N° 228
Juin

https://piednoir.fr
    carte de M. Bartolini J.P.
     Les Bords de la SEYBOUSE à HIPPONE
1er Juin 2022
jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
https://www.seybouse.info/
Création de M. Bonemaint
LA SEYBOUSE
La petite Gazette de BÔNE la COQUETTE
Le site des Bônois en particulier et des Pieds-Noirs en Général
l'histoire de ce journal racontée par Louis ARNAUD
se trouve dans la page: La Seybouse,

Écusson de Bône généreusement offert au site de Bône par M. Bonemaint
Les Textes, photos ou images sont protégés par un copyright et ne doivent pas être utilisés
à des fins commerciales ou sur d'autres sites et publications sans avoir obtenu
l'autorisation écrite du Webmaster de ce site.
Copyright©seybouse.info

Les derniers Numéros : 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227,

EDITO

BIEN VIVRE…

        Le 1er juin est le 152e jour de l'année du calendrier grégorien. Il reste 213 jours avant la fin de l'année.

         Plusieurs événements à venir vont marquer et rythmer la vie du citoyen au mois de juin.
        La Pentecôte, la célébration des premières communions. Cela annonce un temps festif, de convivialité et de retrouvailles familiales.
        L'on pourrait dire que c'est la vie dans son abondance.

         Puis l'été arrive, saison pour mettre un frein au rythme frénétique et terriblement stressant, dues à la " pandémie ", et à ses conséquences imposées sur notre manière de vivre depuis plus de deux ans.
        L'été, c'est le temps pour redécouvrir la beauté de la vie qui continue de nous émerveiller, par sa splendeur, malgré le mal qui lui est fait.

         C'est la période de l'année où les arbres regorgent de fruits plus savoureux les uns que les autres quand ils ne sont pas empoisonnés et alors ils nourrissent les hommes.
        C'est le temps de prendre le temps d'une trêve avec la routine : s'asseoir sur un banc ou une chaise au soleil et regarder la nature, les oiseaux, écouter de la musique reposante ou lire ; profiter pour passer des moments pleins avec les amis ou la famille, pour se retrouver face à soi-même ou rassembler ses énergies pour voir l'avenir qui ne s'annonce pas rose.

         Platon déjà enseignait que " L'essentiel n'est pas de vivre, mais de bien vivre ".
        Suivons son précepte.
Jean Pierre Bartolini          
        Diobône,         
         A tchao.


Moi et Dédée à la saint-Couffin Calloise en 1999.
A propos des OSCARS du Gazadiel !

        C'était le lundi de Pâques et va savoir pourquoi ? ce jour-là, toute la bande du bureau de l'Amicale, elle a pensé de s'le fêter entre-nous à l'Hacienda dans la forêt de Janas, tu vois, à côté la Seyne-sur-Mer et pas trop loin de Toulon. Alors comme ça tu vois, on s'est tous dit qu'on allait se faire pour la première fois depuis qu'on est venu d'là-bas, une madone de Saint-Couffin *comme à de bon à La Calle au temps d'autrefois.
        Merci mon Dieu ! comme toujours elle dit une Calloise.

        Le temps il était splendide à cent pour cent, avec un soleil que j'te dis pas comment il était : impeccable comme y disent les Toulonnais et pas un putain de nuage dans le ciel pour lui faire peur et le faire sauver se cacher j'sais pas où ? La purée ! même le vent, tu vois on l'a pas entendu, tellement il s'est fait tout petit-petit devant nous. Que dis-je, petit ! Minuscule, négligeable ! comme les fourmis du Moulin et les moustiques du lac Melha. Enfin et pour ne pas trop m'la tirer à la longue, disons que grâce à nous Dieu merci il a fait beau.
        Un point virgule et un point, c'est tout ! Comme y disaient Moi et Augu* de Bône la très coquette.

        Mais l'essentiel elle arrive immédiatement tout de suite, car, c'est pas la peine de parler de la météorologie en faisant le jappeur *, pour montrer que moi j'connais mieux le temps que ceusses qui sont à la télé. Ouais, d'accord ! mais seulement voilà, c'était pas pour me montrer, mais pour faire l'entrée en matière bien-sûr, enfin, l'introduction d'une journée trois fois al kif* , et quand je dis trois fois ! j'suis un peu beaucoup mesquine. A regarde Cousin, multiplie-moi ça par beaucoup et ajoute un sac de bonnes choses, et là quand tu fais l'opération tu vois vite-vite de quoi on va abondamment tchatcher.

        Alors ? que disais-je... Oui ! je parlais de l'essentiel qu'elle arrive tout de suite et immédiatement ! Et ben Cousin, si tia pas compris alors écoute-moi bien ? Voilà ! tout d'un coup ils sont arrivés bien-bien sur le parking de l'Hacienda, avec une animation splendide comme quand les chalutiers le soir, y rentraient dans le port de chez nous, et sec-sec, comme les Cars de l'Algérienne Automobile Transport, quand y débouchaient en klaxonnant aux 4 chemins de La Calle. Alors à regarde un peu Cousin, y avait des vieux, des jeunes, des moins vieux et des ni vieux ni jeunes... Y en a qui z'étaient seuls et d'autres qui sont venus avec des z'invités... certains, la famille elle était tellement grande, alors y sont venus avec plein des automobiles... Tu vois Cousin, comme dans les mariages les unes derrière les autres. Moi j'étais tellement tchallé, que j'ai même pas vu si elles ont klaxonné ? mais ça m'étonnerais pas ! Pour les voitures y en avait de toutes les qualités : des rouges, des bleues, des vertes, des mûres et des pas mûres, des grandes, des petites, des hautes et des basses... Enfin pour être bref, y avait de toutes les marques et y manquait rien à la fête - comme dans une belle acqua-basse* à la Calloise.

        Remarque y faut quand même que je vous dise, que c'est pas tous les jours qu'on fait la Saint-Couffin Calloise, c'était même comme je vous l'ai dit en premier, la première fois depuis là-bas. Alors c'est pour ça que tout le monde il était tellement content : des embrassades qu'elles z'en finissaient plus, des madones de rigolades de partout et blague et blague sans compter dans tous les coins, avec ce putain de bel accent du petit Paris* de La Calle qui nous caractérise. Enfin pour ne pas me la tirer à la longue, on était entre 70 et 80 et pour une première fois, c'était pas mal du tout et bien assez pour passer une bonne journée entre nous-autres !

        Alors bien sûr, quand y s'est fait presque midi, comme y en a qui avaient soif alors tous en chœur on a bu à discrétion, qui l'anisette, qui autre chose… Enfin la vérité Cousin, crois-moi y avait un bon apéro avec des amusent-bouches, que moi au début j'savais pas ce qu'ça voulait dire. Heureusement que mon copain d'enfance le maître d'école, y m'a bien expliqué en long en large et en travers, que c'était ce que nous on appelait la kémia. Alors sans me vanter et comme je suis intelligent, en un mot j'ai tout compris tout de suite... Et puis après on s'est tous mis à table sans faire de la cérémonie, mais en regardant bien les bouts de cartons avec les noms, que Justin et p'tit-Jean y z'avaient mis devant les assiettes, pour pas que de place on se trompe et que ça fasse des histoires entre-nous.

        Le manger et le service Cousin, ma parole ils étaient très excellemment bons. Rien à dire ni à redire, car, rien il manquait dans les assiettes, sauf peut-être - un bon plat de spaghettes avec la sauce rouge et les pourpettes* dedans !… Hein Cousin, j'ai pas raison moi ? A la fin de ce bon repas, tu vois pas qu'encore un peu le cœur y me tombe par terre ! Justin quand même y l'aurait pu me prévenir... mais le pauvre c'est pas sa faute ! pasque c'est moi que j'avais oublié.
        Devine un peu qu'est-ce que je me vois derrière sur une table avec la belle nappe ?

        Madonina mia ! Une exposition véritable des Gazadiels* Callois, avec en plus des Pastières* dedans… Mais entention ! pas n'importe quoi... j'te jure Cousin les z'uns plus beaux que les z'autres : une odeur j'te dis pas ! et puis comment à l'œuf y étaient bien dorés, avec en plus plein des petits anis de toutes les couleurs comme l'arc-en-ciel. Ma parole ! comme si les gâteaux du four de chez André Tarento y venaient de sortir. J'te jure et sans exagérer si toi tia jamais vu ça, tu peux me croire - une véritable apothéose de la pâtisserie c'était...
        Putain comme j'étais fier ce jour-là et y a de quoi ! hein Cousin ?

        Pensez, des Gazadiels faits main par les gens d'à chez nous et comme là-bas dis !
        Alors d'un coup je m'ai rappelé que Justin, il avait eu l'idée d'organiser les Osses-Cares du concours du plus beau et du meilleur Gazadiel, pour fêter bien-bien la Saint-Couffin Calloise. Alors tu vois, quand on a presque fini de tous manger, Justin y nous fait un petit discours sur le concours des Gazadiels et la madone d'un coup tu vois pas à qui y nomme devant tout le monde ! ? Moi et Dédée la femme de Toto comme membres du jury ! Avec Dédée la vérité ça nous a fait drôlement plaisir, d'abord, pour le grand honneur qu'on nous faisait, et puis pasque c'est vrai ! car sans se vanter Moi un peu mais surtout Dédée, on était des bons connaisseurs des Gazadiels.
        Entre-nous, Justin y pouvait pas mieux choisir !

        Enfin tourne et vire, Dédée et moi on avait sur le dos une putain de responsabilité, car il faut que tu saches Cousin, que les Callois c'est les champions du monde pour les Gazadiels, même pas le meilleur Bônois il arrive à les dépasser pour faire ces gâteaux. Alors moi j'ai dit à Dédée : " écoute ma fille ! faisons bien entention à pas faire une fausse manœuvre, sinon à de bon on va faire fâcher avec plein du monde." Alors Dédée très calmement elle m'a dit : " n'as pas peur ! on va se les goûter un par un et puis après on voit comment on va faire". Mais en attendant Cousin, sur la table les Gazadiels y z'étaient et on dirait qu'ils faisaient tous les beaux, pasqu'ils sentaient de plus en plus bon - peut-être pour nous faire tourner la tête.

        Autour de nous d'un coup tous les Callois y sont venus ! comme avant à La Calle quand Khali du tambour y faisait une annonce pour la mairie, et comme les goélands quand les chalutiers y rentraient le soir. Putana misère ! on aurait dit qu'ils avaient peur que Moi et Dédée on triche ? D'accord Cousin ! avec une autre chose peut-être ? mais pas avec les Gazadiels, car, Moi et Dédée jamais au grand jamais, on aurait fait comme ça ce grand sacrilège.

        Alors comme je disais tout à l'heure, les pauvres Callois y étaient tous là à nous entourer. Moi avec Dédée et les Gazadiels, indiscutablement on était les stars de la journée. Alors sans perdre de temps la dégustation elle a commencé : Dédée religieusement elle coupait des tranches du Gazadiel, et nous on se les goûtait avec sérieux et humilité - mais en bons connaisseurs. Moi, Jappeur comme toujours et la bouche pleine, au lieu de m'la fermer j'assurais dzarma* les commentaires - pour faire patienter la galerie... Mais, Aouha* Cousin ! Prés de nous-autres, y a un tas des Callois qui z'en pouvaient plus d'attendre et qui se sont mis - à goûter les Gazadiels en même temps que nous.
        Porca misère ! Comme y disait mon grand-père l'Afrique... qu'est-ce qui voulaient ? nous casser le travail !

        Alors Dédée elle m'a encore dit :" tu vois y z'ont pas confiance !" et moi pour la rassurer j'lui dis franchement, que si s'était un concours de Spaghettes ou de Fougasses*, ça serait kif-kif* - pasque en même temps que nous, tous ils goutteraient ! C'est normal non ! ? Car, nous autres on aurait fait pareil. Dédée elle m'a dit :" tia raison mon fils ! "
        Remarque Cousin, moi, je m'suis pas fait du mauvais sang… Après tout qu'est-ce que ça fait que tout le monde y goûte… Mais la madone ! D'abord le jury que c'est Dédée et Moi les membres, sinon comment on va dire qui c'est l'Osse-Care de tous les Gazadiels ?

        Pendant que la dégustation elle continuait, moi j'ai dit à Dédée de couper des tranches plus fines, sinon à la fin on allait avoir le ventre à bloc et on pourrait pas manger comme tout le monde, un bon morceau ou deux des Gazadiels avec le café noir, que le patron de l'Hacienda y nous offrait gentiment. Dédée elle m'a dit :"n'as pas peur mon fils ! le Gazadiel jamais y rassasie, alors mange." Tia raison Dédée ! moi j'avais oublié ça depuis là-bas. Enfin quand la dégustation c'était fini, avec Dédée on a fait entre-nous la réunion du jury pour délibérer a savoir, qui c'était le meilleur Gazadiel que nous on avait goûté - mais sans savoir qui c'était qui l'avait fait.

        Dans l'assistance fallait voir Cousin les Callois y tenaient plus en place et tous y attendaient impatiemment le résultat du concours des Osses-Cares. J'ai dit à Dédée :"la Madone si on se trompe y vont peut-être nous brûler comme Barzigotte*, la pauvre, tu te rappelles, c'était à la presqu'île pour le carnaval à la première scalette ?"
        Heureusement Dédée et moi du premier coup on a été d'accord. Alors avec une putain de belle voix qui sentait bon le Gazadiel, j'ai fait avec bonheur une madone d'annonce, que jusqu'au Boulif encore un peu y m'entendent !
        Alors moi, j'ai dit :

" le jury, après délibérations et à l'unanimité,
décerne le premier prix à tous les Gazadiels ici présentés."
Signé les Membres du Jury : Moi et Dédée.

        D'un coup dans la salle tous y z'ont applaudi, comme quand Georges Lamia + notre champion international y se bloquait un putain de penalty ! Mais en même temps tous y z'ont éclaté de rire, comme quand Louis Pépé y faisait la sarabande dans sa bancarelle pour la Saint-Cyprien. A savoir que peut-être tous y pensaient, que Dédée et Moi on avait fait le jury à la babala* !
        Que le bon Dieu y nous en préserve !

        Mais pardon-pardon ! Maintenant que c'est passé, moi, avec l'accord de Dédée, je vais vous expliquer tous les secrets de la délibération du jury parce que y a des choses qu'on a parlé entre quatre œils et puis d'autres qu'on s'est pensées de la même façon sans s'le dire.
        A pourquoi on a décerné le premier prix à tous les Gazadiels ?
        Y en a qui vont dire que c'est pour pas faire de la peine à l'un ou à l'autre… Y en a qui vont dire c'est pour pas faire de la jalousie… Y en a qui vont rien dire mais qui n'en penseront pas moins…Y en a qui vont penser que leur Gazadiel c'était le plus beau et que c'est pas normal qui z'ont pas le premier prix… Y en a qui z'ont dû se penser un sac de choses que moi j'sais pas ?

        Alors aujourd'hui je vais dire les remarques que Dédée et Moi on s'est faites, avant de donner le premier prix à tous les Gazadiels. D'abord en faisant comme ça, Dédée et Moi on a pas du tout Chpaqué* ni raconté des histoires à dormir debout. C'est la vérité Cousin ! j'te jure sur ma sainte communion. Mais voilà ! les Gazadiels quand on s'les regardait, y en avait des gros, des petits, des moyens... Y en avait avec la couleur plus jolie et d'autres avec pleins des petits anis... Enfin, tu vois, un tas des détails qui z'auraient pu faire la différence et obliger le jury à choisir comme ça le premier prix.
        Mais nous grâce à Dieu, on n'est pas tombé dans le piège !
        Moi et Dédée, quand on a savouré bien-bien les tranches de tous les Gazadiels, qu'est-ce qu'on a vu qui z'avaient :

une odeur céleste.
une consistance légère.
un goût divin.
un quelque chose de subtil.


        Dédée et moi on a vite compris qu'est-ce qui z'avaient tous ces Gazadiels et pas la peine de partir à Azraouîne* chercher la réponse.
        Les Gazadiels bien que différents avaient tous les mêmes qualités : le même parfum, la même consistance, le même goût... Mais surtout, ce quelque chose de subtil qu'il faut que l'on vous dise :

" Ce sublime parfum de là-bas :
celui de La Calle,
au bon temps des fêtes de Pâques de notre enfance.
Celui de nos chers disparus et de la nostalgie d'autrefois.
Celui de... Celui de..."

        Il y en aurait beaucoup plus à dire et ce n'est pas Dédée qui dira le contraire.
        Voilà pourquoi, par une belle journée de la Saint-Couffin, Moi et Dédée, honorables membres du jury Gazadiels, en notre âme et conscience, nous avons après délibérations, attribué le premier prix à tous les Gazadiels Callois.
        Cependant il y a quelque chose, que Dédée et moi on a oublié d'annoncer et que nous allions faire officiellement en différé :

" En plus du premier prix attribué,
le jury a décerné un accessit bien mérité
notre sympathique et dynamique doyenne :

Madame Clarisse OLIVIERI.

        Pour le splendide Gazadiel qu'elle a réalisé à l'occasion de la première Saint-Couffin Calloise.
        Et puis en guise de conclusion, on peut penser que ce concours rempli de gentillesse et débordant de bonté Calloise, nous aura au moins appris une chose :

        " Tant qu' il y aura des Gazadiels au parfum d'autrefois, il y aura toujours des Callois pour ne pas oublier.
        " Mais quand sonnera le glas des Gazadiels, le four sera éteint et alors il n'y aura plus de Callois.
        " Plus de Gazadiels, plus de Callois ? Alors hélas, plus de La Calle de France !


        Mais les subtils Gazadiels ont encore de belles années devant eux et les Callois aussi - à nous de les rendre éternels. C'est pourquoi, notre amicale avec l'aide et la fidélité de tous poursuivra allègrement son chemin, avec le souci constant de réunir pour quelques instants de bonheur partagé, la grande famille du Bastion de France, comme en ce jour de la Saint-Couffin en forêt de Janas.
        C'est ce que Dédée et Moi nous souhaitons sincèrement.

LEGENDE :

        Saint-Couffin : Journées conviviales des les lundis de Pâques et de Pentecôte, il était de tradition ancienne d'aller passer la journée à la mer ou à la campagne : c'était la saint-Couffin, parce que ce jour-là, chaque famille amenait un couffin rempli de victuailles, pour partager le déjeuner en famille et avec ses amis, sur le sable des plages ou sur l'herbe des campagnes environnantes..
        Moi et Augu : personnalités bônoises célèbres et mythiques de l'écrivain Fernand Bus.
        Jappeur : vantard.
        Al kif : terme arabe = excellent - très bon - très bien.
        Acqua basse : bouillabaisse en langage napolitain.
        Petit-Paris : autre nom donné à La Calle par les touristes de passage.
        Pourpettes : polpettes en italien = boulettes de viande accompagnant la macaronade.
        Gazadiels : Couronnes de Pâques faites de pâte au levain sucrée ce sont = les fameux Casatelli des napolitains.
        Pastière : gâteau de vermicelles cuits dans du lait sucré parfumé à la vanille et avec des zestes de citron et d'orange.
        Dzarma : terme arabe = soi-disant !
        Aouha : terme arabe = c'est signe d'impuissance = il n'y a rien à faire devant ce problème = ex = Aouha ! je n'arrive pas à faire ceci ou cela.
        Fougasse : pizza.
        Barzigotte : prénom de miss carnaval de chiffon.
        Baballa : faire quelque chose n'importe comment, un peu au bon gré du hasard.
        Chpaquer : vantardise = terme attaché à une personne qui raconte des choses d'un autre monde.
        Azraouine : terme arabe employé pour dire que le lieu en question était très éloigné. A azraouine = très loin. AZRA = ange de la mort chez les Arabes.
Jean-Claude PUGLISI
- de La Calle Bastion de France.
Paroisse de Saint Cyprien de Carthage.


LA PARODIE DU CID
EXTRAIT envoyé par M. Parent et M. Brasier



La seule parodie amusante et curieuse des grands maîtres est faite
par leurs disciples et leurs admirateurs.
Théophile Gautier




La Parodie du Cid a été
représentée pour la première
fois le 3 novembre 1941
au Théâtre du Colisée, à Alger



PERSONNAGES et INTERPRETES

     DODIÈZE, marchand de brochettes courtier électoral :.... Gabriel ROBERT
     GONGORMATZ, dit "Le Comte3, Ancien patron coiffeur,: Raoul ROLLAND
               courtier électoral
     RORO, chômeur, fils de Dodièze : ………………....................L'AUTEUR
     Monsieur FERNAND, député : ………………….............Philippe ROBERT
     ALPHONSE, agent électoral : …………………..........................BALDINI
     AYACHE, Agent électoral : ………………….................Emmanuel ORTS
     ALI, petit commissionnaire ……………………................................X...
     CHIPETTE, sans profession, fille de Gongormatz, : ……Hélène MELE
               fiancée de Roro
     Madame CARMEN, propriétaire : …………………........Paule JOURDAN
     FIFINE, bonne à tout faire chez les Gongormatz : ………Nicole HEBERT
     FATMA, femme de ménage chez Madame Carmen : ……Jean VAROR
     La scène est à Bab-El-Oued, à Alger, sous la IIIème République

La dernière reprise publique, du vivant de l'auteur, a eu lieu en 1964 au théâtre de Bobino, à Paris, avec, dans les rôles principaux, Françoise FABIAN (Chipette), Marthe VILLALONGA (Madame Carmen), Albert MEDINA (Dodièze), Philippe CLAIR (Roro) et Lucien LAYANI (Gongormatz).

ACTE PREMIER

SCÈNE PREMIÈRE
(Devant la maison de, Chipette)
CHIPETTE, FIFINE

     CHIPETTE
     0 Fifine, allez, va, des tchalefs tu sors pas!
     C'est vrai ça qu'tu m'as dit qu'il a causé papa?

     FIFINE, la bouche pleine
     La tombe de mes morts! Ce bli-bli qu'i métrangue,
     Chipette! Et le Bon Dieu qu'i me lève la langue!
     Mon coeur à moi. ma belle, encore i fait toctoc
     De Roro, pluss que toi ton père il est badjoc,
     Et si je ois pas guitche en travers ses paroles,
     D'ici à pas longtemps, adios la cassarole!

     CHIPETTE
     Oh! redis-le-moi-le, dès, Fifine, à de bon!
     Mon père il est consent? Mon père i dit pas non ?
     Le trousseau je peux faire ou si je vais m'la prendre?
     Y'a des mots qu'à la mort on oudrait s'les entendre,
     Au pluss tu me dis tout, au pluss c'est pas de trop
     Pour qu'on sort la têt'haute, enfin, moi et Roro.
     Qu'est c'qu'il a dit papa d'la bagarr' de dimanche
     A Mattarèse * , au bal, vec le nommé La Sanche?
     Le motif, i connaît? Rougir ne me fais pas!
     Tu l'y'as pas dit qu'ç'est moi qu'j'a fait le premier pas ?

     FIFINE
     Non, j'a fait cellà?là qu'elle est dans l'ugnorance
     Et comm'si tu s'rais toi pour la lib' concurrence.
     Ton père il a qu'un oeil, mâ pir' qu'un oeil de boeuf!
     Tu te crois j'vas chanter pour qu'i oit qu'j'a fait l'oeuf?
     D'sur mes morts, j'a rien dit. T'ias confiance à Fifine ?
     Mâ le ouello,comment qu'i se tient l'oreill' fine!
     I m'a dit : " Ce... La Sanche, il en a pas beaucoup! "
     Tu ois le calembour ? J'a pas rien dit du tout.
     I m'a dit : " Qu'est-c' ti'as dit ? ", J'a resté comm' un' souche.
     S"i m'aurait plus rien dit, je rouvrais pas la bouche.
     Mâ i m'a dit : " Roro ? C'est lui, c'est ce bandit
     Qu'i fréquente à Chipette ? " Ouais, c'est çuilà !" j'y a dit.

     CHIPETTE
     Aie ! aie ! aie ! Qu'est-c' ti'as fait ?

     FIFINE
     Toi ti'es jamais contente!
     S'i connaît pas le nom à çuilà qui fréquente,
     Atso ! comment qu'tu veux qu'un père il est consent ?

     CHIPETTE
     Ti'as raison... Continue, c'est très entéressant.

     FIFINE
     I m'a dit " D'un peu pluss, i monte à Barbarousse,
     La fois qu'on l'a drobzé le marchand des tramousses !"
     J'y'a dit : " Ça que le monde i cause en?dessur lui,
     C'est pour pas que Chipette i se trouve un mari "
     I m'a dit : " Si c'est ça, je dis pas le contraire.
     Et pis, ce fourachaux, j'le connais à son père,
     Qu'il est tout tatouillé jusqu'à le blanc des yeux,
     A rapport qu'il a fait le service... aux joyeux *! "

     CHIPETTE
     Toujours i faut qu'i mord comm' une langu' de vipère !
     I doit passer le fils ousqu'i passait le père ?
     Attends qu'il est soldat pour qu'i passe au falot !
     J'espère qu'en passant ti''as relevé le mot ?

     FIFINE J
     'y a dit : Que calembours ? Mieux ça vaut les pépètes !
     I se tient la baraque ousqu'on vend les brochettes !
     I m'a dit: " Va de là! je cause en rigolant.
     Je respèque à ce vieux qu'il a les cheveux blancs.
     Au parti, dans le temps, c'était un grand capabe.
     Ça qu'on fait méteunant, c'est du travail arabe.
     Ses rid' en-d'sur son front, chacune i vaut six mois;
     Mâ dans un ballottage i portait cinq cents oix !
     Si le fils i promet ça qu'il tenait le père,
     On pourrait oir à oir à s'engantcher l'affaire. "
     Oilà ça qu'i m'a dit, du temps qu'i s'habillait
     Vec le pantalon neuf ey les jolis souyers.
     Un bon dieu de galure et le ptit noeud frivole
     Que si tu t'le oirais, c'est forcé qu'tu rigoles.
     T'sais, la médaille arabe, atso ! comment qu'on dit ?
     Ça m'étonnerait pas qu'i s'l'attrape aujord'hui.
     Demain les élections. Si Fernand i repasse
     C'est grâce à qui ? C'est grâce à papa, la rascasse
     Oilà pourquoi qu'je sens, comm' si je le oirais,
     Que d'un moment dans l'aute on va s'le décorer.
     Si c'est ça, ça c'est sûr, on fait le mariage,
     Et Roro c'est fini qu'i se mang'le fourrage !

     CHIPETTE
     Le bon Dieu qu'i t'entend! Là schkoumoun, ça j'ai peur!

     FIFINE
     L.aiss'-Ià qu'i vient d'abord! Après, bureau des pleurs...

SCÈNE II
(Devant la maison de Madame CARMEN)
Madame CARMEN, FATMA, ALI

     Madame CARMEN
     Ali! Va oir Chipette et dis-y qu'è s'dépêche,
     Ou si Madam' Carmen elle y'en'oie la calèche?
     (Exit Ali)

      FATMA
     Tos lis jors ti l'attends. Porquoi qu''ti veux la oir ?
     Ca qu'i fit vic Roro bessif ti veux saoir?

     Madame CARMEN
     Si je veux ? Ti'as raison ! qui c'est qui s'J'a forcée ?
     A qui la faute, à qui, qu'elle a fait fiancée
     Et que Roro, pour elle, i s'a pris le gousto ?
     Qui c'est qui va sortir le flouss, pour le trousseau ?
     S'i fréquent' tous les deux,c, qui c'est qu'i a fait caouette?
     Bessif je dois finir ce travail qui m'embête.

      FATMA
     Aouah ? Toi ti marronr quand ça march' comm' ti veux, ?
     (Petit coop de balai amical. Madame CARMEN a un haut le corps)
     Ya madam' csusi-moi ji rigole un p'tit peu.
     C'itit pas mon z'affir ça qu'ya dans ton kess-kesse.

     Madame CARMEN
     Aie! aie! aie! Tiens, Fatma, rien qu'à toi je confesse
     ( FATMA crache de dégoût)
     Ecoute, écoute, ô tchoutche ! Atso ! Qu'est-c' que tu crois ?
     Ecoute ça qui bout dans la marmite à moi.
     L'amour, c'est un chitâne. I connaît à personne.
     Ce petit cavaleur, ce Rom que je donne...
     je me l'aime!

      FATMA suffoquée
     Ouach t'gouli ?

     Madame CARMEN
     Mets la main au têté...
     Roro! Roro! Ti'as vu comment qu'il a sauté ?
     Comment qu'i s'le connaît?

      FATMA
     Ya Madam', ti''as pas honte ?
     Eh ben ! ma fille, alors, dis-donc, qu'ist-c'ti racontes ?
     Toi, ti'en es sous-mitesse et ti serch' à marier
     Avic un homm' qu'il ist chômeur dans son mitier ?
     Qu'ist-c' qui dir' la mison ? qu'ist-c' qui fir la famille ?
     Bababa! Bababa ! 'nti maboula, ma fille!

     Madame CARMEN
     T'ias raison, va, ma pauve et sûr qu'i fera chaud
     La fois que je marie avec un fourachaux.
     Mâ qua même, à de bon, y'a pas beseff des femmes
     Qu'i z'ont pareil que moi l'honneur et tout dans l'âme,
     Et si j'aurais pas peur qu'on va le répéter,
     Qué cinéma mortel je pourrais raconter!
     Mâ je veux pas qu'on croit que je bisque et je rage.
     Si je perds le petit, je perds pas le courage,
     Et je me dis toujous : " Carmen, prends gare à toi!
     Pour passer la chaleur faut n'aoir du sang-froid. "
     Quand i m'a pris l'amour, comme une envie de rendre,
     Passe à l'aute! Et Chipette i commence à m'entendre!
     C'est moi qu'j'a mis Roro dans ce coeur enfantin
     Et qu'j'y ai foutu le feu pour qui s'éteint le mien
     (Depuis un momentt, FATMA est distraite)
     Ça m'étonnait, aussi, que ti'avais l'air gênée!
     La pantience, i n'en faut, quand on va en journée.
     je ois que ton repos, tu t'le prends aujord'hui.
     Si l'amour il est poire, encore plus moi que lui!
     Oir? moi cet escayer : c'est une pourriture !
     Tu sais pas les zouzguefs qu'i fait la Préfecture ?
     Où je vais, moi, déjà que j'me perds un mari,
     Si la porte elle est sale et l'escayer pourri ?
     Le soufre il est dedans, y'en a deux kilos presque,
     je veux pas des cafards dans mon salon mauresque...
     ( Fausse sortie de FATMA)
     Attends, ma belle, attends. Je cause des cafards ?
     Eh ben! je m'en tiens un kif-kif un calamar.
     I remue dans mon coeur, i marche dans ma tête.
     Ce mariage i darrange et quâ même i m'embête.
     Le coeur i dit : Pardon. La tête i fait : Fesez !
     Et un en-devant l'aute i font que s'escuser.
     L'arnour ou pas l'amour, le tuphus ou la peste,
     C'est comm' tu veux tu chois' ou comme i tomb' i reste !
     Mâ je l'entends toujours à mon pauve papa :
     " On chois' pas comme un veut, comme on choise on veut pas."

      FATMA
     Ya Madam', ti'as rison... Moi ji souis rian qu'la bonne.
     Tojors ji trovi bian ça qu'i fir la patronne.
     Li mon diou il ist grand, l'arabe i sont pitits.
     La mauresque i travaille, i doit pas discuti.
     Ti'as parli comme i faut. Ti cass' pas ton la tîte,
     It biantôt c'ist fini la soj' qui vos embite.

     Madame CARMEN
     Non, non, le calamar il a jeté le noir !

     ALI
     Chipette i dit comdça qu'i va vinir ti oir.

     Madame CARMEN à FATMA
     Dis-y qu'i va m'attendre à la buanderie..

      FATMA
     Entention qu'i fit froid. Ti trap' la maladie !

     Madame CARMEN
     Ho! Tu te crois que j'ai la tête à lessiver?
     Non, juste un peu les pieds je oudrais m'les laver.
     Alez, va !
     (seule)
     Dio Pèpe, ousqu'il est le remède?
     Lévez-moi ces idées, qu'ça m'en fait oir des raides.
     Faut qu'je perds à Roro pour qu'je sauv à l'honneur,
     Et le malheur d'une aute i fera mon bonheur?
     Pas de ménage à trois, que le diab' i m'emporte
     Ou le monde i diront qu'i la trouv' un peu forte.
     Allez! Monsieur Fernand, mariez-moi ces petits,
     Et je verse une somm' de... dans la caisse du parti.
     Mâ la pendule i tourne. Allons oir à Chipette.
     Le noir i passe un peu quand on fait la causette.

SCENE III
(Sur la place publique)
DODIÈZE, GONGORMATZ

     GONGORMATZ
     Atso! Vous s'la portez? Vous avez pas le droit!
     I s'a trompé, Fernand. Ti'es sûr que c'est à toi
     Qu'il a fait commandant du Nitram lfrikate * ?

     DODIÈZE
     Avec gloire et honneur je me port' la cravate,
     Pourquoi moi et Fernand nous s'avons fréquentés
     Du temps que manque encore à était député.

     GONGORMATZ
     Tout député qu'il est, c'est pas pluss que les autes!
     Laisse aujord'hui qu'i passe et le monde qu'i vote,
     Tu oiras comment qu'c'est qu'i prend le saucisson,
     Çuilà-là qu'i s'oblie les amis à de bon !

     DODIÈZE
     Allez, va, mieux ça vaut non, se tournons la page.
     Comment qu'ça va, chez toi? La petite elle est sage?
     Ti'es le père à Chipette, i faut pas l'oblier,
     Et mon fils Rodriguez i oudrait la marier.
     Non allons s'espliquer, toi et moi, tête à tête.

     GONGORMATZ
     Cause à l'aut' ! Où ti'as vu Rodriguez et Chipette ?
     Ça qu'i faut pour ton fils, c'est un morceau de choix,
     Que son père i se tient la brochette des croix !
     Mâ toi qu't'ies commandant, eh ben ! vas-y, commande !
     Fais-y oir à Fernand ça qu'c'est la propagande:
     Abuser le veston de tant qu'il est gonflé
     Ve les cart' d'électeurs et les bull'tins à clé ;
     Raconter que Lopez il arriv' de Cayenne
     Et que s'i sort élu faut qu'i finit sa peine
     Bien, bien faire entention de pas s'léver trop tard
     Pour pas qu'on perd les oix de l'hospic' des vieillards.
     Fais-y oir, quand Lopez i se tient le métingue,
     Comment qu'on s'organise un' séanc' de bastringue,
     Et si Monsieur Fernand il a pas peur du pet,
     Comment qu'à l'orateur i faut s' l'interromper !

     DODIÈZE
     Alors là, par exemp', y'a de la jalousie!
     Moi que j'ai jamais eu d'histoires de ma vie,
     A part trois bras cassés et neuf condamnations,
     Tout ça rapport à qui ? Rapport aux élections.
     Si c'est pas pour Chipette, à de bon, j'y en donne une
     J'ai fait VOTER LES MORTS, ô couillon de la lune

     GONGORMATZ
     je cause des vivants, je cause pas des morts.
     Va oir un peu là-bas s'i s'arappell' encor !
     C'est comm'si qu'tu m'diràis qu'y'a cinquant' douze années
     Elle a en ta bell'mère un'fill' en moitié née !
     Toi ti'es de l'ancien temps, moi je suis d'aujord'hui.
     Quand i march' le progrès, tout i march' avec lui.
     J'ai cet œil de pas bon, mâ çuilà de pas suitche.
     A chaqu'coup, si tu veux, je me tir'le boulitche!
     Sans moi, y'a pas d'élus, total : y'a pas des lois.
     S'i veut passer Fernand, faut qu'i s'adresse à moi.
     Han ! S'i m'aurait donné le Nitram Ifrikate,
     Aoufo moi j'y fais l'entention délicate.
     Qu'i s'en prend rien qu'à lui si Lopez i le bat !...
     (Fausse sortie)

     Mâ j'ai bien entendu, manadje ! ou si j'ai pas ?
     A qui ti'as dit COUILLON ? je vas me laisser faire ?
     Sanche à toi, vieux cornard, que j'ai bon carattère,
     Aussinon...

     DODIÈZE
     je dis pas. Ti'es vesqué, ti'as le droit.
     La fourche i m'a langué, c'était plus fort que moi.
     A mon age, les nerfs, i faut bien qu'on s'les passe.
     0 Gongormatz, allez, tu te mets à ma place...
     ( Fausse sortie)
     Mâ, comme i dit Fernand, CORNARD, c'est superflu !
     Encore je dirais rien si ti'aurais dit cocu ;
     On est veufs, moi et toi, ma pour la cocurrence,
     Souviens-toi du passé... tu f'ras la différence !

     GONGORMATZ
     Mieur qu'on se jette un oile en dessur le passé,
     Que les épingues, moi, jamais j'a ramassé!

     DODIÈZE
     Çuilà qu'il est jaloux, ça se oit quand i louche.

     GONGORMATZ
     Un lécheur, on le oit quand i rouve la bouche.

     DODIÈZE
     Les mouches, dans la vôte, i vont rentrer dedans.

     GONGORMATZ
     Qué des necs que tu fais, pourquoi ti'es commandant cormnandant !

     DODIÈZE
     Y'en a qui oudraient l'être et qu'i sont pas capabes!

     GONGORMATZ
     Y'en a qu'à Barbarousse i sont pas pluss coupabes !

     DODIÈZE
     Ce morceau de ruban, je l'a pas sarracqué!

     GONGORMATZ
     Y'avait mon nom d'écrit en-dessur le paquet !

     DODIÈZE
     Va de là!

