches entr'ouvertes, ils comprenaient que leurs chairs se convenaient et qu'elles étaient faites pour s'épouser. L'un l'autre, ils s'éprouvaient. Ils se sollicitaient à des joies communes par la pression toujours plus étouffante de leurs bras; et fermant leurs yeux, leurs entrailles jointes, d'une même haleine, d'un même élan furieux, comme deux chevaux sur la même piste, ils couraient ensemble vers, les espaces d'amour. Alors, comme si un mur les eût séparés, ils s'irritèrent, une rage méchante les poussa pour se rejoindre. Leurs dents se mordirent, leurs salives se mêlèrent, le corps voulait pénétrer le corps, celui-ci se vidant jusqu'aux moelles, celle-là béante comme une mer jamais comblée. Un souffle de vertige les animait à s'entre-détruire et, s'embrassant désespérément, les muscles tendus à se briser, sans pouvoir encore rassasier leur désir, ils étaient sur le bord extrême où la luxure s'abîme dans la folie et dans la mort.

         A la lueur de la lanterne qui les éclairait, Rafael vit les yeux troubles de Carmen flotter entre ses paupières avec un étrange sourire, comme si elle l'humiliait jusque dans sa victoire.
         Le lendemain, il était complètement dégoûté d'elle. Il ne pouvait plus ni la voir, ni l'entendre. Il aurait voulu qu'Espartéro arrivât immédiatement pour s'en aller tout de suite de Bougzoul.

         Pendant cette journée si longue, Lopez l'aida à tuer le temps. Ils se grisèrent d'absinthe, afin de lutter contre l'accablement du soleil et d'oublier la vie somnolente du caravansérail et la monotonie des horizons. Toute la matinée, ils firent des manilles, et ils recommencèrent, le soir, après la sieste.
         Mais cette reprise ne les 'amusa plus. Ils battaient machinalement les cartes l'un après l'autre, lorsque Lopez, pour raviver les émotions, proposa à Rafael de jouer ses moustaches contre les siennes. C'était un enjeu que les raffinés du métier, comme Salvador, offraient pour étonner l'adversaire. Séduit par la beauté rare de la chose, étourdi surtout par la faconde de Lopez, dont les noces et les folies étaient fameuses, Rafael accepta.

         Carmen, accourue, suivit la partie avec un intérêt passionné. Rafael perdit. Il jeta ses cartes d'un geste de colère.
         - Ne te fâche pas, Rafaelète, dit Lopez en éclatant de rire : tu me paieras un déjeuner à la Pêcherie. Je n'y tiens pas, moi, à tes moustaches...
         Mais Rafael ne riait pas :
         - Non, non ! Quand c'est sérieux, c'est sérieux ! J'ai perdu : les moustaches sont à toi !
         Carmen, pour le consoler, lui dit :
         - Tu vas ressembler à un torero, Rafaelète ! Ça m'amusera de te voir sans moustaches..

         Lopez partit avec le courrier du lendemain, après avoir donné rendez-vous à Rafaël, lorsqu'il serait de retour à Alger. Dans la matinée, Espartéro arriva avec les équipages. Il entra dans la salle en saluant à peine le monde. Les, sourcils broussailleux, la tête énorme toujours baissée, comme s'il méditait un mauvais coup, il avait la réputation d'une véritable brute. Rafaël l'exécrait, et c'est à contrecœur qu'il lui demanda de remplacer Lopez. S'il n'avait pas été dans l'embarras, Espartéro se fût fait un plaisir de le refuser par jalousie de sa réputation. Il l'embaucha.
         Rafael quitta fort tristement Bougzoul. Il était mal à l'aise, dégoûté de lui, et cependant plein de désirs irrassasiés. L'impétuosité de sa passion lui avait comme courbaturé l'âme, et, cependant, il la sentait toujours frémissante et prête à bondir.
         Pour se calmer, il se dit à lui-même : " Parce que j'ai pris du plaisir, je vais le regretter maintenant ?... Ce serait trop bête !..-" Il accéléra la marche de son attelage, ne pensant plus à rien.
         Comme ils étaient tout près d'Aïn-Sba, un gros nuage noir occupa le milieu du ciel, un tourbillon de sable traversa la route.
         C'était un nouvel orage qui se formait.
         Tout à coup l'ouragan s'abattit avec une violence inouïe.

         Au tournant du rocher qui surplombe, on entendit une galopade éperdue, puis des troupeaux de chameaux et de moutons apparurent en une masse compacte, qui barrait tout le chemin et refluait jusqu'au-delà des fossés. Les conducteurs, pour les arrêter, agitaient devant eux leurs bâtons, les refoulaient sur les équipages, qui ne pouvaient plus avancer. Les brebis, avec des bêlements de détresse, se précipitaient, tête baissée, suivies de leurs agneaux. Des courants contraires se formaient et se choquaient dans une mêlée confuse.
         Obligé de se garer contre les roues de son chariot, Rafael criait vers les bergers. Il injuria un cavalier qui se tenait immobile sur sa haute selle, un petit mouton blessé caché sous son burnous. Mais celui-ci, sans même lui répondre, ne se dérangea pas.

         Soudain un bêlement lamentable, comme la plainte d'une déroute, monta avec le sifflement farouche de l'ouragan. Et le troupeau tout entier, - moutons et chameaux, - se jeta en avant, d'une course effrénée, emporté par le déchaînement de cette grande force stupide qui écorchait les flancs des montagnes et qui obscurcissait le ciel de sa rage inutile.



Louis Bertrand



PHOTOS de TIMIMOUN
VOYAGE 2019 du groupe Bartolini




































LE PATAOUETE et les ECHOS
Par M. Bernard Donville
                Chers amis, Bonjour aux fidèles

            Nous allons en terminer avec le copain Cagayous qui était juste un rappel de la spécificité de ce que les anciens pouvaient entendre dans la rue. Qui ne connait la suite associant Corneille et Brua ?
            Encore une fois le même conseil : relisez-la à voix haute.

            Il faut bien attaquer un autre sujet puisque certains en redemandent. Je vais donc vous entrainer sur un sujet à la fois historique, anecdotique, grave, hilarant souvent futile. C'est à partir d'une conférence faite à Toulouse à la suite de quoi le regretté Maurice Cretot m'avais dit " Il n'y a que toi pour oser attaquer un sujet aussi fade mais tu as réussi".
            Ce sujet c'est le journal "L'ECHO D'ALGER". Pendant un certain temps est né un quatuor du cercle de Toulouse qui a exploité ce journal racheté ( pas le journal mais des exemplaires 1954-1961) par Robert Davezac pour la préparation de sa thèse sur les événements d'Alger. A coté les trois autres étaient moi même, Hervé Cotes et le regretté Bertrand Bouret. Tous les mois nous faisions un condensé de tous les articles quelqu'en soit la rubrique que nous diffusions localement. C'est de cette expérience qu'est née cette conférence. Je vais ici simplement survoler le journal et m'arrêter sur quelques articles qui peuvent vous replacer là bas !
            Pour la présentation de ma rubrique je vais vous donner pour cette première fois le broumitch car je vous fournis quelques pages symboliques des journées de mai 1958 au Forum (à conserver !)

            Nous poursuivons avec le N°2 des Echos et la découverte de l'Echo d'Alger en pénétrant à l'intérieur deerrière la couverture. Nous allons voir succinctement l'ensemble des rubriques abordées et pour les estrangers à la grande ville que le journal n'était pas sectaire et acceptait de s'occuper d'ailleurs !
            Je ne vous en dis pas plus mais si vous fouillez bien vous allez y passer du temps .
            Amitiés et bonne lecture.
            Bernard Donville: bernardonville@free.fr
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Pata 4
Echos1
Echos2
A SUIVRE


LA VESTE

De Jacques Grieu

BLOUSON NOIR

La veste est vêtement aux multiples facettes
Qu'il ne faut pas confondre avec une jaquette.
Savoir bien la porter au gré du temps qu'il fait,
L'adaptant aux nuages, aux vents, à leurs effets,
Est pour les politiques, la base du succès .
L'art de la retourner sans se déshabiller
En fait de grands experts en gesticulations
Avalant des couleuvres avec persuasion.

Suivant le temps, la veste, aime changer de nom
Et se pique l'été de devenir veston.
Par les temps de froidure où l'hiver nous transperce
La doudoune est la veste espérée bien épaisse.
Mais quand les cumulus arrivent à l'horizon,
Comme avec le caban, la vareuse ou blouson,
Quand on " tombe la veste ", on s'apprête au combat,
Même si la chaleur n'est pas forcément là !

Au vestiaire, la veste est dans son habitat
Avec tous les k-way, canadienne ou parka.
Les dolmans ou blazer et autres coupe-vents….
Les vestes ont leurs revers : j'insiste trop longtemps.
Fatiguant le lecteur, je vais " prendre une veste " !
Je pose mon crayon sans demander mon reste…
Se " tailler une veste " est toujours peu glorieux :
J'enfile mon veston… et pars vers d'autres cieux.

Jacques Grieu                  


LÉGENDE ARABE
Gallica : Revue de l'Orient 1850/2-pages 49 à 53


         Sidi-Hamza était un marabout puissant du pays de Zebdar. Sa koubba se voit encore sur le versant austral de la montagne qui porte son nom, et dont le profit singulier, alors qu'il se dessine sur le fond blanc ou bleu du ciel, attire infailliblement les regards; c'est une crête plate, offrant à son extrémité orientale une entaille semblable à un créneau. Le Djebel-Sidi-Hamza est à gauche et à l'entrée de la vallée supérieure de l'Oued-Chouly. Sur le plateau qu'il domine, à l'ouest, se trouvait une ville gouvernée par le sultan Ben-Mesli, lequel commandait en outre à toute la contrée environnante, et dont le territoire forme une partie de celui du Hal-el-Oued, les gens de la rivière. Là, on comptait sept villes et villages dont voici les noms :
         Tamkhaleft, près de la redoute française élevée sur les bords de l'Oued-Chouly, en 1842 ;
         Tamkchent, près de la source à laquelle il a donné son nom ;
         Dachera-Sidi-Bou-Chama ;
         Ben-Idris, sur l'emplacement duquel on campe encore en hiver ;
         Ben-Mesli ;
         L'ancien Tizi, dont les ruines se voient au milieu de Tizi ;
         Dacbera-Mta-Sidi-Abdallah, voisin de Tamkchent.