     GONGORMATZ
     Qui ?

     DODIÈZE
     Toi ! !

     GONGORMATZ
     Moi ?

     DODIÈZE
     Ouais, vous ! ! !

     GONGORMATZ
     Oh! Pauvre France ! ! !
     Force à force, à la fin, je me perds la pantience.
     (Il s'empare du soufflet de DODIEZE et lui en donne un coup)

     DODIÈZE, brandissant une de ses espadrilles
     Tu m'as frappé dessur! Tu m'as lévé l'honneur !
     Allez, va, tape encor jusqu'à tant que je meurs !
     (Son bras retombe)

     GONGORMATZ
     Oh ! l'homme il est armé! Qué morceau de matraque !

     DODIÈZE
     Mieux qu'on répond pas rien quand on est trop patraque.

     GONGORMATZ
     Si je serais de toi, je le tourne en dedans,
     Pourquoi les arm'à feu ça fait les accidents.
     Tiens! Oilà ton soufflet. Adios et bonne année !
     Mets-le dessour le globe, en haut la chiminêe...
     (Exit CONGORMATZ)

SCÈNE IV
DODIÈZE, l'espadrille à la main

     Qué rabbia ! Qué malheur ! Pourquoi qu'c'est qu'on vient vieux?
     Mieux qu'on m'aurait lévé d'un coup la vue des yeux!
     Travailler quarante ans négociant des brochettes,
     Que chez moi l'amateur toujours i s'les achète,
     Pour oir un falampo qu'i me frappe en?dessur
     A'c mon soufflet tout neuf, qu'il est mort, ça c'est sûr !
     Ce bras, qu'il a tant fait le salut militaire,,
     Ce bras, qu'il a léve des sacs des pons de terre,
     Ce bras, qu'il a gagné des tas des baroufas,
     Ce bras, ce bras d'honneur, oilà qu'i fait tchoufa !
     Moi, me manger des coups ? Alors, ça, c'est terribe !
     Çuilà qui me connaît i dit: " C'est pas possibe "
     Gongormatz à Dodièze il y'a mis un taquet ?
     Allez, va, va de là ! Ti'as lu ça dans Mickey ? "
     Eh ben ! ouais, Gongormarz il a drobzé Dodièze;
     Il y'alévé l'HONNEUR, que c'est pir' que le pèze.
     Aousqu'il est le temps de quand j'étais costaud ?
     0 Fernand, je te rends ça qu'tu m'as fait cadeau !
     (Il arrache sa décoration)
     je suis décommandeur du Nitram lfrikate ! (Il essaie de se rechausser)
     Et toi que ti'as rien fait, calamar de savate,
     Au pluss je t'arrégare, au plus je ois pas bien
     Si ma main c'est mon pied ou mon pied c'est ma main...

SCENE V
DODIÈZE, l'espadrille à la main : RORO

     DODIÈZE
     O Roro, ti'as pas peur?

     RORO
     Si ça s'rait pas mon père,
     Qu'est-ce que j'y réponds pas !

     DODIÈZE
     Qué gentil caractère !
     Ça fait plaisir de oir comme i prend la rabbia.
     Çuilà, c'est tout craché la photo à papa.
     Dès, c'est moi ou c'est toi que j'me ois dans la glace ?
     Allez, va, viens, mon fils, viens me laver la face,
     Viens me manger!

     RORO
     De quoi ? !
     
DODIÈZE
     Me... venger d'un macro
     Qu'à l'honneur de nous aut' i vient d'faire un accroc.
     D'un bon coup de soufflet i m'a donné le compte.
     Si je me retiens pas, aie ! comm'ça l'oeil j'y monte !
     Tâche moyen de oir ousqu'i s'est ensauvé;
     Mâ entention, fais gaffe, il a rien du cavé;
     C'est....

     RORO
     Allez, disez-le !

     DODIÈZE
     C'est le père à Chipette.

     RORO
     Le..

     DODIÈZE
     Basta! je connais bien ça que ti'as dans la tête.
     (Il lui tend son espadrille)
     Mâ comme i dit Fernand, le de'oir avant tout!
     Va, cours, vole, assassine et bouffes-y.... le mou!
     (Exit DODIÈZE)

SCENE VI
RORO, (l'espadrille à la main)

     Traversé jusqu'à l'os du coeur,
     L'amour i me retient, le de'oir i m'appelle!
     La querelle à papa faut qu'j'en fais ma querelle
     Pour un p'tit coup d'soufflet qu'i s'a pris par erreur!
     Atso! c'est rigolo comm' la vie elle est triste
     je viens antitoutiste
     Moi et Chipette on était fiancés,
     Michquine et michquinette !
     Allez! mon père i s'a fait renfoncer
     Et l'enfonceur, c'est le père à Chipette !

     Eh ben ! ti'es dans des jolis draps !
     Ouais, l'honneur il est prope et l'amour elle est fraîche !
     Ca qu'i veut çuilà-là, oilà qu'l'aute il'empêche ;
     Un i te pousse en haut, l'aute i te tire en bas.
     Méteunant, ti'as le choix: ou tu perds tat future,
     Ou tu perds la fugure !
     Total, c'est tout. Le sort il est jeté,
     Michquine et michquinette !
     Pour un affront, pour un père ensulté,
     Faut qu'je me donne a'c le père à Chipette !

     Mon père i fait bien les discours
     A'c le de'oir, l'amour, l'honneur, la rigolade,
     Le bras, les mains, les pieds. Aie, aie, aie ! qué salade
     Ou bien c'est la faillite, oubien y'a plus d'amour.
     Souyer, petit souyer qu'i m'a donne mon père
     Pour y donner sa mère
     A Gongormatz, mon futur bienfaiteur,
     Michiquine et michquinette !
     Petit souyer, dis-moi si ti'as le coeur
     Pour y donner la grand-mère à Chipette !

     Mieux ça vaut qu'on me re'oit pas !
     En tapant Congormatz, qu'est c' qu'i dira sa fille ?
     Que c'est pas des façons d'rentrer dans la famille.
     Mâ, en le tapant pas, qu'est-c qu'i dira papa ?
     Total, des deux côtés, et tourne et vogue et danse !
     La valse i rôcommence !
     Je viens Jmaous. Je ois tout à l'envers,
     Michquine et michquinette !
     Allez Roro, sors toi le rivolver !
     I faut pas fair' de la peine à Chipette.

     Ho ! Moi je meurs et j'ai rien fait ?
     Chipette i prend le deuil, dans huit jours i s'le quitte ;
     Et mon père i reste axe a'c son coup de soufflet,
     Du temps que Gongormatz.... Non ! la vie elle est courte,
     O mortéguidamourte !
     Où il est ? Où il est, ce grand lâche ?... Et qui c'est ?...
     Aousque j'ai la tête ?
     Papa, michquine, i s'an fait renfoncer,
     Et l'enfonceur, c'est le père à Chipette !
SCÈNE VII
RORO, FIFINE

     FIFINE
     O Roro, ti'as Fini de fair' ce bacchanal ?
     Pourquoi qu'tu cries comm'ça ? quelqu'un qu'ij t'a fait mal ?

     RORO
     Quelqu'un qu'i m'a fait mal ? Dis-y qu'i le répéte !
     J'y sors les oss du ventre et les boyaux d'la tête !
     Non, non, c'est pas pour moi que j'marronne en dedans,
     C'est pour papa, qui va d'Sur ses quatre-vingt ans.
     Dans un assassinat, y'a d'abord la victime ?

     FIFINE
     Aie, aie, aie !

     RORO
     Pis çuilà qu'il a commis le crime ?

     FIFINE
     Ouille, ouille, ouille !

     RORO
     Et t'sais pas qui c'est le criminel ?

     FIFINE
     Aie, aie, aie !

     RORO
     L'assassin, l'auteur au coup mortel ?

     FIFINE
     Ouille, aie, aïe !

     RORO
     Gon-gor-matz !

     FIFINE
     Va de là! qu'est c' tu chantes ?
     souviens-toi qui tu caus' et à qui tu fréquentes !
     Et pis, mettons qu'ton père i s'a pris la coca,
     Accuser sans saoir, c'est toujours délicat.
     D'allieurs, un accident, comment qu'on s'le maquille !
     (Faisant mine de chercher autour d'elle sur le sol)
     Je ois qu'on s'la rendu le mort à la famille..
     O Roro, laiss'tomber ! La vengeance, au charbon !
     l'honneur c'est à de rire et l'amour à de bon !

     RORO, réveur
     Qui c'est qu'il a dit ça ?

     FIFINE
     Des fois qu'ça s'rait Chipette ?
     Tu ois ça qu'c'est l'amour, comment qu'on en vient bête ?

     RORO
     jure! (FIFINE étend le bras et crache à terre)
     La mort des coqs ! Qui c'est qui me retient ?
     Sortez dihiors, Spagnols, Maltais, Apolitains !
     Ce bras, qu'il a pas fait le servic' militaire,
     Ce bras, qu'il est le fils à çuilà de son père,
     Ce bras, qu'il est plus dur que les oss de vos morts,
     Ce bras, qu'i peut rester en l'air cent ans encor,
     Ce bras... i va causer !
     (Fausse sortie)

     FIFINE
     O Roro, pas des gestes !
     Aie, aie, aie, Ousqu'i va ?

     RORO
     je va oir s'i n'en reste !
     (Exit furax)
FIN DE L'ACTE I


LE MUTILE N° 140 du 9 mai 1920

A Propos des 27.000 F

               Il est reconnu et l'on peut tous les jours observer que le Français a dans les plus petites choses, Je sens de l'égalité et de la logique. Cependant, il ne faudrait pas conclure de ces observations que ce jugement peut s'appliquer à tous, car malheureusement lorsque certains ont gravi quelques échelons de l'échelle sociale leur jugement se trouve presque infailliblement faussé ; tels sont nos parlementaires qui s'évertuent à trouver des sources nouvelles d'impôts pour les autres, mais qui ont bien soin de faire échapper le montant de leur nouvelle indemnité parlementaire à l'impôt sur le revenu et ce, parce qu'il s'agit d'une "indemnité spéciale".

               Mais ce qui est vrai pour les uns ne l'est pas pour les autres. Les mutilés, veuves et orphelin de la guerre qui reçoivent, eux une modeste indemnité partielle du dommage qui leur a été causé sont astreints à payer l'impôt sur le revenu même pour leurs pensions.
               Les 2400 francs d'un mutilé de 100 pour cent, les 800 francs d'une veuve, les 300 francs d'un orphelin, les indemnités de combat perçues dans la tranchée par les combattants sont imposables ; mais ne touchons pas a l'indemnité parlementaire, elle est Sacrée...

               Nos élus ont certainement oublié les bonnes et simples leçons de morale que leur faisait dans leur enfance un modeste instituteur car je suis sure que ce brave homme leur a raconté que la meilleure façon d'enseigner résidait dans l'exemple. Que va-t-il arriver si tous les contribuables qui ne sont ni sénateur ni député, et ils sont quantité respectable, suivent l'exemple qui leur vient d'en haut.

               Vraiment, Messieurs les Parlementaires ce n'est plus fort ce que vous avez fait là, et je crains que vous ayez bien des petits ennuis avec vos 27.000 F
               Qu'il me soit permis d'adresser de sincères félicitations aux sénateurs et députés qui ont eu le courage, de voter contre l'augmentation de l'indemnité parlementaire : pour une fois à quelque parti, qu'ils appartiennent, ils ont fait, de la bonne politique.

Cécile VOISIN.
Secrétaire Général fondatrice
de l'Union Nationale des Familles
des Morts de la Grande Guerre, 12, rue Lagrange (5e).


PHOTOS de LA CALLE
Envoyé par Diverses personnes


ECOLE DE GARCONS




PRESQU'ÎLE




LES QUAIS





RUE DES CORAILLEURS





RUE DE L'HÔPITAL



LE STADE



LA FOUGUERA
ECHO D'ORANIE - N° 280
Ou les feux de la Saint-Jean,
à la Marine l'authentique quartier d'Oran.

               Il est encore inutile de consulter le dictionnaire de langue espagnole pour chercher une traduction.
               En effet, dans la langue de Cervantès on désignerait par Hoguera ou Fogata un feu, dans le sens de bûcher, brasier ou feu de joie. Les spécialistes du "parlé oranais" doivent connaître l'origine exacte de ce mot, ils pourraient certainement en préciser l'origine, sa signification et que sais-je encore, mais là n'est pas mon propos. C'est encore simplement un mot "oranais", puis c'est bien connu dans les bas quartiers le verbe "chapurrar" (baragouiner) était accommodé à toutes les sauces.
               Peu importe, c'est bien par "la Fouguera" que l'on fêtait la Saint-Jean, Elle donnait lieu à de formidables feux, dans de nombreux quartiers d'Oran, et notamment aux bas quartiers de La Marine

               Ce soir on vous met le feu ! ! !
               Ce refrain bien connu actuellement était conjugué à la perfection à La Marine. En effet, dans la plupart des bas quartiers, chacun avait sa Fouguera. Celle de la rue de Madrid pas bien loin de l'hôpital Baudens, celle de la rue Ténès étaient des fougueras mineures, en revanche les feux étaient bien plus importants à :
               - La rue de la vieille Casbah, le feu le plus haut, compte tenu de son emplacement situé dans les hauteurs des bas quartiers, au pied de la Casbah.
               - La place de la Perle où, la Fouguera se tenait au bas de l'église Saint-Louis.
               - La rue Lodi et matelot Landini avaient la leur en face du lazaret municipal.
               - La basse marine organisait la sienne à la place Nemours, en face du Bar Lubrano et aussi et surtout à la Calère à la Place Isabelle.


               Tout comme la "jolata" La Fouguera respectait les vieilles traditions, venues d'Alicante semble-t-il, par l'ampleur du foyer et la fête qui l'a accompagnait autour du feu. Les plus audacieux n'attendaient pas les braises pour sauter au-dessus du foyer, ils franchissaient les dernières flammes sous les encouragements des participants et les cris d'admiration mêlés d'inquiétude des fiancées. Pour rien au monde elles n'auraient manquer d'assister aux exploits de leur "hombre". Très peu de femmes s'enhardissaient à sauter, c'était d'avantage une affaire d'hommes et de performances. Les anciens encourageaient et incitaient les plus jeunes à sauter. Il est à noter que parfois les plus téméraires récoltaient quelques brûlures mais le plus souvent sans gravité.

               A la Calère, au cours des dernières années, La Fouguera avait réussi à attirer les autres quartiers de la Marine qui participaient d'ailleurs aux préparatifs. Auparavant, chaque quartier avait son fief, chacun veillait à ce qu'aucun autre quartier viennent dérober le bois entassé. Dans la plupart des quartiers le bois était camouflé. La surveillance et la vigilance étaient de mise parfois même on en venait à des échanges "d'estac" ou "stak" (de l'espagnol estaco) qui signifie lance-pierres. En ce qui concerne la préparation, on retrouvait dans chaque quartier le même lieu de provision de bois : les collines du Murdjajo où le bois mort était ramassé, ce dernier ajouté à quelques planches récupérées du côté du port, des palettes, voire quelques vieilles chaises ou portes gardées soigneusement pour cette occasion. Le quartier offrant le plus beau foyer, avec ses pantomimes et mannequins perchés sur de très hauts mats, avait une suprématie "honorifique" sur les autres, une réputation qu'il fallait défendre.

               Des fèves chaudes au cumin
               Incontestablement, à La Calère (et le Jardin de Westford situé dans les hauteurs) la popularité du quartier donnait à cette fête une couleur et une ambiance que l'on ne retrouvait pas ailleurs.
               L'exubérance bon enfant des habitants donnait un caractère très familial, on emploierai actuellement le terme de convivialité. La Place Isabelle, au centre de la Calère, se prêtait parfaitement à l'envergure nécessaire à la réussite d'une telle fête ; compte tenu de son emplacement, elle pouvait permettre, sans danger pour les habitations la mise à un feu d'un foyer grandiose dont les flammes se voyaient depuis "la Cueva del agua" et même au-delà. Les pompiers avaient bien essayé d'intervenir, une fois ou deux mais sans grand succès. L'accès était d'ailleurs difficile au camion citerne en raison de l'emplacement du feu, cependant leur présence rassurait. Dans les autres lieux, en revanche, dans les années précédentes les feux étaient tels que les pompiers intervenaient souvent, sécurité oblige, au grand désappointement des participants. Tous les riverains proches de la place Isabelle offraient des fèves chaudes au cumin ou accommodées de différentes sauces.

               Certes il n'existait pas à cette époque, les assiettes en carton ou en plastique que l'on utilise pour les pique-niques, des cornets fabriqués dans du papier journal faisaient parfaitement l'affaire. Cette tradition de dégustation de fèves s'effectuait dans toutes les autres Fougueras de la Marine.
               Un peu partout autour de la fête, il y avait des farandoles, on entonnait des chants souvent en espagnol que tout le monde connaissait et reprenait en chœur.

               La fête se terminait, pour les plus courageux, au port situé tout près, par un bain de minuit, mais que l'on se rassure en maillot de bain. Les jeunes femmes accompagnaient le cortège, très peu d'entre elles se baignaient préférant rire depuis le bord du quai. A part à La Calère ou la place Isabelle était en terre battue, les autres lieux offraient le lendemain matin le même visage celui du goudron fendu à l'emplacement du feu, mais il était inutile d'essayer de réprimander les responsables, même en cherchant bien, il n'y en avait pas ou alors c'était tout le quartier !
               La dernière Fouguera a eu lieu à La Calère en 1959. Les feux de la Saint-Jean dans les autres quartiers de la Marine avaient cessé bien avant à cause "des événements", cependant c'est avec un enthousiasme intact que toute la Marine se retrouvait à la Calère pour participer à ce qui fut les dernières Fougueras dans le berceau de la ville d'Oran : La Marine.
Récit de José Bueno

Légende photo: La place Isabelle à la Calère où s'est déroulée la dernière Fouguera en juin 1959. Les pantomimes et mannequins, illustrant des personnages peu appréciés, étaient hissés à une hauteur impressionnante. On devine aisément au centre l'énorme amas de bois et de branches qui une fois allumé constituait un feu grandiose dont les flammes étaient aperçues jusqu'à La Cueva Del Agua et au delà (photo prêtée par Emmanuel Guerrero dit Néné de la Calère).



La Cuisine du Bastion de France.
Paroisse de Saint Cyprien de Carthage

        - Le galet de nos ancêtres, pour une simple mais excellente bouillabaisse.
        - Des tourtes chaudes ou froides, pour tous les gourmets
        - Quelques sardines en scabetche, sans hesiter un seul instant.
        - Melons et pastèques bien mûres, pour enfin clôturer le repas.
        - Toutes ces merveilles à déguster, par une belle et radieuse journée.
        - Au bord de la mer pendant l'été.


        Bientôt chers frères et sœurs du Bastion de France, nous serons en été et encore une fois, le soleil et le chant des cigales de la Méditerranée, seront là pour nous le rappeler. Cependant, ce temps de l'été, va encore et toujours, m'entraîner sur les sentiers nostalgiques de mes rêves et me faire souvenir du bon temps heureux d'autrefois : celui de La Calle durant l'été... C'est pourquoi, aujourd'hui chemin faisant, je me suis décidé d'ajouter à notre cuisine, une généreuse bouffée de senteurs estivales en dosant judicieusement, toute la saveur de nos plages à la belle saison, afin de vous conter avec le plus de véracité possible : une belle journée aux bords de la mer en plein été.

        1°/ Une belle journée en bords de mer en plein été = nos ancêtres vont vous la conter.

        C'était autrefois durant l'été, lorsque, leur dur métier, leur faisait grâce d'une bonne journée de repos, nos ancêtres les Corailleurs du Bastion, s'en allaient en famille au bord des plages et le long des rochers. Dans leurs couffins, point de riches et pompeuses victuailles, mais, du pain, de l'ail, des oignons frais, des tomates bien mûres, sans oublier un modeste fiasque de vin du pays, un flacon d'huile d'olive pure, un peu de sel et poivre pour terminer.

        Comme on peut le remarquer, l'inventaire du couffin était plus que limité, voilà pourquoi les pieds dans l'eau, toute la famille partait à la recherche de quelques présents de la mer : poulpes, crabes, escargots de mer, patelles, orties... Il se peut aussi, qu'ils arrivaient à capturer au bout de leurs lignes, quelques poissons d'argent frétillants de fraîcheur.

        En fin de matinée, un feu de bois, était allumé sur le sable de la plage où, dans un trou de rocher. Ce brasier ardent, se faisait alors un plaisir de faire chanter joyeusement, la vieille marmite noircie par le temps, dans laquelle mijotait tendrement le maigre produit de la pêche, agrémenté d'ail et d'oignons, d'huile d'olive et de tomates. Cependant, cette Acquabatse toute simple au demeurant, était bonifiée par un petit secret des Mamas du Bastion, que je vais de ce pas vous révéler : pour corser le goût de ce modeste repas, il était ajouté au moment de la cuisson, une pierre ronde ramassée dans la mer, de la taille d'un œuf de poule. Dans l'esprit de nos ancêtres, ce caillou se devait de contenir tous les sublimes parfums de la mer et ainsi les restituer à l'humble bouillabaisse.

        Ce geste naïf mais authentique était-il un symbôle ? J'aime mieux rêver et croire à l'infinie sagesse, de nos ancêtres, qui, je le pense, avaient fort bien compris qu'un simple petit galet, qu'ils pensaient tout gorgé du meilleur des nectar de la Méditerranée, ne pouvait que bonifier avec bonheur, ce modeste repas au bord de la mer en plein été.

        2°/ Une journée en bord de mer, même, si ce n'est pas en été = tourtes - scabètche - melons et pastèques.

        Le temps a passé, les coralines se sont enfuies et sur les bords de mer, la Cuisine du Bastion, ne fait plus appel au petit galet de la mer. Mais, il est apparu pour le plus grand plaisir de tous, quelques prodigieuses recettes, résultant des communautés de notre cité, que j'ai aujourd'hui le grand plaisir de vous révéler sans ne rien vous cacher, j'ai nommé, quelques idées de menus à emporter, pour passer une bonne journée d'été au bord de la mer. C'est ce, que sincèrement je vous souhaite, mes frères et sœurs du Bastion de France.

Les Tourtes de nos grands-mères
= attention ! et en place pour le quadrille.

        Préparation d'une pâte feuilletée =

        Ingrédients = pour 2 tourtes de 8 portions chacune
        · 1 kg de farine
        · 2 à 3 cuillère à soupe d'huile d'arachide
        · Saindoux, Astra, ou Beurre, à sortir du réfrigérateur 3 heures avant
        · 2 cuillèrées à café rase de sel
        · 450 ml d'eau tiède.

        Préparation de la pâte =
        · Pétrir la pâte obtenue avec la farine, l'eau tiède, le sel
        · Ajoutez un peu d'huile d'arachide, tout en continuant à petrir, afin que la pâte devienne souple
        · Sur une table farinée, étaler finement la pâte au rouleau ou, avec une bouteille vide
        · Répartir sur toute la surface de la pâte = saindoux, astra ou beurre
        · Réalisez ensuite une grande crêpe roulée
        · Réservez en vrac dans un récipient
        · Laissez reposer 30' à 1 heure environ, ou mieux toute la nuit
        · Farinez la table et faire une boule de pâte grossière
        · L'étaler finement au rouleau
        · La découper en deux pour faire 2 tourtes.

        Autre pâte, à la façon de Mme Louise PUGLISI ma mère +
        · 1 kg de farine
        · 1 verre d'huile d'arachide ou Astra
        · Pétrir et laissez se reposer 30' à 1 heure
        · Etalez finement au rouleau.

        Les Tourtes et leurs garnitures =

        Tourtes aux chicorées sauvages =
        · Des chicorées sauvages, ramassées en hiver dans les campagnes
        · Nettoyez et les rincer
        · Faire modérement blanchir dans de l'eau bouillante salée
        · Dans une cocotte en fonte, faire dorés des gousses d'ail dans de l'huile d'olive
        · Cuire ces chicorées à l'étouffée
        · Pour corser le goût, ajoutez 12 filets d'anchois désalés, qu'on fera fondre doucement
        · Salez peu, poivrez généreusement
        · Lorque les chicorées sont cuites, laissez bien refroidir
        · La farce des tourte est prête.

        Tourtes aux blettes sauvages ou de jardin =
        · Même préparation que le chicorées sauvages, mais, uniquement avec le vert des blettes
        · En plus des anchois, ajoutez des olives noires dénoyautées.

        Tourtes aux brocolis sauvage ou de jardin =
        · IDEM que la précédente.

        Tourtes aux tomates et aux poivrons =
        Ingrédients =
        · 500 gr d'oignons
        · 1 kg de tomates bien mûres
        · 1 kg de poivrons doux verts
        · Huile d'olive
        · Sel et poivre.

        Préparation =
        · Faire dorer les oignons
        · Epluchez et épépinez les tomates
        · Débitez les poivrons en menus morceaux
        · Mélangez = tomates + poivrons + oignons
        · Salez et poivrez et laissez mijoter un moment
        · Laissez refroidir la préparation
        · Rajoutez une bonne pincée de poivre de Cayenne ( facultatif )
        · La farce est prête à être étalée sur la pâte.

        NB = si vous avez le temps, faire griller : les oignons - tomates - poivrons. Puis passez à la poêle, la farce sera bien plus savoureuse.
        Les Oranais appelle cette préparation " la fritta " et ils réalisent des KOKAS, en découpant des ronds de pâte avec un bol, qu'ils garnissent de farce et confectionnent des espèce de chaussons.

Tourte aux petits-pois = spécialité de Bône, une ville des alentours de La Calle

        Ingrédients =
        · 2 rouleaux de pâte feuilletée
        · 1 kg de fromage de brebis = brousse ou boutcho
        · 4 à 5 œufs frais
        · 1 à 2 beaux oignons
        · 1 boite 4/4 de petits-pois extra fins ou, frais
        · Petit-salé en dés + jambon cuit ciselé ( facultatif ).
        · Fromage de gruyère, et / ou, parmesan râpé.

        Préparation =
        · Faire dorer l'oignon ciselé
        · Ajoutez les petits-pois frais ou en boite
        · Laissez cuire doucement avec les oignons
        · Ajoutez lardons et jambon
        · Salez et poivrez
        · Laissez bien refroidir
        · Ajoutez 4 à 5 œufs frais + la brousse
        · Rectifiez le goût et bien mélanger
        · Rajoutez un bon râpé de fromage
        · Garnir la tourte avec cette farce et la recouvrir de pâte.
        · Passez au four à 180° / 30'environ.

        Astuce culinaire = si vous désirez donner à votre tourte, un goût particulièrement agréable, achetez votre brousse plusieurs jours à l'avance et laissez-la aigrir.
        NB = les Bônois réalisaient des CALDIS avec = la brousse + les œufs + le râpé + sel et poivre. Ils garnissaient ensuite des ronds de pâte en portefeuille, qu'ils doraient à l'oeuf et faisaient cuire au four.

Les sardines en Scabetche
= contée par ma tante de cœur,
Mme Marie Costanzo-Dinapoli +

        Scabèche, Escabèche, Scabetche ! ? Souvent je me suis demandé, quel était l'origine de ce terme. En faisant de studieuses recherches, voilà ce que j'ai appris : cette recette, ne serait pas d'origine Italienne, mais Espagnole. Cependant le terme de " scabetche " est d'origine Arabe et se prononce " cisbech ", quant aux Persans, ils disent " siquisbe " en clair, cela signifie " nourriture acide."

        A mon humble avis et sans mésestimer le goût fameux de cette préparation, il me semble qu'à l'origine cette façon de faire n'avait qu'un seul but, c'était la conservation dans le temps des victuailles, en particulier le poisson, à une époque où mis à part la salaison et le fumage, il n'existait aucun autre moyen de préserver quelques jours les plats préparés.

        La recette contée aujourd'hui, se consomme froide ou chaude avec le même plaisir. C'est pourquoi, n'hésitons pas à emmener à la plage, quelques sardines en scabetche pour passer une bonne journée.

        Pour plus d'authenticité, je laisse la parole à ma tante Marie : " On peut faire plusieurs sorte de poissons à l'escabtche. Mais les petits poissons ordinaires sont les meilleurs, par exemple, les sardines, les maquereaux, les sars, les marbrés, les chigarels... mais aussi la matsame. Ici à Bordeaux, les petites dorades remplacent les sars..."
        Voici la sauce escabetche comme à La Calle =

        · Je fais ma friture de poissons à la poêle
        · Dans le même récipient, je fais dorer l'oignon ciselé
        · Lorsqu'il est bien doré, je rajouter un verre de vinaigre de vin
        · Je sale et mets une feuille de laurier et je laisse cuire la sauce un instant
        · J'écrase quelques gousses d'ail sur le poisson, que j'ai réservé dans un plat
        · J'ajoute un peu de Cayenne dés que la sauce est à point
        · Je verse ½ verre d'eau dans la sauce, si elle est trop réduite
        · J'arrose le poisson avec cette sauce. Ce plat est meilleur froid.

        NB = les Tchaoules et les Menelles, ne demandent pas une autre sauce que cette dernière."

Melons et Pastèques bien mûrs
= pour clôturer cette bonne journée

        Afin que ces fruits de l'été, soient bien frais à l'heure du repas, en fin de matinée et pendant que vous vous baignez, faites une partie de water-polo avec pastèques et melons, en prenant bien soin de ne pas les abimer, puis, 10' avant de les consommer, les ouvrir en deux et les exposer au grand soleil. L'évaporation de la pulpe des fruits va rafraîchir votre dessert avec bonheur.

        Bien-sûr mes amis et amies, j'aurais pu vous conter les PIZZAS, que nous faisait le brave M. André Tarento + et plein d'autres bonnes choses, mais, voyez-vous le temps me manque et cependant de toute façon, je sais que chez-nous à La Calle, les indigestions ce n'est pas souvent qu'on en voyait, sauf, parfois, chez l'étranger de passage, qui s'était tellement régalé avec notre cuisine, à un point tel qu'il s'est rendu malade.

        Mais, comme le chantait notre regrettée Mémène Tortora-Cordina + : " laisserons-nous à notre table, un peu d'espace à l'étranger ? Trouvera-t-il quand il viendra, un peu de pain et d'amitié ? " Nous en sommes persuadés, car, à La Calle, en plus du pain, de l'espace et de l'amitié, nous ne pourrons jamais empêcher, que ce cher étranger se remplisse trop la pansa, des trésors de la bonne table de notre cité.

        Un point virgule, un point c'est tout pour terminer.

Jean-Claude PUGLISI.
de La Calle de France
Paroisse de Saint Cyprien de Carthage
83400 - HYERES.



LE PAPE GREGOIRE VII
Envoyé par M. Louis Aymés
(Au 11ème siècle la ville de BOUGIE) s'appelait Bgayet ou Al-Nasiriya elle s'est ouverte à toutes les populations venues de par la Méditerranée pour des raisons commerciales ou simplement pour y vivre. Les chrétiens y avaient leur église car les relations entre le prince Hammadide Al-Nacir et le pape Grégoire VII étaient très courtoises.                  

Une correspondance nous le montre d'une manière éloquente.
" Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Al-Nacir, roi de la province de Maurétanie sitifienne, en Afrique. (1076)
Ta Noblesse nous a cette année envoyé une lettre pour que nous ordonnions évêque, selon les dispositions de la loi chrétienne, le prêtre Servandus. Ce que nous avons eu à cœur de faire, parce que ta requête nous apparaissait juste et excellente. Tu nous as aussi envoyé des présents et, par déférence envers le bienheureux Pierre, prince des Apôtres, et pour l'amour de nous, tu as renvoyé les chrétiens qui étaient retenus captifs parmi vous ; tu as également promis de renvoyer les autres captifs. C'est Dieu, créateur de toutes choses, sans qui nous ne pouvons rien faire ni même penser de bon, qui a inspiré à ton cœur cette bonne action, c'est lui, qui éclaire tout homme venant en ce monde, qui a éclairé ton esprit en cette intention. Car le Dieu tout-puissant qui veut sauver tous les hommes et n'en perdre aucun, n'apprécie en nous rien tant que l'amour du prochain après l'amour de lui et le soin de ne pas faire à autrui ce que l'on ne veut pas qui nous soit fait. Cette charité, à l'évidence, vous et nous, nous nous la devons plus expressément qu'aux autres nations, puisque nous reconnaissons et confessons, de façon il est vrai, différente, le Dieu unique, que chaque jour nous louons et vénérons comme créateur des siècles et maître de ce monde. Car, ainsi que le dit l'Apôtre, "c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux n'a fait qu'un peuple".

Depuis qu'ils connaissent par nous cette grâce que Dieu t'a accordée, plusieurs nobles romains admirent sans réserve et célèbrent ta bonté et tes vertus. Parmi eux, deux de nos familiers, Albericus et Censius, élevés avec nous presque dès l'adolescence dans le palais romain, désirent beaucoup parvenir à ton amitié et à ton affection, et te rendre cordialement service pour ce qui te plaira de notre côté. Ils t'envoient des hommes à eux par qui tu sauras combien ils t'estiment sage et noble et combien ils veulent et peuvent te rendre service. Nous recommandons ces hommes à ta Magnificence, afin que tu apportes tout ton soin à faire preuve, à leur égard, pour l'amour de nous et pour récompenser de leur confiance ceux que nous avons nommé plus haut, de cette même charité que nous désirons toujours manifester à l'égard de toi et des tiens.

Car Dieu sait bien que nous te chérissons sincèrement pour Sa gloire et que nous désirons ton salut et ta gloire dans la vie présente et future, et de cœur et de bouche nous lui demandons qu'après un long séjour en cette vie il te conduise lui-même dans le sein de la béatitude du très saint patriarche Abraham "

Comment la cédraie du Mont-Ventoux
est devenue la plus grande d'Europe

Plantée en 1860, la cédraie du Mont-Ventoux, dont les graines ont été importées de l'Atlas algérien, s'est parfaitement adaptée au climat de la région.
Par Sandy Plas - 13 janv. 2021 - LE PROGRES
Avec ses flancs pelés, battus par les vents, le mont Ventoux est un paysage bien connu du sud de la France et du département du Vaucluse. L'histoire et la présence d'une vaste cédraie, située au pied de la montagne, sont quant à elles moins connues.
Pourtant, c'est un patrimoine exceptionnel que l'on peut découvrir sur ces pentes, autrefois arides, qui ont fait l'objet d'une vaste opération de replantation au cœur du XIXe siècle.
" Au XIXe siècle, le mont Ventoux a fait partie des massifs qui ont bénéficié de la politique de restauration des terrains en montagne (couramment abrégée en RTM, ndlr) et qui avait pour objectif de reboiser les terrains surexploités et très pâturés, sur lesquels étaient observés des problèmes d'érosion ", explique Olivier Delaprison, responsable de l'unité territoriale du Mont-Ventoux, pour l'ONF.
Un forestier, jusque-là, en poste en Afrique du Nord, découvre les conditions climatiques du mont Ventoux et commence à réfléchir aux essences qui pourraient y être replantées.
Deux espèces sont sélectionnées, pour leur potentielle bonne adaptation au terrain : le pin noir d'Autriche et le cèdre de l'Atlas. Tous deux sont résistants à la sécheresse, mais également au froid, qui s'abat, l'hiver, sur les pentes du mont Ventoux.
Des milliers de cônes acheminés dans des barriques de bois
Une grande opération de collecte de cônes de cèdres est alors lancée dans l'Atlas algérien et menée, sur le terrain, par l'armée. Des milliers de cônes, abritant des graines, sont acheminés dans de grandes barriques en bois, jusqu'au Ventoux.

" À leur arrivée, les cônes ont été étalés directement dans la neige et se sont désarticulés avec le froid, laissant tomber leurs graines sur le sol, sans passer par des semis ", explique Olivier Delaprison. La technique choisie consommant un grand nombre de graines, dont beaucoup sont picorées par les oiseaux, sera par la suite abandonnée.

Une cédraie " un peu oubliée "
" La cédraie a ensuite été un peu oubliée, pendant une quarantaine d'années, car on ne savait pas ce que donnerait cette plantation, poursuit Olivier Delaprison. Il faut environ 40 ans à un cèdre pour pouvoir fructifier et donner de jeunes plants, et les forestiers n'avaient alors aucune certitude sur le fait que les cèdres, habitués au climat de l'Atlas, s'adapteraient ici. "
Au tournant du XXe siècle, force est de constater que la cédraie du Mont-Ventoux a pu s'adapter parfaitement au climat de ces terres du sud de la France. Voyant la bonne adaptation de l'espèce, les forestiers confortent son implantation en poursuivant les plantations, avec des semis cultivés en pépinières.
La cédraie s'étend également naturellement, grâce à la forte dissémination des graines présentes dans les cônes, qui voyagent facilement en étant portées par les vents. " La cédraie s'est naturellement étendue vers l'est, poussée par le vent dominant ", souligne Olivier Delaprison.

Anticiper la future hausse des températures
Près de 160 ans après sa plantation, la cédraie du Mont-Ventoux est aujourd'hui devenue la plus grande d'Europe, avec 1400 hectares de superficie, dont 400 hectares de forêt historique, où les plus anciens arbres plantés dans les années 1860, sont aujourd'hui encore debout
Pour les agents de l'ONF, l'enjeu est désormais d'anticiper la future hausse des températures, dans les 50 ans à venir, pour préserver l'espèce : " Avec le réchauffement climatique, les espèces devront monter en altitude pour ne pas souffrir de la sécheresse, explique Olivier Delaprison. Nous commençons donc à créer des îlots de dissémination, avec de jeunes plants, que nous installons en plus haute altitude, pour que dans 40 ou 50 ans, ils puissent continuer, à leur tour, à donner des graines. "


Algérie catholique N°2, 1936
Bibliothéque Gallica

Les églises algériennes
La Cathédrale du Sacré-Cœur d'Oran


       Quand on parle aujourd'hui de Cathédrale, l'esprit se porte immédiatement en arrière et entrevoit dans le passé vaporeux des XIIe et XIIIe siècles des temples immenses et riches, des vaisseaux spacieux et grandioses, comme si notre époque à bout de souffle n'avait plus la force de faire jaillir de terre de vastes édifices, dignes de Dieu et de notre foi. Ce n'est pas à l'Oranie du moins que nous pourrons faire ce reproche, car ici les bons ouvriers n'ont pas manqué, puisque depuis plus de 23 ans déjà tout le diocèse tourne et fixe les yeux, plein de joie et d'espoir, sur la grande maison de prière qu'est notre splendide Cathédrale du Sacré-Cœur. En retraçant rapidement l'histoire, peut-être jugerons-nous mieux de l'effort accompli, peut-être aussi la ferons-nous mieux connaître.

       A peine élevée sur le siège épiscopal d'Oran en 1898, et avant même d'en avoir pris possession, Monseigneur Cantel se préoccupa de doter sa ville épiscopale, dont le nombre des fidèles allait sans cesse grandissant, d'une Cathédrale en rapport avec ses besoins.
       L'Administration des Domaines avait bien réservé à cet effet un vaste et bel emplacement, mais rien de positif n'avait été fait.
       Sans perdre de temps, et déployant cette inlassable activité qu'on lui connaissait, Monseigneur Cantel, intronisé sur son siège le 14 mars 1899, repartait pour Paris au mois de juillet, afin de triompher des derniers obstacles.
       En même temps, il donnait ordre à M. le Vicaire général Bouissière de se rendre à Alger pour agir simultanément auprès du Gouvernement Général ; et c'est ainsi qu'était obtenu le décret d'affectation, signé par M. Lafferrière, à la date du 11 septembre 1899, de la place dite de l'Evêché, pour servir à la construction de la nouvelle cathédrale.

       M. Ballu, architecte des monuments historiques pour l'Algérie, fut chargé de dresser les plans. Il adopta le style romano-byzantin, comme s'harmonisant mieux avec le caractère des constructions mauresques, l'architecture des Arabes et le bleu pur du ciel d'Algérie.

       Mais il fallait songer à se procurer des ressources pour réaliser ce projet grandiose. Car, le Gouvernement avait eu bien soin de stipuler qu'il ne contribuerait en rien à la construction de l'édifice, qui devrait, au surplus, une fois achevé, faire retour à l'Etat. Angoissant problème ! Cependant la perspective d'être livré à ses seuls et propres moyens, n'était pas pour effrayer l'audace - toute juvénile, malgré ses 63 ans ! - de Monseigneur Cantel, qui avait une foi invincible en la Providence et au Sacré-Cœur, à qui il voulait dédier sa future Cathédrale.
       "L'œuvre est nécessaire, répétait-il souvent, il n'y a pas à reculer, Dieu nous soutiendra."

       Aussitôt il commença avec l'excellent concours de M. le Vicaire général Bouissière, à Paris, à travers la France entière et son diocèse, cette rude et pénible campagne de conférences et de quêtes, qui permit de recueillir les fonds suffisants pour entreprendre les travaux. Et l'œuvre commencée, la tâche la plus ardue n'était-elle pas faite ! Les chantiers s'ouvrirent, en effet, le 20 avril 1903, et un an plus tard - le mardi de Pâques, 5 avril 1904 - Monseigneur Cantel, entouré de ses vicaires généraux, de son clergé et d'une foule nombreuse où dominaient la joie et l'espoir enthousiaste de voir s'élever bientôt le plus bel édifice de l'Afrique du Nord procédait à la bénédiction et à la pose de la première pierre.
       Le 11 novembre 1906, Son Excellence prenait enfin possession de la Crypte au cours d'une inoubliable cérémonie.
       Trois cents mille francs avaient été déjà dépensés, et l'œuvre n'était qu'ébauchée. De plus, les temps devenaient de plus en plus difficiles. L'horizon s'assombrissait chaque jour des nuages qui portaient les menaces de la séparation à appliquer à l'Algérie.
       Aussi, bien que Monseigneur Cantel eut annoncé solennellement, le jour même de l'inauguration de la Crypte, que la Cathédrale serait continuée et achevée, il y eut un temps d'arrêt et les travaux subirent une assez longue interruption. Malgré tout, moins de deux ans après, la construction repris.

       La longueur totale de l'édifice est de 77 mètres ; la hauteur de la coupole centrale de 40 mètres ; celle des coupoles de la nef, de 22 mètres ; la largeur, au transept de 45 mètres et aux chapelles de 32 mètres, prenait et menée avec une rapidité telle que, quatre ans plus tard, on célébrait son couronnement.
       La mort, hélas, toujours implacable vint frapper, le 10 décembre 1910, celui qui avait été l'âme de cette grande entreprise, et qui devait l'achever, quand même, du fond du tombeau.

       Par ses dispositions testamentaires, Monseigneur Cantel léguait toute sa fortune pour assurer la continuation et la fin des travaux.
       Enfin, le 2 février 1913 voyait Monseigneur Capmartin inaugurer avec joie et allégresse la belle cathédrale que lui avait préparée son vénéré prédécesseur, et qui serait désormais le témoin irrécusable que le Sacré-Cœur règne sur la nouvelle France d'au-delà des mers, comme il règne, du haut de Montmartre, sur la vieille France de Clovis et de Saint-Louis : Sacratissimo Cordi Jesu Callia paenitens et devota !

       Toutefois, une date importante mérite encore d'être signalée dans l'histoire de notre Cathédrale du Sacré-Cœur d'Oran : celle de sa consécration. Après avoir vu deux sacres d'évêque, cette église maîtresse ne devait-elle pas être sacrée à son tour ! Elle le fut et d'une façon magnifique par Sa Grandeur Monseigneur Durand, l'évêque actuel du diocèse, qui, saisissant habilement une circonstance opportune, procéda à la Consécration le 3 avril 1930, en commémoration des événements religieux et patriotiques de 430 et de 1830.

       Grâce à la longue et minutieuse préparation de ce jour par Son Excellence que secondait parfaitement l'expert Maître des cérémonies pontificales, M. le Chanoine Mérens, aujourd'hui Vicaire général, rien ne manqua, ni personne, ni choses, pour que le rite fut noblement et pieusement accompli. Maintenant encore qui, dans la ville, ne se souvient de la Majesté du Pontife entouré de ses ministres et projetant " au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit " l'onde sanctifiée sur les murailles et le voisinage ! Ceux qui ont vu, peuvent-ils oublier l'imposante procession des Reliques où l'on pouvait remarquer aux côtés du Prélat consécrateur la présence de NN. SS. les Archevêques et Evêques Mgr Leynaud, Mgr du Bois de la Villerabel, Mgr Thiénard, Mgr Vielle, Vicaire apostolique du Maroc, M. le Chanoine Rampol, représentant Mgr Dubourg, évêque de Marseille, ainsi qu'un grand nombre de prélats, de prêtres et de visiteurs de marque. La messe pontificale fut célébrée par Mgr Leynaud, l'éminent Archevêque d'Alger, et le soir, à l'office, Mgr Bollon prononça un discours magistral dont nous retenons quelques mots pour terminer et pour remercier l'initiateur infatigable de cette journée mémorable :

       "Gloire à vous ! Monseigneur l'Evêque, qui avez été le Maître des heures inoubliables vécues aujourd'hui. Une consécration de cathédrale est toujours une cérémonie historique, mais quand elle est faite pour commémorer deux centenaires... elle prend une importance qui éveille des chants d'action de grâces dans le cœur de tous ceux qui en sont les témoins."

       Voilà pourquoi la Cathédrale d'Oran bénit le ciel de son glorieux passé, accueille aussi ses visiteurs avec bienveillance et regarde l'avenir avec une noble et juste fierté !

UN SANCTUAIRE VÉNÉRÉ
La Chapelle de Santa-Cruz, à Oran

       Si Alger se glorifie à bon droit de sa belle basilique de N.-D. d'Afrique, Oran a le bonheur aussi de posséder un sanctuaire consacré à la Sainte Vierge, mère de Dieu. Dominant de bien haut les falaises rocheuses qui brisent la fureur des vagues, placé sur les flancs d'une montagne verdoyante dont la cime porte un fort puissant, la chapelle de Santa Cruz domine au loin l'immense plaine d'Oran et la mer. La situation, semble-t-il, ne saurait être mieux choisie.

       Mais, demandera-t-on, pourquoi cette chapelle ? Et qu'elle fut l'origine de cette dévotion si chère au cœur des oranais ?
       La réponse à ces questions sera connue par le récit des événements qui se déroulèrent en 1849 dans la ville d'Oran.

COMMENT NAIT UN PELERINAGE

       Depuis plus de vingt ans les français possédaient cette ville alors peu peuplée. A cause de l'état d'insécurité causée par les menaces des troupes d'Abd-el-Kader on n'avait pu s'occuper de l'hygiène et de la salubrité de la ville. Le choléra qui sévissait en Europe devait donc trouver un milieu favorable à Oran.

       En effet, au début de septembre 1849, la terrible maladie éclatait sur tous les ; points de la ville. Du 14 au 31 octobre, l'état civil recevait les déclarations de 1.173 décès. Pour Oran, alors peu peuplé, c'était un chiffre considérable. Et le fléau ne s'arrêtait pas aux portes de la ville. Arzew, Mostaganem, Mascara, Tlemcen, d'autres localités recevaient la visite du terrible fléau. D'après l'avis motivé des médecins une pluie abondante pouvait seule arrêter le choléra, en nettoyant les égouts et assainissant les rues.

       Hélas, la chaleur suffocante abattait tous les courages. Dans cet angoissant moment, M. Suchet, Vicaire général d'Alger, envoyé par Mgr Pavy, vint à Oran. Rendant visite au général Pélissier, le Vicaire général lui demandait quelles mesures il serait bon de prendre pour arrêter le fléau.

       Dans un langage d'une rondeur toute militaire le futur vainqueur de Malakoff lui répondit : " Qu'est-ce que vous faites donc, Monsieur l'Abbé, vous dormez ? Ne sauriez-vous plus votre métier ? Le choléra ? Vous me demandez de l'arrêter ? Nous ne pouvons rien, ni vous, ni moi, ni personne. Je ne suis pas curé, et pourtant, c'est moi, Pélissier qui vous dis : Faites des processions. "
       Puis se tournant vers la montagne il ajouta : Foutez-moi une Vierge là-haut et elle se chargera de jeter le choléra à la mer. "

       Comme le demandait le Général-Commandant, le clergé se mit en mesure d'organiser une procession. Elle fut fixée au 4 novembre. Le ciel était ce jour-là comme depuis des mois, d'airain. Un brouillard lourd et étouffant couvrait la ville. Les fidèles des trois paroisses de la ville se réunirent au pied de la montagne.

       Saint André et Saint Esprit se joignirent à Saint Louis et le cortège, après avoir parcouru une partie d'Oran, vint se masser sur le plateau qui s'étend au pied de Santa-Cruz. Le Général et son Etat-Major y assistaient ainsi que le Tribunal en robe et la Municipalité. Ce fut une ardente supplication de foi.
       Et voici, o miracle, la procession allait finir lorsque de grosses gouttes de pluie et bientôt l'orage forcèrent les fidèles à se réfugier dans l'église Saint Louis. L'air désormais était purifié et l'état sanitaire changé. A partir de ce jour l'épidémie diminua rapidement pour bientôt disparaître. Le prodige demandé à la Vierge avait été accordé.

LA CONSTRUCTION D'UNE CHAPELLE EN 1850

       Les Oranais devaient désormais tenir la promesse qu'ils avaient faite. Mgr Pavy accouru à Oran voulut qu'on organisa aussitôt la souscription, s'y inscrivit le premier et promit de venir bénir la chapelle. Le 28 novembre "
       L'Echo d'Oran publiait le communiqué suivant : "La délivrance toute providentielle de la cruelle épidémie qui vient de décimer la ville d'Oran a fait naître la pensée d'ériger un monument commémoratif de ce bienfait en l'honneur de N.-D. du Salut.

       Une Commission s'est formée spontanément pour donner suite à ce projet religieux. Elle doit se transporter jeudi prochain sur la montagne de Santa-Cruz pour choisir l'emplacement du sanctuaire projeté.
       "Cette Commission était présidée par le Général Pélissier et comprenait avec les trois Curés de la ville, le Préfet et le Maire. La souscription marchant rapidement, il fallut s'occuper de l'emplacement de la chapelle. L'avis unanime fut de la bâtir sur l'éperon rocheux situé sur les flancs de l'Aidour, entre les forts de Santa-Cruz et de Saint Grégoire.

       Grâce à la haute influence du général, le Génie céda un terrain de 560 mètres par autorisation du Ministre de la Guerre du 20 janvier 1850.
       Déjà dans l'appel lancé aux catholiques oranais le nom de N.-D. du Salut est donné à la future chapelle. Si généralement la piété des fidèles l'appelle Santa-Cruz, c'est parce qu'elle fut édifié au pied du fort construit sur le pic d'Aidour par le marquis de Santa Cruz, lors de l'occupation espagnole.

       La construction de cette chapelle, modeste il est vrai, fut menée rapidement.
       Le 9 mai 1850 était la date fixée par l'Evêque d'Alger pour bénir cet édifice non encore achevé. C'était le jour de l'Ascension, jour resté cher au cœur des Oranais. Ainsi se vérifiaient les paroles du prophète Isaie : " Dans les temps reculés il y aura un sommet préparé pour être la maison du Seigneur à la cime des montagnes. "

       Une statue avait été préparée. Mgr Pavy entouré de toutes les autorités et d'une immense foule, devait la bénir là-haut. La cérémonie fut des plus belles et lorsque se turent les canons des forts de Lamoune et Saint Grégoire, le soir était venu.
       Le souvenir de ce jour s'est depuis conservé. Chaque année, le jour de l'Ascension, la foule vient prier sur la montagne. De Tlemcen, de Mascara, de Bel-Abbès, de Mostaganem, du Maroc même les fidèles accourent réaliser un vœu, implorer, prier. Le nombre des chrétiens semble s'accroître d'année en année.
       Combien de fidèles, à l'Ascension dernière, gravirent la montagne ? Quinze mille, vingt mille ? Qui pourrait le dire ?
       L'immense foule suit à pied les lacets, s'imposant ainsi une peine méritoire dans Ce chemin pierreux.

UNE CATASTROPHE...

       Ajoutons qu'à peine terminée, la voûte de la chapelle s'écroula. Il fallut reprendre le travail et ce n'est pas l'Evêque d'Alger qui, en 1851, bénit à nouveau ce sanctuaire. Ce soin incomba au Vicaire général, M. Comte-Calix. A cette occasion la population se montra aussi enthousiaste que l'année précédente et ce fut une foule immense qui monta encore sur la montagne. Toutes les autorités étaient présentes, disent les journaux de l'époque. Les musiques du 9ème de Ligne et du 2ème Chasseurs d'Afrique jouèrent pendant la procession. Heureux temps où l'armée pouvait encore mêler aux cantiques des fidèles les accents de ses instruments.

       Nous n'oublions pas les faveurs spirituelles que les Souverains Pontifes ont voulu accorder pour récompenser la foi ardente des Oranais. Le 20 mars 1854, le Pape Pie IX, à la demande de Mgr Pavy, accorda une indulgence plénière à chacune des fêtes de la Sainte Vierge. De nouvelles faveurs furent accordées en 1875.

UNE STATUE DE 5.000 KILOS
DOMINE L'EDIFICE

       Mais le temps s'était écoulé depuis la bénédiction de la chapelle. Par la volonté du Saint Siège, Oran était devenu le siège d'un évêché et Mgr Callot préconisé Evêque. Dévoué au culte de Marie qu'il avait puisé à Fourvières, le nouveau prélat conçut l'idée d'un clocher monumental qui servirait de piédestal à une statue de bronze. Cette colossale statue coulée dans le moule de celle de Fourvière reçut à l'Exposition de Rome, en 1850, la bénédiction du Saint Père.

       Son poids est de plus de cinq mille kilos.
       Une Commission fut chargée de recueillir les fonds pour construire le clocher. Dans un manifeste cette Commission rappelait aux Oranais la construction de la chapelle et disait le désir de la population de voir un beau clocher dominer les baies d'Oran et de Mers-el-Kebir.
       Ainsi, ajoutait-elle, notre mer sera protégée par les Vierges de Valence d'Espagne, de la Garde de Marseille, d'Alger et d'Oran.
       La tour rapidement terminée, la statue y fut placée le 6 décembre 1873. Le soir de ce jour la ville fut illuminée, tandis que les feux brillaient au pied de la statue.

       Puis on pensa à la cloche. Mgr Callot la fit fondre à Lyon. Elle était du poids de 1.178 kilos. Sa marraine fut la femme du chef de la France, la Maréchale de Mac-Mahon, et le parrain Mgr GinouIhac, Archevêque de Lyon. Cette cloche fut bénite à Saint-Louis, le 4 juillet 1874. Le lendemain une procession s'organisa et la cloche fut transportée sur le montagne. Les journaux de l'époque sont pleins d'admiration pour le bon ordre de la foule innombrable qui prit part à la procession. Le soir même, le bourdon de Santa-Cruz fit entendre sa puissante voix. Depuis ce jour cette cloche a demi-brisée et effritée par l'air salin a dû être remplacée. C'est S. E. Mgr Durand, Evêque d'Oran, qui, dans une cérémonie grandiose, vint bénir à Saint-Louis, le nouveau bourdon du poids de 1.200 kilos.

       Pour rappeler la gloire de nos Armées dans nos guerres d'Afrique et dans la dernière guerre, cette cloche reçut le nom de Victoire.
       N'oublions pas de rappeler le 50ème anniversaire de la bénédiction de la chapelle. Le 4 novembre 1899 fut choisi par Mgr Cantel, alors nouvel Evêque d'Oran, pour célébrer cet anniversaire, si important pour l'Eglise d'Oran. De nouveau les foules gravirent la montagne, de nouveau, au milieu des chants, du bruit, des bombes, des éclats des musiques, des joies enthousiastes de la foule venue de la province entière la Sainte Vierge fut proclamée Reine et Patronne de l'Oranie.
       Une fois de plus la ville, la tour et la statue furent illuminées. Mais la nuit venue, les lumières se sont éteintes, les chants ont cessé.
       Ce qui ne cessera jamais dans le cœur des Oranais c'est l'amour ardent pour leur céleste protectrice, pour N.-D. du Salut.



LES ELECTIONS A BONE...
Envoyé par M. Georges Barbara
LA GRANDE DECHIRURE !

            -" O Oualio ! Qu'y t'y attends là comme un Tchoutche…. La sage-femme pour te dire comment te vas voter ? Et comme d'habitude à ça qu'je 'ois c'est qu'à toi qu'ça arrive. Même pas si te devais monter t'sur Bugeaud par les 500 escaliers Diocane ! Aller va, mets le ton papier dedans, fais un coup d'courage que ce soir on va gagner et on va s'faire une madone de fête à chez Rédzin à la Grounouillère!

            -" Non c'est pas pour çà que j'dois choisir o Frade, qui me fait roflechir. Hier au soir encore on a bien discuté 'ac Germaine ma femme, et ça qu'y m'embête je va t'le dire, c'est que je m'arappelle plus à pour qui je dois voter et lequel des papiers je vas te mettre en dedans la boite quelle est là ! Qu'a même, j'va pas m'rotourner à la maison pour t'lui demander à ma femme ça qu'on a décidé, j'habite au bout du monde moi, en haut des beignets ramassés et en plusque j't'ai fait pendant une heure la queue alors si j'te dois tout te rocommencer, à de bon je laisse tomber et je vote pas ! Et pis Germaine si a me voit revenir pour ça à la maison j'suis bon pour te faire un paquet des Nefs sans respirer.

            - Mais Tonin, te t'casses la tête pour rien toi, ou c'est qu'te dois reflechir ? Y sont seulement que deux stroundzes, pour te prendre la mairie : Fantaloni et Vadda ! Et alors pour ça y te faut des heures ?
            -" Ah oila t'ya laché le nom que je cherchais toi, c'est le bon dieu qu'y t'envoie ... Oui c'est ça FAN..TA..LO..NI ! Ca qu'je dois voter !

            -" Fantaloni ? Aï'man te vas pas me faire le coup toi aussi, te vas pas nous voter pour ce vieux Corse qu'y va bientôt te marcher 'ac une canne, tellement y l'est gros! Et déjà que lui y s'en est mis plein les poches ! Que Vadda lui c'est la jeunesse, l'avenir et avec lui au moins on va t'leur faire 'oir ça qu'c'est d'être honnête…. ! C'est bon qu'on se fait une fois l'esperience qu'a même non ? Te sais Freddy si tu nous faisais ce coup là te va t'être le seul dans la clique des cors de chasse des pompiers à qui je va tourner la fugure.

            -" Te sais moi Goumbare, et ben ça qu'y nous a fait choisir de voter Fantaloni, c'est que hier après-midi, je suis rentré dans le café de Zeraffa au Globe, que c'était à bloc du monde ! Alors comme c'est mon habitude après manger j'm'suis commandé un champoreau au rhum !
            -"Et alors y vient faire quoi le Fantaloni à ce monsieur qu'y te boit un champoreau au rhum ?
            -" Et ben, crois moi que t'sur le moment j' suis même resté Axe quand j'ai voulu payer. Le patron Y m'a dit "C'est bon ojourd'hui c'est Aoufe ….C'est le monsieur qu'y l'est au bout du comptoir qu'y l'a payé". Et qui je me 'ois quand je me suis penché, et ben c'était ce brave Docteur Fantaloni, et te sais pas toi, y m'a même fait un grand geste 'ac la main et y m'a levé son chapeau. C'est pas beau ça ?

            C'est comme si c'est d'la famille o Frade !, Et pis y faut s'arapler tous ça qu'y nous a fait ce brave homme : Le Stade ac le gazon et la piste des vélos que même dessur Dimeglio y l'a eu le record du monde, le Marché que tu peux vendre la viande, le poisson et les légumes, la Gare ac la belle peinture d'la mine de Ouenza que te 'ois quand tu rentres dedans, la Maison d'Santé et y faut pas que j't'oublie le Ptit Jardin D'la Colonne ? Que main'nan on t'appelle notre ville 'BÔne la Coquette' ! C'est pas un monde ça ?
            -" Aller va va de la, tu te crois que c'est un monde chaque fois qu'y te faisait un truc, un machin à BÔNE, ton Fantaloni. Mais ça qu'te sais pas c'est qu'avec ça qu'y se mettait à gauche, y t'achetait des troupeaux de chèvres à Sartène où c'est qu'y l'a sa famille et personne y l'a rien vu ! Oila aussi la vrai vérité o Tchoutche !
            Des mecs comme ça, et ben t'as qu'a 'oir, depuis qu'y sont là, te peux compter les jours ou te 'ois passer la cage qui t'attrape les chiens qu'y sont en liberté dans les rues d'la ville, que c'est devenu un scandale ! Te peux compter les jours qu'on te ramasse les soulards à coté du marché arabe pour les amener se désinfecter à la maison d'santé, que la vermine à nous a envahie, et te peux compter aussi combien des grands tenors y l'a fait venir dans le théâtre ? Alors entention si te votes pour un mec comme ça aga ça qu'j'te dis et ben quand te m'verras t'sur le cours Bertagna te feras bien de prendre une autre allée c'est proferable !

            -" Te la prends pas mal o frade te sais j'va te dire une chose, ça que j'ai lu dans le " le petit reveil Bonois" ce journal qu'y l'est bien informé. Et ben y te disent :
            "Dans les élections à BÔNE c'est comme a'c l'orchestre du théâtre, te peux changer les musiciens mais la partition a te reste toujours la même !"
            -" Ah 'oila que main'nan te fais aussi d'la poésie. Alors moi je va te dire autre chose et écoute moi bien : toute ta vie t'y auras été une gougoutse de promière et tu resteras une gougoutse ! Aller Salut !

            -" Ouillem'an on peut plus te parler o frade, si te commences comme ça ousqu'on va dis moi un peu. Nous qu'y z'avons été élevés dans le quartier ensemble ! Et pis moi je va z'aller ce soir au depouillage à la mairie, pour te 'oir ça que le bon dieu y te choisiras pour te dire celui qu'y l'a raison ! Mais ousqu'elle est la liberté d'espression dis moi un peu ?

Georges Barbara


PETAIN - FOUCAULD
Par La Revue : Le Maréchal - n° 259, 4ème - trimestre 2016
Envoyé par Mme N. Marquet
Deux figures majeures de la France

        Condisciples à Saint-Cyr de la 61ème promotion " Plewna " (1876-1878), Philippe Pétain et Charles de Foucauld effectuèrent leur scolarité au sein de la même compagnie (la 2ème). Très différents de tempérament, ils n'établiront pas à l'Ecole de ces liens particuliers qui fondent ensuite de longues amitiés entre officiers. Pétain est un fils de paysans dont la réussite est la conséquence d'un labeur régulier et d'une discipline forte, doté d'un grand sens de l'autorité mais assez discret de caractère voire réservé. De Foucauld est plus exubérant, doué mais peu porté sur les études, plusieurs fois sanctionné pour ses écarts de comportement et connu pour ses frasques à l'extérieur.

        Par la suite Pétain a une carrière métropolitaine et s'épanouit au contact de la troupe en y développant autant son sens du commandement que son approche tactique novatrice. De Foucauld se morfond en garnison avant de révéler brièvement sur la terre africaine des qualités de chef, puis de trouver une nouvelle vocation sous la double influence de sa conversion et de sa fascination pour l'Orient et le désert. Cela ne concoure pas à les faire se rapprocher ou reprendre contact.

" Ma promotion sert bien la patrie "

        On trouve cependant une mention discrète de Pétain dans le journal du Père de Foucauld. A la date du 30 mai 1916, il note : " Ma promotion de Saint-Cyr sert bien la patrie : Masel, d'Urbal, Pétain en sont ", comme le rapporte son biographe René Bazin.

        C'est un autre maréchal, Lyautey, qui apportera son patronage au Comité d'Action Charles de Foucauld, association s'attachant pendant l'entre-deux guerre à promouvoir sa mémoire. Les deux hommes s'étaient côtoyés et appréciés dans le désert saharien en 1905. Pétain parrainera cependant certaines de ses réunions à Paris, en particulier pour permettre la réalisation du film de Léon Poirier L'Appel du silence (lire en page 26) qui lui est consacré en 1936, puis faire sa promotion.
        Sous l'Etat Français, la figure de Charles de Foucauld sera en revanche souvent mise en avant comme symbole de l'action du pays pour l'empire dans son aspect le plus noble ou comme un exemple de conversion radicale et de relèvement moral, tant par les autorités politiques que par l'Eglise de France. Il sera ainsi le parrain de la 128ème promotion de Saint-Cyr (1941-1943) et son nom sera donné au Groupement 39 (Allier) des Chantiers de jeunesse ainsi qu'à de multiples groupes locaux au sein de patronages, de paroisses, de mouvements ou d'établissements scolaires.

        Avec le recul du temps, quelques traits communs peuvent être soulignés entre ces deux hommes aux existences bien éloignées : leur véracité liée au fait qu'ils voient juste, dégagés des illusions, une connaissance profonde des hommes qu'ils soient issus des tribus du désert ou de la foule des combattants des tranchées d'Artois, de Champagne ou de Verdun, et une humilité qu'ils vivront chacun à leur manière. Notons que le destin du Père de Foucauld s'accomplit par le don de sa vie au moment où celui de Pétain, dépassant le cadre militaire, devient national.
        La promotion " Plewna " a ainsi, entre autres, fourni à la patrie deux figures majeures de la France éternelle celle du soldat exemplaire, qui deviendra le recours de la nation, et celle du missionnaire apôtre de la charité.

Symbole sous I'Etat français

=========================
"L'Appel du Silence"
ou la vie de Charles de Foucauld
Grand Prix du cinéma français en 1936,
le film avait été patronné par les maréchaux Lyautey,
Franchet d'Esperey et Pétain,
et par les généraux de Castelnau et Weygand.

        En 1933, le célèbre réalisateur Léon Poirier (1884-1968) décide de faire un film pour montrer, selon ses termes, " la prodigieuse évolution de cet épicurien sceptique et jouisseur, de ce viveur occidental, répondant à l'Appel du Silence et trouvant dans la Foi l'apaisement de l'angoisse passionnée de sa jeunesse ". Grâce à la publication d'ouvrages littéraires, le Père de Foucauld est passé en quelques années de l'humilité de sa vie érémitique à une gloire posthume qui commence son oeuvre de conversion.

        Léon Poirier est un homme de conviction, catholique et patriote. C'est ainsi que bien que réformé pour des raisons médicales dues à un accident, il était passé outre et s'était engagé comme lieutenant dans l'artillerie pendant la Première Guerre mondiale.

100 000 personnes répondent à l'appel d'une souscription

        Refusant tout à la fois de passer par des maisons commerciales qui auraient conditionné leur concours à la subordination de la liberté de penser, de croire à l'intérêt financier, ou de se contenter de faire une oeuvre au rabais dont la qualité n'aurait pas permis de toucher un large public, il souhaite lancer une " souscription nationale catholique ". Il s'appuie pour cela sur la Fédération National Catholique du général de Castelnau et l'association Charles de Foucauld du chanoine Dupin, vicaire général du diocèse de Paris. Le Comité d'Action Charles de Foucauld est formé début 1934, sous le patronage initial du maréchal Lyautey, remplacé à son décès en juillet, par Franchet d'Esperey. Le maréchal Pétain les rejoint dès la création.

        La souscription débute en octobre. Léon Poirier effectue une tournée de conférences explicatives dans toute la France. La première a lieu à Verdun le 17 octobre, cette cité occupant une place particulière dans sa carrière dont le monument reste la réalisation en 1928 du film "Verdun, visions d'Histoire ", retraçant la glorieuse bataille de 1916. Plus de cent mille personnes répondent à cet appel et permettent de réunir les fonds nécessaires.

        Le film est tourné en 1935 et sort dans les salles en 1936, année marquant le vingtième anniversaire de la mort du Père de Foucauld. Les rôles principaux sont tenus par Jean Yonnel, sociétaire de la Comédie-française (de Foucauld) et Pierre de Guingand (général Laperrine). Il connaît un succès retentissant et obtient le Grand prix du cinéma français.
        D. Th.

        Le Père de Foucauld devant son ermitage de Béni Abbès dans le lointain sud-oranais. II est le voisin des Touareg du Hoggar qui viennent de faire alliance avec la France.


La Stidia, une colonie singulière en Oranie
M. B. Palomba
Avant propos :

           Ce texte fait suite à une visio conférence réalisée pendant le confinement pour le Cercle Algérianiste de Sète.
           - A la suite d'une présentation sur les Convois de 1848 (le texte en a été publié dans le n°220 de La Seybouse), la Présidente Toni Juan m'avait demandé de consacrer une séance à l'histoire très particulière du peuplement en 1846 par des colons Allemands, d'un petit village d'Oranie : La Stidia. Les 2 histoires ont en effet des similitudes, et l'expérience de La Stidia aura sans doute servi 2 ans plus tard à l'élaboration du projet des convois.
           - Toni Juan m'avait alors confié une lettre écrite par une tante de son époux qui faisait référence à la création du village et à l'implantation de leur famille. Document familial historique et précieux, cette lettre donnait vie en quelque sorte à l'histoire forcément un peu abstraite que j'avais pu trouver lors de mes recherches bibliographiques sur La Stidia. Elle permettait entre autre de mettre un nom, sinon un visage, sur certains personnages. C'est pourquoi, quelques passages de cette lettre sont cités dans cet article avec l'accord de Toni Juan et de son époux que je tiens à remercier sincèrement.
           - L'histoire de La Stidia est connue de la plupart des Oranais et sans doute n'apprendront-ils rien de nouveau dans les lignes qui suivent. Par contre pour moi cela a été une découverte que j'espère faire partager à ceux qui ignoraient cette page d'histoire de notre Algérie Française.

           Quand on parle d'immigration en Algérie au XIXème siècle, on pense toujours à celles Espagnoles, Italiennes ou Maltaises, qui sont de loin les plus importantes en nombre. On oublie souvent par contre d'autres mouvements migratoires sans doute plus restreints, venant de pays comme l'Irlande, la Suisse ou dans l'exemple qui nous intéresse, l'Allemagne. Pourtant entre 1846 et 1876 la communauté Allemande, avec 6300 représentants, était la 5ème des minorités européennes en Algérie. Et il est intéressant de noter d'ailleurs, que cette immigration est la seule à avoir été organisée par l'état français.
           Pour comprendre l'origine de cette immigration, la façon dont elle s'est réalisée, quelles ont été les difficultés rencontrées par les nouveaux arrivants, intéressons-nous donc au peuplement très particulier de ce village d'Oranie situé entre Oran et Mostaganem: La Stidia, qui deviendra plus tard Georges Clemenceau.

Le contexte :

           Au cours du XIXème siècle, beaucoup d'habitants de ce qui s'appellera plus tard l'Allemagne, voulaient émigrer vers les Amériques. En effet à cette époque, le niveau de vie de la population en particulier paysanne, était très bas ; entre autre du fait du morcellement progressif des terres consécutif à l'abandon du droit d'aînesse. Aussi des agents recruteurs sillonnaient les campagnes pour proposer à leurs habitants d'émigrer, annonçant des tarifs de traversée très avantageux.
           Pendant l'été 1845, près de 900 d'entre eux s'étaient décidés à tenter l'aventure et avaient réalisé leurs maigres biens afin de quitter leur pays pour le Brésil. Mais, grugés par l'armateur qui devait les y conduire, ils se retrouveront abandonnés à Dunkerque où ils resteront plusieurs mois dans la misère la plus totale.
           Leur présence prolongée dans les rues où beaucoup étaient réduits à la mendicité (jusqu'à ce que même celle-ci leur soit interdite), posa bien des problèmes au niveau local. Finalement, au cours de l'été 1846, le gouvernement de Louis Philippe proposa de les envoyer vers l'Oranie afin d'y créer un village de colonisation. Ce que ces pauvres gens qui n'avaient plus rien, acceptèrent avec enthousiasme.

De Dunkerque à Oran :

           C'est ainsi qu'entre le 23 Août et le 4 septembre 1846, 5 navires furent affrétés pour conduire 867 d'entre eux jusqu'à Oran. (fig. 1)

           Le voyage (ligne mauve sur la carte) dura plus d'un mois et fût extrêmement pénible ; les navires étaient surchargés et les conditions météo particulièrement mauvaises. Au point que 27 d'entre eux trouvèrent la mort pendant la traversée.
           Par contre 3 enfants verront le jour en mer, dont une petite fille qui sera l'ancêtre d'une grande famille de La Stidia.
           Grâce à la lettre de Laurette Mayer, on apprend que cette enfant s'appelait Louise Fass : elle est née sur le dernier des 5 bateaux, " La France ", ce qui explique peut-être son prénom français ? Ses parents venaient de Neumagen près de Trèves en Allemagne.

           Ci après un passage de la lettre de Laurette : " Dans l'article ils disent que des enfants sont nés sur le bateau, c'est vrai puisque la grand-mère de tes frères André et Victor, est née sur le bateau. ; sa mère s'appelait Fass, elle était la sœur de ma Grand-mère Mayer, celle qui a fondé la famille Mayer du village. Plus tard, elle épousera Edouard Laurent, le fils d'un émigré parisien, qui était postier. Elle est la mère et Grand-mère de tous les Laurent du village " (Voir la généalogie de Louise Fass, l'enfant du bateau, en annexe 1) .

D'où venaient-ils ?

           A cette époque l'Allemagne n'existait pas en tant que telle. Elle était constituée de plus de 40 états indépendants situés les uns à côté des autres, ce n'est que plus tard que Bismarck réussira à les fédérer.
           (Fig.2) Carte des Etats d'Allemagne vers 1840. Ceux d'où étaient originaires les émigrants sont en couleur.

           A gauche, le diagramme (proposé par Di Costanzo) montre la proportion des émigrants en fonction de leur lieu d'origine.

           Beaucoup des futurs Stidiens étaient originaires des régions frontalières, régions qui sous Napoléon avaient été des départements français pendant quelques années. Ce n'est qu'après 1815 qu'elles passeront plus ou moins sous le contrôle de la Prusse. Et comme l'unité allemande n'existait pas encore, ces gens ne se sentaient pas du tout Prussiens mais Rhénans. Ces états en effet étaient proches du Rhin qui fait office de frontière avec la France.

           Néanmoins, dans tous les écrits sur les habitants de La Stidia, ils sont appelés Prussiens, ce qui pour certains d'entre eux d'ailleurs était plutôt intolérable. Beaucoup venaient en particulier de la région de Trèves que l'on voit sur la carte ci-dessous qui donne une idée du périple que ces pauvres gens durent accomplir à pied (avec quelques chariots pour transporter les bagages ainsi que les vieillards ou les jeunes enfants) afin de prendre le bateau qui devait les enmener jusqu'au Brésil. Ils marcheront ainsi jusqu'à Dunkerque en traversant toute la Belgique (Fig. 3).