         Les habitants du territoire portaient le nom collectif d'Ouled-Fars.
         Un jour le sultan Ben-Mesli fit vœu d'épouser la plus belle fille du monde. Une vieille femme qui fréquentait la maison de Sidi-Hamza dit au sultan que son désir ne serait réalisé qu'autant qu'il posséderait la fille du marabout, regardée par toutes les femmes comme la merveille de la contrée. Le sultan fit aussitôt appeler Sidi-Hamza et lui demanda sa fille, en laissant voir que son intention bien formelle était de l'avoir, quelle que pût être la résistance de son père et la sienne. Sidi-Hamza, atteint dans sa plus tendre affection, blessé de voir mépriser le pouvoir qu'il tenait de Dieu, résolut intérieurement de se venger, et demanda jusqu'au lendemain pour prendre une détermination.

         Le lendemain, au moment indiqué, le sultan, voulant faire honneur à sa fiancée, rassembla ses cavaliers, tous ses fantassins, et prit le chemin de la demeure de Sidi-Hamza. A peine la troupe nombreuse est-elle au pied de la montagne, qu'une violente détonation se fait entendre, une pierre énorme fend le sommet, tel qu'on le voit aujourd'hui, puis, éclate en sept morceaux, qui viennent écraser sept villes ou villages du pays de Ben-Mesli, en jetant l'épouvante dans la brillante escorte du sultan.

         Mais Sidi-Hamza reconnut trop tôt que sa vengeance n'avait pu lui conserver l'objet de son affection. Sa fille, en apprenant qu'elle allait se trouver au pouvoir d'un homme qu'elle baissait, éprouva une douleur si poignante qu'elle mourut aussitôt.
         A la suite de leur désastre commun, les Ouled-Fars se dispersèrent, les uns dans le Marok, les autres dans les contrées voisines; ils ne revinrent que longtemps après se fixer au milieu des diverses tribus du même pays qui n'avaient pas eu à supporter la colère du marabout.
         La tradition dit que cet événement s'est passé, il y a trois ou quatre générations.

         La seule famille que l'on regarde comme le dernier débris des Ouled-Fars occupe une tente chez les Ouled-Mimoun. Son ancienne origine, chose si recherchée parmi les Arabes, devait indubitablement lui valoir quelque prérogative. Cela a en effet eu lieu. Lorsqu'un enfant des tribus du pays est malade, soit de la petite vérole, soit de ces affections éruptives auxquelles l'enfance est exposée, on va prendre de la cendre du foyer de cette tente pour l'appliquer sur le corps ou sur la partie malade, et le patient est guéri radicalement ; lointain et éloquent témoignage du bien que les Ouled Fars faisaient jadis autour d'eux en couvrant la terre de jardins et de riches cultures.

         Le site de la ville de Ben-Mesli, Blad-Ben-Mesli, appartient à un Koulougli de la ville de Tlemcen.
         A cette légende se rapporte un fait dont les Arabes ont donné une explication qui est bien en rapport avec leur tendance à chercher le merveilleux en toutes choses.

         Parmi les sept villages de l'état de Ben-Mesli, se trouvait, on l'a vu, celui de Tamkchent. Sous ses murs était une source qui coule encore solitaire au pied du marabout de Sidi-Abdallah-ben-Abd-er-Rahman, sur le grand plateau en pente douce, que les Arabes n'ont pas cessé d'appeler pays de Tamkchent. On y campe quelquefois, et les rares voyageurs qui se rendent sur l'lçer, à Hadjar-Roum, y étanchent leur soif. Ses eaux sont abondantes ; lorsque j'y passai dernièrement, le 2 mars, elles donnaient de 240 à 250 mètres cubes d'eau par heure au minimum, et cette quantité n'était guère moindre à la fin de novembre 1849, après six à sept Mois de sécheresse! mais il s'en perd une telle quantité dans le large lit marécageux et plat à travers lequel elles s'unifient d'abord, qu'arrivées au ravin qui devrait les conduire à l'Oued-Chouly, elles ne lui donnent en temps ordinaire qu'un peu d'eau bientôt perdue. Il parait qu'à l'époque du désastre des Ouled-Fars les habitants de Tamkchent, avant de quitter le pays, en fermèrent l'issue avec une masse de laine imprégnée de goudron, afin qu'elle cessât de faire la richesse du pays.
         Les Hal-el-Oued prétendent que Sidi-Hamza rendit cet effort inutile en ordonnant aux eaux d'aller sortir dans la kasbah de Tagma, qui est â près de 10,000 mètres de là, sur le versant nord de la vallée de Tizi. Elles n'ont pas cessé de le faire, bien que la source de Tamkchent ait repris depuis une partie de son premier cours.
O. M.
Aïn Tamkchent, le 24 novembre 1849

         Cette légende nous a été envoyée en décembre dernier par M. Mac Carthy, qui venait de la recueillir (le 23 novembre) sur le lieu même des fans dont elle consacre le souvenir.


TASSIN
Pieds -Noirs d'Hier et d'Aujourd'hui - N° 212, juillet/août 2013
NAISSANCE D'UN VILLAGE D'ALGERIE
     
                Trois périodes bien caractéristiques sont à distinguer dans l'histoire du développement de tous les centres de colonisation de l'Algérie.
                La première va du moment où le point qui doit servir d'emplacement à la nouvelle agglomération a été trouvé, déterminé et choisi, jusqu'au jour de l'achèvement des travaux de la procédure d'installation et des travaux préparatoires nécessaires pour doter les futurs habitants des éléments utiles à la vie collective. La décision gouvernementale qui ordonne la mise en peuplement et établit le nom ainsi que la liste des concessionnaires agréés en marque la clôture.

                 La deuxième débute avec l'arrivée des colons, c'est une époque de fièvre et d'incertitude, de heurts et de tâtonnements répétés, de luttes incessantes, dont on ne saurait fixer la fin à I'avance, pendant laquelle les maisons se construisent, les terres se défrichent.
                Au contraire de la précédente, celle-ci est exclusivement remplie par l'œuvre des concessionnaires, I'administration n'intervenant que pour protéger, conseiller, accorder des subsides encore souvent nécessaires.
                On entre, ensuite, dans la troisième période, celle où le village, désormais assis, conscient de sa vitalité, indépendant, mais aussi responsable, sous une autonomie dont on ne sent presque plus la tutelle, vogue, définitivement, de ses propres ailes vers un avenir meilleur.

                Et pour Tassin ?
                L'histoire de la création et des premiers pas de Tassin donne un aperçu des événements qui se déroulent dons la vie réelle, durant chacune de ces trois phases. L'endroit où s'élève aujourd'hui le coquet village de Tassin était autrefois connu sous le nom de Zehana.


                C'était une vaste plaine, de plusieurs milliers d'hectares, entièrement recouverte de broussailles touffues, située dans la Commune Mixte de Boukanéfis, Arrondissement de Sidi-Bel-Abbès, département d'Oran.

                Au temps de la conquête, le Génie Militaire, après avoir établi dans les parages une voie stratégique, qui est devenue la Route Nationale N° 7, fit creuser sur ce chemin, au point kilométrique 121km 100, sur la droite, en sortant par I'extrémité Sud-Ouest du centre actuel de Tassin, un puits destiné à permettre à nos troupes, aux convois et aux courriers postaux de se ravitailler en eau potable.
                Le pays fut alors dénommé Hassi-Zehana, c'est-à-dire la contrée du puits. Comme tous ceux creusés à cette époque, Il était d'une construction fort rudimentaire, sans margelle, ni maçonnerie intérieure. Les Indigènes eux-mêmes, et particulièrement les noirs marocains nomades, prirent l'habitude de faite halte au Puits de Zehana.
                Un café maure, ou plus exactement une modeste cahute en broussailles recouverte de diss, s'installait bientôt dans les parages ; outre les Arabes, il ne tardait pas à être fréquenté par nos soldats et par les voitures qui y avaient établi un relais.


                La sécurité du pays étant devenue complète, un Européen venait bientôt s'établir à côté du puits et construisait, en 1869, en face du café maure, une simple baraque.
                C'était un nommé Bahuot ancien caporal du 92ème de ligne, qui dut déguerpir en 1870 à la suite d'affaires de famille malheureuses.
                Un certain Augustin Pérez le remplaça et éleva quatre murs en Pierres
                En 1872, M. Bonnaure, le plus ancien colon du pays, en fit l'acquisition. Il y montait plus tard une " Auberge du Roulage ", embryon du futur Tassin.
                Que fallait-il pour qu'une agglomération de gens fut établie en ce lieu avec de bonnes chances de réussite ?
                De I'eau, des terres fertiles, un climat sain. Toutes ces conditions se trouvaient réunies. Il n'était plus besoin que d'une occasion propice. Cette occasion allait se produire.
                En 1883, M. Tassin, ancien Directeur des Affaires Civiles et Financières, revenant de Tlemcen, dû s'arrêter à l'Auberge du Roulage où était le Relais des Diligences. Saisi d'admiration à la vue de la magnifique plaine d'Hassi-Zehana, il manifesta le regret de ne pas avoir connu plus tôt ce joli petit endroit.

                De retour à Alger, M. Tassin informa M. Tirman, alors Gouverneur Générai et, dès 1884, le programme de colonisation portait création d'un gros centre à Hassi-Zehana. L'emplacement du futur village était à peu près déterminé et paraissait remplir les conditions exigées.

                Il fallait encore, avant de songer à son peuplement, procéder à son installation. La Djemâa de Tiffilès, consultée, consentit à céder les terrains nécessaires ; en échange, L'État lui versait une somme de 160000 francs.
                Restaient à exécuter les travaux de premier établissement. Grâce à la sollicitude de M. le Préfet d'Oron, tout se trouva prêt pour le mois de Janvier 1889. Il n'y avait plus qu'une dernière formalité à remplir: baptiser le village.
                M. le Gouverneur Général Tirman décida qu'en souvenir de M. Tassin, le nom de ce dernier lui serait donné. Il était encore nécessaire de le peupler.
                En raison de l'excellente situation du nouveau centre et de la valeur de ses terres, les candidats ne devaient pas manquer ; on en compta plus de 1.600 or il n'y avait que 110 concessions à donner.