           Initialement ils croyaient en effet embarquer à Anvers, mais aucun bateau ne les y attendait. Pensant avoir mal compris, ils allèrent alors jusqu'à Ostende non loin de la frontière française, puis jusqu'à Dunkerque où se trouvait la compagnie Delrue et Cie avec qui ils avaient négocié leur départ. Et là, ils ils comprendront qu'ils avaient été escroqués, car on leur demandait maintenant un prix de voyage beaucoup plus élevé que ce qui avait été fixé. Ne pouvant materiellement accepter ces nouvelles conditions ils resteront à Dunkerque et c'est là qu'ils connaitront cette grande misère décrite plus haut (8).

(fig 3)

L'arrivée en Algérie :

           Les 5 navires débarquent successivement à Mers El Kebir après 1 mois de mer extrèmement éprouvant. Certains y resteront près de 2 mois, logés dans des baraquements militaires près du port et aux Bains de la Reine. Ils sont dans une détresse épouvantable, tant physique que morale, et c'est l'armée qui aura la charge des nouveaux arrivants.
           Après un long séjour autour de Mers el Kebir- où l'oisiveté et la promiscuité il faut le dire favoriseront une certaine licence des mœurs - c'est en bateau qu'ils seront conduits jusqu'à St Leu. Là, ils seront répartis en 2 groupes, l'un pour pour La Stidia à l'est vers Mostaganem ( La Stidia deviendra Georges Clemenceau) ; l'autre pour Sainte Léonie sur la route d'Oran, appelée ainsi en l'honneur de la fille du Maréchal Bugeaud.

           Ce dernier regretta beaucoup au début que ces futurs colons soient d'origine allemande ; il aurait préféré des Français, si possible " choisis par les conseils de révision, disciplinés et aguerris ". Et tel n'était pas le cas de ces arrivants qu'on ne pensait même pas capables d'un travail de force tant leur aspect était misérable….

           A la Stidia, où ils arrivent le 8 novembre 1846, ils trouvent un village en construction où travaillent déjà des militaires. L'enceinte est faite au ¾, 240 ha ont été ensemencés et quelques maisons cubiques au toit en terrasse commencent à sortir de terre. " Dès le 15 octobre les travaux d'enceinte du village commencèrent avec la création d'un fossé de 2m de profondeur et d'un remblai de protection de 2m de haut et 2m de large. L'armée craignait toujours des actions de Bou Maza qui harcelait avec ses cavaliers les troupes françaises et terrorisait les tribus arabes". (Emigration allemande en Agérie, CDHA).

(Fig.4)
           Sur 467 arrivants à La Stidia, on comptait seulement 84 hommes dont une quinzaine à peine étaient susceptibles d'effectuer un travail de force. Par contre, il y avait beaucoup de jeunes ce qui pouvait représenter un espoir pour l'avenir.
           Le village a été créé officiellement par Louis Philippe via le décret du 4 décembre1848 :
Emplacement du village :

           L'emplacement a été choisi du fait de l'existence d'une source (Ain Sdidia) qui alimentera la fontaine d'eau légèrement saumâtre au centre du village. Le terrain est fertile, les communications relativement faciles, La Stidia étant située sur la route de Mostaganem à Oran. La sécurité quant à elle est assez correcte ; il n'y aura pas d'affrontement notable avec la population arabe, avec la quelle une certaine collaboration s'établira d'ailleurs par la suite concernant l'élevage de moutons.
           La superficie attribuée au village proprement dit est de 12 ha, l'enceinte mesure 1940m et 2000 ha de terre sont réservés tout autour pour les cultures.
           Le village est au bord de l'eau, implanté sur un 1er plateau qui domine la mer. Il est surmonté d'un 2ème plateau qui sera planté par la suite de pins maritimes pour le stabiliser. (La photographie a été fournie par Alain Algudo que je remercie).
           Le croquis suivant proposé par Demontès, est illustré par la photographie aérienne qui suit :
                   1er plateau                      2ème plateau



(Fig 5)

Le village :

           Ainsi que tous les villages de colonisation qui seront par la suite construits par l'armée, la disposition est géométrique : " 4 portes, une place centrale très vaste servant de champ de foire, où sont groupés tous les édifices publics, de petites places à chaque intersection de rues, puis des maisons construites sur le même modèle, couvertes en terrasses, et des jardins spacieux attenant aux habitations, des rues larges de 8 à 10 mêtres ".(5).

L'installation :

           Comme à Mers el Kebir, à leur arrivée à La Stidia, ils sont logés dans des baraquements en planches, mesurant chacun 80m de long sur 5 m de large ; tous comportaient une séparation tous les 10 m, délimitant donc 8 pièces de 50m2 comprenant chacune 1 porte et 2 fenêtres. Dans chacune de ces pièces, 4 à 5 familles soit 25 à 30 personnes, ont vécu pendant près d'un an dans une promiscuité épouvantable qui favorisera là encore la licence des mœurs signalée pendant le séjour à Mers el Kebir et on notera de nombreuses naissances d'enfants naturels. Par la suite d'ailleurs, une formule circulera à propos du village : " La Stidia, joli village, beaucoup d'enfants, peu de mariages "…

           Pourtant à La Stidia l'administration est militaire et la discipline aussi ; tout marche à la baguette et au son du tambour. Les colons sont nourris par l'armée mais curieusement, ce ne sont pas les femmes qui cuisinent alors que cette tâche les aurait occupées et responsabilisées. Chaque famille a son n° matricule gravé sur sa gamelle et dans chaque gamelle, il y a le nombre exact de parts voulues.
           Au début fût tenté un essai de travail en commun pour construire les habitations et défricher les terres de la communauté. Les maisons furent construites, mais les terres restèrent incultes car personne ne voulait travailler un sol dont il n'était pas propriétaire.

           Les nouvaux arrivants participèrent donc avec l'armée à l'édification de maisons individuelles. Toutes identiques, elles étaient constituées d'une seule pièce de 44 m2 en terre battue et recouvertes d'un toit en terrasse, selon les recommandations du Maréchal Bugeaud. Ceci pour pouvoir éventuellement par la suite les surélever d'un étage, le toit initial pouvant alors servir de plancher. 54 maisons seront construites entre décembre 1846 et mai 1847, il y en aura 66 au total qui hébergeront 91 familles soit 445 personnes.

La distribution des terres:

           En 1847, 1365 ha sont attribués : 10 à 12 ha par foyer, même s'ils ne sont pas d'un seul tenant : en général 7ha en plaine, 3 ou 4 sur le plateau et quelques ares dans le village pour les jardins.
           Ainsi donc grâce à l'aide de l'armée, le village se dessine, nos futurs colons commencent à reprendre espoir, quand le 1er octobre de cette même année une nouvelle catastrophique tombe : l'armée se retire. " Tout aide materielle leur est supprimée, plus de solde, plus de rations alimentaires. C'est à partir de ce jour que va commencer l'affreuse misère des gens de La Stidia qui connaitront parfois la famine . Cette terrible période durera jusqu'en 1851 ".

Les années de misère :

           Suivront en effet, 3 à 4 années épouvantables. Ils se sentent abandonnés, totalement démunis. Et on commence à dire que la prise en charge quasi-totale dont ils ont bénéficié jusque là, a annihilé chez eux la capacité à se débrouiller par eux-mêmes ; comme s'ils avaient pris l'habitude de compter sur les autres plus que sur eux ; que trop de prise en charge affaiblit l'initiative personnelle…
           La Stidia va donc connaître des famines terribles, et en 1850 la situation empire :
           Ils ne subsistent que grâce à la vente du bois de défrichage que des enfants de 12 ans chargent sur un âne et vont livrer la nuit au marché de Mostaganem où ils doivent être rendus dès 6h du matin. Après avoir écoulé leur marchandise, ils refont les 17km qui séparent Mostaganem de La Stidia. De retour au village vers midi, ils dorment puis repartent en pleine nuit comme la veille. Tel était le quotidien d'enfants de 12 ans pour laisser aux plus grands la possibilité de travailler aux champs.
           Trois années durant (1848-49-50) la situation est aggravée du fait du manque de pluie responsable de récoltes catastrophiques, dont celle de 1850 fut la pire. " Les colons n'ayant aucune récolte fuyaient La Stidia et allaient travailler comme journaliers dans les villages environnants pendant que leurs femmes et leurs enfants gardaient les moutons ".(7)
           Plus d'une vingtaine de familles renonceront d'ailleurs et quitteront La Stidia, allant travailler dans d'autres villages ou retournant carrément en Europe.

L'aide salvatrice du gouvernement :
           Devant une telle dégradation de la situation, le gouvernement décida en 1851 d'attribuer une aide financière pour le village :


           (4) Sur cette photo, que l'on doit comme la précédente à Alain Algudo, on voit avec la mer au fond, le village de La Stidia, et au 1er plan, le début du 2ème plateau qui le surplombe. Apparaissent aussi les pins maritimes qui à l'origine ont été plantés par un certain Jean Lescombes, comme le démontre ce passage de la lettre de Laure Mayer à sa jeune cousine Mathilde:
           " Venons en aux Lescombes: d'après ce que je sais, l'arrière-grand-père devait être dans les Eaux et Forêts en France ". "Il devait avoir une mission à remplir car la forêt entre La Stidia et La Macta, c'est lui qui l'a plantée, qui a créé ce joli coin, tu te souviens de cela, avec la mer en contre bas. ".

           Ainsi, il apparaît que cette tâche de reboisement fut confiée à Jean Lescombes, ancien garde forestier né en janvier 1826 à Sadillac près de Bergerac. Sa famille a tenu un rôle important dans les destinées du village. Un de ses fils, Jean Victor, épousera Magdeleine Mussler d'origine allemande qui est la grand-mère de Laure Mayer.(Voir la généalogie de Jean Lescombes en annexe 3)
           Cette aide inespérée de l'état va entraîner un véritable élan chez nos colons de La Stidia et par voie de conséquence une transformation radicale de leur comportement. Comme s'ils avaient compris qu'il s'agissait là de leur dernière chance, ils se mettent à travailler leur terre avec acharnement, à fabriquer les outils nécessaires.
           Désormais, alors qu'ils étaient jusque là considérés comme oisifs et totalement assistés, on leur découvre un comportement exemplaire : " Les Prussiens établis à La Stidia sont d'infatigables travailleurs possédant à un haut degré l'esprit de famille, ils devraient être récompensés de tous leurs efforts ".(Publication officielle de l'administration).

Le redressement :

           Et de fait, " à partir de 1851, la vie des colons s'améliora et l'économie démarra réellement ".(Yves Marthot : La Stidia, Georges Clémenceau, CDHA) :

           Le territoire est défriché, on cultive toutes sortes de céréales. On verra bientôt apparaître de belles et nombreuses plantations, et de beaux jardins dus aux travaux d'irrigation. Ils entreprennent la culture du tabac et du coton, et de plus, le bétail se multiplie. Néanmoins ils continuent le commerce du bois de défrichage, ce qui leur fait un complément de revenu.

           Désormais, les rendements agricoles sont favorables pour La Stidia : en ce qui concerne le blé, 8 hl à l'hectare alors qu'il n'est que de 5 à 6 dans les autres provinces de l'Oranie.

           On note également un début d'industrialisation. Créés au début par l'armée, le moulin fonctionne, ainsi qu'une fabrique de poterie. Cet essor est favorisé par l'administration qui réalise bon nombre de travaux publics, comme l'adduction d'eau par exemple.

La population de La Stidia et ses origines :

           Elle est bien sûr essentiellement d'origine allemande, même si selon Fabienne Fischer (5), plusieurs familles françaises de l'Est figuraient également parmi les migrants à Dunkerque. Il y aura par la suite également quelques fonctionnaires métropolitains - gardes forestiers (Jean Lescombes en est un exemple), gendarmes ou militaires qui s'établiront à La Stidia.


           Ces 2 tableaux proposés par Demontes montrent bien l'écrasante majorité des colons Allemands en 1848 soit 2 ans après leur arrivée : 438 " Prussiens " pour seulement 25 Français. Alors qu'en 1856, après les années de misère du début et l'abandon d'une vingtaine de familles, la population d'origine allemande perd près d'une centaine de représentants, tandis que les Français comptent près de 60 représentants de plus. Ce qui explique qu'il n'y ait que 31 Stidiens en moins en ce qui concerne la population totale. Néanmoins, les " Prussiens " restent extrêmement majoritaires. Par la suite, le ratio évoluera du fait des naturalisations, et en 1901 selon les chiffres cités par Demontes, on ne comptait plus que 51 " Prussiens " pour 642 Français, mais La Stidia restera toujours très attachée à ses origines. La plupart continuait à parler Allemand en famille et ils se montreront plutôt hostiles à l'égard des " étrangers " voulant s'installer sur leur territoire.

Les problèmes d'intégration :

           Ils ont été réels comme le souligne Vincent Demontes : " En réalité et depuis 50 ans, presque toutes les unions se sont faites à La Stidia entre Allemands et Allemandes, de telle sorte que les habitants de ce village ne forment plus actuellement qu'une grande famille, dont tous les membres très unis se soutiennent entre eux. Ils considèrent La Stidia comme leur fief et la défendent résolument contre toute intrusion d'élément étranger ".

           Toutefois, même si cet ostracisme a sans doute été majoritaire, des mariages mixtes ont bien existé et ont sans doute participé, au moins en partie, à l'intégration et à l'assimilation de nos migrants Allemands de 1846 et de leurs descendants.
           La lettre de Laurette Mayer décrit d'ailleurs des tensions au sein de la famille Lescombes dont le fils Jean Victor avait épousé une Allemande:
           " Cet arrière-Grand-père (Jean Lescombes), je ne l'ai pas connu, mais l'arrière-Grand-mère (son épouse Marie Lambert) était, parait-il, une femme qui n'aimait pas les Allemands. Ta mère et Tante Elisa n'aimaient pas leur Grand-mère, disant : elle a fait trop de mal à notre mère . Quand ma mère avait 11 ou 12 ans, la grand-mère ne cessait de lui dire " tu as une taille d'Allemande ". Tu vois d'ici le genre de belle-mère ! " .

           Ainsi donc apparaît l'animosité de Marie Lambert/Lescombes à l'égard de sa bru Madeleine Mussler d'origine allemande, et en retour, la rancœur des petites filles à l'égard de leur grand-mère ; ici donc l'ostracisme était en sens inverse…
           La langue a été longtemps un obstacle à l'intégration qui au début du moins eut tendance à se faire à contrario. En effet au début, pour être acceptés dans le village, les quelques Alsaciens qui s'étaient mêlés au groupe initial, se disaient Allemands et vivaient comme eux.

           Par contre, lorsqu'après la guerre de 1870 se développa en Algérie un ressentiment anti Allemand, ce sont les Allemands qui, grâce à la consonance identique des noms de famille, se dirent Alsaciens pour éviter les réflexions du voisinage ou d'être stigmatiser au travail. Tous se disaient alors Alsaciens et fiers de l'être.

Photo ancienne du centre ville de La Stidia avec à droite le monument aux morts.

           Et si lors de la guerre de 1870 le choix de la patrie n'avait peut-être pas été évident pour tous, lors de celle de 14/18, le choix en faveur de la France a été évident. Sur le monument aux morts de la Stidia qui a perdu dans ce conflit 25 de ses enfants, 9 avaient un nom d'origine allemande, contre 6 d'origine française et 11 d'origine algérienne.

Le véritable essor de La Stidia :

           Le village le connaîtra plus tard et le devra à la vigne que ses habitants planteront, comme un peu partout en Algérie à partir de 1885 après la destruction du vignoble français par le phylloxéra et surtout après 1900. Et ils ne cesseront de le développer jusque dans les années 50.

           " Enfin, j'ai vu mon village devenir riche par la culture de la vigne et le labeur de ses agriculteurs. Sur cette terre envahie par le maquis, nous avons planté 3000 ha de vigne qui passaient pour les plus beaux d'Oranie. Mais à quel prix ! Si nos ancêtres ont pu transformer complètement cette région, c'est en versant un lourd tribut à la mort ".(Lucien Chailloux, dernier maire de Georges Clemenceau/La Stidia pendant la présence Française).

           Et de fait ce village est devenu prospère, Les maisons aux tuiles rouges sont coquettes et les propriétés par le jeu de rachats se sont agrandies ; on est loin des 10 ha attribués au début, et les propriétés de plus de 100 ha ne sont pas rares.

           Un encart paru dans l'écho d'Oran du 6 juillet 1956 peut illustrer ces propos et peut-être servir de conclusion à cette aventure :

           Les Allemands ne se sont pas seulement fixés à La Stidia et à Ste Léonie.

           Déjà, en février 1832, un épisode assez semblable avait eu lieu : 500 personnes environ originaires des régions rhénanes et désirant émigrer en Amérique sont abandonnés au Havre par leur agent recruteur. Le gouvernement français fera avec eux la 1ère tentative de colonisation en les envoyant dans la région d'Alger à Kouba et Dely Ibrahim. Ce ne sera pas une réussite, entre autre du fait de la malaria et des fièvres qui sévissaient dans cette région et qui décimèrent les rangs des nouveaux arrivants. Pourtant, avant l'exode de 62, une colonie d'origine allemande assez conséquente existait toujours dans ces localités proches d'Alger.


La Stidia n'a pas été la 1ère tentative de peuplement Allemand :

           Par la suite, entre 1845 et 1860, des recruteurs incitaient les Allemands qui voulaient émigrer, à s'installer en Algérie plutôt que de partir en Amérique et souvent arrivaient à leurs fins.

           On retrouvait beaucoup des descendants de ces émigrants dans les 3 départements initiaux de l'Algérie, et notamment dans l'est, dans la région de Guelma. Par ailleurs, il faut compter également le grand nombre d'Allemands qui faisaient partie de la Légion étrangère récemment créée par Louis Philippe: en décembre 1832, sur 3168 légionnaires, 2196 soit 69,3% étaient d'origine allemande.

En résumé :

           L'Algérie a compté plus de 6000 Allemands, ce qui classe cette immigration au 5ème rang parmi les colons d'origine européenne. Cette colonisation a été, ainsi que celle venant de Suisse financée par l'état français. Et pourtant les 1ères expériences ont été particulièrement difficiles malgré ou peut-être à cause de cette aide qui à un certain moment a été considérée comme un frein à l'implication réelle de ces colons.

           Mais tous se sont mis au travail et ce dernier a payé : La Stidia, devenue en 1927 Georges Clemenceau en hommage au Père La Victoire, a connu après les premières années de misère des lendemains heureux. Elle est restée très attachée à ses racines allemandes, tout en ayant participé sans ambiguïté à la défense de la patrie lors de la guerre 1914/18.

           " Prussiens " d'origine pour la plupart, bien qu'ils auraient préféré être appelés Rhénans, ils sont devenus au fil des ans des Français d'Algérie à part entière et se disent maintenant :

M. Bernard Palomba



Annexes

Annexe 1

Annexe 3 : Généalogie de Jean Lescombes et Marie Lambert:


           La flèche rouge veut souligner l'antagonisme entre la Belle Mère Marie Lambert et sa Bru Madeleine Mussler

Annexe 2 : Généalogie de Madeleine Mussler


           Les généalogies de Louise Fass et de Madeleine Mussler se trouvent sur le site de Généanet de Mr Henri Paralieu qui a réalisé une étude généalogique très complète des habitants de Noisy les Bains et des localités voisines dont fait partie La Stidia Georges Clemenceau.

Bibliographie succinte:
1) Alsaciens et Lorrains en Algérie. Histoire d'une migration ; Fabienne Fischer, Serre éditeur
2) Allemands et Suisse en Algérie1830-1918, par Jean Maurice Di Costanzo. Collection des temps coloniaux, dirigée par Jean Jacques Jordi. Ed. Jacques Guaudini 2001
3) Des Prussiens en Algérie Monographie d'André Kappes
4) Emigration Allemande en Algérie, La Stidia, Demontes 1902
5) La Stidia, Une colonie allemande en Algérie, étude historique, démographique , économique, Demontès 1902).
6) Emigration Alsacienne et Allemande en Algérie par Fabienne Fischer
7) L'émigration Allemande en Algérie par Yves Marthot (CDHA)
8) Le Brésil était son rève, l'Algérie est devenue leur patrie forcée. Freidbert WiBkirchen, de Dann
9) Histoire de la création de La Stidia Georges Clemenceau par Michel Drosson. Imprimerie de la Thermographie du midi, Toulouse 1985
10) Histoire de La Stidia et de Ste Léonie par Maurice Bel ; Echo de l'Oranie n°321
11) Les Prussiens fondateurs de La Stidia, suivant une monographie d'André Kappes


Flagrances d'un autre temps.
Par M. Robert Charles PUIG


       Tout à coup, cette brise marine qui survole Nice au pied de la Méditerranée, réveille ma mémoire endormie et mes souvenirs. Ces effluves du vent du large, c'est comme retrouver Alger...

       Je suis sur la route moutonnière, celle qui conduit à Constantine et je vais en ce week-end retrouver une partie de la famille au Lido, après Fort de l'Eau. Des retrouvailles traditionnelles. Il y aura ceux de Bab-el-Oued, l'oncle Nicolas et Jean ; il y aura ceux du Champ-de-manoeuvres, un autre Jean et Antoine et peut-être ceux de Belcourt. Une grande famille, ne puis-je que répéter.

       Après les bains de mer dans une eau tellement agréable et les séances de bronzage sur le sable gris de la plage, au pied du camp militaire où mon frère René se retrouvera en 1962 dans le cadre de l'opération "Simoun" où tous les jeunes de 18 ans étaient embarqués d'office - dans l'idée d'une opération anti-O.A.S., - mais à l'époque nous en étions loin en 1958, c'est le grand charivari et la mise en place de la grande table sous la tonnelle de verre. Un moment de tradition et de plaisir... La tournée de Liminana, cet anis transparent blanchi tout à coup par les glaçons pour les adultes et le Selecto pour les jeunes. C'est la grand-mère maternelle, qui va orchestrer la suite de la comédie familiale bordée de rires et d'histoires plus ou moins "olé olé"! N'était-t-elle pas la seule qui pouvait prétendre descendre du premier migrant arrivé vers 1840 depuis l'Italie ?

       Comme une grande messe, la tradition ne coupe pas à la charcuterie et au vin frais du domaine de la Trappe. C'est le boutifard, la soubressade qui circulent d'assiette en assiette accompagnés des olives vertes et noires, des tramoussses vinaigrées et de divers autres ingrédients, puis c'est la salade algérienne, oeufs, tomates, poivrons, olives et anchois. Tout est fait pour amouracher un palais des convives qui n'attendaient que cette entrée en matière, ce début des agapes.

       Depuis la grande véranda où nous sommes réunis, tout à coup c'est le parfum gastronomique des "haricots de mer" , les "tellines" en Espagne, à la façon "grand-mère" qui envahit la salle. Un plat préparé du matin avec les coquillages que le pécheur des lieux a apporté. Dès le jour levé, avec son salabre, comme un grand râteau, il a gratté le bord des flots, à mi-corps dans les vagues et fait la cueillette des "haricots de mer" cachés dans le sable. Puis, l'odeur est là qui ouvre l'appétit. Comment ne pas se laisser tenter par ce mets si délicat posé dans la grande poêle entourée du bouquet de l'ail roussi dans l'huile d'olive et du persil. C'est donc le blanc-roux de l'ail et le vert du persil qui accompagnent notre friandise. Ai-je évoqué le petit vin blanc ou le rosé qui chatouillent le fond de la gorge ?

       Pour terminer, il y aura la grosse pastèque que mon père apportait, verte dehors, si rouge comme le péché à l'intérieur mais si douce. Une journée familiale de gens heureux...
       Le Lido était un fief réputé, un rendez-vous de bonheur. Parfois le samedi soir pour ceux qui dormaient sur place, c'était la soirée brochettes ! Celles de Fort de L'Eau. Il fallait être de "Là-bas" pour ressentir, entourés de l'odeur des cendres du barbecue et du parfum des petites brochettes de viande ou d'abats, combien nous nous sentions au Paradis. Quelle ambiance, quelle joie en ce lieu magique et reconnu, tout près de la mer.

       En vérité, sous les tonnelles des bistrots de la place de Fort de L'eau où le vin coulait à flot, nous avions oublié depuis longtemps que pour gagner cette adresse du "Guide Michelin" de la gastronomie régionale que nous rapporterons en Métropole, nous avions affronté les odeurs pestilentielles de l'Harrach, cette rivière sans eau qui traversait Maison Carré et qui l'été n'était que putréfaction.
       C'était juste un souvenir, mais il y en a tellement d'autres, des souvenirs heureux qu'il ne faut pas confondre avec les mensonges et les morts qui suivront après 1958.

       Ce samedi-là, avec Claude G... et Charles R... nous sommes d'une autre escapade. Celle des grands viviers de Sidi Ferruch. Un casse-croûte de bon matin accompagné de l'air vivifiant du large de cette Méditerranée à nulle autre pareille.
       C'est la première chose qui ensorcelait nos narines. Ce parfum d'iode du grand large, puis bien entendu ces coquillages, moules, huîtres ou oursins et langoustes dont nous apercevions les reflets dans leurs paniers de cordes des grands bassins du vivier.
       Ces fruits de mer que nous partagions avec Neptune ou Poséidon, c'était le régal traditionnel que nous accompagnions - sans excès - d'un petit verre de blanc rafraîchi à point.

       C'était une matinée qui passait comme un charme de conte de fée avec ce soleil matinal dont les premiers rayons doraient la mer et illuminaient le paysage, donnant à notre escapade l'empreinte d'un souvenir inoubliable digne de tous les Dieux.
       C'est bien pour cette raison que je l'évoque...

       Tous ces souvenirs, ces odeurs, ce n'est pas de la nostalgie, c'est le bonheur d'avoir vécu ces instants... Le Lido... Fort de L'Eau et ses brochettes... Sidi Ferruch et ses viviers.. mais il y avait tellement d'instants et de parfums dans cet Alger occidental et oriental à la fois, civilisé et parfois barbare.

      
              Tiens ! Je me souviens tout à coup de cet escalier qui grimpait derrière l'opéra d'Alger jusqu'à la rue Bab-Azoun, juste en dessous des Tournants Rovigo, de la rue Dupuch et de l'école Dordor. C'était le quartier des affaires de toutes sortes... Sous les arcades de la rue se côtoyaient les commerces juifs et arabes avec sur les étalages en plein vent des flots d'objets et d'arômes multiples. L'air s'embaumait de mille parfums aux senteurs de la rose du lilas ou du jasmin et j'imaginais qu'à l'époque du Dey Hussein les filles du Harem, dans les jardins secrets de la Casbah, victimes des razzias et des arraisonnements de navires sur une Méditerranée incertaine sous la coupe de Barberousse et bien avant la conquête de Charles X en 1830, devaient se rendre plus belles, plus appétissantes avec les fragrances les plus enivrantes pour écouter un des contes des Milles et une Nuits de Shéhérazade, dans la couche du Maître.

       Pour en terminer avec mes élucubrations et mes souvenirs, car je ne suis plus au temps de Simbad le Marin, lorsque je me trouve face à un méchoui, entouré, enivré des odeurs de la viande qui brûle ses graisses dans le feu du brasier, j'admets reconnaître combien ce retour au passé est plaisant à évoquer.

Robert Charles PUIG / mai 2022.       
      


MAI 1962…
LA DERNIERE COMMUNION
Par M.José CASTANO,


       « Des mots qui pleurent et des larmes qui parlent » (Abraham Cowley)

       Qu’elle était radieuse l’aurore de ce dernier dimanche de Mai 1962 à Oran !… Le ciel était tout blanc, d’une blancheur de gaze, où scintillaient des gouttelettes nacrées, pluie d’atomes lumineux dont la chute emplissait l’éther d’une immense vibration qu’on aurait dite minuscule. Tel une plume blanche, un nuage solitaire se courbait au dessus de la ville, cette ville, hier si gaie, si propre, si belle qui, aujourd’hui, avait le visage gris des malades incurables, des cancéreux à quelques jours de leur mort.

       Avec le mois de Mai étaient revenus les cortèges immaculés des premiers communiants, et dans cette époque de violence et de haine, il n’y avait rien de plus émouvant que ces enfants graves et recueillis, rayonnants de foi et vêtus de la blancheur des lys.

       Parmi eux, se trouvait Frédérique Dubiton, amputée d’une jambe et qu’on portait dans le cortège des communiantes. Elle avait été l’une des premières victimes du « boucher d’Oran », le général Katz, commandant le secteur autonome d’Oran qui avait donné la consigne à ses troupes essentiellement constituées de « gens sûrs », en l’occurrence de gendarmes mobiles, « de tirer à vue sur tout Européen qui aurait l’audace de paraître sur une terrasse ou un balcon lors d’un bouclage ». (1)

       Les premières victimes du « boucher d’Oran » furent deux adolescentes de 14 et 16 ans : Mlles Dominiguetti et Monique Echtiron qui étendaient du linge sur leur balcon. Elles furent tuées par les gendarmes. Les projectiles d’une mitrailleuse lourde de 12/7 traversèrent la façade et fauchèrent dans leur appartement, Mme Amoignan née Dubiton, dont le père était déjà tombé sous les balles d’un terroriste du FLN, ainsi que sa petite fille, Sophie, âgée de deux ans et demi et sa sœur, Frédérique, âgée de treize ans qui, atteinte à la jambe, eut le nerf sciatique arraché et dut être amputée.

       Pourquoi lui refuser, malgré l’atrocité de la situation, le droit à la robe blanche et à la douceur de la cérémonie ? Elle n’aurait pas compris, elle, petite victime innocente, quelle nouvelle punition on lui imposait après tant de souffrances imméritées.

       Alors, toute parée, superbe dans ces blancheurs d’étoffe qui l’entouraient comme d’un rayonnement de candeur, Frédérique, se sentait enveloppée d’amour, réchauffée par les sourires lumineux de ses voisins et amis qui lui témoignaient leur tendresse et l’astre radieux, semblait une pluie d’or qui ruisselait de ses mains fines.

       Et cette vision insolite de ces enfants encadrés de C.R.S !… parce que leur quartier étant bouclé par suite d’une perquisition générale, on n’avait pas le droit d’en sortir, sinon avec ces charmants messieurs. C’était grotesque et digne d’Ubu Roi ! Ces petites filles parées de blanc, se rendant vers l’aumônerie du lycée, ridiculisaient par leur innocence la faconde de ces matamores qui les accompagnaient d’un air soupçonneux. Pensez donc, si elles allaient emporter sous leurs voiles les tracts et les armes de l’OAS ! On massa les enfants, place de la Bastille, avec les mitrailleuses braquées sur eux. Et le chanoine, sur le devant de son église, bénit les communiants en disant :

       « Aujourd’hui, pour venir ici vous avez dû franchir les armées ; vous avez franchi les armées de Satan ! Ne l’oubliez jamais ! Que cela vous reste comme le symbole, l’exemple de ce que vous devrez toujours être prêts à faire : franchir les armées du démon pour venir à la maison de Dieu. »

       Après cette déclaration, le chanoine fut arrêté…

       Comme on a raison de cacher aux enfants la vue des laideurs humaines. Le triomphe de la force, la victoire de l’injustice, sont des secousses trop violentes pour eux. Ils doivent croire longtemps que Dieu intervient en faveur des belles causes, que le Mal ne peut prévaloir contre l’amour et le sacrifice. Quand l’âme a pris ce pli de foi dans l’enfance, rien après ne l’efface plus. Ces petits êtres vêtus de blanc, ont été dépouillés trop jeunes de leur tunique d’illusions. Ils ont vu que leurs prières d’enfants purs ne touchaient pas le ciel, que la tendresse de leurs parents ne pouvait pas les protéger contre les abus de la force, qu’une balle bien dirigée ou qu’un couteau trop vif valait plus que cent cœurs vaillants… et de ce jour, ils sont restés tristes de cette certitude.

       Ah ! Quand le sommeil de la mort nous jettera dans la terre, puissions-nous alors ne plus rêver, ne plus voir les tristes réalités de notre triste monde !...
José CASTANO

       « Si j’avais le pouvoir d’oublier, j’oublierais. Toute mémoire est chargée de chagrins et de troubles » (Ch. Dickens)
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

       Cette photo représente la petite Frédérique DUBITON le jour de sa communion. (Parue dans l’hebdomadaire « CARREFOUR » du 16 Mai 1962.)

       Pour preuve de la désinformation qui sévissait alors en Métropole et du lynchage médiatique que subissait perpétuellement l’OAS, certains journaux –toute honte bue- à l’instar de « La Marseillaise du Languedoc », journal communiste et de « L’Indépendant » de Perpignan, avaient publié cette photo accompagnée de la légende suivante : « Chaque jour des hommes, des femmes, des enfants sont tués ou blessés par les criminels de l’OAS en Algérie… Personne n’est à l’abri de leurs mauvais coups. Pitoyable témoignage. Cette petite communiante sortant d’une église d’Oran a dû être amputée d’une jambe à la suite d’un plasticage de l’OAS (sic) »

       Ainsi, les coups les plus vils et les plus bas étaient régulièrement portés par ces « plumes vertueuses » pour en finir avec un élément indésirable qui troublait leur béatitude. Un machiavélisme féroce et inconscient présidait à l’élaboration du grand crime qui se préparait : Les informations quotidiennes étaient cyniquement dénaturées, des extraits tendancieux, des truquages perfides, des censures arbitraires en représentaient seuls les pages les plus réalistes. La vérité était altérée par des récits tendancieux à l’excès et par omission systématique de tout ce qui aurait convenu le mieux de mettre en lumière, tout cela afin de convaincre l’opinion publique que l’Algérie française était une chimère entretenue par une minorité d’exaltés.

       Et pendant ce temps, le FLN, soutenue par cette « intelligentsia » progressiste, perpétrait impunément dans l’indifférence générale ses horribles forfaits…

José CASTANO       
e-mail : joseph.castano0508@orange.fr

       - 19 MARS 1962 - LE CESSEZ LE FEU… Ou la victoire du FLN
       – Cliquez sur : Lire la suite


       Et sur : "KATZ… CRIMINEL DE GUERRE "

       Mon blog : http://jose.castano.over-blog.com/


       Ma biographie, cliquer sur : - Ma Biographie -
-o-o-o-o-o-o-o-


Guide des nouveaux colons en Algérie.
Envoi de M. Christian Graille
Chapitre II Précautions à prendre dans le trajet.
               Une fois admis, le colon a d'abord droit à ses frais de nourriture et de transport jusqu'en Algérie pour lui et sa famille et doit, dès ce moment, prendre toutes les mesures les plus favorable à son nouveau genre de vie.
               Il doit, autant que possible laisser en France les enfants en très bas âge, dont l'existence est presque toujours compromise par le climat d'Afrique.
               S'il peut, même laisser momentanément sa femme et ses enfants plus âgés, et attendre, pour les appeler près de lui, que la première période de colonisation soit passée et que son installation sur la concession soit complète, il n'en vaudra que mieux.

               Dans tous les cas il doit se défaire de son mobilier, quel qu'il soit, qui ne serait pour lui qu'un embarras sur les lieux et un surcroît de dépenses dans le trajet, l'État ne passant que cinquante kilogrammes de bagages pour toute personne au-dessus de 12 ans, et vingt-cinq au-dessous de cet âge.
               Mais il devra acheter ou se réserver :
               - un lit en fer, non garni,
               - les ustensiles de ménage, tels que
               - cuillers, couteaux, fourchettes, etc.,
               - les chaussures et surtout
               - le plus de linge de corps possible.


               Il n'est pas nécessaire de rechercher la toile pour ce dernier objet ; le coton et la laine étant les étoffes les plus saines et les meilleures dans les pays chauds par les propriétés qu'elles ont d'absorber plus facilement la transpiration.
               Tous les vêtements de drap doivent être soigneusement conservés et emportés.

               Enfin l'État ne fournissant que les moyens de transport et la nourriture jusqu'en Algérie, le colon doit songer à s'assurer, dans la proportion de ses besoins, les moyens de subvenir, durant le voyage, aux mille petites détails des habitudes ordinaires de l'intérieur du ménage.
               La traversée de Toulon ou de Marseille est de deux jours ; pour Oran ou Bône, de cinq. Afin de se préserver du mal de mer, pendant le trajet, les principales conditions sont à se tenir, au départ, le ventre libre, l'estomac plein, d'éviter sur toute chose, la constipation et pour cela, prendre avant le moment de l'embarquement, une légère purgation.
               Manger fortement et user, pendant la traversée, de boissons acidulées autant que possible.

               Il serait bon, à cet égard, que chaque chef de famille, et même chaque colon se munit :
               - d'un bidon,
               - d'un cruchon ou
               - d'une bouteille contenant la boisson qui lui est recommandée.

Chapitre III.
Climat - Température.

               La température moyenne d l'Algérie sert de limite transitoire entre celle des pays méridionaux de l'Europe et celle des contrées tropicales.
               Ce qui caractérise le plus particulièrement le climat de l'Algérie, ce sont ses extrêmes variations atmosphériques.
               Plus on s'éloigne de la mer, moins il est rare de voir le thermomètre sauter, de midi à minuit, de 25 à 30 degrés, et passer ainsi de la chaleur brûlante de la journée à un froid de nuit assez vif, que ces brusques revirements rendent encore plus sensibles pour l'Européen.
               Sur le littoral que nous pouvons appeler la première zone, la température est moins variable, parce qu'elle est constamment rafraîchie par la brise de la Méditerranée et protégée contre les ardeurs du désert par les chaînes du grand et petit Atlas, qui forme comme une ceinture à nos possessions.

               Sous ce rapport, la province d'Oran, sur laquelle sont dirigés les premiers émigrants est le point le plus propice aux premiers établissements.
               On ne connaît d'autre hiver en Algérie, qu'une saison pluvieuse qui commence à la fin d'octobre pour finir vers la fin de mars ou dans le commencement d'avril, et durant laquelle les pluies torrentielles détrempent le sol.
               A cette époque il s'élève à la surface des plaines, jusqu'au sommet des montagnes, d'épais brouillards chargés de miasmes délétères.
               Les travailleurs des champs doivent toujours attendre que les premiers rayons de soleil aient dissipé ces vapeurs avant de commencer leurs travaux.
               La saison dans laquelle nous entrons est cependant reconnue la plus favorable à l'acclimatation, car, de l'été à l'automne, l'Européen est exposé aux plus grandes ardeurs du soleil et à l'influence du simoun (sirocco) qui souffle de temps à autre dans cette saison.

               Le vent du désert chargé de vapeurs brûlantes des sables qu'il traverse, vient mourir aux bords de la Méditerranée, produit sur les organes :
               - une prostration,
               - une lourdeur et
               - une suffocation qui s'étendent même jusqu'aux animaux.

               L'extrême humidité du sol et l'extrême sécheresse sont, d'une saison à l'autre, fréquentes sous ce climat qui, à part cet inconvénient, est généralement sain et agréable.

Des Eaux.

               Il n'existe en Algérie aucun grand cours d'eau navigable.
               Le Chélif fleuve qui pourrait mériter ce nom par son étendue, dans un parcours de près de 80 lieues, tantôt torrentueux, tantôt à sec, est le plus considérable de tous : mais on rencontre, en revanche, une multitude :
               - de ruisseaux,
               - de fontaines et mêmes
               - de citernes
               - et c'est dans celles-ci et dans les puits que l'on creuse, on conserve les eaux de pluie pour suppléer, dans l'été, au tarissement des cours d'eau.


               En général c'est bien moins l'eau qui manque à la terre et à la culture, qu'un emploi bien entendu ; et, sur plusieurs points, surtout sur ceux qui recèlent des mines, les eaux potables nécessaires aux besoins de l'homme et des bestiaux abondent.
               Quand elles dissolvent mal le savon où ne cuisent pas bien les légumes, elles ne sont jamais bonnes à boire.
               Dans tout le Sahel, les sources sont fréquentes et l'eau habituellement saine.

               Lorsqu'on en trouve, pour se désaltérer, que de saumâtres ou de mauvaise qualité, il vaut mieux s'en humecter la bouche ou s'en laver le visage et les mains, à la manière des Arabes, que d'en boire.
               Dans beaucoup de ruisseaux et de fontaines l'eau renferme des sangsues, à peine perceptibles à l'œil, si l'on n'y fait pas une grande attention.
               Il faut prendre la précaution de la tamiser, au moyen d'un seau en toile écrue, avant de s'en servir.

               Les bétails que l'on conduit aux abreuvoirs est plus particulièrement exposé à cet inconvénient, car la sangsue s'attache au palais.
               Aussitôt qu'on s'aperçoit, à la salive ensanglantée de l'animal, de la présence de la sangsue, il faut s'empresser de l'arracher avec les doigts ou à l'aide d'une pince si elle adhère trop fortement.

Chapitre IV.
Maladies - hygiène.

               Les principales maladies qui affligent le colon, dans les premiers temps de son séjour sont :
               - les fièvres, les diarrhées, la dysenterie et l'ophtalmie.
               Nous indiquerons plus loin les moyens à employer pour s'en préserver, ou du moins en combattre les effets.
               Nous ferons ici cette observation importante, c'est qu'en Afrique les maladies vont vite et prennent en peu de temps un caractère pernicieux.
               Prises au début de l'invasion elles présentent moins de gravité ; négligées, elles passent de l'état chronique ou deviennent mortelles.

               On entend par hygiène, l'ensemble du régime habituel pour se conserver en santé, des précautions à prendre pour ses préserver des maladies, ou l'emploi de remèdes efficaces pour en combattre les effets.
               C'est à cette partie de notre travail ; que nous nous sommes plus particulièrement appliqués, ayant appris, à nos dépens, à apprécier toute l'importance des recommandations dont nous allons prescrire la pratique.
               Sans la santé, point de travail, partant point de succès.
               La propreté du corps est en Algérie, comme dans tous les climats chauds le premier de tous les soins à prendre.

               Indépendamment de l'habitude contractée, en Europe, de nous laver journellement le visage, les mains et les pieds, le colon devra, après toute transpiration abondante :
               - s'essuyer le corps avec un linge sec, et
               - faire autant que possible, une rapide ablution générale, et
               - changer ses vêtements humides contre d'autres plus secs.

               Pour ceux qui se trouveront voisins du littoral quelques bains de mer seront très salutaires. Il convient de les prendre courts, de ne jamais entrer dans l'eau en moiteur, ni moins de trois heures après les repas.
               Le soir est le moment le plus favorable pour se baigner.

               L'humidité des nuits, l'humidité des sols et par suit, celles des extrémités, sont une des principales causes de maladie qu'il faut éviter, soit en portant des sabots, si la nature du travail ou du terrain le permet, soit en ayant toujours de fortes chaussures de cuir, entretenues avec soin et en portant des bas ou des chaussettes de laine.
               Il faut, au plus fort de la chaleur, suspendre tout travail et prendre quelques heures de repos, et toujours à l'ombre.
               On ne devra pas également négliger l'emploi de la ceinture de laine autour des reins ; c'est un puissant moyen de conserver la chaleur à la région abdominale si nécessaire aux fonctions digestives.
               L'usage de la flanelle est indispensable ; pour ceux qui pourront disposer de plusieurs gilets, ils devront les mettre sur la peau ; dans le cas contraire, se contenter de porter cette étoffe roulée en ceinture, par-dessus les vêtements ; elle remplace alors la ceinture arabe.

               Un chapeau de paille, de feutre blanc ou gris est la meilleure coiffure. On peut s'en procurer à Marseille ou à Toulon à bon compte. Le prix des premiers varie de 2 francs 50 à 6 francs, celui des seconds de 5 à 10 francs.
               C'est à la soif surtout à laquelle il faut apprendre à résister, en Algérie Les boissons en augmentant encore la transpiration déjà si abondante sous ce climat, affaiblissent et débilitent toute l'économie.
               Tous les excès sont dangereux, et par-dessus tout, ceux qui ont pour causes les boissons alcooliques dont il ne faut faire qu'un usage modéré.
               Ceux d'entre les colons qui en auraient contracté l'habitude en Europe ne doivent cependant pas en supprimer l'usage brusquement, mais seulement peu à peu, à mesure qu'ils s'habituent au climat.

               Dans l'extrême chaleur, le café est une boisson salutaire.
               En allant au travail, le cultivateur ou l'ouvrier feront bien d'emporter avec eux un bidon comme ceux de la troupe, c'est-à-dire recouvert d'une étoffe en drap humide, et contenant de cette liqueur étendue d'eau sucrée légèrement, ce qui a la propriété, en étanchant la soif, d'être excessivement tonique.
               Le vin, l'eau rougie sont, après celle-ci les meilleures boissons.
               Quand on n'use que de l'eau pure, il faut, autant que possible, pour en corriger la crudité, y mêler quelques gouttes d'alcool ou de vinaigre.
               Nous le répétons et ne saurions assez le répéter, on ne peut trop se mettre en garde contre les exigences de la soif : à ceux chez lesquels elle deviendrait trop ardente pendant les heures de travail, nous recommanderons de se contenter de la calmer en humectant plutôt les lèvres, avec une des boissons que nous avons prescrites, par quelques gouttes dégustées lentement que d'en boire avidement en grande quantité. Surtout jamais n'employer de boissons tièdes ou trop froides.

               Le colon éprouvera à son arrivée une recrudescence de son appétit ; il doit se mettre en garde contre cette tendance et se restreindre sur la nourriture.
               Les allocations fournies en vivres de toute nature aux émigrants sont suffisantes comme quantité et pour la qualité elles ne laissent rien à désirer ; elles sont les mêmes que celles dont fait usage l'armée.
               Il faut s'attendre néanmoins à ce que les colons chercheront à améliorer, à leurs frais, leur ordinaire rationnel par quelques petits suppléments, tels que légumes frais ou fruits de saison.
               C'est surtout dans ces menues dépenses d'intérieur qu'il faut apporter la plus sévère attention, à ne commettre aucun excès dans le boire ou le manger.
               Les fruits de l'Algérie, qui du reste sont à peu près les mêmes que ceux d'Europe, n'ont pas toute la saveur qu'ils y acquièrent ; ils n'en sont pas moins agréables et savoureux ; mais ils demandent à n'être mangés qu'arrivés à leur parfaite maturité, autrement leurs effets sont nuisibles.

               Ces recommandations s'appliquent plus particulièrement aux mères de famille qui, souvent par négligence ou par une trop coupable condescendance, laissent à la portée de leurs enfants des fruits dont l'état de verdeur devient nuisible à la santé.
               Les colons entendront vanter les résultats obtenus par l'emploi de la figue de Barbarie dans certaines maladies, telles que le flux de ventre et la dysenterie.
               Qu'ils se tiennent en défiance contre ces effets merveilleux !
               En tout état de cause, ils doivent alors en faire un usage modéré car ce fruit a la propriété d'être très astringent, et l'on sait que nous avons recommandé de conserver le ventre libre avant tout.
               Les maladies auxquelles l'enfant est sujette sont nombreuses et présentent un caractère plus alarmant qu'en Europe, surtout chez les enfants en bas âge.
               Il sera donc bon et salutaire de leur administrer une légère purgation de temps à autre. L'huile de ricin devra être préférée comme préservatif en outre contre les vers.

               Nous avons recommandé d'emporter le plus de linge de corps possible pour entretenir une propreté constante et de donner la préférence à celui en coton et en laine.
               Les couleurs claires devront être également adoptées ; plus elles se rapprochent du blanc, plus elles repoussent la chaleur ; sous le rapport de sa forme l'ampleur doit être recherchée.

Chapitre V.
Habitations - Constructions.

               L'État s'est obligé à construire les habitations qui doivent être élevées sur les propriétés définitives qui seront cédées aux colons. Nous ne saurions donc traiter cette question ni rien préjuger de ce qui sera fait à cet égard.
               Nous nous contenterons (d'autant plus que cela rentre dans le cadre que nous nous sommes proposés), de prescrire quelques dispositions sanitaires et de salubrité, relatives tant aux constructions destinées aux familles qu'à celles occupées par les animaux, l'État appropriant les locaux aux besoins et à l'industrie de chacun.
               - La première préoccupation à observer dans les habitantes, c'est que le sol en soit exhaussé de plusieurs pieds au-dessus du terrain naturel, afin de mettre les habitations à l'abri de l'humidité.
               - Que les travaux du ménage se fassent autant que possible dans une pièce séparée de celle où l'on couche,
               - que les portes et les fenêtres ne restent pas ouvertes en même temps, pour éviter les courants d'air, toujours pernicieux pendant les grandes chaleurs,
               - qu'enfin les logements soient clos durant la plus grande partie de la journée et fermés hermétiquement la nuit.
               - Un soir que nous ne saurions trop recommander est celui de ne point entasser, aux abords des habitations :
               - les immondices,
               - d'éviter le voisinage des fumiers, enfin
               - l'amas des débris d'alimentation et
               - l'accumulation des eaux ménagères.


               Il faut creuser, à quelque distance des maisons, une cavité où toutes ces choses seront déposées.
               Plus l'on s'éloigne des points reconnus les plus sains, plus cette prescription acquiert d'importance.

               Après avoir donné tous ces soins à l'aménagement intérieur et extérieur de la partie des habitations occupées par la famille, on devra se préoccuper, avec non moins de sollicitude, de ceux relatifs au bétail, cet élément le plus direct et le lus productif de la richesse agricole.
               Le cultivateur sait, par sa propre expérience, que la terre la plus féconde est celle où le bétail est le mieux soigné, et qu'il n'y a pas d'agriculture possible sans bestiaux. Les troupeaux des Arabes parquent, quelle que soit la saison, presque toujours à découvert ; les siens devront être rentrés le soir dans les étables propres et bien entretenues.
               Qu'ils aient sous les yeux l'exemple des Anglais et des Suisses, nos maîtres en ce point, dont les bergeries et les établissements soignées et entretenues aussi bien que les habitations des maîtres.

               On emploie chez les Indigènes que rarement les bêtes à cornes aux travaux de labour.
               Ce sont ordinairement les chevaux que l'on attelle à la charrue ; néanmoins nous recommanderons de préférence l'emploi des bœufs, comme en Europe, mais après que toutefois les champs auront été purgés d'une plante parasite, le palmier nain, qui infecte presque tous les champs, et dont les racines, d'une difficile extraction, nécessitent l'emploi de la pioche et de grands efforts.
               On emploiera, comme clôture, l'aloès et le figuier de Barbarie, dont la texture hérissée d'épines mettra les champs et les vergers à l'abri des dépravations des animaux, quoique beaucoup adoptent les murs en pisés pour enclaver leurs propriétés. Nous recommanderons également le roseau, qui peut en outre servir à divers usages, tel que paniers, nattes, etc.

Chapitre VI.
Bestiaux - Troupeaux.

               L'élève en bétail, avons-nous dit, fut longtemps négligé par les Indigènes.
               La succession continue des razzias opérées sur les tributs pendant la guerre, n'ont pas peu contribué à appauvrir les pays en troupeaux.
               L'agriculteur devra donc apporter toute sa sollicitude à l'amélioration des races et au développement de cette industrie.

               Les Arabes emploient les chevaux aux travaux agricoles :
               - Petits, mais vigoureux, ardents et sobres,
               - les chevaux qui se rencontrent partout en Afrique, quoique dégénérés des races primitives, rendent un excellent service.

               Les haras :
               - de Mostaganem,
               - de Bône,
               - de Koléa, institués depuis peu, seront d'ici à quelques années d'un utile secours pour la régénération de la race chevaline.


               La race bovine a subi également cette dégénérescence. Chétives, maigres, donnant peu ou point de lait, les vaches sont bien inférieures à celle élevées en France, tant sous le rapport de la chair que sur celui du produit.
               Ce que nous disions de l'espèce bovine peut également s'appliquer aux moutons et aux chèvres, il y a donc :
               - de grands essais à tenter,
               - de grandes améliorations à apporter, mais aussi,
               - de grands résultats à obtenir.

               Nous ferons cependant une exception en faveur de la chèvre maltaise ; cette espèce dont le nom implique assez l'origine, est due aux émigrés anglo-maltais, accourus dans notre colonie ; laitières excellentes elles fournissent presque exclusivement le lait qui se consomme journellement en Algérie, mais le prix élevé auquel elles sont offertes, ne permettra pas, de quelques temps encore, aux colons de s'en procurer, à moins qu'ils ne puissent avoir quelques jeunes sujets, qui plus tard, deviendront l'origine des troupeaux nouveaux.

               La loi musulmane qui interdit aux Arabes l'usage du porc et le prescrit comme immonde, s'est jusqu'alors opposée à la propagation de cet animal.
               Les ressources nombreuses qu'il offre sont un sûr garant des bénéfices considérables que le colon peut en retirer en se livrant à son élevage.
               Dans les villages, dans les fermes, partout enfin où se trouvent des cours d'eau, on fera bien d'élever de la volaille.
               Les oies, les canards sont d'un excellent et prompt rapport, et pour donner, en quelques mots, une appréciation approximative des ressources du pays, en ce genre, nous allons mettre sous les yeux du colon l'évaluation moyenne des prix courants des diverses denrées.

Chapitre VII.

               Prix moyen, en Algérie, des principales denrées et objets de consommation et d'exportation.
               La limite que nous nous sommes imposée dans ce travail nous a conduit à prendre un terme moyen qui puisse servir de base aux colons dans leurs différentes acquisitions ou transactions :
               - Un cheval de travail coûte de 100 à 200 francs
               - un cheval de trait 150 à 300
               - un taureau 80 à 100
               - une vache 60 à 70
               - un veau 25 à 70
               - un mouton 7 à 10
               - une chèvre indigène 10 à 15
               - une chèvre maltaise 10 à 80
               - un porc (suivant le poids, à raison de 60 centimes le kilo.)

Denrées.

               - Le sel,
               - le savon,
               - les articles essentiels d'épiceries, se tirant presque pour la plupart des ports de France, coûtent à peu près le même prix.

               Il en est de même des vins et des eaux-de-vie ; mais ce dernier commerce ne peut présenter, pour les nouveaux arrivants, aucune chance de bénéfices réels, à cause de la grande concurrence.
               Les débitants de vins et de liqueurs sont, comme dans nos villes, soumis à l'exercice. Cette mesure, du reste, est plutôt appliquée dans un but de salubrité que dans l'intérêt du fisc.

               La vente des tabacs seule est jusqu'à présent exempte des droits de régie.
               Tous les articles de mercerie sont importés d'Europe. Il est donc inutile de se préoccuper des ressources que le pays peut offrir en ce genre.
               Les ménagères trouveront soit dans les villes, soit dans les villages à proximité déjà établis, tous les objets dont elles auront besoin et à peu près au même prix qu'en France.
               Un des grands inconvénients de l'Algérie qu'il s'agit de signaler ici, c'est la pénurie de bois, tant de construction que de celui nécessaire aux usages domestiques, car on en trouve guère que sur le littoral.
               Le monopole du charbon appartient presque exclusivement aux Arabes de la montagne, kabyles et biskris qui en approvisionnent nos marchés.
               Un couffin, espèce de panier en paille, se paie à raison de 2 francs 50 centimes à 3 francs. Il peut contenir à peu près de 3 à 4 kilos de charbon.

Chapitre VIII.
Industrie - Arts - Produits divers.

               Les différentes questions traitées dans les chapitres précédents semblent plus particulièrement s'appliquer aux colons agriculteurs, quoique les prescriptions générales qui y sont contenues peuvent être utiles à tous, sans distinction d'état.
               Nous n'avons cependant pas oublié qu'ils n'étaient pas les seuls qui allassent tenter la fortune sur la terre africaine, que d'autres industries avaient droit à nos conseils. Ainsi qu'en France :
               - les ouvriers d'art,
               - menuisiers,
               - charpentiers,
               - forgerons,
               - maçons y sont très recherchés.


               Le développement qu'avait pris la bâtisse en 1844 et 1845 était tel, que le prix de la main d'œuvre s'était élevé à cet époque, terme le plus bas, à 4 francs et au plus haut à 10 francs par journée de travail.
               L'agiotage sur les terrains et les faillites qui en ont été la conséquence ont arrêté le mouvement industriel, à ce point qu'après la révolution de février, près de 200 colons ou ouvriers durent abandonner Alger.
               Il est à présumer que bientôt la nouvelle impulsion imprimée à la colonie, par la sollicitude éclairée du pouvoir, remettra les choses dans leur premier état, accélérera les progrès et qu'avec la confiance naîtra le travail.
               Ainsi donc point de crainte à concevoir de la part des ouvriers. Dans beaucoup de localités du Sahel, le terrain présente d'excellentes argiles propres à la confection des poteries et de la brique, et par conséquent les colons pourront fabriquer à bon compte les ustensiles de ménage.

               L'architecture ici est nulle, les constructions françaises ayant remplacé presque partout les délicates maisons mauresques aux brillantes arabesques.
               Avec la prospérité seule, peut revenir le luxe, et de là l'emploi intelligent des artistes. Mais nous sommes encore loin de cette période.
               C'est seulement à l'aménagement un peu grossier des fermes et à la construction des villages que les ouvriers seront d'abord employés.
               Jusqu'à présent :
               - soit incurie de la part des premiers colons, incertains de l'avenir,
               - soit mauvais vouloir de la part du gouvernement déchu,
               - la production du sol n'a pu subvenir aux besoins de la colonie


               Presque toutes les denrées de première nécessité ont été tirées de la mère-patrie ou des pays étrangers limitrophes. De là l'élévation du prix de tous les objets importés. Ce n'est que par l'échange réciproque de leurs produits que les États arrivent à une position commerciale florissante.
               De longtemps encore, ces échanges ne pourront avoir lieu ; c'est à vous, colons sérieux, arrivant sous les hospices les plus favorables, qu'il appartient de développer les richesses de ce sol fécond ; c'est à l'agriculture, si négligée par le peuple arabe, jusqu'ici peuple de pasteurs nomades, qu'est réservée cette transformation.

               Les terres arables d'une culture facile, ont un rendement de 60 à 70 pour 1.
               Toutes les céréales y acquièrent un prodigieux développement.
               Quelques essais tentés sur l'avoine, dans les environs :
               - d'Alger, de Douéra et
               - de Blidah, ont eu les meilleurs résultats et laissent espérer que cette dernière espèce s'acclimatera parfaitement dans le pays .


               Les Arabes n'avaient jusqu'à lors cultivé que :
               - le blé,
               - l'orge et le blé de Turquie.

               Les prairies artificielles leur sont encore entièrement inconnues ; ils se contentaient de faire paître leurs troupeaux sur le versant des montagnes durant la belle saison, ou dans les plaines quand la saison froide ou pluvieuse les forçait à les en faire descendre.
               Toutes les plaines du reste produisent un excellent fourrage nutritif et aromatique mais la récolte doit être opérée, au plus tard, en avril ou en mai, si on ne veut pas le voir dessécher par les rayons de soleil.

               La culture du riz n'a pas encore été tentée ; nous ne sommes pas éloignés de penser qu'elle ne réussit à merveille dans les plaines du Chélif, aux abords de l'oued Boutan, près Milianah, où les terres ont beaucoup de rapport avec celles du delta Les légumes de toute sorte, quoique représentant moins de développement que ceux d'Europe, se sont néanmoins parfaitement acclimatés.
               La vigne pousse partout luxuriante ; les coteaux de Milianah, ceux des environs de Médéah doivent donner d'excellents crûs, si l'on est juge par les échantillons obtenus, à titre d'essai, par quelques propriétaires de ces contrées.

               Les vergers sont peuplés tant des arbres fruitiers d'Europe que ceux appartenant au climat, tels : le figuier, le grenadier etc., etc.
               Placer les arbres fruitiers exotiques en espaliers, c'est les exposer à être grillés par l'action brûlante des rayons solaires ; aussi, les fruits d'Europe ont-ils moins de saveur là que sur le sol natal.
               Nous n'ajouterons à ce travail, déjà un peu plus étendu que nous nous proposions de le faire, et cependant, nous le sentons encore fort incomplet, un mot sur les relations des Européens avec les races indigènes, relations qui tendent à devenir de jour en jour plus fréquentes par l'extension même de notre colonie qui s'avance vers les points où leur antipathie pour nous les a relégués.

Chapitre IX.

               - Par ses mœurs,
               - ses habitudes,
               - sa religion,

               l'Arabe est l'ennemi né des chrétiens (Rhoumi) ; il subit le joug imposé par le vainqueur, mais il est loin d'être soumis ; au fond du cœur, il nourrit un sentiment de haine dont ses croyances lui font un mérite et une loi, et la pensée secrètement entretenue par ses marabouts (prêtres arabes), qu'un jour, le sol foulé par nous, sera rendu à ses premiers maîtres.
               - Rusé,
               - sobre,
               - laborieux seulement lorsque la nécessité l'y contraint, il apporte dans ses relations avec nous toute la défiance et toute la finesse du Normand et une répulsion qu'il sait dissimuler lorsque son intérêt l'y oblige.


               C'est à la force qu'il obéit. Il ne reconnait la domination qu'appuyée de la puissance. Par suite de l'occupation du sol algérien, les populations européennes et arabes se sont souvent trouvées en contact.
               Des relations se sont établies entre les centres agricoles et les tribus.
               La connaissance peu approfondie du caractère des Indigènes, cette confiance imprévoyante que le Français porte en lui en toute chose, est la cause de bien des accidents que nous avons eu, dans l'origine, à déplorer.
               Admis au service ou dans l'intimité des colons, l'Arabe astucieux a mis, bien souvent à profit cette facilité de caractère de nos compatriotes, pour les dépouiller ou se livrer sur eux à d'atroces violences.

               Mais si les actes des Indigènes ont été répréhensibles, le colon, parfois, n'a pas eu de moindres torts à leur égard.
               A l'exemple des Turcs, dont nous recueillons l'héritage, ils ont, par des rigueurs intempestives, des châtiments humiliants infligés en dehors de toute légalité, redoublé leur haine vindicative.
               La mauvaise foi dans nos transactions avec eux leur a donné une opinion peu favorable de notre loyauté.

               Les nouveaux colons devront donc chercher à éviter les errements de leurs devanciers en imprimant à tous leurs actes, à toutes leurs actions un caractère de franchise, de fermeté et en même temps de bienveillance, sans faiblesse ni raideur, pour ramener leurs voisins à des sentiments plus amicaux de leur part.
               C'est le seul moyen de les persuader de la supériorité de notre civilisation et de nos mœurs.
Guide des nouveaux colons en Algérie. 1848.


Domination turque I
Envoi de M. Christian Graille
Fondation de l'odjak d'Alger (1500-1511)

               Les époques que nous venons de parcourir, importantes pour le mouvement général de l'histoire de l'Afrique septentrionale n'ont été que d'un intérêt secondaire pour l'histoire spéciale qui nous occupe.
               Jusqu'ici Alger ne s'était montré à nous que comme une petite fraction de cette vaste contrée tour à tour désignée sous les noms :
               - de Numidie,
               - de Maurétanie ou
               - de pays de Maghreb.


               C'est qu'en effet, les véritables annales de l'Algérie ne commencent qu'au XVIe siècle. C'est alors seulement qu'Alger, sous l'influence de deux étrangers, les frères Barberousse, devient le siège de cette espèce de république religieuse et militaire qui fut élevée contre la chrétienté, comme Rhodes l'était depuis un siècle contre l'islamisme.
               C'est alors seulement que se forme ce terrible gouvernement appelé l'odjak d'Alger qui en quelques années envahit toutes les principautés qui l'avoisinent :
               - Mostaganem,
               - Médéah,
               - Ténès,
               - Tlemcen,
               - Constantine, reconnaissent sa souveraineté.


               Tunis lui est même un instant soumis et Alger finit par imposer son nom à tout le territoire qui s'étend depuis Tabarque (ville de Tunisie) jusqu'à Milonia. (Ville des Abruzzes)
               Au dehors le bruit de ses conquêtes et l'influence de ses chefs se répandent avec non moins de rapidité.
               Alger, à son berceau, est tour à tour l'auxiliaire ou la terreur des États les plus puissants d'Europe.

               En 1518, le grand seigneur, sultan Selim avait daigné prendre Alger sous sa protection. En 1534 Soliman, le conquérant :
               - de Belgrade, de Rhodes et de la Hongrie
               Appelle à aider le chef suprême de l'odjak et lui confie le commandement de ses flottes pour l'opposer au plus grand amiral de la chrétienté, à André Doria.
               François 1er, dans son ardente soif de conquêtes, sollicite à son tour l'appui de cet homme prodigieux qui tient en échec les marines :
               - de Venise, de Gênes et
               - de France abaissent leur pavillon devant la capitane de ce corsaire roi.


               Toulon, Marseille l'accueillent dans leur port comme un souverain, et le fils du duc de Vendôme, le comte d'Enghien lui sert de lieutenant au siège de Nice.
               Les Espagnols, ennemis naturels du nouvel État, voient trois fois leurs armées humiliées devant Alger, et Charles-Quint lui-même, vainqueur à Pavie, à Tunis est obligé de courber le front sous la fatalité qui brise ses vaisseaux et jette l'épouvante parmi son armée.
               N'est-ce pas plus qu'il n'en faut pour l'illustration d'une république de pirates, à son début ?
               Cette période où se pressent tant d'évènements majeurs est sans contredit la plus brillante et la plus remarquable de l'histoire d'Alger : en moins d'un demi-siècle, nous assisterons à la formation de cet État, aux luttes les plus mémorables qu'il eût à soutenir ainsi qu'à l'apogée de sa puissance.

               Les Maures chassés d'Espagne par les armes victorieuses de Ferdinand et d'Isabelle, étaient venus chercher un refuge sur ces mêmes rives d'Afrique d'où leurs aïeux étaient partis huit siècles auparavant pour conquérir l'Europe occidentale. Ils espéraient trouver chez leurs coreligionnaires une assistance fraternelle ; mais leurs malheurs, loin d'exciter la sympathie des Arabes, ne firent que réveiller leur cupidité et leurs instincts féroces :
               - on dépouilla les exilés des débris de leur fortune,
               - on les empêcha de pénétrer dans l'intérieur des terres et
               - on ne les toléra que dans quelques villes du littoral :
               - Brescar (en Sicile), Cherchell, Tanger, Ceuta, Oran, Bougie en reçurent le plus grand nombre.


               Cet indigne traitement ne fit qu'accroître la haine des Maures contre leurs premiers oppresseurs : disséminés sur la côte, ils vinrent donner une activité nouvelle aux entreprises des corsaires africains qui croisaient des deux côtés du détroit de Gibraltar.
               A cette époque les rapports maritimes de l'Espagne avaient pris un grand développement. La conquête de l'Amérique faisait entrer dans les ports :
               - de Cadix,
               - de Gibraltar,
               - de Malaga des navires richement chargés qui attiraient les pirates de toutes les mers.

               Pour arrêter ce débordement, l'Espagne et le Portugal effectuèrent d'abord quelques descentes sur les côtes de Barbarie. Mais ces expéditions n'apportaient qu'un remède passager au mal et la piraterie recommençait aussitôt que les vaisseaux de guerre étaient de retour en Europe.
               L'inefficacité de ce moyen fit songer à un système de répression plus énergique.

               L'Espagne se mit en mesure d'occuper plusieurs points du littoral afin d'exercer une surveillance active et continue sur tout se qui s'y passerait.
               Sous l'inspiration de cette idée,
               - le duc de Medina Sidonia s'empara en 1497 de Mellila,
               - en 1505, Don Diego de Cordoue, marquis de Comarès, s'établit à Mers-el-Kébir.
               - Quatre ans après le cardinal Ximenès vint lui-même en personne commander le siège d'Oran et prendre possession de cette ville importante.
               - Puis il chargea son lieutenant, Pierre de Navarre, d'assiéger Bougie et de faire de cette place le centre de l'occupation espagnole.

               Les intentions du cardinal furent exactement accomplies.

               En 1510 Pierre de Navarre était maître de Bougie et s'y trouvait militairement installé.
               Ces conquêtes successives jetèrent l'épouvante sur les côtes de Barbarie :
               - Tunis,
               - Tédélès, (ville proche de Mostaganem),
               - Alger,
               - Mostaganem,
               - Arzew firent leur soumission et demandèrent à être reconnues vassales de l'Espagne.

               Dès ce moment, on eût pu croire la piraterie éteinte ; mais cette industrie offrait trop d'appâts pour que ceux qui l'exerçaient l'abandonnassent au premier échec.

               Les Algériens surtout, à cause de leur éloignement du centre d'observation choisi par Pierre de Navarre, continuèrent à armer impunément de petits navires qui croisaient sans cesse sur les côtes d'Espagne et qui en enlevaient même les habitants, faute d'autre butin. Pour mettre fin à cette violation des traités Ferdinand ordonna à Pierre de Navarre de s'avancer de nouveau contre Alger avec une escadre.
               A la vue de ce déploiement de force, les Algériens implorèrent la pitié du vainqueur ; ils envoyèrent à Valence des ambassadeurs chargés d'offrir au roi d'Espagne cinquante esclaves chrétiens comme premier gage de leur soumission ; ils promirent en outre de payer tribut pendant dix années et s'engagèrent solennellement à ne plus armer en course.

               Mais les Espagnols se fiant peu à ces promesses et voulant obliger les Algériens à les tenir, firent construire une grosse tour sur les îles Beni-Mezegrenna qui sont en avant du port d'Alger et qui, réunies aujourd'hui à la terre ferme par une chaussée, forment le môle principal.
               Cette forteresse armée de canons, reçut une garnison de deux cents hommes et comme elle n'était éloignée de la ville que de 200 mètres, elle pouvait facilement la battre de son artillerie.
               Cette petite citadelle fut appelée par les Espagnols et par les marins qui naviguaient dans ces parages, el Penon d'Argel ; sur ses ruines s'élève aujourd'hui le phare qui signale au loin l'entrée difficile du port.

               C'est vers cette époque que deux corsaires de l'archipel grec vinrent s'établir sur les rives d'Afrique :
               - les uns les disaient originaires de Sicile,
               - les autres lui donnaient pour patrie Midellin, l'ancienne Lesbos.

               N'importe : c'étaient de véritables musulmans, animés d'une haine implacable contre les Chrétiens.
               Ils s'étaient déjà rendus célèbre par les courses qu'ils avaient faites sur les côtes d'Égypte et d'Italie ; et sans doute attirés par le récit des riches cargaisons que l'on enlevait aux Espagnols, ils venaient s'installer dans le voisinage de leur nouvelle proie : c'était Aroudj el Khair-eddine, plus connus en Europe sous le nom des frères Barberousse.

               Leur père, simple potier, ou plutôt patron de navire, les avait dressés de bonne heure ainsi que deux autres frères ainés, Élias et Isaac au rude métier de la mer.
               Élias et Khaïr-ed-Din étaient pirates ; Isaac et Aroudj caboteurs.
               Ceux-ci souvent traqués par les galères des chevaliers de Rhodes finirent par tomber entre leurs mains.
               Elias périt dans la rencontre et Aroudj fut emmené captif à Rhodes.
               Aussitôt que Khaïr-ed-Din apprit la triste situation de son frère, il offrit mille drachmes pour sa rançon ; ses offres firent rejetées.

               Aroudj ne se laissa pas accabler par l'infortune ; mettant à profit les années de sa captivité, il apprit le Français, l'italien et s'initia à quelques détails de l'administration de l'Ordre.
               - Sa jeunesse,
               - son esprit naturel,
               - sa bonne humeur lui attirèrent la confiance de ses maîtres ; il sut en profiter pour tromper leur vigilance et recouvrer la liberté.

               De Rhodes, il passa furtivement à Castello-Rosso, petite ville maritime de Caramanie (région de l'Anatolie) ; puis il alla rejoindre à Lesbos son frère Khaïr-ed-Din : ils avaient alors vingt-quatre à vingt-six ans ; c'est l'âge des entreprises audacieuses ; le péril ne fait que rehausser le prix.
               Ils se mirent à écumer les mers.

               Lorsque les deux frères précédés de leur renommée vinrent en 1504 demander au Bey de Tunis le droit de bourgeoisie en lui offrant la dîme de toutes leurs captures, ils étaient possesseurs de quatre petits navires.
               Le Bey les accueillit avec empressement et mit son port à leur disposition.
               Dès leur première sortie, ils capturent deux galères du Pape dont l'équipage était dix fois plus considérable que le leur.
               En 1505, ils naviguèrent avec non moins de succès sur les côtes de la Calabre.

               De 1505 à 1510, on les vit croiser de préférence depuis l'embouchure du Guadalquivir jusqu'au golfe de Lyon (golfe fermant l'extrême Nord-Ouest de la Méditerranée entre le cap de Creuse en Catalogne et la presqu'île de Giens) et ramener à Tunis des esclaves et des navires sans nombre.
               En 1510, Don Garcia de Tolède ayant été expulsé des îles Gelves appartenant au Bey, celui-ci, craignant que le roi d'Espagne ne cherchât à venger cette défaite, donna ces îles aux Barberousse qui s'y installèrent.
               Ce fut leur arsenal et leur chantier de construction. Leur flottille se composait alors de douze navires, dont huit étaient leur propriété et les quatre autres celles de leurs camarades.

               Les exploits des Barberousse étaient répétés sur toutes les côtes de Barbarie ; partout on vantait leur audace et leur richesse ; aussi, lorsque Bougie fut occupée par les Espagnols, les habitants de cette ville vinrent solliciter l'assistance des deux frères pour les aider à se débarrasser de leur ennemi.

               Aroudj, ne consultant que son courage, vint faire le siège de Bougie ; mais les forces dont il disposait étaient insuffisantes et malgré sa bravoure il fut obligé d'abandonner l'entreprise après avoir reçu au bras une blessure grave qui nécessitait l'amputation de ce membre.
               Il alla se rétablir à Tunis et son frère continua les croisières.
               Aroudj, guéri de ses blessures, et Khaïr-ed-Din fier des riches captures qu'il avait faites se portèrent de nouveau sur Bougie ; mais comme la première fois, ils furent repoussés.
               C'est alors que, pour réparer cet échec, ils songèrent à s'établir à Zigel, petite ville jusque-là indépendante, située à 70 milles de Bougie vers l'Est.
               Zigel n'offrait aux Barberousse qu'un port de moyenne grandeur, mais très convenable pour leurs entreprises ; les habitants au nombre de mille à douze cents reçurent les deux frères avec acclamations car ils comptaient d'avance sur la part du butin qui allait leur revenir ; et Zigel fut le premier point de la régence occupé par les Turcs.
               Ceux-ci, par reconnaissance se sont fait un devoir, pendant toute la durée de leur domination, de donner de grandes immunités aux habitants de cette ville.

               De Zizel partirent bientôt de nouvelles expéditions qui ramassèrent un butin considérable sur les côtes :
               - d'Espagne,
               - de Sicile et
               - de Sardaigne.


               Les humbles cabanes de cette bourgade se transformèrent insensiblement en maisons de luxe ; la rade se couvrit de vaisseaux et l'aisance régna dans toutes les familles.
               Pour reconnaître tant de bienfaits, les habitants de Zigel offrirent à leurs hôtes la souveraineté de leur ville et du territoire qui en dépendait Aroudj et Khaïr-ed-Din acceptèrent ce don sans témoigner une trop grande joie, comme des hommes qui espéraient encore mieux de leur fortune.