                Le Gouvernement Général décida d'accorder aux émigrants venus de la Métropole les 3/5 du nombre total des concessions à donner. Ces 45 Algériens furent pris un peu partout, soit dans l'arrondissement de Sidi-Bel-Abbès, soit dans les circonscriptions voisines. Saint-Cloud, Assi-Ben-Okba, Mangin, Aïn-Noussy, Ain-Kial, Valmy, Aïn Témouchent, Bou-Tlélis, Sidl-Daho, Hammam-Bou-Hadjar, fournirent, qui un, qui deux, oui trois habitants. Mostaganem, Sirat, Mazagran, Aïn-Tédelès, Saint-Aimé et L'Hillil, une demi-douzaine de concessionnaires. Sidi-Bel-Abbès et son arrondissement donnèrent le plus fort contingent d'Algériens, entre Détrie, Boukanéfis, Baudens, Parmentier, Prudon, Lamtar, Lamoricière, Les Trembles, le Tessalah, Mercier-Lacombe, Palissy, il yen eut au moins une vingtaine.

                Enfin Tlemcen et Hennaya envoyèrent chacun un colon. Quant aux " Emigrants ", ils avaient été recrutés dans le Bassin du Rhône, le Plateau Central et le Bassin de la Garonne. Il y en avait du Vaucluse, du Gard, de l'Ardèche, de la Drôme, des Hautes-Alpes, de l'Isère, du Jura, du Doubs, de l'Aveyron, du Lot, de la Corrèze, de la Haute-Garonne et de la Gironde.
                Huit familles de I'Aveyron ainsi que sept du Tarn. De même, la demande collective de neuf familles savoisiennes originaires d'Hermillon (Savoie), comportant en tout 65 personnes, avait été favorablement accueillie. On était en droit d'espérer, qu'avec un pareil ensemble de colons métropolitains mêlés à l'élément algérien, on obtiendrait un peuplement fatalement appelé à réussir, en raison même de la variété des origines et de la diversité des aptitudes naturelles ou acquises réunies.

                Tassin apparaissait, en Décembre 1889, comme un petit plateau dénudé, d'une vingtaine d'hectares environ, formant une énorme tache jaune au milieu de l'immense verdure environnante. Tout autour, un long ruban large de 15 mètres, constituait les quatre boulevards futurs, et se coupant à angle droit, tranchant de sa ligne aiguë la limite du nouveau centre, dans la broussaille envahissante
                Une grande artère, qui n'était que le prolongement de la route, bornée de morceaux de bois secs plantés de distance en distance, partageait I'emplacement en deux, dans le sens Nord-Est Sud-Ouest. C'était la voie principale du village. De longues raies rougeâtres, figurent les rues secondaires, en divisaient la surface en une série de petites bandes sur lesquelles pointait une maigre verdure.


                Au milieu, un petit carré séparé en deux, la partie droite devant servir à la place de la Mairie et de l'Eglise, celle de gauche étant réservée à l'école et à ses dépendances Un lavoir solitaire, encore inachevé, montrait, à côté de nous, sur la droite, ses larges bassins non recouverts, dans lesquels coulait déjà une eau abondante et claire. D'apparence humaine, on n'en apercevait pas ; quelques gourbis, dispersés de-ci, de-là, permettaient de deviner qu'un certain nombre de colons avaient déjà dû arriver. C'était Tassin. Les premiers élevèrent, dans le haut du village, à gauche, des gourbis avec des broussailles et du diss qu'ils étaient allés quérir eux-mêmes Un Espagnol avait établi une baraque en planches, le plus beau monument du Tassin d'alors, qui tenait lieu d'épicerie, de boulangerie et de boucherie, alors qu'un Israélite cumulait le métier de postier avec celui de marchand de comestibles.

                Dès la fin Janvier, les colons songèrent à se construire une maison simple et commode et à défricher leurs champs, travail ingrat et harassant, qu'ils durent confier, pour la plupart, à des charbonniers espagnols.
                Pendant les trois premiers mois, le village de Tassin avait été rattaché à la Section de Lamtar pour tout ce qui avait trait à I'Etat-Civil et à la pratique du Culte.
                Tassin est fondé
                Depuis 1962 Tassin a changé de nom : HASSI ZEHANA.

                Le 12 Février 1890, M. Charles Colin, un des premiers colons, fut élu Adjoint Spécial. Tassin était pour ainsi dire fondé. Six mois avaient suffi pour obtenir ce merveilleux résultat, et faire qu'à la place d'un endroit couvert de broussailles, s'élevât une centaine de maisons renfermant près de 300 habitants. Aussi, est-ce avec un sentiment de grande joie et de profonde reconnaissance que la population de Tassin fêta le 101ème anniversaire de la Révolution française, le 14 Juillet 1890.
                Rien ne fut oublié, décorations, illuminations, feu d'artifice, bal, au banquet populaire où presque tous les colons assistèrent, on but à la prospérité de Tassin.
                Nous voyons aujourd'hui que ce souhait a été exaucé.

Gave Coopératives Tassinoise

                La Cave Coopérative Tassinoise a été créée en 1932. Elle possède cette particularité d'être outillée par des pompes centrifuges qui permettent de manipuler de 300 à 400 hectos-heure.
                Elle est particulièrement agencée pour faire des vins de qualité, grâce à la variété des cépages qu'y apportent les coopérateurs, au terroir et au fruité qui sont les spécialités des vins de la région. Sa création a permis le stockage et la vinification des raisins appartenant aux viticulteurs ne possédant pas de cave personnelle. Sa contenance est de 49.000 hectolitres. .

                C'est M. GAGNET, le vinificateur et caviste, qui assure depuis la fondation de la Coopérative le traitement des vins.
                Le dévoué et compétent Conseil d'Administration est présidé par M. GRANIE.
  L'Algérie biographique L'Oranie Tome 1
    


 
J'étais rue d'Isly le 26 mars 1962.
Par Jean Balazuc
Envoyé par M. Claude Mennella

       16 mars : à Berrouaghia, le général Charles Ailleret inspecte le 4ème R.T. du colonel Goubard dans son P.C. ; le 4ème R.T. vient d'être inclus dans les unités de Réserve Générale à la disposition du général commandant supérieur ; le colonel lui présente ses tirailleurs presque tous originaires du bled, assez frustres et ignorants, n'ayant pas l'habitude ni de la ville, ni de la foule, du moins européenne, inadaptés à des opérations de maintien de l'ordre ; le général lui promet de donner les ordres nécessaires à son retour à Alger.

       17 mars : à La Réghaïa, suite à l'inspection du 4éme R.T. à Berrouaghia, une réunion se tient dans le bureau du général Charles Ailleret avec les généraux Emmanuel Hublot, de Lespinay et le colonel Jean Vuillemert, chef du 3e Bureau ; ce dernier rédige la note 905, signée par le général Charles Ailleret ; ce document ''très secret'' du GENESUP est diffusé en 3 exemplaires aux trois C.A. interdisant d'employer les tirailleurs dans les opérations qui les mettraient en contact direct avec la foule.

       25 mars : à Alger, le Haut Commissaire, Christian Fouchet ; un fidèle parmi les fidèles, un dur parmi les durs, arrive au Rocher Noir pour prendre officiellement ses fonctions le lendemain à 10 heures ; le colonel Georges Buis est son directeur de cabinet militaire ; son délégué est Bernard Tricot ; Jean Dours est son directeur de cabinet civil. Léon Teyssot est le conseiller technique chargé des contacts algériens. Christian Fouchet s'exprime à la télévision sur sa volonté de maintenir l'ordre ; il met les Pieds-Noirs en garde contre l'O.A.S. Les auditeurs sont frappés par le ton tranchant et le faciès haineux du nouveau Haut Commissaire.

       26 mars : fusillade et massacre de la rue d'Isly à Alger.
       · Le colonel Roland Vaudrey et son adjoint Jean Sarradet reprennent les rênes sur Alger pendant que les capitaines du soviet quittent la ville pour l'Ouarsenis ; avec un tract intitulé ''Halte à l'étranglement de Bab-el-Oued'', ils lancent pour 15 heures une manifestation pacifique de secours, sans arme, dans un esprit de solidarité, pour les habitants de Bab-el-Oued encerclés et soumis à un blocus de l'armée française, qu'il faut briser.
       · De nombreux militants actifs sont absents, car en partance pour le maquis de l'Ouarsenis.
       · Le docteur Jean-Claude Perez, O.R.O., interdit à ses hommes d'aller à la manifestation car il redoute un dangereux traquenard, compte tenu des menaces de Christian Fouchet, nouveau Haut-commissaire, proférées à la télévision le 25 mars au soir.
       · Cette manifestation est interdite par les autorités afin de rendre sa répression légale. Le Préfet de police, Vitali Cros, responsable du maintien de l'ordre à Alger, annonce que la manifestation ''serait dispersée avec la fermeté nécessaire''.
       · Le préfet de police a sous son autorité, le général Capodano, responsable des forces spécialisées du maintien de l'ordre, et son adjoint, le colonel Fournier. Il décide d'empêcher les cortèges de se rejoindre. Le général de Menditte commandant le C.A. d'Alger et le général Capodano, responsable du Grand Alger, disposent de 25 escadrons de gendarmerie mobile, de plusieurs compagnies de C.R.S. et de bataillons d'infanterie ; les instructions du général Capodano sont d'arrêter la manifestation, y compris par le feu.
       · Des barrages sont établis par l'armée à Hydra et à El-Biar, à Maison-Carrée et au Ruisseau ; d'autres barrages sont installés dans Alger même, boulevard Carnot, rue Alfred Lelluch, rampe Bugeaud et rue d'Isly.
       · Au barrage de la rue d'Isly, se trouve le 4ème régiment de tirailleurs (ex 4ème R.T.T.) du colonel Goubard, venant du bled ; le général Capodano modifie le plan du colonel Paul Caravéo et met donc, au carrefour le plus sensible, les tirailleurs du 4ème R.T., juste arrivés du bled dont ils sont accoutumés, après trois opérations en deux jours, puis en maintien de l'ordre à Maison-Carrée ce 26 mars de 2 heures à 11 heures du matin ; le chef de bataillon Pierre Poupat reçoit ces ordres, non écrits ; bien que les tirailleurs soient épuisés et n'aient aucune expérience du maintien de l'ordre en ville, il retransmet ces ordres aux capitaines Ducrettet, Téchère et Gillet.
       · Les ordres donnés sont énergiques : ''si les manifestants insistent, ouvrez le feu'' ; ordre que certains officiers refusent de transmettre.
       · Le 4ème R.T. retient donc le dispositif de combat (armes individuelles approvisionnées et chargées) et non de maintien de l'ordre (munitions séparées de l'arme).