               En effet, la mort de Ferdinand le catholique (22 janvier 1516) vint accroître l'importance des deux aventuriers.
               Le roi d'Espagne en mourant ne laissait pour successeur qu'un enfant ; et les Africains espéraient qu'au milieu des tiraillements de la régence, ils parviendraient à s'affranchir du joug qui les opprimait.
               Alger plus qu'aucune autre ville de la côte, se montrait désireuse de conquérir cette indépendance.
               La forteresse du Penon gênait tous ses mouvements ; car, malgré les traités, les Algériens exerçaient toujours la piraterie.
               Afin de se soustraire à la vigilance des Espagnols, ils étaient obligés d'aborder dans la petite anse qui est un peu à l'Est de la porte de Bab-Azoun et à Matifou, ou bien encore à Sidi-Ferruch ; et sur une plage si hérissée de récifs, si tourmentée par les tempêtes, ces lenteurs et ces détours portaient de graves préjudices à leurs expéditions.

               Aussi, depuis longtemps, les Algériens travaillaient sourdement à leur émancipation. Pour accroître leurs forces, ils avaient même placé à leur tête Selim Eutémy, cheik arabe, issu d'une famille riche et puissante de la Métidja.
               Celui-ci n'osa cependant rien tenter contre les Espagnols.
               Seulement en 1516, il se décida à appeler à son aide le frère aîné Barberousse.
               Aroudj mesura d'un coup d'œil l'immense horizon qui s'ouvrait devant lui ; il accepta avec empressement la proposition qu'on lui faisait, mais il eut soin de déguiser sous des scrupules religieux la joie secrète qu'il en éprouvait.

               Avant de se rendre à l'invitation d'Eutémy, il se porta sur Cherchell où un de ses compagnons de piraterie, Cara-Hassan s'était établi en souverain.
               Ce rival faisait ombrage à Aroudj, surtout dans la nouvelle position où il allait se trouver ; en homme prudent, il ne voulait rien laisser derrière lui qui eût pu le gêner plus tard.
               Il attaque brusquement Kara-Hassan, il s'empare de Cherchell et fait décapiter celui qui s'en disait le maître.
               Après cette sanglante expédition, n'ayant plus de rivaux à redouter, Aroudj se dirigea vers Alger avec dix-huit galères et trois navires chargés d'artillerie ; un de ses lieutenants l'avait déjà précédé à la tête de douze cents Turcs ou renégats, depuis longtemps dévoués à sa fortune.

               Une fois installé à Alger il fit quelques démonstrations hostiles contre le Penon et les Espagnols ; mais son affaire principale, ce qui le préoccupait avant tout, c'était de s'emparer du pouvoir.
               Accueilli tous les jours chez Eutémy comme un libérateur il put apprécier le caractère de son hôte, doux et timide, inhabile au métier des armes ; ses farouches Turcs, logés chez les principaux habitants lui avaient inspiré une crainte profonde. Depuis son arrivée à Alger,
               - toutes les démarches d'Aroudj,
               - toutes ses paroles,
               - tous ses entretiens, n'eurent d'autres buts que de se rendre redoutable à la multitude.

               Lorsqu'il crut les voies suffisamment préparées, lorsqu'il pensa qu'il pouvait impunément tenter un coup décisif, il ordonna à ses gardes d'étrangler Eutémy et se déclara souverain d'Alger.
               Les principaux habitants voulurent s'opposer à cette usurpation.

               Aroudj les fit saisir et les livra au cimetière des soldats
               - Menacés par les Espagnols,
               - dominés par l'ascendant moral d'Aroudj,
               - intimidés par la force brutale des Turcs,
               - les Algériens finirent par accepter le pouvoir nouveau qui leur était imposé.

               Dès ce moment, Arroudj agrandit son rôle : ce n'est plus un corsaire aventureux, sillonnant les mers pour augmenter ses prises.

               C'est un politique adroit, c'est une stratégie habile qui, sans autre ressource que ses Turcs et ses renégats, entouré de populations hostiles, continuellement attaqué par les Arabes et les Espagnols, entreprend néanmoins de se maintenir dans un pays étranger et atteint ce résultat, à force :
               - de courage, d'audace et de persévérance.

               Disons-le cependant, Khaïr-ed-Din, son frère, le seconda puissamment dans cette tâche et après la mort d'Aroudj, ce fut lui qui parvint à consolider la domination turque sur les côtes de la Barbarie.
               Quelques historiens ont pensé qu'Aroudj ne s'occupa ni du gouvernement intérieur de l'Odjak ni de l'administration des domaines qui en dépendaient ; c'est une erreur. Aussitôt après le meurtre d'Eutamy, Arroudj détermina les attributions des différents pouvoirs, telles qu'il les avait conçues et telles qu'elles se sont maintenues, à très peu de modifications près, jusqu'à l'entière destruction de la domination turque en Algérie.

               A peine est-il reconnu souverain d'Alger, Aroudj chasse les Arabes de leurs emplois dont il investit ses officiers les plus dévoués, et déclare solennellement que les membres de sa milice auront seuls désormais le droit le droit d'y concourir.
               Pour soustraire entièrement sa puissance à l'influence locale, il refuse aux fils mêmes des miliciens nés à Alger le droit de faire partie de l'Odjak.
               Il veut que ce corps ne soit exclusivement composé que de musulmans originaires de la Turquie ou de renégats étrangers.
               Ces deux bases, comme on voit, plaçaient le gouvernement militaire d'Alger dans les mêmes conditions que la république militaire des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem.

               Il existe encore d'autres points de ressemblance entre les deux institutions :
               - A Rhodes, les chevaliers partageaient seuls l'autorité avec le grand-maître et le chef de l'armée conduisait l'administration de la guerre.
               - A Alger, le Divan ou conseil de régence ne fut composé que des officiers de la milice, et l'Aga remplissait les doubles fonctions de ministre et de commandant.

               Au reste, pour donner une sanction religieuse à sa constitution Aroudj en distribua l'idée première à un marabout très renommé dans le pays, à Sida-Abd-er-Rahman et dont il sut exploiter la popularité au profit de sa politique.

               Pendant qu'Aroudj travaillait ainsi à organiser son pouvoir, Khaïr-ed-Din qui tenait la mer arriva à Gigel (Djidjelli) amenant des prises considérables.
               Là, il apprit l'étonnante fortune de son frère et il s'empressa d'aller mettre à sa disposition ses ressources et son courage.
               Ce renfort n'était pas inutile dans les circonstances difficiles où le sultan improvisé devait bientôt se trouver.
               Les Espagnols dès qu'ils apprirent l'usurpation d'Aroudj, en conçurent les plus vives alarmes ; ils sentaient, par avance, tout le mal que le voisinage d'un homme tel que lui pouvait faire au commerce de la péninsule.
               Le cabinet de Madrid résolut aussitôt d'abattre son pouvoir naissant et ne négligea rien pour assurer le succès de l'expédition qu'on allait enter contre lui.

               Le fils d'Eutémy, l'héritier de son titre et de ses possessions était parvenu à s'échapper d'Alger au moment où son père et ses partisans tombaient sous les coups des soldats d'Arroudj.
               Les Espagnols recueillirent le prince fugitif ; ils le prirent sous leur protection et annoncèrent aux Arabes de la Mitidja et du Sahel qu'ils allaient replacer ce jeune prince dans l'héritage de ses pères ; ils comptaient ainsi obtenir le concours des indigènes.
               Alger n'avait alors aucune fortification ; le succès d'une telle entreprise ne paraissait donc pas douteux.
               Pour mettre à exécution ces promesses et ce projet, une flotte de quatre-vingt navires, portant huit mille hommes de troupes, sortis de Carthagène le 30 septembre 1516 ; Francisco de Vero, grand maître de l'artillerie, commandait l'expédition. Lorsqu'il fut arrivé devant Alger, personne ne s'opposa à son débarquement.
               On remarquait seulement sur les hauteurs des masses compactes d'Arabes qui se tenaient en observation.

               Le général espagnol s'avança aussitôt contre Alger ; mais au lieu de faire marcher sa petite armée en colonne serrée, il la divisa en quatre corps qui devinrent trop faibles pour résister isolément soit aux sorties de la ville, soit aux irruptions des Arabes Aroudj s'aperçut de la faute et donna aux siens le signal de l'attaque.
               Les Turcs et les Arabes, réunis par la communauté du danger se précipitèrent avec fureur sur les assaillants ; ils les ébranlèrent par ce choc imprévu, et la cavalerie des Bédouins acheva leur déroute.
               En un instant les Espagnols se trouvèrent enveloppés par une multitude furieuse qui les pressait de toutes parts et les empêchaient de faire usage de leurs armes.

               La fuite seule pouvait les soustraire au danger qui les menaçait, et ils gagnèrent tumultueusement leurs navires ; mais à peine embarqués, une tempête épouvantable :
               - assaillit la flotte,
               - brisa les vaisseaux les uns contre les autres et
               - dispersa leurs débris sur le rivage.

               Le quart seulement de l'armée expéditionnaire rentra en Espagne.

               Francico de Vero fut tué par la populace qui lui reprochait de s'être laissé fait battre par un manchot et le cardinal Ximenès, en apprenant cette fatale nouvelle s'écria sans doute pour déguiser le chagrin qu'il en éprouvait : " Dieu merci, voilà l'Espagne purgée de beaucoup de garnements. "
               Paroles bien imprudentes, si elles furent l'expression réelle de son opinion ; car dès-lors, il était facile de prévoir que cette défaite coûterait cher à réparer et qu'elle allait augmenter la puissance et l'ascendant moral des Barberousse.

               Après l'expédition malheureuse de Francisco de Vero, Aroudj chercha à agrandir son territoire et un concours de circonstances imprévues vint seconder ses desseins. Les Arabes de la Mitidja conservaient toujours un souvenir pénible du meurtre de leur prince Eutémy et voulaient à tout prix se débarrasser des Barberousse et de leur milice.
               Ils firent part de leurs intentions à Hammid-el-Abid, roi de Ténès, de race arabe comme eux, et qui partageait leur ressentiment ; ils résolurent donc d'attaquer ensemble l'usurpateur.
               Les confédérés au nombre de six à huit mille s'avancèrent pêle-mêle vers Alger, faisant entendre des cris d'imprécation contre les Turcs.
               Aroudj, prévenu à temps de cette agression, laisse le commandement de la ville à son frère Khaïr-ed-Din et marche à la rencontre des confédérés avec quinze cents Turcs bien déterminés ;
               - il les atteint sur les bords de l'oued Djer à quatre ou cinq lieues Nord de Blida,
               - il chasse devant lui cette cohue tumultueuse,
               - il entre dans Ténès et
               - déclare ce territoire définitivement réuni à l'État d'Alger.


               Médéa et Miliana le reconnaissent aussi pour souverain.
               Bientôt après, profitant d'une mésintelligence qui existait entre le sultan de Tlemcen et ses sujets, il se présente aux portes de cette ville comme conciliateur.
               Il en chasse le sultan et prend possession de Tlemcen et de son territoire au nom du grand seigneur.

               Ces conquêtes ne lui coûtèrent que quelques journées de marche. Une fois maître de cette ville, il défendit aux habitants, sous les peines les plus sévères, d'entretenir aucune relation avec les Espagnols établis à Oran.
               Jusque-là Tlemcen avait exclusivement approvisionné cette place. Bou-Hamoud, le sultan dépossédé qui savait combien la cessation des rapports entre ces deux villes allait rendre précaire la situation des Espagnols, envoya dire au gouverneur d'Oran, que, s'il voulait l'aider à recouvrer son royaume, il ne tarderait pas à ramener l'abondance dans ses magasins.
               Le gouverneur, qui comprenait la position difficile où il allait se trouver, mit aussitôt une partie de sa garnison au service de Bou-Hamoud.

               Le sultan réunit à cette troupe un corps nombreux d'Arabes et marcha sur Tlemcen. A l'approche de cette armée, Aroudj fortifie la ville à la hâte et se retire lui-même dans le méchouar (la citadelle) déterminé à faire une vigoureuse résistance. Les assaillants :
               - investissent la place,
               - tracent avec méthode leurs lignes de circonvallation,
               - font jouer activement leur artillerie et après vingt-six jours de siège
               - réduisent les Turcs aux abois.
               - Aroudj était hors d'état de résister ; il se décide alors, accompagné d'une faible escorte, à sortir de la place, à franchir les lignes ennemies et à se replier sur Alger. Ce projet audacieux causa sa ruine.


               Les Arabes et les Espagnols au lieu d'entrer dans Tlemcen, se mettent à la poursuite d'Aroudj et le serrent de près.
               Pour ralentir leur marche il fait jeter sur la route de distance en distance :
               - les bijoux,
               - la vaisselle,
               - les pièces d'or et d'argent qu'il emportait.

               Ruse inutile, les Espagnols sont sur le point de l'atteindre.
               Dans ce moment critique, comme un homme de cœur et de résolution qui ne veut pas mourir en fuyant, Aroudj fait volte-face ; il forme sa troupe en carré et engage le combat.
               Ce fut un carnage épouvantable qui ne cessa que lorsque les Turcs virent leur chef mortellement atteint. Un lieutenant de l'armée espagnole, Don Garcia de Tineo lui avait percé le cœur d'un coup de pique.
               La tête d'Aroudj fut envoyée à Oran et son cafetan (manteau ou longue tunique) bizarre destinée, servit à faire une chape d'église.
               Ainsi mourut à quarante-cinq ans le fondateur de l'Odjak d'Alger, laissant derrière lui une brillante renommée qui a grandi encore dans l'imagination des Arabes, par les récits merveilleux dont on l'a entourée.
               Aroudj était doué d'une force prodigieuse et quoique privé d'un bras il se battait comme un lion.

               Abou-Hamou fut rétabli roi de Tlemcen ; il se déclara vassal de l'Espagne et s'engagea à lui payer 12.000 ducats d'or et un tribut annuel de six faucons.
               Si, aussitôt après cette expédition, le marquis de Comarès, profitant de la panique que la déroute des Turcs et la mort d'Aroudj avaient jetée parmi les habitants d'Alger, se fût porté sur cette ville, il s'en serait infailliblement rendu maître.
               Mais il voulut, pour opérer, avoir des instructions de Madrid, et pendant ce temps Khaïr-ed-Din consolida son pouvoir nouveau et organisa ses moyens de résistance. Doué d'un caractère souple et adroit, il sut tout d'abord s'attirer l'affection de la multitude en faisant preuve d'un grand zèle contre les infidèles et en s'entourant des marabouts les plus renommés par leur piété.
               Puis comme il comprit que ses seules forces seraient insuffisantes s'il était obligé de tenir tête à un ennemi nombreux et discipliné, il expédia immédiatement à Constantinople un de ses officiers les plus dévoués et le chargea d'apporter au grand seigneur, avec de riches présents, l'hommage de l'Odjak d'Alger, déclarant qu'il se reconnaissait tributaire de la Sublime Porte.

               Sélim, qui régnait alors, appréciant tout l'avantage qu'il y avait pour son empire à posséder ce nouveau territoire, situé pour ainsi dire, au cœur de la chrétienté, accepta l'offre de Khaïr-ed-Din et le constitua gouverneur de la ville avec le titre de Bey.
               Il lui expédia, en outre, le cafetan d'investiture officielle et lui envoya un premier secours de deux mille hommes ; puis il fit publier un firman (édit).
               La prévoyance de Khaïr-ed-Din ne fut pas inutile : le 15 mai 1518, Charles-Quint ayant appris la victoire éclatante de Comarès sur Aroudj résolut de chasser définitivement les Turcs de l'Afrique septentrionale et chargea le marquis de Moncade, vice-roi de Sicile, de mettre à exécution ce projet.

               Le 17 août, la nouvelle expédition forte de sept mille cinq cent hommes se trouvait dans la baie d'Alger.
               Les Espagnols débarquèrent le lendemain et s'emparèrent d'une hauteur située entre El-Harrach et la ville.
               Ils s'y établirent avec quinze cents hommes ; mais au lieu de pousser activement les opérations du siège, ils attendirent sept jours l'arrivée des troupes du sultan de Tlemcen qui avait promis à l'empereur son concours.
               Pendant cette semaine d'inaction, une tempête horrible survint ; vingt-six navires furent engloutis et quatre mille hommes restés à bord périrent dans les flots.
               Le marquis de Moncade, désespéré abandonna son matériel de campement, s'embarqua avec le reste de son armée, et fit voile pour Ivice, l'une des îles Baléares.

               Cette défaite inespérée et qui avait coûté si peu aux vainqueurs mit les Algériens au comble de la joie car les armes et les débris de toute espèce qu'ils recueillirent sur la plage augmentèrent considérablement leur arsenal et leurs.
               Mais chez des hommes dominés par le fatalisme, cet évènement eut encore une plus grande portée : dès ce moment les Turcs de l'Odjak et Khaïr-ed-Din lui-même se considérèrent comme les protégés d'Allah et se crurent en droit de tout oser. Khaïr-ed-Din, fidèle à la politique de son frère, une fois délivré des Espagnols, songea à étendre le territoire d'Alger.

               Bou-Hamoud, le sultan de Tlemcen, vassal de l'Espagne, était mort et avait laissé deux fils qui se disputaient l'héritage de leur père. Moulah-Abd-Allah, l'aîné, était soutenu par les Espagnols ; Khaïr-ed-Din accorda sa protection au plus jeune, nommée Massaoud.
               La chance des combats fut fatale au fils aîné de Bou-Hamoud ; il périt, en fuyant, assassiné par son escorte.
               Sous prétexte de rendre plus efficace son intervention et d'intimider les Espagnols qui menaçaient Massaoud d'une invasion prochaine, Khaïr-ed-Din vint s'installer à Tlemcen.
               Insensiblement toutes les villes importantes du royaume furent occupées par les milices de l'Odjak, et lorsque le protégé crut pouvoir se passer d'appui, il vit qu'il n'était plus maître de ses États.

               Massaoud pour n'être pas entièrement dépossédé fut obligé de se reconnaître tributaire de Khaïr-ed-Din.
               - Ténès,
               - Mezouna,
                Mostaganem acceptèrent à la même condition la suzeraineté de Barberousse.


               Ces rapides conquêtes effrayèrent le souverain de Tunis, Moula-Mohammed, issu de l'ancienne famille des Beni-Hafsi ; pour en arrêter le cours, il excita les principaux officies de l'Odjak ainsi que les Arabes auxiliaires à se révolter contre Khaïr-ed-Din.
               Le cheik arabe Hamed-Ben-El-Cadi, le plus ancien allié d'Aroudj, celui qui l'avait assisté dans toutes ses expéditions, se laissa gagner par Moula-Mohammed.
               Cette défection fut le prélude d'un soulèvement général ; de tous côtés, à l'Est et à l'Ouest, les Arabes se révoltent ; la guerre est déclarée.
               Soutenus par les Tunisiens, les insurgés s'avancent pour faire le siège d'Alger.
               Khaïr-ed-Din croit les mettre en fuite en leur opposant Kara-Hassan, son Aga.
               Mais cet officier, séduit aussi, par les agents de Moula-Mohammed, laisse massacrer ses troupes et fait cause commune avec les révoltés.
               La conspiration a pénétré jusque dans Alger et les principaux habitants sont au nombre des conjurés.
               C'en était fait de Khaïr-ed-Din si un esclave ne fut venu l'avertir du danger.
               Le danger n'effraie pas le chef de l'Odjak ; il ne demande qu'à le connaître.
               Aussitôt qu'il fut instruit du complot, sans perdre un instant, il convoque une réunion générale des fidèles à la mosquée, et s'y rend en personne accompagné de quelques Turcs dévoués.
               A peine est-il entré, les portes se ferment, et tout ce qui fut désigné comme traite eut la tête tranchée. La fortune des victimes récompensa le zèle des bourreaux ; ainsi le veut la loi en Turquie.

               Khaïr-ed-Din après avoir étouffé cette conspiration, resta deux ans encore à Alger ; mais à la suite d'une vision, ou plutôt à cause de conspirations incessantes que l'on tramait contre lui, il prit le parti de se retirer à Gigel premier théâtre de ses exploits. Pendant trois ans il porta l'épouvante sur toutes les côtes de la Méditerranée.
               Il intercepta le commerce de la plupart des États d'Europe et saccagea une foule de villes importantes parleurs richesses et que le nombre de leurs habitants semblait mettre à l'abri des pirates.
               Cependant cette absence si longtemps prolongée ruinait le pouvoir de Khaïr-ed-Din dans la régence :
               - les uns le disaient mort,
               - les autres prétendaient qu'il avait renoncé à ses conquêtes.


               Hamed-ben-el-Cadi, mettant à profit l'incertitude du peuple, s'était emparé du commandement d'Alger et y régnait en maître, Kara-Hassan s'était fait reconnaître chef suprême des tribus de l'Ouest et occupait Cherchell.
               Khaïr-ed-Din, tout entier à ses expéditions maritimes aurait sans doute laissé se consolider ces usurpations, si un trait d'insolence inouïe ne fût venu l'avertir du danger auquel étaient exposées ces possessions.
               Une de ses galères qui revenait de course fut assaillie en entrant dans le port d'Alger par le feu des batteries de mer, ni plus ni moins qu'un ennemi ; elle faillit sombrer. Exaspéré de l'insulte faite à son pavillon, Khaïr-ed-Din réunit toutes ses forces débarque secrètement à Sidi-Ferruch et marche sur Alger.
               Hammed-ben-el-Cadi voulut lui résister mais l'ascendant du maître triompha : les soldats de Hamed se défendirent mal, ils rompirent leurs rangs au premier choc ; ils entrèrent précipitamment dans Alger et, craignant la vengeance de Khaïr-ed-Din ils voulurent du moins acheter sa clémence par la mort de l'usurpateur.
               L'offrande expiatoire fut acceptée et tout rentra dans l'ordre.
               D'Alger Khaïr-ed-Din se porta sur Cherchell où Kara-Hasan avait formé une alliance secrète avec les Espagnols pour ruiner l'Odjak.
               Il entra dans la place sans aucune résistance ; les soldats lui livrèrent Kara-Hassan et il le fit étrangler sous ses yeux.
               Le sultan de Tlemcen avait aussi profité de l'absence de Barberousse pour se soustraire aux obligations qui lui avaient été imposées : une simple sommation le fit entrer dans le devoir.
               Ainsi, par la rapidité de ses mouvements, Khaïr-ed-Din était parvenu, en quelques jours, à consolider toutes ses conquêtes et à faire respecter son autorité sur un pays qui offrait plus de six cents milles d'étendue.

               Ce fut alors que, pour mettre la dernière main à son ouvrage, il conçut le projet d'attaquer le Penon, de renverser cette forteresse géante qui humiliait son ambition, qui était un obstacle à tous ses projets.
               La circonstance était on ne peut plus favorable : par l'incurie du gouvernement espagnol, la place manquait de vivres et la garnison qui n'avait pas été renouvelée depuis longtemps était accablée par les fièvres.
               Khaïr-ed-Din instruit de la situation dans laquelle se trouvaient les Espagnols, les fit sommet de se rendre. Don Martin de Vargas, brave et loyal officier qui commandait la place lui fit répondre que, tant qu'il aurait un souffle de vie, le drapeau de Castille flotterait au sommet du Penon et il tint parole.

               L'île fut investie le 6 mai 1530. Des galères armées d'artillerie et des batteries disposées sur la terre ferme lancèrent contre ses remparts, pendant dix jours consécutifs, un nombre considérable de boulets ; des brèches furent pratiquées sur plusieurs points ; mais l'étendard de la Castille flottait toujours au sommet de la tour.
               Voyant que la garnison ne songeait pas à se rendre, Khaïr-ed-Din ordonna l'assaut. Treize cents Turcs s'élancèrent aussitôt dans la place par les différentes brèches sans que personne ne leur oppose la moindre résistance.
               Ils ne trouvaient partout sur leurs pas que des cadavres mutilés et des soldats mourant de faim ou accablés par la maladie.
               Don Martin de Vargas se tenait seul sur la brèche, l'épée à la main, comme un noble gentilhomme ; les Turcs le renversent sans pitié et Khaïr-ed-Din moins généreux que Soliman près le siège de Rhodes fit quelque temps après périr sous le bâton ce brave guerrier parce qu'il refusait d'abjurer la religion de ses pères !

               Le Penon, une fois au pouvoir des Turcs fut rasé et ses démolitions servirent à former la digue qui lie aujourd'hui les îlots de Beni-Mezegranna à la terre ferme.
               Les secours que l'Espagne destinait aux défenseurs du Penon arrivèrent trop tard. Khaïr-ed-Din, avec sa flotte, qui se composait de trente galères, s'en empara. Il poussa même ses reconnaissances jusqu'à qu'à Valence et Barcelone, d'où il ramena un nombre considérable de Maures qu'un décret de l'empereur venait d'expulser d'Espagne.

               Pendant que la fortune couronnait toutes les entreprises de Khaïr-ed-Din, Charles-Quint, secondé par les Vénitiens et par leur célèbre amiral André Doria, faisait éprouver de rudes échecs à la marine turque.
               Plusieurs îles de l'archipel et un grand nombre de places fortes de la Morée (province de l'empire ottoman) et de la Dalmatie avaient été enlevées coup sur coup au grand seigneur.
               Soliman, irrité de l'inhabileté de ses capitans pachas, et frappé des étonnants succès qu'obtenait son belliqueux vassal, succès qui lui étaient révélés et par la voix publics et par les riches présents que celui-ci lui envoyait, résolut de lui confier le commandement de ses flottes.
               Khaïr-ed-Din reçut avec respect le fatwa (avis juridique sur un point de religion) qui l'appelait à sa haute dignité et s'empressa de déférer à la volonté de son suzerain. Il laissa son fils à la garde de son parent Celebi-Ramadan et confia cette fois le commandement d'Alger à un officier dévoué, Hassan-aga, renégat sarde, qui, bien jeune encore, avait été élevé par ses soins et lui avait donné des preuves nombreuses de son dévouement.

               Khaïr-ed-Din se rendit à sa destination, accompagné de quarante galères magnifiquement armées. Chemin faisant il ravagea les côtes de Sardaigne et de Sicile, et entra dans le port de Constantinople emmenant avec lui dix-huit prises et quatorze cents esclaves chrétiens.
               Sa présence suffit pour dissiper quelques intrigues ourdies dans le sérail contre sa nouvelle promotion, et la dignité de capoudan-pacha (titre porté par le grand amiral de la flotte), la seconde de l'empire lui fut solennellement conférée.
               On le vit même remettre à la voile avec une flotte de quatre-vingts vaisseaux, se dirigeant sur Coron et Patras (ville de Grèce), récemment conquises par André Doria.
               Rien ne lui résiste ; toutes les villes enlevées par les Vénitiens passent de nouveau sur la domination du grand seigneur.

               La flotte turque ravage les côtes d'Italie et jette l'épouvante jusque dans Rome.
               Puis changeant de direction, Khaïr-el-Din se porte brusquement sur Tunis où il avait à satisfaire une vieille rancune, car il n'avait pas oublié que le souverain de cette ville Moula-Mohammed, avait fomenté le trouble dans ses états et s'était montré l'un de ses ennemis les plus acharnés.
               Un autre prince y régnait alors mais il appartenait à la même famille des Béni-Hafi : C'était plus qu'il en fallait pour justifier l'agression de Barbe Rousse.

               Bizerte et la Goulette furent enlevées par surprise ; Khaïr-edine pénétra ensuite dans Tunis avec six mille hommes, en chassant le prince régnant, Moulay-Hassan et, ramenant à lui l'esprit populaire par les ressources de sa politique souple insidieuse, il prit possession de cette ville au nom du grand-seigneur et s'en fit nommer souverain par acclamation.
               Cette conquête jeta la consternation dans la chrétienté.
               Malte et la Sicile implorèrent l'intervention de Charles-Quint, et celui-ci, craignant que ses possessions d'Italie ne devinssent la proie des pirates, résolut de se mettre à la tête d'une puissante armée pour chasser les Turcs de cette nouvelle position. Il rassembla, des divers points de ses vastes États, quatre cents navires sur lesquels il fit monter vingt-cinq mille hommes ; il les rallia tous en Sardaigne et les conduisit en personne devant Tunis.

               Khaïr-ed-Din n'était pas en mesure de résister à un tel armement, cependant intrépide comme toujours, il voulut se mesurer avec le plus grand souverain de la chrétienté.
               Il marche courageusement à sa rencontre et lui livre combat. L'agression fut vive et acharnée ; mais accablé par le nombre, il dut abandonner la défense de la Goulette pour se retirer à Tunis.
               Là encore un nouvel échec l'attendait : pendant que les Turcs sont sur les remparts occupés à repousser les assaillants, les captifs chrétiens brisent leurs chaînes et fondent sur eux à l'improviste.
               Obligés de se battre contre l'ennemi du dehors et de se défendre à l'intérieur contre leurs esclaves, les mahométans abandonnent leur position et vont chercher un refuge dans les murs de Bizerte.
               Charles-Quint, maître de Tunis, livra cette malheureuse ville au pillage et rendit à la liberté vingt-cinq mille esclaves : beau triomphe pour un prince chrétien, auquel vinrent s'ajouter d'autres avantages non moins positifs.

               Moulay-Hassan, le souverain dépossédé, qui par ses agents avait préparé la défaite de Khaïr-ed-Din, fut replacé sur le trône mais :
               - il s'engagea à payer à l'Espagne un tribut annuel de 12.000 ducats d'or,
               - reconnut la suzeraineté de l'empereur,
               - renonça solennellement à la piraterie et
               - laissa occuper la Goulette par une garnison espagnole.


               Cependant quelques glorieux que fussent pour l'empereur les résultats de son expédition, le but le plus important n'avait pas été atteint : Khaïr-ed-Din, l'effroi de la chrétienté s'était échappé par terre avec quatre mille Turcs et ses trésors, et avait gagné Bône où se trouvaient déjà ses vaisseaux.
               L'empereur envoya André Doria avec trente galères et deux mille soldats pour chercher à s'emparer des navires du corsaire ; mais il n'était plus temps :
               Khaïr-ed-Din les avait fait déjà partir pour Alger et s'était lui-même dirigé par la voie de terre sur cette place avec sa cavalerie.

               Une fois arrivé à Alger, rien ne lui manqua pour :
               - ravitailler sa flotte,
               - recomposer son matériel et
               - augmenter sa troupe.

               Il avait formé le projet de séjourner quelque temps dans sa capitale, mais tourmenté par le souvenir de sa défaite récente, on le vit bientôt reprendre la mer, afin d'exercer de terribles représailles sur toute la chrétienté.
               Hassan-Aga fut encore une fois chargé du gouvernement de l'Odjak.

               Khaïr-ed-Din ouvrit cette nouvelle campagne en enlevant deux navires portugais dans le port de Mahon.
               Il ravagea ensuite le double littoral de la péninsule, incendiant les maisons et les récoltes, enlevant tout ce qu'il rencontrait.
               Ce ne fut qu'après s'être rassasié, pendant dix-huit mois, de butin et de carnage qu'il songea à rentrer au port.
               Durant ces incursions il avait oublié qu'il était le chef suprême de la marine ottomane, pour ne se souvenir que de son premier état de corsaire.
               Des ordres impérieux du grand seigneur l'appelèrent à des exploits plus honorables.

               A la tête de la flotte turque, il croise dans le golfe de Naples et opère plusieurs descentes sur les côtes de l'Albanie.
               - Il s'empare ensuite de vingt-cinq îles appartenant aux Vénitiens, en soumettant douze à un tribut annuel,
               - en ravagent treize autres sans y laisser un seul habitant et
               - ramène à Constantinople quatre mille esclaves.
               - L'année suivante il se rend dans les eaux de Corfou à la recherche de la flotte commandée par André Doria.

               Il la rencontre dans le golfe d'Ambracie (golfe de Grèce en mer ionienne), non loin du promontoire d'Actium où Antoine et Auguste vinrent autrefois décider le sort du monde.

               Khaïr-ed-Din offre le combat à l'amiral vénitien et reste maître de la mer par l'habileté de ses manœuvres. La flotte chrétienne se composait de cent-soixante-sept navires dont :
               - trente-six appartenaient au Pape,
               - cinquante aux Espagnols et
               - quatre-vingt-un aux Vénitiens.

               Envoyé bientôt après par Soliman pour assiéger Castel-Nuovo, place forte de la Dalmatie, située entre Raguse et Cattaro, dernière conquête des Vénitiens, Khaïr-ed-Din, aussi heureux sur terre que sur mer, emporta en quelques jours cette place d'assaut.

               Un traité glorieux pour les Ottomans vint couronner tant de victoires : Venise leur céda non seulement toutes les petites îles de l'archipel dont Khaïr-ed-Din avait fait la conquête, mais encore les places fortes de Napoli de Romanie, (Naples) ainsi que les châteaux d'Urana et de Nadin.
               La république s'engagea en outre à payer au grand seigneur une indemnité de 3000.000 ducats.
               Tels furent, dans une seule campagne, les résultats de l'intervention du chef suprême de l'Odjak d'Alger au profit de Soliman !

               Pendant ce temps les Algériens conduits par Hassan-Aga étaient loin de rester inactifs : ils parcouraient les côtes d'Espagne avec une audace inouïe, partout le meurtre et l'incendie marquaient leur passage, et l'Espagne, impuissante ou absorbée par d'autres guerres fut réduite à élever de distance en distance, sur les bords de la mer, des tours de vigie qui donnaient l'alarme aux habitants dès qu'un corsaire algérien se présentait.
               Ces terribles pirates se rendirent tellement redoutables qu'ils avaient interrompu tout commerce dans la Méditerranée.
               L'Europe entière souffrait de leurs brigandages et adressait au vainqueur de Tunis de ferventes prières pour qu'il voulût bien encore une fois réprimer les barbares :
               - l'esprit aventureux du prince auquel ces supplications étaient adressées,
               - la gloire de venger l'humanité outragée,
               - peut-être aussi le besoin de faire oublier de récentes défaites par quelque action d'éclat, décidèrent Charles-Quint à diriger en personne une expédition décisive contre Alger.

               Comme cette expédition est sans contredit l'évènement qui a le plus marqué dans l'histoire de l'Algérie, et que ses funestes résultats donnèrent aux corsaires algériens un ascendant immense sur l'Europe, nous allons en faire le récit avec quelque détail.

               Ce fut au retour de la diète de Ratisbonne, dans le mois d'août 1541, que Charles-Quint décida sa grande entreprise contre Alger.
               - Ni l'opinion contraire d'André Doria, partagée par le marquis de Guast et le prince de Melphy,
               - ni les exhortations du Pape Paul III lui-même, qui tous faisaient prévaloir l'état avancé de la saison, ne purent détourner l'empereur de son dessein.

               Il ordonna à ses gouverneurs de presser l'armement de tous les navires disponibles qui se trouvaient dans les ports d'Espagne et de Sicile et les fit diriger sur Majorque, qu'il avait choisi pour le rendez-vous général de ses forces.

               L'expédition se composait :
               - de 65 galères et
               - de 451 navires de transport montés par 12.330 matelots.

               Les troupes de débarquement s'élevaient à 22.000 hommes :
               - 6.000 Allemands,
               - 5.000 Italiens,
               - 6.000 Espagnols ou Siciliens,
               - 3.000 volontaires,
               - 1.500 cavaliers,
               - 200 gardes de la maison de l'empereur,
               - 150 officiers nobles et
               - 150 chevaliers de Malte.


               Parmi les chefs qui commandaient cette brillante armée on remarquait :
               - Ferdinand Cortez, le conquérant du Mexique, accompagné de ses deux fils,
               - le duc d'Albe,
               - les princes Colonna,
               - Virginius Urbin d'Anguilla qui avait assisté Charles-Quint dans l'expédition contre Tunis,
               - Ferdinand de Cordoue,
               - Ferdinand Gonzague, vice-roi de Sicile,
               - Bernardin de Mendoza, capitaine général des galères espagnoles et
               - André Doria, commandant en chef le mouvement naval.


               Après bien des retards, cette flotte formidable appareilla dans les premiers jours d'octobre, époque fatale où les vents de l'équinoxe dominent en maîtres dans les parages de l'Algérie.
               Hassan-Aga, pris au dépourvu, fit ses efforts pour résister à cette invasion :
               - Il ajouta de nouvelles fortifications à celles qu'avait déjà fait construire Khaïr-ed-Din,
               - fit armer toutes les batteries de sa marine et
               - flanquer de tours le mur d'enceinte qui enfermait Alger du côté de la terre.
               - Pendant ces préparatifs il affecta de se montrer à la multitude, tranquille et comme assuré du triomphe.
               - Il défendit aux habitants, sous peine de mort, de quitter la ville,
               - puis fit raser tous les jardins
               - et abattre tous les arbres qui avoisinaient la ville.


               Les forces dont il disposait alors n'étaient pas considérables : il n'avait que 800 Turcs de l'Odjak, auxquels il avait donné pour auxiliaires un corps de 5.000 hommes, levés à la hâte et composé d'Algériens mais surtout de Maures d'Andalousie qui maniaient très adroitement l'escopette (arme à feu portative à bouche évasée) ou se servaient d'arcs en fer d'une grande puissance.
               Dans la plaine il comptait sur les Arabes et les Kabaïles.
               Tels étaient les moyens de défense d'Hassan ; il est facile de voir qu'ils se trouvaient bien inférieurs à ceux des chrétiens.

               Quoi qu'il en soit, le 19 octobre le sahed el nadour (l'officier de la lunette) vint annoncer à Hassan que l'on découvrait à l'horizon une flotte immense. Hassan :
               - parcourt aussitôt à cheval les divers quartiers de la ville,
               - examine minutieusement tous les préparatifs,
               - assigne à ses officiers les positions qu'ils doivent occuper,
               - puis il se rend à la porte Bab-Azoun, où il pensait que commencerait l'attaque et monte à la batterie qui défendait cette partie des fortifications.