       · A 14 heures 30, le Plateau des Glières est noir de monde et il en arrive encore par centaines, par milliers ; tout Alger est descendu pour voler au secours de ceux de Bab-el-Oued ; plusieurs milliers d'Algérois ont répondu à l'appel de l'O.A.S. : cérémonie au Monument aux Morts, couronnes, Marseillaise.

       · A 14 heures 50, la foule des manifestants, ''drapeaux en tête et sans armes'', se met en marche, comme une coulée compacte ; en tête, des jeunes gens, presque des gosses, qui brandissent des drapeaux tricolores ; la foule chante les Africains, la Marseillaise, puis les Africains encore. Des femmes suivent. Des hommes. Des vieillards. Tous sont tendus. Les plus excités sont les jeunes et les femmes en tête.
       · Quelques minutes plus tard, paniqués ou voulant se dédouaner vis-à-vis du F.L.N., sans autorisation d'ouvrir le feu, les tirailleurs tirent de leur propre initiative ; les P.M. des tirailleurs sèment la mort dans la foule désarmée ; le lieutenant du 4ème R.T. Daoud Ouchène pleure ; il semble que les tirailleurs algériens prolongent leur tir pour se racheter aux yeux du F.L.N. La fusillade dure douze interminables minutes : les soldats sont déchaînés ; dans un état de frénésie sauvage, ils tirent sans discontinuer, de tous côtés. Les premiers médecins et infirmières et pompiers sont mitraillés aussi et il y a plusieurs tués, dont un docteur et plusieurs pompiers.

       · A 15 heures, des civils notamment Armand Luxo, chef de service à E.G.A., ancien chef de section dans la Première Armée, accompagné de Jean Balazuc et Jacques Roth, deux anciens chefs de section de l'armée française en Algérie, crient " Au nom de la France, Halte au feu" ; le lieutenant du 4ème R.T. Daoud Ouchène réagit et arrive enfin à obtenir l'arrêt des tirs des tirailleurs.
       · D'autres civils sont tués par des C.R.S, camouflés derrière leurs camions, qui tirent sur la foule désarmée des manifestants, à hauteur du boulevard Baudin et au bout de la rue d'Isly ; les gendarmes mobiles, casqués et bottés, arrosent la Grande Poste d'Alger et les rues avoisinantes avec leurs F.M. et avec leurs mitrailleuses de 12,7 mm, du haut des Tagarins, près de leur caserne et du Tunnel des Facultés.
       · Au Mauritania, un C.R.S. est tué et six manifestants y trouvent la mort.
       · Dans le haut de l'avenue Pasteur, devant la clinique Lavernhe, une femme demande désespérément aux rares passants de donner immédiatement leur sang.
       · Le reporter d'Europe N°1, Julien Besançon, fait un remarquable reportage sur le vif de ce massacre ; mais lors du journal radiodiffusé du soir, les commentaires du reporter sont modifiés ; la censure gaulliste est passée.
       · Le journaliste Yves Courrière, qui est présent, résume le drame par ces lignes : ''Cette journée voit se produire l'inimaginable : le massacre d'une population désarmée''.
       · La population algéroise reçoit le coup de grâce avec le massacre de la rue d'Isly : officiellement plus de 63 tués et 180 blessés ; en fait la boucherie de la rue d'Isly tue 82 Européens et fait plus de 300 blessés ; parmi ceux-ci, 25 vont décéder dans les jours qui suivent ; le total des morts s'élève donc à 107 Européens. Pas un n'était armé. 10 tirailleurs ont été blessés par leurs camarades ; 102 tirailleurs ont fait usage de leur arme : pour le Président de la République, Charles De Gaulle, ''l'émeute ne peut être dispersée que par le feu meurtrier des troupes''..
       · Alger est assommé. Les Algérois sont profondément traumatisés. C'est ce 26 mars que la combativité incroyable des Français d'Algérie est morte.
       · Du haut de la colline qui domine Alger, Notre-Dame d'Afrique pleure ses enfants martyrs.
       · Cette fusillade fait brusquement comprendre aux Algérois que l'Armée ne basculera pas pour la simple raison qu'elle a déjà basculé de l'autre côté ; le pessimisme croît alors ; la population n'a plus de ressort, plus d'enthousiasme ; rien désormais ne pourra empêcher l'exode.
       · L'O.A.S. a perdu son prestige à Bab-el-Oued ; l'impensable devient réalité : il faut partir et, en attendant, survivre sans espoir de vaincre.
       · Le soir même, le colonel Roland Vaudrey est dessaisi de ses pouvoirs sur Alger-Sahel par le général Raoul Salan.
       · Les balles de la rue d'Isly tuent l'idée même de la Nation française : la Gauche tolère l'assassinat massif d'une minorité dépouillée de ses droits humains ; la Droite tolère le massacre de Français qui ne demandent rien d'autre que de rester Français.

       27 mars : Alger est en deuil.
       . Avec la publication d'un communiqué du Bureau de presse du général Charles Ailleret, rédigé ''au vu des premiers résultats de l'enquête'', les autorités à Alger, le préfet de police Vitali Cros et le Haut Commissaire, Christian Fouchet, cherchent à faire accréditer, sans aucune preuve, la thèse d'une embuscade montée par l'O.A.S. avec trois ou même onze fusils mitrailleurs ; ce communiqué qui évoque treize armes est d'ailleurs rempli d'erreurs qui montrent que son rédacteur ne connaît pas Alger.
       · Le document N°905 du 17 mars disparaît des archives du Corps d'Armée d'Alger.
       . Le nouveau responsable F.L.N. de la Z.A.A., Si Azzedine, nouvellement arrivé à Alger avec l'appui des autorités, soutient cette thèse ainsi que les chefs du F.L.N. bien installés à Tunis ; les terroristes du F.L.N. renvoient l'ascenseur aux fonctionnaires gaullistes.
       · Le général de Berterèche de Menditte, commandant le C.A. d'Alger, reçoit le colonel Goubard, chef de corps du 4ème R.T., qui lui dit son émotion ; le général comprend son émoi et le partage ; mais il exprime aussi le sentiment des militaires à Alger, le général Charles Ailleret en tête : ils sont bouleversés mais soulagés : la population ne manifestera plus.
       · Dans son rapport, pour se dédouaner, le général Capodano écrit : ''De l'ensemble des documents, il est possible de retenir deux certitudes : 1- le feu a été ouvert sur les forces de l'ordre par des éléments séditieux. 2- le 4ème R.T. a manqué de sang-froid et les cadres présents n'ont pas agi sur leurs troupes avec toute la promptitude désirable''. Avant de conclure : ''le drame qui vient de se dérouler est affreux. J'avais cru que les dispositions étaient prises pour l'éviter''.
       · Cependant les archives montrent qu'il n'y a pas eu de provocations O.A.S. à la rue d'Isly et que les tirailleurs du 4ème R.T. avaient l'autorisation de tirer.
       · Des historiens affirment que le massacre a fait 108 morts dans une foule désarmée. Les autorités organisent les obsèques des victimes à l'aube, dans des camions militaires, à la sauvette.
       · Alors que les historiens ont trouvé des témoignages pour tous les actes et pour tous les attentats de l'O.A.S., ils ne trouvent aucun dirigeant de l'O.A.S., aucun commando de l'O.A.S. pour confirmer la présence d'hommes armés de l'O.A.S. ce 26 mars : aucun n'a jamais été poursuivi pour avoir tiré sur le service d'ordre le 26 mars 1962. Les rapports officiels comme celui du capitaine de gendarmerie Garat ou celui qui indique que six personnes dont une femme, dissimulés dans la foule, tirent au P.M. sur les C.R.S. avant que trois d'entre elles ne soient tuées et les trois autres arrêtées avec leurs armes, sont truffés d'invraisemblances ; en effet, ce commando disparaît ensuite des rapports officiels : l'implication ou la non-implication de l'O.A.S. pouvait être prouvée avec les noms de ces six personnes ; inutile donc de les évoquer. Mais il faut préciser que les officiers supérieurs qui témoignent dans les rapports officiels n'étaient pas sur le terrain le 26 mars. Enfin, selon les témoignages de plusieurs officiers du 4ème R .T., les capitaines Gillet et Téchère, le lieutenant Saint-Gall-de-Pons, notamment pendant le procès de l'attentat du Petit-Clamart, un F.M. aurait tiré, du 4e ou 5e étage d'un immeuble à l'angle de la rue Alfred-Lelluch, non sur les militaires mais sur la foule ; le 4ème R.T. aurait tué le tireur ; comme aucune indication sur cet homme n'a été donnée par les autorités, la rumeur le présente comme une barbouze vietnamienne.
       · Le journaliste Yves Courrière, qui a assisté au drame, conclut son article : ''ensuite, chacun prit dans l'arsenal des justifications ce qui servait ses convictions et rejeta les arguments de l'adversaire''.
       . Le Haut Commissaire, Christian Fouchet, le général Charles Ailleret et le préfet de région Dumont, parcourent les rues de Bab-el-Oued sans le moindre incident.
       . Les parlementaires d'Alger, Philippe Marçais et Acquaviva en tête, assiègent le bureau du commandant supérieur, le général Charles Ailleret, à La Réghaïa ; celui-ci les reçoit finalement ; il refuse de discuter avec eux d'un engagement de ne plus ouvrir le feu contre l'O.A.S., c'est-à-dire contre la population européenne ; il demande que l'O.A.S. rende ses armes à l'armée.

       28 mars : à 15 heures 15, le colonel Goubard, chef de corps du 4ème R.T., transmet un message aux compagnies : ''Général C.A.A. demande fournir urgence propositions témoignages satisfaction pour gradés s'étant distingués journée 26 mars''.

       31 mars : à Paris, la Croix relate dans un bref article l'évènement du 26 mars : ''Lundi dernier, les fusils français ont tiré sur la foule française''. Paris-Match édite des photographies de la fusillade, reflétant la panique qui en découlât.

       Fin mars : à Alger, avant l'aube, des camions militaires enlèvent les corps des victimes du 26 mars de la morgue pour des obsèques dans la plus stricte intimité.

       Installé à Nice, le lieutenant du 4ème R.T. change de nom et s'appelle Michel… ; il assiste régulièrement aux messes en mémoire des victimes du 26 mars 1962 ; remarié à une Européenne, il s'installe à Annemasse. Membre de la section U.N.P. de Haute-Savoie ; Chevalier de la Légion d'Honneur en 1977 ; décédé en octobre 1989.
Jean Balazuc

Sources :

       Sur une route nouvelle de Jacques Soustelle - Editions du Fuseau - 1964
       L'Algérie des adieux de Serge Groussard - Plon - 1972
       Le destin tragique de l'Algérie Française de François Beauval - Editions de Crémille - 1971
       Dictionnaire de la Guerre d'Algérie de Jean-Louis Gérard - Editions Currutchet - 2000
       Et Alger ne brûle pas de Si Azzedine - Stock - 1980
       Histoire de la Guerre d'Algérie suivie d'une histoire de l'O.A.S. - N.E.F. - Octobre 1962.
       L'adieu dans Paris-Match - NS 4 avril 2002
       La Guerre d'Algérie du capitaine Pierre Montagnon - Editions Pygmalion - 1984
       La Guerre d'Algérie d'Yves Courrière - Fayard - de 1968 à 1971
       La Guerre d'Algérie sans mythes ni tabous dans les Collections de l'Histoire - mars 2002
       La Guerre en Algérie de Georges Fleury - Perrin 1999
       Mon pays la France du Bachaga Boualam - Editions France-Empire - 1962
       O.A.S. Aux armes, citoyens de P. Gauchon et P. Buisson - J.P.N. 1983
       O.A.S. les secrets d'une organisation clandestine dans Historia - NS mars-avril 2002.
       Organisation Armée Secrète du 15.12.1960 au 10.07.1962 chez Albin Michel - 1963
       La phase finale de la Guerre d'Algérie de Jean Monneret - l'Harmattan - 2000
       Pieds Noirs d'Hier et d'Aujourd'hui, journal de Jean-Marc Lopez
       Souviens-toi (1954-1962) Mémorial - Edition Antenne - 2e trimestre 1971
       Debout les Paras, journal de l'U.N.P.
       France Horizon, journal de l'ANFANOMA
       La Voix du Combattant, journal de l'U.N.C.
       La lettre de Véritas
       C'est nous les Africains, journal du Front National des Rapatriés - NS mars 1971
       Il y a quarante ans, la Guerre d'Algérie - Le Figaro Magazine - NS 29 octobre 1994
       L'Algérie Française de Philippe Heduy - S.P.L. 1980
       Les oubliés de la Guerre d'Algérie de Raphaël Delpard - Michel Lafon - 2003
       Notre guerre en Algérie - Le Nouvel Observateur - NS Octobre 2004
       Le drame de l'Algérie Française - Historama - HS 18 - Avril 1968
       Quand l'Algérie était française - Le Point - NS du 22 mai 2008
       La gendarmerie dans la Guerre d'Algérie - Emmanuel Jaulin - Editions Lavauzelle-2009
       Pieds-Noirs, une histoire française - Midi Libre - NS mai 2012

       Morts pour l'Algérie Française, victimes de la fusillade du 26 mars 1962, 71 Françaises et Français abattus par des balles françaises :
       M. Aldeguer Gabriel ; Bayard Georges-Henri, 58 ans ; Bernard Henri, 78 ans ; Blumhofer Albert, 62 ans ; Cabaillot Octave ; Cazayous Jacqueline, 19 ans ; Chouider Taïeb ; Ciavaldini Charles, 22 ans ; Couraud Jacques ; Dupuy Lucien, 62 ans ; Eyme Marie-Jeanne, 67 ans ; Fabre Marcel Manuel, 53 ans ; Fague André, 28 ans ; Faran Jean ; Fermi Louis, 52 ans ; Ferrandis Renée, 23 ans ; Frasquet Jacqueline, née Segui, 21 ans ; Fredj André, 41 ans ; Galiero Jean, 35 ans ; Garcia Serge ; Gautier Philippe, 28 ans ; Gerby Fernand, 43 ans ; Ghirardi-Giausseran Jacky ; Grégori Faustine ; Grès Ghislaine-Louise, 10 ans ; Hugues Renée, institutrice ; Hugues Pauline, née Berthon, 66 ans ; Innocenti Jacques ; Karsenty Simon ; Ladjadj Abdallah ; Lamendour Gilbert, instituteur ; Lignon René, 42 ans ; Loretti Emile ; Luisi Joseph, 65 ans ; Lurati Henri, 33 ans, instituteur ; Magne Fernand ; Maille Gilbert, 57 ans ; docteur Massonnat Jean-Paul ; Maury Marc ; Mazard Guy, 29 ans ; Mesquida née Gautrilleau Jeannine, mère de quatre enfants, institutrice ; Moatti Georges, 22 ans ; Mompo Roger, 48 ans ; Monda Raymond ; Moretti Jacques ; Neige André ; Pamangian François ; Pizella François, 55 ans ; Puig Claude, 31 ans ; Puig Gaston ; Puig Marcel ; Puig Paul ; Puigcerver Domingo, 64 ans ; Razes Alain Pierre, 32 ans ; Richard René, 47 ans ; Roch Henri ; Sanchis Gaspard ; Santa-Creu Joachim, 42 ans ; Serrano Adolphe, 42 ans, père de quatre enfants ; Texier Paul ; Torrès Michèle, 20 ans ; Van-den-Broeck Georges, 56 ans ; Vengut Jean, 64 ans ; Zelphati Elie Paul.
       A ces victimes, il faut ajouter 2 Musulmans et 2 Européens non identifiés.


       Liste nominative des tirailleurs du 4ème R.T. ayant ouvert les premiers le feu :
· Amrati Mohamed (tireur au fusil-mitrailleur), Khelifa ben Sbkhaoui, Youssef ben Aïssa, Ali ben Amar, Manis Moktar, Caïd Mahmed, Bendekin, Bellat Laïdi, Blikheri Messaoud, Khelifa Abderahmane, Ziane ben Amar, Guezalah Mohamed, Moujnibag Mohamed, Habibi Amar

              


Hommages de Manuel Gomez
PAR MANUEL GOMEZ
Envoi de Mme Marquet.
Jean-Claude Perez un Héros de l'Algérie Française vient de nous quitter           

               Mon cousin, le docteur Jean-Claude Pérez, vient de nous quitter et c'est une partie de ma jeunesse qui est partie avec lui. Pas un seul homme ne fut un aussi grand défenseur de l'Algérie Française que Jean-Claude. Est-il nécessaire de rappeler qu'il fut le “patron” des commandos “Delta” et eu sous ses ordres le lieutenant Degueldre et, bien avant, l'organisateur des “Barricades” en janvier 1960 avec Pierre Lagaillarde. J'étais alors à ses côtés.
               Jean Claude était le “docteur” de Bab-el-Oued, de tout ce petit peuple qui un jour du mois de Mars 1962 s'éleva contre l'abandon de la France et fut bombardé et assiégé par l'armée française, sous les ordres de De Gaulle et du général Ailleret.

                Je me souviens d'une anecdote qui m'a beaucoup marqué : Une bombe avait éclaté boulevard de Provence, à l'arrêt du tram. Il était dix-neuf heures. Je me précipite et tombe sur mon cousin, le docteur Jean-Claude Pérez, dont le cabinet se situait juste sur la place, au premier étage. Il est occupé à secourir un homme allongé sur le sol, le ventre ouvert, d’où s’échappe une bouillie sanglante faite de boyaux et de graisse, c’était horrible.
               - Passe-moi ce journal, là, par terre, allez dépêche-toi.
               Je le ramasse et le lui tends. Il enfonce, avec ses mains, tous les boyaux à l’intérieur de l’abdomen, place le journal plié sur la plaie béante et, à l’aide du pantalon et de la ceinture, referme le tout.
               - Reste à côté de lui jusqu’à l’arrivée de l’ambulance.
               Jean-Claude est déjà reparti vers un autre blessé. Deux personnes s’éloignent en bavardant, l’une boite, le docteur se précipite.
               - Monsieur, monsieur, asseyez-vous par terre, vite.
               L’homme le regarde, surpris.
               - Vite, allongez-vous, vous êtes blessé au pied.
               L’homme baisse les yeux et s’aperçoit qu’il marche sur un moignon, il n’a plus de pied droit. Il tombe comme une masse.
               Les ambulances arrivent, avec la police. Les blessés sont emportés, les morts restent là; toujours bronzés, sous les réverbères, ils n’ont pas encore ce teint blanc de pâte à modeler sale, qu’ils auront demain matin, allongés sur le carrelage de la morgue de l’hôpital de Mustapha.
               Quelques semaines plus tard, lors d’une visite à l’hôpital Maillot, j’apprends avec joie que notre blessé, avec son journal en guise de pansement, est bien vivant. Il vient me saluer, plié en deux et compressant de la main une cicatrice de quarante centimètres.

                J’admire Jean-Claude Pérez. Peu d’hommes ont le courage de passer des paroles aux actes, surtout quand ces actes peuvent vous coûter la vie. Il était fait de cette matière, de ce courage physique, dont sont construits les “braves”.
               C'est lui qui, en mai 1958, m'a ouvert les yeux sur le "machiavélisme" de De Gaulle. Alors que j'étais journaliste à "La Dépêche d'Algérie" il me dit, au cours d’une discussion : "Vous vous trompez tous sur de Gaulle, ce n’est pas l’homme que vous croyez, vous verrez c’est lui qui nous coulera, à cause de lui nous perdrons l’Algérie ".

                J'étais de nouveau à ses côtés lors du "Procés des Barricades", cette manifestation qui fit trembler le pouvoir parisien. Si les Français d’Algérie ne réagissaient pas l’Algérie française était morte.
               Mon journal, "L’Aurore", m’avait demandé de couvrir ce procès des barricades où, parmi les accusés, se trouvait, outre mon cousin, un ami de longue date de ma famille, Marcel Ronda, fils de commerçants de la rue Bab-el-oued.
               Jean-Claude Pérez fut ensuite emprisonné à la prison de la Santé. Il bénéficiait d’un régime réservé aux “politiques”, ce qui me permit de lui rendre souvent visite.
               Le soir même de sa remise en liberté, et avant son retour à Alger, j’organisai une soirée, en compagnie de Jean-Claude et de son épouse. Tout d’abord un monstrueux plateau de fruits de mer, à « l’Auberge alsacienne » du faubourg Montmartre, que Jean-Claude dévora presque à lui tout seul, puis, ensuite, des crêpes arrosées de cidre à la Brasserie Maxeville, sur les grands boulevards.
               Il m’informa qu’il rentrait à Alger pour reprendre la lutte, jusqu’à la mort s’il le fallait, et ce n’était pas une parole en l’air.
               A ma question : "Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?"
               Il me répondit : "Reste à Paris, rends-toi utile ici, grâce à ton métier, chaque fois que tu en auras l’occasion, et attends".
               En Algérie l’O.A.S. s’organisait sous le commandement du Colonel Godard et Jean-Claude Pérez se voyait confier l’O.R.O., branche dure, avec comme adjoint le Lieutenant Degueldre, ancien officier du 1er REP, responsable de la formation et de la direction opérationnelle des futurs commandos deltas.
               Il m'avait fait part de sa fierté de savoir que j'avais représenté Georges Bideault lors de la création officielle de l'OAS à Madrid, auprès du général Salan et de Pierre Lagaillarde.