               De là son œil pouvait embrasser toute l'étendue de la baie, le rivage et les premières crêtes du Sahel qui commençaient à se couronner de burnous blancs.
               Dès que les divers chefs de poste aperçurent Hassan sur la plate-forme de la batterie, ils s'empressèrent de le saluer par une décharge générale de leurs armes à feu.

               Le grand drapeau national d'Alger, formé de trois bandes de soie :
               - rouge, verte et
               - jaune, se déploya majestueusement au-dessus de la porte de Bab-Azzoun,

               Tandis que :
               - les tours, les forteresses, les remparts
               Se hérissaient d'armes, se pavoisaient de drapeaux de diverses couleurs, la plupart chargés de symboles mystiques ou de versets du Coran.
               Les Algériens étaient remplis de confiance : car une prédiction avait dit que les Espagnols seraient détruits dans trois expéditions différentes, dont une commandée par un grand prince, et qu'Alger ne serait prise que par des soldats habillés de rouge. (La dernière partie de cette étrange prédiction ne devait s'accomplir que trois siècles plus tard. Les pantalons garance et les retroussis rouges des habits de nos soldats justifièrent, en 1830, aux yeux de cette population fanatique, le pronostic de la devineresse.)

               Le 21 octobre la flotte impériale, complètement ralliée se trouvait dans la baie d'Alger.

               Le 23 seulement elle put opérer son débarquement. On choisit cette partie de la plage qui avoisine la rive gauche d'El-Harrach, située au pied des hauteurs qui dominent la plaine de Mustapha.
               Monté sur la poupe de la Réale qui portait l'étendard impérial, Charles-Quint dirigea cette opération.
               Toutes les galères, pavoisées de leurs couleurs nationales, étalaient leurs rames et disputaient de vitesse pour faire arriver les transports mouillés au large et les rapprocher du rivage, tandis que les bateaux plats prenaient les soldats et les déposaient à terre.
               Sur la plage on voyait une multitude compacte d'Arabes, les uns à pied, les autres à cheval, défier les Espagnols en élevant leurs armes au-dessus de leur tête et en agitant les pans de leurs burnous.
               Leur nombre augmenta surtout lorsque le débarquement commença. Ils tentèrent même de s'y opposer ; mais les galères qui s'étaient rapprochées de terre soutinrent cette opération difficile par des bordées bien nourries qui forcèrent les Arabes de se tenir à distance.
               Aussitôt que l'infanterie fut entièrement débarquée, Charles-Quint, qui avait toujours présent à l'esprit sa conquête de Tunis, envoya à Hassan un parlementaire pour le sommer de se rendre : " Dis à ton maître, répondit celui-ci à l'officier espagnol, qu'Alger s'est déjà deux fois illustrée par la défaite de Francisco de Vero et d'Hugues de Moncade et qu'elle espère acquérir une gloire nouvelle par celle de l'empereur lui-même. "
               L'intimidation était restée sans effet, il fallut songer à agir.

               Le 24 octobre, l'armée de Charles-Quint divisée en trois corps se porta sur Alger.
               - La première division ou avant-garde, se composait des Espagnols commandés par Ferdinand de Gonzague,
               - les Allemands formaient le corps de bataille. Ils étaient commandés par l'empereur ayant pour lieutenant le duc d'Albe,

               L'arrière-garde, composée :
               - de la division italienne,
               - des chevaliers de Malte et
               - des volontaires, étaient sous les ordres de Camille Colonna.


               L'avant-garde occupait la gauche, c'est-à-dire le haut de la plaine, l'arrière-garde suivait le bord de la mer et le corps de bataille gardait le centre.
               Dès que l'armée impériale se mit en mouvement, les Arabes ne cessèrent de la harceler, si bien qu'après six heures de marche elle n'avait pas avancé d'un mille ; le soir elle prit position à El-Hamma sans toutefois pouvoir goûter un seul instant de repos car les Arabes continuèrent leurs escarmouches pendant toute la nuit.

               Le 25, l'armée, après une marche difficile, constamment entravée par les attaques partielles des Arabes, parvint néanmoins à gagner les hauteurs qui dominaient la ville.
               L'avant-garde se porta jusqu'auprès du ravin de Bab-el-Oued, et Charles-Quint s'établit, avec le corps de bataille sur la même colline du Coudiat-el-Saboun ou en l'année 1518 Hugues de Moncade avait pris position et où fut construit plus tard le fort de l'Empereur.
               Son arrière garde formait l'aile droite et occupait tout l'espace compris depuis le pied des montagnes jusqu'au bord de la mer au cap Tafoura, là où est aujourd'hui le fort Bab-Azzoun.
               La position était on ne peut plus avantageuse.
               Par cette manœuvre on avait isolé les Arabes de la ville et des ravins profonds les tenaient éloignés de l'armée.
               Il n'y avait plus qu'à commencer les travaux du siège.
               Charles-Quint fit débarquer sa grosse artillerie et ordonna en même temps à la flotte de s'embosser le plus près possible de la place afin de pouvoir la canonner simultanément par terre et par mer.
               Ni l'empereur, ni ses généraux ne comptaient sur une longue résistance : les murs d'enceinte étaient très faibles et l'artillerie des Algériens peu nombreuse ; mais Alger avait pour elle de plus puissants auxiliaires c'est-à-dire les orages qui jusque-là l'avaient protégée, grâce au mauvais choix de la saison pendant laquelle on était chaque fois venu l'attaquer.

               Dans l'après-midi du 25, le ciel était devenu tout à coup orageux, et de larges gouttes d'eau avaient humecté la terre. Vers le soir,
               - le temps devint glacial,
               - la pluie tomba en abondance,
               - ruina les chemins,
               - grossit les torrents, et
               - les soldats sans abri étaient transis de froid.

               Pendant la nuit survint une violente rafale :
               - on entendait les câbles se rompre avec fracas,
               - les navires chassaient sur leurs ancres,
               - s'entrechoquaient les uns les autres
               - et finissaient par couler à fond.

               Cette nuit fut terrible pour l'empereur.

               Sa douleur était poignante mais rien ne trahissait au dehors ses émotions intérieures, et, constamment entouré de ses généraux et de ses principaux officiers, il s'efforçait de les rassurer par son calme apparent.
               Au point du jour, un brouillard épais couvrit la plage et la pleine mer.
               La pluie n'avait pas cessé ; il était impossible de rien distinguer à une faible distance. En ce moment de crainte et d'incertitude, on entendit, vers le bas de la montagne, non loin des murs d'Alger, des cris tumultueux : c'étaient les Turcs et les Maures, qui, profitant de l'orage et de la pluie, venaient attaquer l'armée impériale jusque dans ses retranchements.
               Les soldats de Charles-Quint coururent aux armes mais leurs mousquets tout mouillés les servaient mal : Les Maures au contraire armés d'arcs en fer, leur renvoyaient une grêle de flèches qu'ils ne pouvaient éviter, le vent et la pluie leur battant au visage.

               Pour faire cesser cette lutte inégale, les Italiens et les Chevaliers de Malte, car c'était l'arrière-garde qui se trouvait ainsi attaquée, voulurent combattre corps à corps ; mais leurs ennemis plus agiles et connaissant mieux les chemins, les esquivaient en se repliant sur Alger.
               Cette escarmouche se continua jusqu'aux portes de la ville. Alors les Turcs et les Maures se voyant en sécurité, montent sur les remparts, et aux nuées de flèches font succéder des décharges de mousqueterie.
               Les Italiens surpris et effrayés se mettent à fuir.
               Les Chevaliers conservent seuls leurs rangs, et, malgré une nouvelle sortie, ils se replient en bon ordre.
               A la vue du danger que court cette partie de son armée, l'empereur vient en personne, accompagné de ses fidèles Allemands, rétablir le combat.

               Les chevaliers à leur tour, se sentant appuyés reprennent l'offensive :
               - Ils chargent, quoique à pied, les cavaliers turcs,
               - ils les refoulent dans les rues étroites et tortueuses du faubourg de Bab-Azzoun et
               - les pressent avec une telle vigueur qu'ils seraient entrés à Alger avec eux, si Hassan-Aga, pour prévenir ce danger n'eut sacrifié une partie de son armée en faisant fermer précipitamment les portes.

               C'est à ce moment que le chevalier Ponce de Balagner, qui tenait déployé l'étendard de l'Ordre, furieux de se voir arrêter dans sa poursuite se jeta contre la porte et y enfonça son poignard.
               Bientôt après les Turcs et les Maures, ralliés par Hassan se précipitaient sur cette brave milice qui formait l'arrière-garde pendant que l'armée chrétienne se retirait dans ses retranchements.
               Les chevaliers de Malte, après tant d'efforts, étaient trop accablés de fatigue pour résister à une nouvelle à cette nouvelle attaque ; ils voulurent néanmoins tenir tête à l'ennemi, et on les vit se former en bataille dans les gorges étroites qui avoisinent le pont de Fours.
               Mais leur courage ne servit qu'à illustrer ce lieu, qui depuis a retenu le nom de Tombeau des chevaliers.

               Ce fut au retour de ce déplorable engagement que la brume venant à s'éclaircir, dévoila à l'armée de Charles-Quint les désastres de la nuit. Cent cinquante navires de différentes de diverses grandeurs étaient brisés sur la plage ou coulées à quelque distance, ne laissant apercevoir que l'extrémité de leur mâture.
               Presque tout ce qu'ils contenaient avait été submergé, et les hommes avaient péri, soit dans les flots soit sous le yatagan.
               La grosse artillerie, tout le matériel du siège étaient perdus, car, avant que les ordres donnés par Charles Quint eussent pu recevoir un commencement d'exécution.
               Les bateaux de transport avaient été engloutis.
               Les soldats qui n'avaient ni vivres, ni tentes contemplaient avec effroi le désastre de la flotte. Leur douleur s'accrût encore lorsqu'ils virent les bâtiments qui avaient échappé à la tempête mettre à la voile et gagner et gagner le large.
               L'amiral se portait sur le Cap Matifou.
               " Mon cher empereur et fils, écrivait André Doria à Charles-Quint en l'instruisant de cette manœuvre, l'amour que j'ai pour vous m'oblige à vous annoncer que, si vous ne profitez pour vous retirer de l'instant de calme que le ciel vous accorde, l'arme navale et celle de terre , exposées à la faim, à la soif et à la fureur de l'ennemi sont perdues sans ressources.
               Je vous donne cet avis car je le crois de la dernière importance.
               Vous êtes mon maître, continuez à me donner vos ordres, et je perdrai avec joie, en vous obéissant, les restes d'une vie consacrée au service de vos ancêtres et de votre personne. "
               Cette lettre décida l'empereur de lever le siège.

               Voici les principales dispositions qu'il prit pour assurer sa retraite : la prévoyance et le sang-froid qu'il mit à ordonner tous les détails de cette difficile opération l'honorent à la fois comme prince et comme guerrier.
               Charles Quint décida :
               - que l'artillerie et les bagages seraient abandonnés,
               - que les chevaux de trait serviraient à la nourriture de l'armée jusqu'au moment où il serait possible de recevoir des vivres de la flotte ;
               - puis il fit rassembler les blessés ainsi que les malades
               - et les établit au centre de la colonne.

               Sur les deux flancs il plaça les divisions allemande et italienne et réserva pour l'arrière-garde les troupes qui avaient conservé le plus d'énergie : c'étaient les Espagnols et les chevaliers de Malte.
               La cavalerie fit aussi partie de ce poste d'honneur.
               Ainsi s'achemina vers le cap Matifou cette armée naguère si brillante et si pleine d'espérance. Sa marche fut :
               - lente, pénible, semée d'obstacles.
               Les pluies avaient détrempé le sol et considérablement enflé les torrents.
               Les soldats énervés par la disette, pouvaient à peine se tenir sur ce terrain fangeux ; les Arabes les harcelaient avec une rage féroce, se précipitant comme une nuée d'oiseaux de proie sur ces malheureux qui tombaient de fatigue et les massacraient sans pitié.

               Les Turcs et les Maures ne dépassèrent pas les rives d'El-Harrach ; ils retournèrent vers Alger où de plus riches dépouilles les attendaient, laissant aux Arabes de la plaine et du Sahel le soin de poursuivre et d'inquiété l'armée chrétienne.
               Ceux-ci s'acquittèrent si bien de leur tâche que plus de deux mille cadavres jonchèrent l'espace qui s'étend depuis Tafoura jusqu'à Matifou.
               Une fois arrivé en présence de la flotte Charles Quint pressa l'embarquement ; mais, malgré ses soins et sa diligence il perdit encore un grand nombre de soldats et ne parvint à ramener en Espagne que la moitié de son monde.

               Les conséquences de cette désastreuse expédition ont pesé pendant plus de trois siècles sur l'Occident ont pesé pendant plus de trois siècles sur l'Occident, car c'est à la terreur que répandit dans tous les états de la chrétienté la nouvelle de cette fatale défaite qu'il faut attribuer à la résignation avec laquelle l'Europe supporta si longtemps l'insolence des barbaresques jusqu'au jour enfin où la France, prenant en main la cause de la civilisation, vint chasser les pirates de leur repaire et venger le grand empereur.

               La nouvelle d'un armement considérable que préparait le sultan de Constantinople pour agir de concert avec la flotte française contre l'Espagne, augmenta la joie que les Algériens ressentirent de la défaite de Charles-Quint.
               On ne doutait pas que Barberousse, avec le concours de la flotte française, n'achevât de détruire un ennemi déjà consterné et qu'une grande partie des prises ne revint à la capitale de l'Algérie.
               La flotte turque composée de cent cinquante bâtiments de guerre de toute grandeur, se présenta devant Reggio le 20 mai 1543. Barberousse s'empara de la ville et la livra aux flammes.
               Diego de Gaëtan, gouverneur de Reggio avait une fille remarquable par sa beauté ; Barberousse la fit enlever et l'épousa après l'avoir contrainte à changer de religion.

               Mais le terrible capitan pacha ne consacra que peu de jours au plaisir.
               On le vit bientôt après reprendre la mer et occuper les sept embouchures du Tigre. De là ses lieutenants se portèrent sur Rome et y jetèrent la consternation et l'effroi. Sa flotte vint ensuite mouiller dans la rade de Marseille le 5 juillet 1543.
               Barberousse se rendait dans ce port pour prêter son appui à la France que menaçait alors Henri VIII et Charles-Quint.
               Aussi fut-il reçu à Marseille avec les plus grands honneurs. On admirait le luxe et la richesse qu'il étalait. " Il se montrait en public, dit Vieille-Ville, accompagné de deux bachas (car il portait lui-même le titre de roi) et de douze autres personnes vêtues de longues robes de drap d'or. Il était en outre suivi d'une foule de gens et d'officiers qui lui servaient de secrétaires et d'interprètes. "

               Khaïr-ed-Din attendit avec impatience l'arrivée de la flotte française qui devait se composer de vingt galères et de dix-huit navires de transport.
               Plusieurs fois même il témoigna son mécontentement du retard qu'on lui faisait éprouver et menaça le roi de se retirer, si on ne réalisait bientôt les promesses qu'on lui avait faites.
               Enfin le jeune comte d'Enghien qui commandait les forces françaises arriva ; il s'empressa de faire ses excuses à Barberousse et de se mettre sous ses ordres. Le jeune comte était accompagné d'une foule de gentilshommes qui avait quitté la cour galante de François 1er plutôt pour voir les Turcs que pour se battre.
               Mais Barberousse qui prenait l'expédition au sérieux, organisa toutes ses ressources et se porta immédiatement sur Nice, l'un des points les plus vulnérables des possessions de Charles-Quint. La ville fut emportée par un coup de main. Mais pour être enlevée, la citadelle demandait un siège en règle.
               Au milieu des préparatifs, les Français reconnurent qu'ils n'avaient ni poudre, ni boulets ; d'un autre côté, Barberousse apprit que Doria et Du Gast, avec des forces considérables, marchaient au secours de la citadelle.
               Cette nouvelle jeta la consternation parmi les assiégeants qui abandonnèrent à la hâte leur camp et leur artillerie et se réfugièrent à bord des vaisseaux après avoir mis le feu à la ville. Le Comte d'Enghien se retira avec sa flotte derrière le Var.
               Barberousse gagna le port de Toulon.

               Cet insuccès, auquel les Algériens étaient loin de s'attendre les impressionna vivement. Toutefois, une double compensation vint s'offrir à eux.
               Au moment même où la nouvelle de la retraite des deux flottes combinées leur parvenait, une escadre de vingt-cinq galères entrait dans le port d'Alger chargées d'un immense butin.
               Cette escadre commandée par Hassan-Caleb, lieutenant de Barberousse, venait de parcourir les côtes d'Espagne.
               On venait d'apprendre en même temps qu'à la suite d'une négociation avec Doria Barberousse avait obtenu que Dragut, l'un de ses auxiliaires, serait rendu à la liberté.
               La libération de Dragut était de la plus haute importance pour les Algériens qui savaient ce que rapportaient la valeur et l'intrépidité dans les courses de mer.
               Or Dragut possédait ces qualités au plus haut degré.
               Pour le délivrer, Barberousse avait offert dans une négociation trois mille ducats ; mais l'empereur avait refusé.
               Il s'était décidé enfin à le renvoyer sans rançon ; et, par cet acte de générosité la plupart des historiens contemporains pensent que Charles Quint avait voulu engager les corsaires algériens à tourner leurs armes contre la France.
               Sur ces entrefaites, une révolution éclata à Tunis et mit en péril le pouvoir des Espagnols dans cette ville.
               Le gouvernement d'Alger crut entrevoir dans cet évènement la possibilité d'expulser les Espagnols de la Goulette, et de faire rentrer le royaume de Tunis sous la domination turque.

               Au bruit de l'apparition de la flotte de Barberousse en Méditerranée, Muley-Hassan, l'allié de Charles-Quint s'était hâté de passer en Italie, confiant ses trésors au gouverneur de la Goulette et laissant son fils, Hamida, le soin de défendre la capitale du royaume contre les tentatives des Turcs et des Arabes.
               A peine arrivé en Italie, Muley-Hassan apprit que son fils s'était emparé du trône.
               Il se hâta donc de revenir en Afrique et débarqua à la tête de dix-huit cents hommes que lui avait fournis le vice-roi de Naples, auprès des puits où Charles-Quint avait mis en fuite l'armée de Barberousse.
               Il s'avança vers sa capitale ; mais les parfums qui s'exhalaient de ses vêtements l'ayant fait connaître, il fut pris et son fils lui fit crever les yeux.
               La chute de Muley Hassan devenait dangereuse pour les Espagnols car ils se trouvaient bloqués dans la Goulette et ne pouvaient espérer aucun secours du roi déchu.

               Ne prenant alors conseil que de leur désespoir :
               - ils attaquent vigoureusement Hamida,
               - dispersent ses troupes et
               - l'obligent à renoncer au trône qu'il venait d'usurper, Abdul-Maleck, frère de Mulay-Hassan qui vivait retiré à Biscari (palais situé à Catane en Sicile) fut mis à sa place.

               Ce prince s'empressa de pays tribut à l'empereur et de donner 6.000 ducats (ancienne monnaie d'or et d'argent) au gouverneur de la Goulette pour l'entretien de la garnison.
               Mais après 36 jours de règne, il fut atteint d'une maladie qui le mit au tombeau.
               Hamida reparut alors. Il était soutenu par un grand nombre de partisans et offrait de reconnaître l'autorité de Charles-Quint.
               Ses propositions furent acceptées et il remonta sur le trône dont il demeura paisible possesseur jusqu'en 1570 époque à laquelle le royaume de Tunis rentra sous la domination des Turcs.

               Pendant ce temps Barberousse attendait à Toulon la décision de François 1er pour dévaster, de concert avec la flotte française, les côtes de la péninsule espagnole ; mais aucun ordre n'arrivait de cette cour insouciante, toujours plongée dans les plaisirs et Khaïr-ed-Din quitta la France mécontent, quoique comblé de présents et gorgé d'or.
               " Les sommes que les barbares reçurent alors de la France, dit Vieille-Ville dépassèrent 80.000 écus ; il y avait à Toulon deux trésoriers qui, trois jours durant ne cessèrent de faire des sacs de 1.000, 2.000, 3.000 écus et passèrent à cet emploi la plupart des nuits. "

               De Toulon, Barberousse se porta sur Gênes où le sénat lui offrit de magnifiques présents, après quoi il fit voile sur l'île d'Elbe.
               A son arrivée devant cette île, il écrivit au gouverneur, Jacopo d'Apiano, pour demander qu'on lui rendit un jeune juif, nommé Sinan, élevé par ses soins et qui avait été fait prisonnier à Tunis.
               Après bien des hésitations qui irritèrent le vieux corsaire et attirèrent aux habitants de l'île quelques dépravations, le gouverneur rendit Sinan. De l'île d'Elbe, Barberousse se dirigea vers les côtes de Toscane.
               Il surprit la ville de Télamone, celle de Montéano située à une distance de près de trois lieues dans l'intérieur des terres, celle de Porto Hercole et les livra au pillage. Les habitants furent réduits en esclavage.
               Barberousse se porta ensuite sur Ischia, pilla les trois principaux villages de l'île, puis il entra à pleines voiles dans les eaux bleues du golfe de Pouzzole, canonna la ville de ce nom et tombant avec la rapidité de la foudre sur les villes de Carreoto et de Lipari en enlevant plus de sept mille habitants.
               Après tant d'exploits Barberousse rentra à Constantinople, emportant sur ses galères un nombre d'esclaves chrétiens tellement considérables que, pressés les uns contre les autres, ils périrent par centaines.
               " Ceux qui étaient en cette armée, dit la chronique, racontèrent depuis qu'il y avait un si grand butin de toutes sortes de personnes, que, dans le cours de cette navigation, plusieurs corps de ces captifs, tués de faim, de soif et de tristesse, comme ils étaient fort étroitement serrés ensemble, au plus bas ces carènes entre les immondices de nature, presque à toutes heures étaient jetés à la mer. "

               Après avoir dévasté les côtes de l'Italie, Barberousse s'était retiré à Constantinople. Là, il se reposait de ses fatigues dans la mollesse et les voluptés du harem. Cette vie efféminée lui fut fatale.
               Une maladie grave l'emporta après quelques jours de souffrance (1547). Il était âgé de quatre-vingt ans.
               La même année vit mourir trois hommes également célèbres :
               - François 1er, Henri VIII et Luther !

               Les écrivains chrétiens de l'époque se sont plu à peindre le caractère de Barberousse sous les couleurs les plus odieuses.
               L'opinion des écrivains turcs, quoique exagérée dans le sens contraire, nous paraît plus juste.
               En se rapportant par la pensée aux temps et aux lieux où il vivait, on doit reconnaître que le fanatisme religieux et politique qui s'identifie toujours dans l'esprit d'un musulman, entra beaucoup dans les actes de cruauté qu'il commit envers les chrétiens.
               Mais ceux-ci, de leur côté, étaient-ils plus humains ?
               La politique et la religion ne s'unissaient-elles pas aussi pour les pousser à toute sorte d'excès envers les musulmans et les juifs ?
               - En Afrique,
               - en Amérique et même
               - en Espagne, les Espagnols de cette époque n'ont-ils pas été aussi vindicatifs, aussi impitoyables que les Turcs ?

               Barberousse n'eut que les défauts de son époque.

               Il fut enterré dans une chapelle richement ornée où il avait fait lui-même construit son tombeau.
               Ce lieu situé dans le faubourg de Bisselach à cinq milles de Constantinople fut longtemps un objet de vénération pour les marins turcs.
               En quittant le Bosphore, tous les navires étaient dans l'usage de saluer son tombeau par des décharges d'artillerie ; les équipages venaient à pied pour y faire leurs dévotions. (Nous avons emprunté les principaux éléments de ce chapitre au remarquable travail de MM. Sander-Rang et Ferdinand Denis sur la fondation de la régence d'Alger, publié d'après un manuscrit de la Bibliothèque Royale, ouvrage plein d'intérêt dont les notes et les discussions critiques ajoutées au manuscrit attestent la prodigieuse sagacité des auteurs.)
Histoire de l'Algérie ancienne et moderne depuis les premiers établissements carthaginois par Léon Galibert, Directeur de la revue britannique. Édition 1843


MAI, DE LA JOIE AUX LARMES !
Envoyé Par Hugues


          Et, en milieu de mois, le Festival de Cannes
          Devient centre du monde. Il fait son cinéma
          Aux marches du Palais où les stars se pavanent
          Sur un fond de Croisette. Quel beau panorama !

          A quelques lieues, à l'Est, Grand Prix de Monaco,
          Tourniquet infernal, au cœur de la cité,
          Qui, du pied du Rocher jusqu'à Monte Carlo,
          Captive, malgré le bruit, les fans surexcités !

          Spectacles parallèles qui sacrent, au Printemps,
          Les virtuoses du volant, les acteurs de plateaux.
          Larmes de joie des vainqueurs et les pleurs des perdants,
          Tels une symphonie, résonnent en vibrato !

          Dernier dimanche du mois, la Fête des mamans
          Regroupe la famille autour d'une grande table.
          Les expressions d'amour sont perles et diamants,
          Pour le cœur d'une mère, elles sont inestimables !

          Joli, doux mois de Mai, tu es mois de Marie,
          La mère de l'enfant que l'on fête à Noël
          Elle est mère des hommes, victimes de barbarie,
          Pauvres et dépossédés, ils se tournent vers elle !
Hugues JOLIVET



Domination turque ll
Envoi de M. Christian Graille
Deuxième époque (1541-1830)
               Nous avons vu que les Algériens s'étaient placés volontairement sous la dépendance des sultans de Constantinople.
               Selim n'avait fait que céder à leurs désirs en leur permettant de faire la prière et de battre monnaie en son nom, tout en se réservant l'investiture du chef de l'Odjak et en entretenant à sa solde une milice turque dans leur ville.
          Mais cette création politique qui n'avait d'autre but que de défendre les musulmans d'Afrique contre la chrétienté n'avait pas jeté de profondes racines dans le pays. Les mœurs et les coutumes des diverses races formant la population de L'Algérie, différaient, sous trop de rapports, des mœurs et des coutumes turques, pour qu'on pût espérer d'en voir sortir un tout homogène.
          Les Ottomans d'ailleurs, avaient une croyance religieuse qui n'était pas en identité parfaite avec celles des populations qu'ils aspiraient à dominer.
          En effet les Turcs suivaient la tradition Hamélite tandis que les Arabes et les Berbères suivaient la tradition makélite.

         
          Les Nègres professaient le judaïsme comme les Juifs et quelques tribus étaient encore idolâtres.
          D'un autre côté l'arrogance de ces nouveaux venus, et la prétention qu'ils avaient de s'attribuer la meilleure part dans les prises faites à l'ennemi, n'étaient pas non plus de nature à faire aimer leur pouvoir aux indigènes.
          Hassan-Aga qui tenait en ce moment les rênes du gouvernement d'Alger, ne trouvait pas d'autres moyens pour maintenir les mécontents, que d'abattre des têtes. Mais la politique du sabre est une politique dangereuse même quand on l'applique à des nations barbares.
          Le gouvernement turc en fit l'expérience dès le début de sa domination dans cette contrée.

          Hassan-Aga préparait une expédition contre Tlemcen lorsqu'il fut surpris par la mort (1544).
          Aussitôt et sans attendre les ordres du Grand Seigneur, un Turc, nommé Agi, fut proclamé gouverneur à sa place.
          Les auteurs de cet acte odieux étaient les janissaires de la milice turque eux-mêmes, race turbulente et toujours prête à tourner ses armes contre ses chefs au profit de celui qui lui promettait davantage.
          Cette nouvelle causa une vive sensation à Constantinople. La Porte se hâta de détacher de sa flotte une escadre de douze galères ; elle en confia le commandement à Hassan, fils de Kaïr-Eddine après lui avoir donné l'investiture du gouvernement d'Alger, à titre de califat de Barberousse.
          Hassan parut bientôt devant la ville avec des troupes de débarquement et sa présence fit rentrer les mutins dans l'obéissance.
          Cet évènement n'ayant pas eu d'autre suite, Hassan reprit le projet d'expédition contre Tlemcen, formé par son prédécesseur.

          Le royaume de Tlemcen était en ce moment en proie à des divisions intestines qu'entretenaient les Espagnols dans le dessein de s'emparer du pays.
          Abd-Hallah, fils d'Abu-Hamu avait pour concurrent au trône son frère aîné, Muley-Hamet.
          Abd-Hallah avait réclamé l'assistance du gouverneur d'Oran qui lui avait envoyé le comte d'Alcandette. De son côté Muley-Hamet s'était adressé aux Turcs.

          Déjà plusieurs rencontres sanglantes avaient eu lieu entre les deux frères, et Muley-Hamet, l'allié des Turcs, avait été vaincu. Hassan accourait à ce moment avec toutes ses forces pour le soutenir, mais il était trop tard.
          Pour réparer sa faute, il se hâte de joindre les Espagnols près de Mostaganem, leur livre bataille et les oblige de lever le camp pendant la nuit.
          Le lendemain, voyant que sa proie lui échappe encore, il les poursuit avec une nouvelle ardeur, et peut-être l'armée espagnole toute entière aurait péri, sans le courage héroïque du jeune fils du comte d'Alcandette qui, saisissant une pertuisane (ancienne lance munie d'un long fer triangulaire ; sorte de hallebarde), combattit à l'arrière garde et arrêta l'ennemi.
          Les Espagnols eurent ainsi le temps d'achever leur retraite, et d'atteindre le bord de la mer.
          Hassan prit la route de Tlemcen et rétablit sur le trône Muley-Hamet à titre de vassal du grand seigneur. Cette victoire raffermit le pouvoir des Turcs en Algérie.

          Les divisions que nous avons déjà signalées entre la population indigène et les Turcs devenaient chaque jour plus profondes.
          La situation des esprits était de nature à susciter de graves embarras aux gouverneurs du sultan et peut-être cette domination en Afrique aurait-elle succombé dès l'origine de son établissement, s'il n'eût existé, pour la protéger, des haines invétérées de tribu à tribu.
          La conduite de Hassan était donc naturellement tracée ; il ne manqua pas de mettre en pratique cet adage si connu : " Divise pour régner ".

          A l'Est d'Alger et vers l'extrémité de la plaine de la Mitidja, au milieu des nombreux contreforts de l'Atlas, se trouvaient concentrées des tribus berbères, puissantes et industrieuses, Kouko et Callah étaient les villes principales et formaient comme les capitales de ces deux tribus, qu'une haine implacable avait toujours divisée.
          Ennemies naturelles des Turcs, leur haine réciproque l'emportait encore sur celle qu'ils avaient vouée aux Ottomans.
          Les habitants de Callah recherchèrent l'amitié de Hassan-Pacha afin de dominer plus sûrement leurs ennemis.
          Il leur prêta son appui et, dès ce moment, Ab del Asis, cheik de Callah devint en quelque sorte le maître de la tribu de Kouko.
          Hassan ne tarda pas à tirer parti du dévouement d'Abd el Asis.
          Muley-Hamet qu'il avait rétabli sur le trône de Tlemcen, se trouvait alors menacé par ses propres sujets qui conspiraient contre lui pour mettre à sa place le roi de Fez. Jugeant la circonstance favorable pour attaquer ce prince et pour étendre en même temps la domination turque sur le royaume de Tlemcen en dépossédant Mulay-Hamet, il se mit en campagne avec une armée de dix mille hommes, dans laquelle on comptait cinq mille renégats.

          Obéissant à son appel, le cheik de Callah accourut en personne, à la tête de ses guerriers, grossir les rangs de l'armée turque.
          Cette armée combinée rencontra, près d'une rivière, celle du roi de Fez, que commandait Abd-El-Kader et la mit en pleine déroute.
          Ce chef fut tué dans la mêlée ; les vainqueurs lui tranchèrent la tête et, de retour à Alger, placèrent ce sanglant trophée sous la voûte de la porte Babazoun.
          Poursuivant son triomphe, Hassan se porta sur Tlemcen que Mulay-Hamet venait d'abandonner pour se placer sous la protection des Espagnols d'Oran.
          Il s'en empara et la mit au pillage ; puis, un Divan, dans lequel furent rappelés les principaux chefs de l'armée décida que l'autorisation des princes maures serait abolie à Tlemcen et que cette ville et ses dépendances seraient annexées à la régence d'Alger.
          Une garnison composée de quinze-cents janissaires, avec dix pièces d'artillerie et un approvisionnement suffisant en munitions de guerre, fut laissé à Tlemcen et le commandement de la place donné à Safer, à titre de caïd. Telle fut l'origine du beylick à Tlemcen.

          Tandis que Hassan fomentait la discorde et les divisions parmi les tribus de l'Algérie et qu'il étendait ainsi les limites de la puissance turque. Il s'occupait d'embellir Alger par des travaux utiles en y déployant un luxe qui rappelait les plus beaux jours du califat.
          Sous son administration cette ville, qui jusqu'alors n'avait présenté qu'un amas de bouges (gargotes, cabarets) infects, prit un nouvel aspect. Hassan avait les goûts qui ont fait donner au sultan Sélim, son maître, le surnom de Magnifique.
          Il aimait le luxe et les beaux-arts.

          Plusieurs monuments dans lesquels il prodigua le marbre et les ornements fantastiques qui caractérisent le style de l'architecture orientale, s'élevèrent comme par enchantement. Il construisit aussi bien :
          - des bains,
          - un hôpital pour les janissaires pauvres et infirmes,
          - ainsi qu'une tour, située sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui le fort l'Empereur.

          Sa résidence était somptueuse et présentait une image de la cour des sultans.
          Son exemple trouva des imitateurs ; les Turcs de sa suite, ainsi que les Maures, voulurent se loger d'une manière plus somptueuse et plus commode.

          Mais déjà le gouvernement d'Alger devenait un objet de convoitise pour les personnages influents à Constantinople ; déjà commençait parmi les membres du Divan, ces rivalités jalouses dont le contre coup, en se faisant ressentir à Alger, ne pouvait manquer d'être fatal au nouveau pouvoir.
          Pendant que Hassan profitait des loisirs de la paix pour se livrer à des travaux d'embellissements, il apprit que l'on intriguait au sérail pour le renverser et que Rustan-Pacha, le gendre même du sultan, était l'âme de cette intrigue.
          Aussitôt il rappelle de Tlemcen le caïd Afer à qui il donne le gouvernement d'Alger par intérim ; et, dans l'espoir de prévenir une disgrâce, il monte sur une galère et fait voile pour la capitale de l'empire.
          Mais il arriva trop tard, ses ennemis l'avaient emporté.
          A peine eût-il aperçu les minarets élevés de Stamboul, les coupoles resplendissantes de Sainte Sophie, qu'il reçut la nouvelle de sa destitution.

          Son successeur était Salah-Reis, homme d'une grande valeur, recherchant les entreprises périlleuses et ne reculant devant aucun danger.
          Ses expéditions maritimes l'avaient rendu la terreur du monde chrétien.
          Il avait suivi Barberousse dans ses campagnes et les Turcs le regardaient comme l'un des plus vaillants compagnons de capitan-pacha.
          Au courage le plus bouillant Salah-Reis alliait la prudence la plus consommée, fruit de l'âge et d'une longue expérience.

          Hardi, téméraire dans un coup de main, il était grave, réfléchi quand il s'agissait d'une entreprise importante.
          En arrivant à Alger il comprit tout d'abord qu'il devait marcher sur les traces de son prédécesseur, c'est-à-dire qu'il devait faire la guerre au moyen des indigènes, combattre l'ennemi par l'ennemi lui-même et entretenir les relations déjà commencées avec les tribus qui, par rivalité entre elles, cherchaient un appui parmi les Turcs.

          Il comprit aussitôt qu'il devait frapper à grands coups afin de tenir les mécontents dans le respect et la crainte et d'inspirer une terreur salutaire à ceux qui auraient tenté de se soulever.
          Dans ce but, Salah-Reïs entreprit une expédition contre le cheik de Tricarte.

          L'entreprise était hardie car ce cheik habitait sur les confins du Sahara, à cent lieues d'Alger, distance qui semblait les mettre hors de l'atteinte des Turcs.
          Mais son crime était d'un exemple trop dangereux pour qu'on pût le lui pardonner. En effet, après avoir recherché leur protection contre les Arabes, le cheik de Tricarte avait secoué le joug de ses alliés et s'était refusé de leur payer tribut.
          Salah-Reïs résolut de le châtier ; et rassemblant une armée de douze mille hommes, dans laquelle on comptait à peine trois mille Turcs et renégats, il quitta Alger. Les vivres et les munitions de guerre étaient portés à dos de chameaux, des Berbères traînaient l'artillerie.
          Après vingt jours d'une marche pénible, l'expédition atteignit la tribu de Tricarte.
          La victoire ne resta pas longtemps indécise : la ville fut emportée d'assaut et Salah-Reïs en fit massacrer les habitants.
          De Tricarte le pacha se porta sur Huerguela, ville qui refusait également de reconnaître son autorité et de payer le tribut.
          Les habitants s'étaient enfuis à l'approche du vainqueur. Il ne trouva à Huerguela que quarante marchands nègres auxquels il imposa une contribution de deux mille écus d'or.
          Après avoir laissé une garnison dans les citadelles de ces deux villes, il reprit la route d'Alger, emmenant avec lui cinq mille esclaves nègres et quinze cents chameaux chargés de butin.
          L'esprit d'indépendance et de révolte, qui caractérisa toujours les tribus indigènes, était loin, comme on le voit, d'avoir diminué sous la domination turque.