                Fin mars 62 tous les responsables militaires de l’OAS avaient quitté le pays et il ne restait, pour le dernier baroud d’honneur, que le Dr Jean-Claude Pérez, le lieutenant Degueldre, et les commandos “Delta” de Bab-el-oued.
               Après avoir échappé à deux attentats, mitraillage par une voiture et bombe placée dans sa Mercedes, Jean-Claude Pérez dû quitter Alger à son tour le 15 juin. Il était accompagné par plusieurs membres de ses commandos et ils ont embarqué à bord d’un bateau espagnol.
               Le Dr Jean-Claude Pérez s’installera provisoirement à Salou, en Espagne et je garde en souvenir cette magnifique matinée passée sur le port de Cambril's, face à la Méditerranée.
               Nous avons eu quelques trop rares occasions de nous embrasser par la suite, notamment lors de quelques conférences organisées à Nice.

                Adieu, Jean-Claude, tu resteras à jamais l'un des plus ardents et des plus brillants défenseurs de Algérie Française. Repose en paix.
M. Publié par Manuel Gomez le 18 mars 2023


Dans le sud de la France
Envoyé par Mme Marquet

           Saint-Laurent-des-Arbres (France) (AFP) - Le long des vestiges d'un cimetière sauvage tout juste découvert, Nadia Ghouafria, fille de Harkis, marche, saisie par l'émotion de découvrir ce qu'elle cherche depuis des années: les tombes d'enfants morts dans des camps en France après la guerre d'Algérie et enterrés indignement.
           " C'est un mélange entre satisfaction que les tombes aient été localisées, mais aussi une tristesse et une colère de les savoir toujours là, malgré un signalement de la gendarmerie en 1979 " qui indiquait que les autorités françaises savaient où ces bébés et enfants avaient été enterrés sans sépulture décente il y a 60 ans, témoigne Nadia Ghouafria.

           Français musulmans recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962), les Harkis ont été abandonnés par la France à la fin du conflit.
           Comme des dizaines de milliers d'entre eux, les parents de Nadia ont fui en France et ont été parqués dans des " camps de transit et de reclassement " gérés par l'armée, aux conditions de vie déplorables.
           Depuis quelques jours, aux abords du site des camps de Saint-Maurice-l'Ardoise et du Château de Lascours, dans le Gard (sud-est de la France), où ont vécu les parents de Nadia, des fouilles ont lieu en contrebas d'une clairière à peine visible depuis la route.

           Elles ont révélé les sépultures d'enfants harkis, morts de froid ou de maladie contagieuse. Au loin, le mont Ventoux arbore un sommet neigeux, sous un soleil voilé.
           - " Ossements d'enfants " -
           Sur plusieurs dizaines de mètres, suivant un alignement légèrement oblique, les sépultures se devinent, sous une terre à l'aspect et aux couleurs modifiés " par un creusement antérieur et par la décomposition des corps ", prévient Patrice Georges-Zimmermann, archéologue à l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) au côté de son collègue, Bertrand Poissonnier.
           " Nous avons la confirmation qu'il s'agit bien du cimetière recherché, puisque deux tombes, au moins, recèlent des ossements d'enfants ", annonce à l'AFP l'archéologue.

           Cette découverte historique est le résultat de fouilles sans précédent décidées pour la première fois par l'Etat français après la révélation de l'existence de ce cimetière par une enquête de l'AFP en septembre 2020 et le travail inlassable d'associations locales pour sortir de l'oubli ce pan tragique de l'histoire franco-algérienne.
           Plusieurs piquets, oranges vifs, sont plantés par les deux archéologues signalant l'emplacement des tombes.
           " Nous avons un certain nombre de fosses, ovales, assez étroites, dont la taille dépend de l'âge des individus placés dedans. Beaucoup sont des enfants, voire des bébés ", poursuit l'expert, devant Nadia Ghouafria.

           C'est elle qui a découvert le procès-verbal d'un gendarme rédigé en 1979, révélé au grand public par l'AFP, attestant que les autorités avaient eu connaissance de l'existence de ce cimetière mais n'en ont délibérément pas informé les familles harkies.
           Une première campagne de fouilles menée quelques centaines de mètres plus loin n'avait, l'an dernier, pas été conclusive.
           - Aide pour les familles -
           " Cette fois, c'est le bon endroit. Dès ma première lecture du procès-verbal, j'étais convaincue que le cimetière existait. Ça va aider beaucoup de familles à la recherche de leur défunt ", reconnaît Nadia, qui a créé l'association Soraya, dédiée à la mémoire des enfants d'ex-combattants morts dans les camps et dans les hameaux de forestage.

           La pelleteuse poursuit un méticuleux déblaiement. Sous la terre remuée, une dalle apparaît soudain. Le moteur de la machine est stoppé, les deux archéologues s'approchent. Patiemment, l'un d'eux dégage la surface à l'aide d'une rasette, un petit outil en fer. Deux pierres, plates, grises et rectangulaires, se révèlent.
           " Ça ressemble vraiment à une pierre tombale ", commente M. Zimmermann. A l'extrémité des autres fosses, seules quelques petites pierres avaient jusqu'ici été repérées, " probablement des stèles déposées au niveau de la tête du défunt ", selon Bertrand Poissonnier.

           Dans un porte-vues, une dizaine de documents guide les archéologues dans ce dossier " particulier " puisque " des gens qui existent encore ont des membres de leur famille enterrés ici ", précisent-ils.
           Parmi les personnes décédées dans les camps où furent relégués les Harkis en France, une grande majorité étaient des bébés mort-nés ou des nourrissons, selon l'historien Abderahmen Moumen et les témoignages de familles.
           Un double drame car ces dizaines de bébés ont été enterrés à la va-vite par leurs proches ou par des militaires, dans les camps ou à proximité, dans des champs. Avec le temps, les familles de Harkis, relocalisées loin de ces lieux, ont enfoui au plus profond d'elles-mêmes les fantômes de ce passé traumatique.

           Sur le registre d'inhumation des camps de Saint-Maurice l'Ardoise et Lascours tombés longtemps dans l'oubli avec le procès-verbal du gendarme, sont apposés 71 noms, dont 10 adultes et 61 enfants. Dans ce cimetière sauvage enfin découvert, le registre annonce l'inhumation de 31 d'entre eux.
AFP France, publié le 23 mars 2023 à 12h37.

           Cette affaire pose de nombreuses questions dont je n'ai pas les réponses, mais je pense que la justice devrait poser ces questions à l'Armée, à l'Administration du camp, au service de la médecine du camp et aux familles et faire ressortir les archives.



LIVRE D'OR de 1914-1918
des BÔNOIS et ALENTOURS

Par J.C. Stella et J.P. Bartolini


                            Tous les morts de 1914-1918 enregistrés sur le Département de Bône méritaient un hommage qui nous avait été demandé et avec Jean Claude Stella nous l'avons mis en oeuvre.
             Jean Claude a effectué toutes les recherches et il continu. J'ai crée les pages nécessaires pour les villes ci-dessous et je viens de faire des mises à jour et d'ajouter Oued-Zenati, des pages qui seront complétées plus tard par les tous actes d'état civil que nous pourrons obtenir.
             Vous, Lecteurs et Amis, vous pouvez nous aider. En effet, vous verrez que quelques fiches sont agrémentées de photos, et si par hasard vous avez des photos de ces morts ou de leurs tombes, nous serions heureux de pouvoir les insérer.

             De même si vous habitez près de Nécropoles où sont enterrés nos morts et si vous avez la possibilité de vous y rendre pour photographier des tombes concernées ou des ossuaires, nous vous en serons très reconnaissant.

             Ce travail fait pour Bône, Aïn-Mokra, Bugeaud, Clauzel, Duvivier, Duzerville, Guelaat-Bou-Sba, Guelma, Helliopolis, Herbillon, Kellermann, Millesimo, Mondovi, Morris, Nechmeya, Oued-Zenati, Penthièvre, Petit et Randon, va être fait pour d'autres communes de la région de Bône.
POUR VISITER le "LIVRE D'OR des BÔNOIS de 1914-1918" et ceux des villages alentours :

    
CLIQUER sur ces adresses : Pour Bône:
http://www.livredor-bonois.net

             Le site officiel de l'Etat a été d'une très grande utilité et nous en remercions ceux qui l'entretiennent ainsi que le ministère des Anciens Combattants qui m'a octroyé la licence parce que le site est à but non lucratif et n'est lié à aucun organisme lucratif, seule la mémoire compte :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
                         J.C. Stella et J.P.Bartolini.
 


NOUVELLES de LÁ-BAS
Envois divers


Annaba

Envoyé par Sandrine
https://www.algerie360.com/annaba-5-cadres- de-lindustrie-siderurgique-sous-mandat-de-depots/


Algérie 360 - par Lamia F 13 mars 2023

5 cadres de l’industrie sidérurgique sous mandat de dépôt

         5 mandats de dépôt ont été prononcés à l’encontre de chefs d’entreprise, de fonctionnaires et de cadres de l’industrie sidérurgique d’Annaba ce 13 mars. Dans le lot, on retrouve d’anciens responsables, mais aussi des fonctionnaires en poste des entreprises Imetal et Sider entre autres.
         Les autorités ont procédé à l’arrestation des concernés et une enquête pour corruption, blanchiment et plusieurs autres chefs d’accusation a été ouverte.

         Des têtes tombent à Annaba, 5 responsables du secteur de la sidérurgie arrêtés
         Le complexe d’exploitation de fer d’El Hadjar et les entreprises Imetal et Sider sont au cœur d’une affaire de corruption et de détournement de fonds. Suite à une enquête de plusieurs mois, le parquet s’est exprimé pour annoncer l’interpellation et le placement en détention provisoire de 5 haut gradés de l’industrie sidérurgique à Annaba.
         Il s’agit des PDG des groupes Imetal et Sider, du directeur de l’Entreprise Nationale de Récupération (ENR), du secrétaire de l’UGTA d’Annaba, ainsi que de l’ex-directeur des ressources humaines du complexe El Hadjar.

         Communiqué de presse du Procureur de la République annonçant les mandants de dépôts et les accusations à l’encontre des suspects

         Les 5 suspects ont été placés sous mandat de dépôt ce mardi 13 mars en attendant leur jugement. Plusieurs chefs d’accusation sont retenus contre eux, les principaux étant le blanchiment d’argent, le détournement de marchés et d’enrichissement illicite.

         22 suspects soupçonnés dans l’affaire de corruption massive d’El Hadjar
         C’est la brigade centrale de répression des crimes économiques (branche de la DGSN) s’est chargée de mener l’affaire. Dans le sillage de l’arrestation des 5 cadres précédemment cités, des poursuites ont été engagées contre 17 autres suspects. Ces derniers ont été placés sous contrôle judiciaire en attendant la suite de l’enquête.

         C’est le rendement relativement faible des entreprises qui a mis la puce à l’oreille des autorités. En effet, le complexe El Hadjar a essuyé des pertes économiques non-négligeables, au même titre que le Trésor Public. Les services de la sûreté nationale ont lancé une enquête après réception d’un rapport émis pour dépassements au sein de ces entreprises.
         La dilapidation de deniers publics, la malversation, l’octroi de marchés à titre non réglementaire et d’autres chefs d’inculpation sont les principaux chefs d’accusation dans l’affaire.
Lamia F           


Production d’hydrogène vert

Envoyé par Iréne
https://elwatan-dz.com/production-dhydrogene-vert- la-strategie-nationale-en-discussion


El Watan - Par : Zhor Hadjam 22/03/2023

La stratégie nationale en discussion

         L'hydrogène vert, l'énergie de demain

         Dans un contexte mondial de vive concurrence autour de la production d’hydrogène vert, en tant qu’énergie propre, très convoitée dans les années à venir, l’Algérie tente d’affiner sa stratégie nationale en vue de se placer notamment sur le marché de l’export.

         Un volet que le gouvernement à d’ores et déjà inclus dans ses accords avec son partenaire italien, dans la perspective de la réalisation du second gazoduc qui reliera dans les toutes prochaines années les deux pays méditerranéens. Les potentialités algériennes en matière d’exportation d’hydrogène vert sont d’ailleurs soupesées par ses concurrents comme c’est le cas de l’Espagne qui ambitionne de produire et d’exporter de l’hydrogène vert dès 2030. La question du développement de cette énergie verte pour la consommation nationale et l’export sera au centre d’un atelier qui sera organisé demain par le ministère de l’Energie et des Mines.
         Il s’agira, notamment, de dérouler la feuille de route du gouvernement visant le développement de la filière hydrogène en Algérie en vue d’offrir «aux acteurs nationaux et internationaux la visibilité nécessaire quant aux politiques, réglementations et mesures d’incitation et d’encouragement qui seront adoptées par les pouvoirs publics pour le déploiement de la filière hydrogène dans notre pays».
         La feuille de route, qui s’articule autour de plusieurs axes, vise notamment la diversification de l’approvisionnement énergétique, le renforcement de la sécurité énergétique, l’accélération de la transition énergétique et la réduction de l’empreinte carbone du pays.
         L'événement, qui se déroulera à Alger, sera rehaussé par la présence des ministres de l’Energie et des Mines, de l’Environnement et des Energies renouvelables, et de l’Industrie et la Production pharmaceutique, selon un communiqué du ministère qui précise que l’atelier verra également la participation de plusieurs secteurs notamment ceux qui ont contribué à l’élaboration de cette feuille de route. Il s’agit de l’Enseignement supérieur et la Recherche scientifique, l’Industrie, l’Environnement et les Energies renouvelables, le Commissariat aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique ainsi que le secteur de l’Economie de la connaissance et des Start-up.

         Lancement de projets pilotes

         Noureddine Yassaa, commissaire national aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique auprès du Premier ministre, avait annoncé, il y a quelques semaines, que «des projets pilotes de 2 à 10 mgw devraient être lancés prochainement en collaboration avec des partenaires étrangers».
         «Il y a des discussions pour lancer ces premiers projets pilotes de production d’hydrogène vert à partir de l’électrolyse de l’eau», avait souligné le responsable dans une déclaration sur les ondes de la Radio nationale. Selon M. Yassaa, rien n’est impossible vu le potentiel national en matière d’hydrogène vert. «Nous sommes un pays énergétique par excellence. Nous avons l’expérience dans le domaine de la production, de stockage, de distribution, de transport et d’exploration de l’énergie, notamment le gaz.»

         Le ministre de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, avait souligné, en décembre 2022, l’importance d’un protocole d’entente signé entre le groupe Sonatrach et la société gazière allemande VNG AG, soulignant que cette coopération permettra d’assurer la maîtrise technologique relative à l’hydrogène vert avant 2030.

         M. Arkab a affirmé que cet accord devrait permettre de lancer «le premier projet pilote» de production de l’hydrogène vert en Algérie d’une capacité de 50 MW, avec comme objectif principal de maîtriser les technologies relatives à ce domaine.
         Ce projet permettra ainsi le transfert de technologie et d’expertise allemandes au profit des cadres algériens, afin de pouvoir passer à l’étape de production commerciale de quantité importante d’hydrogène vert à partir de l’année 2030, selon le ministre.
         Tout en rappelant que l’Algérie produit déjà de l’hydrogène gris à travers les procédés existant au niveau de Sonatrach, il a soutenu que le protocole d’entente avec l’entreprise allemande va permettre la mutation vers l’hydrogène vert.
          


 Aoun l’avait promis, plusieurs têtes tombent chez Saidal

Envoyé par Jules
https://www.algerie360.com/aoun-lavait-promis- plusieurs-tetes-tombent-chez-saidal/

Algérie 360 - Par : Lamia F 16 mars 2023


          Le secteur de l’industrie pharmaceutique a connu beaucoup rebondissements dernièrement, notamment des mesures plus ou moins radicales pour améliorer le rendement de certaines entreprises. Le Ministère de l’Industrie Pharmaceutique appelle aux sanctions, et c’est Saidal qui y passe en premier. Un groupe de responsables a été relevé de ses fonctions aujourd’hui, le 16 mars 2023, sur ordre du ministre.

        Aoun sanctionne Saidal : des cadres du groupe suspendus de leurs fonctions
          La directrice générale du groupe Saidal, Fatoum Akacem, a limogé plusieurs responsables assurant des postes important au sein de Saidal ce jeudi. Une décision prononcée suite aux instructions du ministre de l’Industrie pharmaceutique, Ali Aoun, qui avait décidé récemment de sanctionner le groupe pour manque de productivité.

        Un communiqué du Ministère est venu annoncer la nouvelle cet après-midi, faisant ainsi de Saidal la première entreprise pharmaceutique algérienne à subir des sanctions ministérielles en 2023.
          Les dirigeants déchus seront remplacés par des responsables par intérim le temps de trouver des profils aux compétences adaptées, ajoute le communiqué.

        Les mises en garde du ministère contre Saidal
          Rappelons qu’Ali Aoun avait déjà mis en garde Saidal quant à son rendement insuffisant. Les indices de productivité du groupe ne remplissaient aucunement les exigences attendues, suite à quoi ce dernier s’était vu attribuer une période de 6 mois pour remonter la pente.

        Ali Aoun a annoncé il y a une semaine la prise à effet de sanctions à l’encontre de la société, et plus précisément contre certains responsables. Selon le ministre, ces derniers n’auraient pas mis en pratique les instructions données, ce qui a résulté en une baisse conséquente de la production du groupe. Le Ministère juge cette baisse de régime problématique, surtout vis-à-vis des ambitions d’autosuffisance actuelles de l’Algérie.
Lamia F             


Véhicules de moins de 3 ans

Emma
https://www.tsa-algerie.com/vehicules-de-moins-de-3-ans- leuro-au-plus-haut-sur-le-marche-noir/

tsa-algerie.com - Par: Zine Haddadi 05 Mars 2023

L’euro au plus haut sur le marché noir

           En Algérie, l’euro poursuit sa hausse face au dinar sur le marché noir des devises, dopé par le retour à l’importation des véhicules de moins de 3 ans.

           Alors qu’il s’échangeait à 215 dinars algériens en janvier dernier, l’euro a atteint mercredi 1er mars la valeur de 224,5 dinars. Ce dimanche 5 mars, la valeur de la monnaie unique européenne a encore augmenté face au dinar sur le marché noir des devises en Algérie.

           Un euro s’échange désormais à 225 dinars, un seuil historique que la monnaie unique n’a jamais atteint en Algérie. Sur le marché officiel interbancaire, un euro est cédé à 144,91 dinars, selon les cotations de la Banque d’Algérie.
           L’euro poursuit sa hausse face au dinar sur le marché noir des devises
           Selon les cambistes, la hausse de l’euro sur le marché noir des devises en Algérie est due en partie à l’entrée en vigueur lundi 27 février de la réglementation relative à l’importation des véhicules de moins de 3 ans.
           Cette réglementation précise que la transaction d’achat du véhicule de moins de trois ans doit se faire avec les devises propres de l’acheteur.
           Il était prévisible que les personnes intéressées par l’acquisition d’une voiture de moins de trois ans allaient se ruer vers le marché parallèle de la devise pour financer leur transaction.
           Concrètement, l’acheteur est dans l’obligation de se diriger vers le marché parallèle pour avoir la somme de la voiture qu’il a ciblée en euro puis la déposer en banque pour faire la transaction. Dans ce contexte, le retour à l’importation des voitures d’occasion est un beau cadeau aux barrons qui contrôlent le marché noir des devises.
           La hausse de l’euro sur le marché noir des devises est une mauvaise nouvelle pour les Algériens qui veulent importer des véhicules de moins de trois ans. Ces derniers qui coûtent déjà cher ne seront pas à la portée de la majorité des Algériens.

           Véhicules de moins de 3 ans : des prix prohibitifs

           Sur le site spécialisé français L’Argus, on peut trouver une Peugeot 208 essence, année 2023 avec 20 km au compteur, pour près de 15.500 euros (hors taxes), ce qui signifie que son prix en Algérie, au taux actuel de l’euro sur le marché des devises, dépasserait 3,5 millions de dinars, sans compter les frais de transport et les taxes à payer pour son dédouanement.
           Autre exemple : une Renault Clio V, année 2022, avec 14.900 km au compteur, pour près de 15.500 euros hors taxes, soit près de 3,5 millions de dinars, sans compter les taxes et les frais de transport.

           Sur le même site, on peut trouver une Volkswagen T-roc pour 26.500 euros en hors taxes, soit près de six millions de dinars, sans compter les taxes et les droits de douane ainsi que les frais de transport.

           Avec un euro à 225 dinars sur le marché noir, un véhicule qui coûterait 10.000 euros en France, reviendrait en Algérie à 2,25 millions de dinars. À cette somme, il faut ajouter les droits de douane, la TVA et autres taxes à payer en Algérie, soit près de la moitié de son prix en hors taxes.
           Pour les véhicules, le Code des douanes algérien comprend 30 % de droits de douane, 2 % de taxe TCS, 19 % de TVA en plus de la TVA au même taux sur les 32 % des droits de douane et de la TCS, soit 6,08 % de la valeur déclarée du véhicule. En tout, l’importateur d’une voiture d’occasion essence devra s’acquitter de 57,08 % de la valeur du véhicule en hors taxes (sans TVA). Cette valeur est calculée au taux de change officiel de l’euro qui est actuellement de 144,91 dinars.
           Toutefois, ces taxes pourraient changer en fonction de la nature du moteur du véhicule et de sa cylindrée.

           Dans un communiqué publié mercredi 1er mars, la Direction générale des douanes a indiqué que les véhicules d’occasion de moins de trois ans bénéficieront de réduction des droits et taxes à hauteur de 80 % pour les véhicules électriques qui coûtent plus chers à l’achat et qui nécessitent une infrastructure de chargement dont l’Algérie est dépourvue.
           Pour les véhicules à moteur à piston alternatif, à allumage par étincelle (essence) ou hybride (essence et électrique), dont la cylindrée est égale ou inférieure à 1800 cm3, la réduction est de 50 %.
           Enfin pour les véhicules du même type dont la cylindrée est supérieure à 1800 cm3, la réduction est de 20 %.
            



Situation sociale en Algérie

Envoyé par Marc
https://www.tsa-algerie.com/situation-sociale-en-algerie- ce-que-revelent-les-chiffres/

  - tsa-algerie.com - Par: Zine Haddadi 02 Mars 2023

Ce que révèlent les chiffres

           Les chiffres sur le chômage et la solidarité durant le Ramadan illustrent le caractère social de l’État, mais aussi l’ampleur de la paupérisation de la société algérienne.

           En annonçant les récentes augmentations de salaires, le président Abdelmadjid Tebboune a reconnu qu’elles n’étaient pas suffisantes face à la hausse de l’inflation et au recul du pouvoir d’achat des Algériens.

           Les chiffres rendus publics régulièrement par les responsables et les instances officielles traduisent l’étendue de l’impact de la hausse du coût de la vie sur de nombreuses franges de la société algérienne.
           Depuis son élection en décembre 2019, le président de la République Abdelmadjid Tebboune a multiplié les mesures pour soutenir le pouvoir d’achat.
           Outre le maintien de la politique sociale de l’État à travers les subventions et autres transferts sociaux, et une lutte implacable contre la spéculation sur les produits de première nécessité, Abdelmadjid Tebboune a décrété plusieurs mesures concrètes et ciblées, parmi lesquelles l’abattement ou la suppression de l’impôt sur le revenu global (IRG) pour les bas salaires (moins de 30.000 dinars), l’augmentation du salaire minimum garanti (SNMG) de 18.000 à 20.000 dinars, l’institution d’une allocation chômage pour les jeunes sans emploi et l’augmentation des salaires des fonctionnaires, des pensions de retraite et du montant de la même allocation chômage qui passe de 13.000 à 15.000 dinars.
           Néanmoins, tout cela reste « insuffisant », de l’aveu même du chef de l’État qui a expliqué qu’il a opté pour des augmentations progressives, par « doses homéopathiques », afin d’éviter de provoquer l’effet contraire de celui escompté de ses mesures, c’est-à-dire une forte inflation qui rendrait caduques les décisions sociales annoncées.
           L’inflation est déjà très élevée en Algérie avec un taux de 9,2 % en 2022, selon les chiffres officiels.
           Le chiffre est néanmoins à relativiser d’abord parce que dans le panier de référence on y trouve des produits dont les prix sont plafonnés par l’État. Ensuite, dans le sillage des retombées de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine, certains pays enregistrent une inflation à deux chiffres.
           Toutes les mesures décrétées ces derniers mois sont justifiées par l’inflation en cours et la détresse sociale dont l’ampleur est justement révélée par les chiffres officiels dévoilés régulièrement.

           Algérie : la détresse sociale par les chiffres

           Évoquant sur les ondes de la radio algérienne l’opération de solidarité pour le Ramadan de cette année 2023, un responsable du ministère de la Solidarité nationale a révélé que l’opération concerne cette année 2,4 millions de familles.
           Ces dernières recevront chacune un chèque de 10.000 dinars. Le « couffin du Ramadan », distribué il y a quelques années, a été remplacé par un chèque pour une meilleure gestion de l’opération. Presque deux millions et demi de familles concernées, le chiffre est considérable en comparaison avec la taille de la population algérienne qui est de 45 millions d’habitants.

           Le même responsable a dévoilé un autre chiffre qui démontre cette fois l’ampleur du chômage en Algérie. Selon lui, deux millions de jeunes se sont inscrits pour bénéficier de l’allocation chômage.


               




De M. Pierre Jarrige
Chers Amis
Voici les derniers Diaporamas sur les Aéronefs d'Algérie. A vous de les faire connaître.
    PDF 166A                                                  PDF 167
    PDF 167A                                                  PDF 168
    PDF 168A                                                  PDF 169
Pierre Jarrige

Site Web:http://www.aviation-algerie.com/

Mon adresse : jarrige31@orange.fr


C'est tout à fait ça !
Envoyé par Eliane

     À 70 ans,75 ans, on ne peut rien dire, on ne peut rien faire, sans risquer de se faire rabrouer.
     Ne dites jamais que vous vous sentez fatigué, on vous répondra : c'est normal à votre âge.

     Ne dites pas davantage que vous vous sentez en forme, on ne vous croirait pas, on dirait que vous plastronnez, que vous bluffez, que vous vous vantez.

     Si vous ne faites rien, on dira : il faut vous occuper, sinon vous allez vous encroûter ! Si vous envisagez d'entreprendre un travail qui vous plaît mais qui est un peu risqué, on dira : laissez donc, ce n'est plus de votre âge !
     Remarque gentille qui part d'un bon fond, mais personne ne vous proposera de venir le faire à votre place !
     Ce n'est vraiment pas marrant, assurément, d'avoir 70 ans ou plus.

     A 70 ans, on doit tout supporter, sans rien dire : Les petits-enfants qui braillent et qui cassent tout : c'est la jeunesse qui vit !

     Les beuglantes et les transistors des adultes : c'est de leur âge, il faut bien qu'ils se défoulent !
     (N'insinuez pas que de votre temps on se défoulait aussi mais autrement ! on vous fusillerait du regard.)

     Les idioties et les navets de la télé : il en faut pour tous les goûts.... (Les vôtres étant exclus, bien entendu, car vous êtes complètement dépassés)
     Ce n'est pas marrant, assurément, d'avoir 70 ans.
     Ne discutez jamais avec un automobiliste, même s'il vous fait la pire des entourloupettes.
     Il vous dira : à votre âge, on reste chez soi où on va à pied.

     Si à un stop, vous tardez à démarrer, votre jeune voisin, assez pressé, vous lancera : "alors pépé, on fait la sieste » ? (ce n'est pas méchant, mais c'est vexant).

     Ce n'est pas marrant, assurément, d'avoir 70 ans.
     Là où vous êtes encore reçu, on vous réserve toujours le fauteuil le plus moelleux : « mettez-vous là, vous serez bien mieux », comme si à 70 ans, on ne pouvait plus poser son cul sur le siège de tout le monde.

     Si quelqu'un apprend que vous avez 70 ans, il va se précipiter vers vous : « vous avez déjà 70 ans, vous ne les paraissez pas, vous les portez bien » c'est flatteur mais qu'en sait - il ?

     Si vous annoncez le décès d'un ami qui, comme vous, a 70 ans, on entendra :
     « C'est quand même un bel âge, il a bien vécu ».
     Vous êtes prévenu, vous connaissez votre oraison funèbre

     Avant de raconter une histoire, cherchez à vous rappeler si vous ne l'avez pas déjà racontée à plusieurs occasions. Sinon quelqu'un vous dira : « mais pépé, on la connaît cette histoire, tu nous l'avais déjà racontée et l'un se permettra même d'ajouter : "pépé tu commences à radoter"

     En société, qu'il y ait eu apéros ou pas, parlez le moins possible, fermez votre gueule, évitez toute discussion,ne cherchez pas à exprimer votre point de vue et encore moins à le défendre, car, bien entendu, c'est certain, vous n'êtes plus dans le coup, et vous n'y connaissez plus rien.

     Ne dites pas non plus que vous rentrez dans votre 10ème-15ème année de retraite, il se trouvera toujours quelqu'un pour dire : "vous coûtez cher à l'Etat.

     Assurément, ce n'est pas marrant d'avoir 70 ans et plus.

     En FAIT ... ? MOI...
     JE LES EMMER....E !
Bernard PIVOT




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Notre liberté de penser, de diffuser et d’informer est grandement menacée, et c’est pourquoi je suis obligé de suivre l’exemple de nombre de Webmasters Amis et de diffuser ce petit paragraphe sur mes envois.
« La liberté d’information (FOI) ... est inhérente au droit fondamental à la liberté d’expression, tel qu’il est reconnu par la Résolution 59 de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée en 1946, ainsi que par les Articles 19 et 30 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), qui déclarent que le droit fondamental à la liberté d’expression englobe la liberté de « chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».
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