          Les succès que venaient de remporter Salah-Reïs étaient dus principalement aux Arabes ; car, sur douze mille hommes qui composaient l'armée d'opération, on en comptait neuf mille, parmi lesquels figurait Ab-el-Asis et sa tribu.
          Jaloux d'une puissance dont les coups frappaient aussi loin et se voyaient d'ailleurs plus nombreux que leurs nouveaux alliés. Abd-el-Asis et les siens résolurent de secouer le joug.
          Tandis que Salah-Reis se félicitait de sa victoire, et croyait, par un coup aussi audacieux, avoir courbé les plus indépendants sous son autorité, le chef berbère lève l'étendard de la révolte.
          C'était un ennemi d'autant plus dangereux que depuis son alliance avec les Turcs il avait acquis une grande influence sur les tribus.
          Beaucoup d'entre elles l'appuyaient en secret, le poussaient à se déclarer, et les Berbères de Kouko (Kabylie) eux-mêmes, oubliant leurs vieilles inimitiés, s'étaient rapprochés de lui et lui avaient promis leur concours contre l'ennemi commun. Salah-Reis, sans perdre un instant, sortit d'Alger à la tête d'une armée et s'avança jusqu'à une lieue de Callah.

          Mais une neige abondante, qui couvrait la terre, ne lui permit pas d'agir, et, après quelques combats de peu d'importances, dans lesquels l'avantage resta aux Berbères, il fut obligé de se retirer.
          Abd-el-Asis profita de la retraite de son ennemi pour réparer la citadelle de la ville et pour fortifier les gorges des montagnes qui donnaient accès sur son territoire. Lorsque Mohamed-Bey, fils de Salah-Reis, s'avança à la tête d'une nouvelle armée, Abd-el-Asis put lui opposer une vigoureuse résistance.
          Aussi après avoir essuyé des pertes considérables, les Turcs furent obligés d'abandonner le champ de bataille à leurs adversaires qui devint plus redoutable que jamais.
          Le vieux pacha, dont la prudence se trouvait cette fois en défaut, n'avait confié à son fils le commandement de l'armée destinée à agir contre les révoltés que parce qu'il avait supposé que le cheik de Callah était un ennemi facile à vaincre.

          Quant à lui, s'abandonnant à son activité naturelle, il était sorti du port d'Alger, à la tête d'une flotte de quarante voiles pour croiser dans le détroit de Gibraltar.
          Il y rencontra une escadre portugaise et s'en empara.
          A bord d'un des navires capturés, se trouvait Muley-Buacon, ex roi de Fez qui s'était adressé à la cour du Portugal pour l'aider à rentrer en possession de son royaume.
          Cette capture importante que le hasard venait de faire tomber dans ses mains lui suggéra l'idée de rendre le royaume de Fez tributaire du pachalik d'Alger.
          Pour parvenir à ce but, Salah-Reis promit au roi déchu de l'aider à rentrer dans ses états à condition qu'il reconnaîtrait la suzeraineté de la Porte.
          Mais afin que le cheik de Callah, dont il avait différé le châtiment, ne profitât pas de son absence pour se fortifier auprès des Arabes et des Berbères, il eut l'art d'attirer sur le territoire de Fez les tribus d'une foi douteuse, en leur offrant l'appât d'une campagne où tous devaient s'enrichir.
          Ces tribus accoururent avec joie sous ses ordres ; le cheik de Kouko lui-même, l'ennemi juré des Turcs, se détacha de l'alliance récente qu'il avait faite avec le cheik de Callah pour se ranger sous les drapeaux du pacha.

          L'armée de Salah-Reis prit le chemin du royaume de Fès, et se dirigeait vers Melilla pour appuyer les mouvements de l'armée de terre et lui offrir une retraite en cas de revers.
          Mais la victoire suivait partout le pacha lorsqu'il commandait lui-même.
          Le shérif qui avait dépossédé Muley-Buacon fut vaincu.
          Fez fut livré au pillage et saccagé.
          Les Juifs qui avaient eu la prudence de traiter avec les Turcs et de leur payer une forte rançon, furent les seuls épargnés.
          Muley-Buacon fut rétabli sur le trône par Salah-Reis, qui, après avoir reçu de son protégé de fortes sommes et la promesse d'une obéissance passive, reprit la route d'Alger, s'arrêtant sur son passage :
          - à Mostaganem,
          - à Ténès,
          - à Tlemcen et prenant partout des mesures pour assurer la parfaite soumission du pays.


          Profitant de son absence, Abdelaziz avait obtenu de nouveaux succès.
          A son départ le pacha avait confié à l'un de ses lieutenants un corps de deux mille cinq cents Arabes, pris dans les tribus les plus soumises, avec ordre d'observer tous ses mouvements.
          Abd-el-Assis avait marché hardiment à la rencontre de cette armée et après l'avoir taillée en pièces, il avait mis à mort tous les Turcs qui étaient tombés entre ses mains.
          Loin d'effrayer le pacha, ce second revers l'engagea à poursuivre avec plus de vigueur encore le système politique de diversion dont il avait obtenu de si heureux résultats pour le royaume de Fez.
          Ses regards se tournèrent du côté de Bougie. (Cette ville est située à 45 lieues d'Alger, à 30 de Constantine, à 55 de Bône.)
          Les Espagnols qui l'occupaient, retranchés derrière ses murailles, se croyaient en sûreté et bravaient impunément les Turcs, en fomentant contre eux des discordes parmi les tribus africaines, et en leur créant sans cesse de nouveaux ennemis.
          Le pacha comprit que la domination des Turcs en Afrique ne pourrait s'affermir que lorsque Bougie serait enlevée aux Espagnols ; aussi résolut-il de les en déloger. L'entreprise était difficile et les moyens d'exécution dont il pouvait disposer étaient bornés.
          Toutefois il parvint à surmonter ces obstacles en ralliant à sa cause toutes les tribus de l'Algérie, même celles qu'il n'avait pu soumettre jusqu'alors. En effet la nouvelle d'une guerre contre les chrétiens fut à peine répandue que toutes les tribus se hâtèrent de fournir des cavaliers et des fantassins à son armée. Une guerre contre les Espagnols c'était une guerre sainte ; personne ne voulut y manquer.
          Il réunit ainsi, en peu de jours, une armée de tente mille hommes avec laquelle il marcha aussitôt sur Bougie, tandis que les deux galères algériennes et une caravelle (petits canons lançant des pierres) , car le reste de la flotte algérienne, réuni à celle de Dragut, agissait en ce moment, de concert avec la flotte française, contre l'île de Corse.
          Ces coopérations des deux flottes nous obligent à quitter pour un moment le siège de Bougie et à nous occuper des évènements extérieurs qui se passaient en Europe et de la part qu'y prenait l'Algérie.

          Sept ans s'étaient écoulés depuis la mort de Barberousse. A la suite de cet évènement Charles-Quint avait signé une trêve avec le sultan.
          Mais malgré cette suspension d'armes, les navires espagnols étaient constamment pillés dans la Méditerranée et leurs équipages réduits en captivité.
          L'auteur de ces déprédations était Dragut, digne émule du fameux capitan-pacha.
          Après la mort de Barberousse, Dragut s'était montré dans le golfe de Naples,
          - s'emparant, dans le port de Pouzzoles, d'une galère de Malte,
          - surprenant, au milieu de la nuit, la ville de Castellmare, et
          - mettant tout à feu et à sang sur les côtes sur les côtes de la Calabre.

          Échappant ainsi aux croisières de Doria, Dragut s'établissait dans l'île des Gelves (habitants de Djerba en Tunisie) pour y passer la mauvaise saison et y préparer en même temps la conquête de Méhédia.

          Cette ville qu'on croit être l'ancienne et splendide Adrumette (ville de Lybie) est bâtie sur un roc bas et plat qui s'avance dans la mer en forme d'isthme.
          Elle était alors entourée d'une bonne muraille et la langue de terre qui la rattachait au continent était fortifiée avec un soin particulier.
          Ruinée par l'invasion des Arabes, le calife de Kairouan, Mahady, l'avait plus tard reconstruite et lui avait donné son nom.
          A l'époque de la décadence de l'empire des califes, des corsaires de la Sicile s'en étaient emparés ; puis elle était retombée au pouvoir des Turcs qui en avaient fait une dépendance de Tunis.
          Les habitants de la Méhédia, comme tous les Maures étaient légers, inconstants et portés à la révolte.
          Lors de la prise de Tunis par Charles-Quint ils s'étaient constitués en république ; et, depuis cette époque, jaloux de leur liberté, ils ne souffraient qu'avec peine les étrangers dans leur port et souvent même ils en avaient refusé l'entrée aux vaisseaux de la marine turque.

          Dragut résolut de faire rentrer cette place sous la domination du sultan, et aussi afin d'assurer à ses vaisseaux un port de refuge qui leur manquait dans ces parages. Dans ce dessein, il eut recours à la ruse.
          Depuis que Méhédia, nommé Ibrahim Brambarac qui lui livra la ville. Il y fit reconnaître aussitôt sa souveraineté et en confia le commandement à son neveu, Hez-Reis à qui il laissa quatre cents Turcs, puis il reprit la mer, emmenant avec lui, comme otages, quelques-uns des plus riches habitants.
          Mais avant de partir, il ordonna de faire mourir se défiant avec raison, de la fidélité de celui qui avait trahi sa patrie. Cet évènement répandit l'effroi sur les côtes de l'Italie et de la Sicile.
          Charles-Quint ordonna aussitôt à Doria de se mettre en mer pour reprendre Méhédia. L'amiral génois réunit une flotte de cinquante voiles à laquelle se rallièrent les galères du grand-duc de Toscane et celles du Pape.
          A Naples Doria prit à bord de ses vaisseaux huit cents Espagnols, à la tête desquels marchait Don Garcia de Tolède, fils du vice-roi.
          A Palerme, don Juan de Véga, vice-roi de Sicile, fournit cinq autres galères, commandées par Alvarez, son fils ; et l'ordre de Malte, sur l'invitation de l'empereur équipa quatre navires, montés par cent-quarante chevaliers et un bataillon de quatre cents hommes.
          La flotte ainsi composée alla mouiller à l'île de Fabiana où elle trouva Pérez de Vargas, gouverneur de la Goulette, qui était venu se rallier à elle avec quelques navires et appareilla pour Méhédia. Mais rien n'égalait l'activité de Dragut.

          Tandis que Doria rassemblait sa flotte, il introduisait dans Méhédia trois vaisseaux chargés de vivres et de munitions de guerre, faisait arrêter tous les habitants mal disposés et lui-même, courant les mers, il cherchait :
          - à intercepter les convois,
          - à enlever les bâtiments isolés, ou
          - à ravager les côtes.

          Puis tout à coup, quittant l'île de Gelves à la tête de sept fustes (bâtiments à voile et à rames) et de quatre brigantins (anciens navires à deux mâts analogue au brick), il débarqua pendant la nuit, près de Méhédia avec douze cents soldats turcs ou maures en environ deux mille Africains.
          Il attaqua les impériaux le matin dans un bois où l'ennemi venait habituellement couper des fascines (assemblage de branchages, fagots) pour les tranchées.
          Cette rencontre fut sanglante et acharnée de part et d'autre.

          Pérez de Vargas, gouverneur de la Goulette, s'était élancé au milieu des rangs ennemis pour sauver un jeune officier que menaçait le yatagan des Turcs, tomba, la poitrine traversée d'une balle.
          La lutte n'en devint que plus meurtrière ; car la richesse des habits de Pérez de Vargas et l'éclat de ses armes augmentaient l'acharnement des ennemis qui voulaient s'emparer de son cadavre.
          Toutefois une décharge bien dirigée leur fit lâcher prise et les obligea à battre en retraite. La victoire resta aux impériaux.
          Cette journée avait coûté aux Turcs cinq cents hommes mis hors de combat ; les chrétiens n'avaient eu de leur côté que soixante-dix morts et quatre-vingt-dix blessés. Méhédia fut prise d'assaut deux mois après.
          La conquête de cette ville irrita vivement Soliman qui fit aussitôt partir du port de Constantinople cent douze galères et trois galions.
          Sinam-Pacha, qui les commandait, avait Dragut sous ses ordres. La flotte parut en vue de la Sicile et débarqua des troupes dans l'Ile de Malte.
          Mais elles furent forcées de se rembarquer par suite de la résistance héroïque que leur opposèrent les chevaliers de Malte.
          La flotte ottomane se portant alors sur l'île de Gozo, en attaqua le fort, et obligea le gouverneur à capituler.
          Tripoli l'une des villes les plus importantes du littoral africain ne tarda pas à subir le même sort.

          Ces succès, quoique peu décisifs exaltèrent néanmoins l'ambition de l'impétueux Soliman : il conçut, dit-on, alors le projet de conquérir l'Europe.
          C'est à la poursuite de cette idée gigantesque que quelques historiens attribuent l'alliance qui intime qui se forma alors entre la France et la Turquie.
          Une pareille alliance présentait un spectacle bien nouveau et bien extraordinaire. D'autre part, la Turquie (l'ennemi naturelle des états chrétiens) imposait silence à sa haine et à son mépris pour les infidèles et liait ses intérêts à ceux de la monarchie française ; de l'autre la France, la nation très chrétienne faisait cause commune avec l'islamisme et favorisait ses projets de conquête.
          Mais la France avait en ce moment besoin d'un appui car elle continuait ses luttes avec l'empire, luttes sanglantes qui divisaient tous les autres états de l'Europe.

          La situation politique de la France étant restée la même après la mort de François 1er, Henri II, son successeur, vit dans l'alliance avec Soliman, qui pesait d'un poids immense dans la balance de l'Europe, une arme puissante contre la maison d'Autriche, et suivit les errements de la politique de son prédécesseur.

          Henri II donna l'ordre à Polin, Baron de la Garde, de rallier la flotte ottomane avec vingt-six galères françaises.
          Ce prince méditait, dès cet époque, le projet de conquérir l'île de Corse, qui, jetée dans la Méditerranée entre Marseille et les côtes d'Italie, interceptait le chemin de la Toscane et de Naples et commandait le golfe de Gênes dont il n'avait pas perdu l'espoir de s'emparer.
          Dragut, à la tête de la flotte turque, attaqua Bonifacio, pendant que le baron de la Garde se présentait devant Bastia. Cette dernière ville se rendit presque sans résistance ; mais Dragut, après avoir perdu six cents hommes devant Bonifacio, fut obligé de recourir à la ruse.
          Un officier, que le baron de la Garde avait placé près de l'amiral ottoman, ayant demandé une entrevue avec quelques-uns des habitants leur représenta les dangers auxquels leur ville était exposée si elle persistait à se défendre.
          Cet officier ajoutait que, pour sauver leur fortune et leur vie, il ne restait aux habitants qu'à se mettre sous la protection de la France.
          Ces paroles produisirent l'effet qu'on en attendait ; et Bonifacio ouvrit ses portes.
          Mais comme cette soumission volontaire privait les Turcs d'un immense butin, la ville n'en fut pas moins saccagée et une partie de la garnison et des habitants massacrés, au mépris de la capitulation.

          Cette indigne violation du droit des gens ayant fait éclater des divisions entre les Turcs et les Français, Dragut se sépara de ses alliés, et son départ compromit le succès de l'expédition.
          A quelques mois de là, Doria reprit l'offensive et rentra dans Bastia.
          Henri II envoya aussitôt un ambassadeur à Constantinople pour se plaindre au sultan et réclamer l'exécution di traité.

          Fidèle à sa parole, Soliman ordonna que les forces navales de l'empire fussent mises de nouveau à la disposition du monarque français pour agir contre l'île de Corse.
          Sa flotte se composait de cent galères, indépendamment de vingt navires de toutes grandeurs que devait fournir le pacha d'Alger.
          Ordre fut donné à Salah-Reis de tenir prêts ses navires qui rallièrent les galères de Constantinople devant Piombino.
          De là, la flotte ottomane rejoignit le baron de la Garde qui s'était dirigé vers la Corse avec vingt-huit galères et tout le matériel nécessaire à un siège.
          Les navires Turcs que commandait Dragut, et les navires algériens eux-mêmes, avaient à bord des équipages composés d'hommes déterminés ; mais une guerre de la nature de celle qu'on allait entreprendre, de concert avec les Français, ne pouvait plaire à Dragut ni à ses gens par la raison qu'elle ne rapportait aucun butin.
          Aussi devant Bastia, Dragut refusa-t-il des troupes pour l'attaque, ce qui obligea le baron de la Garde à renoncer au siège de cette ville.
          A Calvi, place dont les Français voulaient s'emparer, les Turcs combattirent également avec répugnance et se retirèrent en poussant de grandes clameurs, signe ordinaire de leur mécontentement.

          Telle était la nature des évènements qui avaient amené la coopération des forces maritimes d'Alger avec la flotte française.
          Bien que cette coopération n'eût été, pour ainsi dire, que négative, parce que les Turcs n'avaient qu'un intérêt secondaire dans l'expédition, toutefois, on peut voir, par ce seul fait, de quelle importance était alors la possession de ce port.
          Aucun évènement ne s'accomplissait dans le bassin méditerranéen sans que la marine algérienne n'y prit part.
          Mais si, dans l'expédition contre la Corse, les flottes turques et algériennes agirent mollement, en revanche, Salah-Reis, devant Bougie (juin 1555) montrait une vigueur et une activité qui allaient rendre aux armes ottomanes leur ancien prestige et porter un coup fatal aux Espagnols. Bougie fut attaquée parterre et par mer.
          Une batterie établie sur le penchant de la montagne ruina bientôt le fort impérial ; celui de la mer situé à l'entrée du port fut également démantelé ; et la garnison n'ayant plus de retraite que le Grand Fort, demanda à capituler.
          La garnison et les habitants eurent la vie sauve ; mais à l'exception du gouverneur et de vingt autres personnes auxquelles il fut permis de quitter la ville, tous les chrétiens au nombre de six cents :
          - hommes, femmes et enfants,
          - restèrent prisonniers c'est-à-dire esclaves, entre les mains du vainqueur.

          Le gouverneur espagnol partit sur une caravelle française mais au moment où il mettait le pied en Espagne, Charles-Quint le fit arrêter et le condamna à perdre la vie sur la place publique de Valladolid.

          Malgré quelques brillants faits d'armes, les Espagnols voyaient chaque jour s'amoindrir le territoire qu'ils possédaient sur le littoral africain.
          Il ne leur restait plus en effet, sur cette longue côte, que les deux points extrêmes d'Oran et de Tunis.
          Les Turcs au contraire ne cessaient de faire des progrès, depuis qu'ils avaient mis le pied dans ce pays.
          Encouragé par la prise de Bougie, Salah-Reis conçut d'enlever aux Espagnols la ville d'Oran elle-même.
          Le pacha sollicita pour cette entreprise importante, le secours de la Porte qui lui promit six mille Turcs et quarante galères.
          Mais avant l'arrivée de ces forces la mort surpris le valeureux pacha. Il fut atteint de la peste et succomba en moins de vingt-quatre heures (1556).
          Salah-Reis était âgé de soixante-dix ans. Son corps fut déposé près de la porte Bab-el-Oued.
          Un Maure et un esclave chrétien furent chargés d'entretenir le feu d'une lampe sur son tombeau, et de l'orner de fleurs, selon la coutume des riches musulmans.

          Cette mort imprévue n'arrêta point les préparatifs de l'expédition contre Oran.
          La Porte n'avait pas encore nommé le successeur de Salah-Reis et déjà Hassan Kaïd, renégat corse, que l'armée avait nommé gouverneur par intérim, marchait sur cette ville avec un corps d'armée composé de trois mille Turcs et d'un grand nombre d'Arabes et de Berbères.
          Hassan Kaïd commença par l'investir ; et bientôt la tour des Saints, édifice construit hors de la ville pour défendre les sources des fontaines tomba en son pouvoir.
          Mais ayant appris que le successeur de Salah-Reis était part de Constantinople pour prendre possession du gouvernement d'Alger, Hassa Kaïd, qui était aimé de l'armée et des janissaires, résolut de garder le pouvoir au mépris des volontés de la Porte.

          Les alcades (juges de paix) de Bougie et de Bône reçurent l'ordre de repousser à coups de canon le nouveau pacha, nommé Tékéli s'il ne se retirait sur leur sommation. es alcades obéirent et Tékéli ne put aborder ni à Bône ni à Bougie.
          Il continua sa route et arrivé au cap Matifou, il tira un coup de canon, suivant l'usage des navires envoyés par le sultan ; mais la batterie du cap ne lui rendit pas le salut.

          Ainsi l'autorité du divan venait d'être une seconde fois méconnue par les janissaires. Cependant une réaction ne tarda pas à s'opérer ; ses auteurs étaient les hommes de la marine qui montaient les galères pour aller en course.
          Vivant depuis longtemps en mauvaise intelligence avec la milice turque, ils ne voyaient aucun avantage à conserver Hassan-Kaïd au gouvernement d'Alger et craignaient, en le soutenant, de s'attirer la colère du sultan.
          Ils résolurent donc de prendre le parti de Tékéli, et profitant d'une nuit sombre, ils l'introduisirent dans la ville.
          Une garde et deux mille arquebusiers reçut le nouveau pacha, qui, s'avançant aussitôt vers le palais, s'empara d'Hassan-Kaïd et le fit jeter en prison.
          Un supplice atroce lui était réservé, ainsi qu'à l'alcade de Bougie, qui, moins heureux que son collègue de Bône, n'avait pu parvenir à s'échapper.
          Hassan fut jeté sur des crochets de fer, auxquels il demeura suspendu pendant trois jours, attendant la mort au milieu des plus horribles souffrances.
          L'alcade fut coiffé avec un casque de feu rougi au feu et ensuite empalé.

          Nous allons voir maintenant se développer cette lutte constante entre les janissaires et les représentants de la Porte, que caractérise cette période de l'histoire d'Alger.
          Pour mieux en faire comprendre l'esprit, il convient de jeter un coup d'œil rétrospectif sur la nature et l'origine des janissaires, de cette milice turbulente qui ne fut abolie que sous le règne du sultan Mahmoud.

          Le janissariat fut institué par Orcan en 1347.
          Les soldats qui le composaient furent d'abord des esclaves chrétiens que le sultan enlevait à ses différentes expéditions ; mais par la suite on y admit les Turcs. Le derviche (religieux musulman appartenant à une confrérie mystique) Haji-Rektas qui vivait sous le règne d'Amurat 1er donna à ce corps le nom de yengischehr (janissaire ou nouveau soldat) puis il combla de souhaits heureux.
          - Que leur allure soit vive et fière,
          - que leurs mains soient victorieuses,
          - leur épée tranchante,
          - leurs lances toujours prêtes à frapper leurs ennemis !


          En quelque lieu qu'ils aillent, puissent-ils retourner avec un visage de santé.
          Les janissaires choisis parmi les plus jeunes et les plus beaux esclaves recevaient dans les jardins du grand seigneur une éducation toute militaire.
          Leurs armes étaient le mousquet et l'épée ; mais à Constantinople dont la police leur était confiée, ils portaient de longues cannes.
          Leur solde était supérieure à celle des autres troupes.
          Ils avaient un aga ou général qui était un des cinq grands officiers de l'empire et ne reconnaissaient d'autre juges, dans quelque cas que ce fût, que leurs officiers.

          A Alger, les janissaires avaient la même organisation et jouissaient des mêmes privilèges : Ainsi la Régence fut-elle souvent le théâtre de ces péripéties sanglantes, si communes dans les annales de la Turquie.
          La mort d'Hassan-Kaïd en fut cette fois le prétexte. Irrités des cruautés commises sur lui, les janissaires résolurent de le venger, et s'abouchèrent, à quel effet, avec un renégat calabrais, nommé Joussuf, alcade de Tlemcen qui devint l'âme du complot.
          La peste régnait alors à Alger et Tékéli s'était retiré dans une maison de campagne, sur les bords de la mer, pour échapper à la contagion.
          Instruit de cette circonstance, Joussef quitta secrètement Tlemcen à la tête de ses soldats et se dirigea vers la maison habitée par le pacha.
          Celui-ci n'eut que le temps de monter à cheval pour retourner à Alger dont il trouva les portes fermées. Les janissaires étaient en pleine révolte.
          Ayant cherché un refuge dans un marabout, il y fut poursuivi par Joussuf, qui, malgré la sainteté des lieux, le perça d'un coup de lance en lui reprochant les cruautés qu'il avait exercées sur le malheureux Hassan-Kaïd.
          Aussitôt après Joussuf fut proclamé gouverneur par intérim, mais il mourut de la peste au bout de quelques jours et les janissaires lui donnèrent pour successeur un de leurs chefs nommé Jaga (janvier 1557).

          Six mois plus tard Constantinople envoya, pour la seconde fois, Hassan-Pacha, fils de Khaïr-ed-Din prendre le commandement de l'odjak d'Alger.
          Hassan fut reçu sans résistance et parut disposé à oublier l'outrage que l'autorité de la porte venait de subir. Mais cette indulgence n'était qu'apparente.
          Toutefois, comme il eut été imprudent d'attaquer de front un corps aussi redoutables que celui des janissaires, il résolut de miner peu à peu son influence et de l'affaiblir afin de s'en rendre maître plus sûrement.

          A cet effet, il se rapprocha des chefs berbères et arabes, que jusque-là les Turcs avaient traité avec hauteur et dédain.
          Il s'appliqua à les favoriser de préférence aux janissaires.
          Lui-même épousa la fille du cheik de Kouko qui pendant quelque temps avait été l'ennemi le plus acharné des Turcs.
          Enfin, il permit aux Arabes et aux Berbères, contrairement aux mesures adoptées par ses prédécesseurs, de se fournir à Alger de toutes les armes offensives et défensives dont ils auraient besoin.

          Cependant au milieu de ces dissensions intestines, les représentants de la Porte ne perdaient pas de vue leurs ennemis naturels, les chrétiens. L'administration de Hassan-Pacha ne fut pas stérile à cet égard.
          Dès les premiers mois de son arrivée à Alger, il s'était empressé de voler au secours de Tlemcen, menacé par le roi de Fez et avait été assez heureux pour en faire lever le siège.
          De là il s'était porté vers Mostaganem, dont le comte d'Alcandette avait voulu s'emparer.
          En effet, au commencement du mois d'août 1558, le comte sortit d'Oran à la tête d'une armée de six à sept mille hommes pour surprendre cette place : mais les Turcs étaient prévenus de ses mouvements et quand il se présenta devant Mostaganem, il la trouva occupée par une forte garnison.
          Une lutte sanglante s'engagea. Les Espagnols furent mis en déroute.
          Le comte chercha vainement à rallier son armée mais ses prières et ses menaces ne purent arrêter les fuyards.
          Renversé, foulé aux pieds de son cheval il reçut de ses soldats une mort qu'il cherchait vainement dans les rangs ennemis.
          Dans cette circonstance, Hassan-Pacha se montra généreux. Il rendit le corps du comte à son fils Don Martin qui lui-même était tombé au pouvoir des Turcs.
          Le pacha après avoir ravitailler Mostaganem, s'empara de Mazagran et rentra couvert de gloire à Alger.

          Après la victoire de Mostaganem, Hassan-Pacha s'attacha à ruiner Abd-el-Azis, ce cheik redoutable de Callah, que Salah-Reis n'avait pu dompter et qui ne cessait de harceler les Turcs.
          Son audace était extrême. Il levait les contributions sur des contrées qui lui étaient soumises et dans plusieurs rencontres il avait remporté sur eux des avantages signalés. Hassan-Pacha résolut de venger tous ces affronts.
          Il forma une armée dans laquelle il fit entrer tous les chrétiens qui étaient dans les bagnes et qui consentirent à embrasser l'islamisme ; puis il envahit le pays des Berbères de Callah.
          La fortune des armes abandonna cette fois Abd-el-Aziz qui fut tué en combattant et les Berbères s'enfuirent dans leurs montagnes où ils élurent pour cheik son frère ; mais celui-ci se hâta de déposer les armes et d'entrer en accommodement avec le pacha.

          Vers cette époque une nouvelle révolte éclata parmi les janissaires. Cette milice indisciplinée avec vue avec une secrète irritation la permission accordée par Hassan-Pacha aux Arabes et aux Berbères, de se fournir en armes défensives et offensives à Alger et attendait l'occasion de s'en venger.
          Leur aga réunit secrètement les chefs de la milice qui décidèrent qu'il serait défendu, sous peine de mort, aux Berbères et aux Arabes d'acheter des armes à Alger.
          Hassan-Pacha lui-même, chargé de fers, fut jeté à bord d'un navire et renvoyé à Constantinople.
          Les janissaires élurent ensuite pour gouverneurs, Hassan, leur aga, et Coussa-Mohamed.

          La déposition de Hassan-Pacha était certes un acte de révolte trop grave pour pouvoir être toléré par un homme d'un caractère aussi absolu que l'était Soliman.
          Mais une grande distance sépare Constantinople d'Alger, circonstance qui rendait toute entreprise contre la régence coûteuse et difficile.
          D'un autre côté les galères algériennes avaient rendu de grands services à la Porte et pouvaient lui en rendre encore dans ses différends avec les États de la chrétienté. Toutes ces considérations engagèrent le divan à procéder avec mesure. On se contenta d'envoyer Hamet-Pacha avec ordre de se saisir de deux califats que les janissaires avaient nommé gouverneurs par intérim.
          Hamet s'attendait à la résistance, mais il n'en éprouva aucune.
          Il revint amenant avec lui les deux prisonniers qui eurent la tête tranchée à la porte du sérail.
          Afin d'en imposer davantage aux janissaires, Soliman nomma pour la troisième fois le fils de Khair-ed-Din au pachalik d'Alger.

          Hassan-Pacha revint donc et trouva le gouvernement occupé par un califat intérimaire mais qui se démit aussitôt de ses fonctions.
          Voyant que les janissaires, malgré leur apparente soumission étaient toujours prêts à se soulever, il comprit la nécessité de remettre l'exécution de ses projets de vengeance à un autre temps.
          En attendant, pour donner un aliment à leur activité et peut-être aussi pour se débarrasser des plus turbulents, il résolut d'achever l'œuvre commencée par ses prédécesseurs, et d'expulser les Espagnols de la ville d'Oran.
          Les préparatifs de cette expédition bien que faits sur une grande échelle, furent enveloppés d'un profond mystère. Alger n'avait jamais vu d'armement aussi considérable.
          Hassan parvint aussi à faire taire pour un moment les rivalités qui séparaient le cheik de Kouko et celui de Callah et chacun d'eux fournit à l'expédition six mille combattants.

          Hassan-Pacha quitta Alger le 15 avril 1563 et prit la route d'Oran. Le trajet est de quatre-vingt lieues environ. L'armée traversa :
          - la plaine de la Mitidja,
          - quelques petites chaînes de montagnes et ensuite
          - de vastes plaines qui s'étendent jusqu'à l'empire du Maroc.

          On ne rencontre sur la route aucune ville, mais on y trouve les ruines de quelques cités romaines.
          Après avoir passé plusieurs fleuves, et entre autres, le Chélif et s'être recrutée d'une foule de tribus nomades qui, par haine contre les chrétiens s'associèrent avec empressement à cette expédition, l'armée arriva sous les murs d'Oran.

          Pendant ce temps, une flotte composée de trente-deux galères et de trois caravelles françaises, chargées :
          - d'artillerie,
          - de munitions et
          - d'approvisionnements de guerre appareillait d'Alger et faisait voile pour Arzew où elle devait recevoir les ordres du pacha.


          Hassan établit son camp à une petite distance de la tour des Saints dont il s'empara sans difficulté.
          Puis, voulant se rendre maître de Mers el Kébir, afin d'avoir une rade sûre pour ses vaisseaux, il porta une partie de son armée devant le fort Saint Michel qui s'élevait sur une colline et protégeait la place.
          Ce fort était défendu par une garnison qui soutint l'assaut des Turcs avec une valeur extraordinaire. Toutefois le courage des assiégés dut céder au nombre des assaillants et le fort fut évacué.
          Maître de ce fort Hassan-Pacha se rapprocha de Mers-el-Kébir et en ruina profondément les murailles.
          Cette ville n'avait qu'une garnison de quatre cents hommes, commandée par Don Martin de Cordoue.
          Sommé de se rendre par Hassan qui lui représentait l'inutilité d'une plus longue résistance, il se contenta de répondre : " Je m'étonne que, la brèche étant si facile, le pacha hésite à donner l'assaut.

          L'attaque fut donc résolue pour le lendemain. Douze mille Arabes et Berbères furent mis en tête pour essuyer le premier feu de l'ennemi, tandis que les janissaires appuyaient leur mouvement. Le choc fut terrible : assiégés et assiégeants firent des prodiges et valeur, et bientôt les fossés de la place furent jonchés de cadavres.
          Cependant l'avantage resta aux Espagnols : un violent orage s'étant déclaré, les Algériens se hâtèrent de regagner leurs navires, après avoir perdu leurs plus braves soldats.

          Sur ces entrefaites, Hassan-Pacha apprit qu'une flotte espagnole composée de trente-cinq galères et commandée par François de Mendoza, s'approchait à toutes voiles.
          Battus par la tempête, les navires algériens étaient pour la plupart désemparés et se trouvaient hors d'état de repousser l'ennemi. Loin de décourager Hassan, ces deux circonstances ne firent que l'engager à hâter le moment d'un nouvel assaut.
          Mais les Espagnols, instruits du secours qui leur arrivait, redoublèrent d'ardeur et d'opiniâtreté dans la défense.
          Hassan, furieux de l'inutilité de ses efforts, s'avança jusqu'au pied des murailles et s'écria en jetant son turban dans le fossé : " Quelle honte pour les musulmans d'être repoussés par le petit nombre d'hommes que renferme cette bicoque. "
          Puis il s'élança sur la brèche : " Je mourrai, dit-il à ses soldats, je mourrai pour votre éternel déshonneur. "

          Les Turcs, à la voix de leur chef, reprenaient leur audace lorsqu'un coup de canon annonça l'arrivée de la flotte espagnole.
          Les galères algériennes qui étaient au cap Falcon se hâtèrent aussitôt de prendre le large laissant derrière elles cinq galiotes désemparées et les trois caravelles françaises qui tombèrent au pouvoir de l'ennemi.
          De son côté Hassan-Pacha perdant entièrement courage, leva le siège de Mers-el-Kébir et reprit la route de Mostaganem avec les débris de son armée.
          C'est ainsi que se termina la seconde entreprise des Algériens contre Oran.

          Si le gouvernement militaire établi à Alger éprouvait quelquefois des échecs sur terre, soit de la part des Espagnols, soit de la part des Arabes, en revanche, sa puissance maritime s'augmentait chaque jour.
          La régence couvrait de ses navires les bassins de la Méditerranée ; ce n'était pas seulement l'odjak mais les particuliers eux-mêmes qui armaient en course.
          Toute la population d'Alger ne vivait que de piraterie. Les navires étaient ordinairement bien équipés, fournis d'armes et de poudre en abondance.
          Le personnel se composait de Turcs ou d'autres soldats que commandait un boulouch-bachi (capitaine) Le reis après avoir obtenu du divan la permission de quitter le port, visitait quelques-uns des marabouts les plus réputés pour leur sainteté. Il les consultait sur son voyage, et se recommandait à leurs prières.

          Après l'accomplissement de ces actes religieux, le navire mettait à la voile, ayant en poupe un riche étendard et se dirigeait vers les parages où il espérait trouver un riche et facile butin.
          Les pirates algériens unissaient le courage à la prudence. Ils n'attaquaient les navires qu'après avoir examiné attentivement leur force et leur grandeur et ils faisaient force de rames et de voiles pour s'éloigner à la moindre apparence de danger.
          Puis quand ils avaient opéré des prises importantes, ils rentraient dans le port où l'on procédait au partage du butin selon le rang et le droit de chacun.
          - Douze pour cent sur la valeur totale était attribuée au pacha,
          - un pour cent était réservé pour l'entretien du môle,
          - un pour cent pour les marabouts qui servaient dans les mosquées.


          Après ce prélèvement on se partageait par moitié :
          - L'une était répartie entre le Reis et les armateurs suivant les proportions convenues,
          - l'autre formait la part des janissaires, des officiers et des soldats qui montaient le vaisseau capteur.


          La marine algérienne coopérait à toutes les expéditions maritimes dans lesquelles la Porte se trouvait engagée.
          Nous avons déjà vu les flottes combinées d'Alger et de Constantinople agissant de concert avec la flotte française devant l'île de Corse.
          Voici une autre circonstance dans laquelle elles apparaissent aussi conjointement. Après la prise de Tripoli, Dragut avait obtenu le commandement de cette ville, à titre de pacha.

          Quelque temps après, les habitants de Kairouan et de l'île de Gelves se révoltèrent contre lui, et demandèrent des secours au vice-roi de Naples et à Jean-André Doria, neveu du célèbre amiral génois.
          Ceux-ci se hâtèrent de réunir une flotte nombreuse et de faire une démonstration en faveur des révoltés. Cette flotte se présente devant l'île et s'en empare.
          Mais une flotte turque et algérienne, commandée par Piali-Pacha tombe à l'improviste sur la flotte chrétienne, capture la plupart de ses navires et disperse le reste.
          La garnison chrétienne, qui avait été laissée à Gelves fut aussitôt assaillie par Piali et Dragut qui venaient d'amener un renfort de onze galères et de plusieurs escadrons de cavalerie.

          Alvare de Sande, qui commandait la place, fut sommé de la rendre, mais inutilement. Les Turcs :
          - débarquèrent aussitôt leur artillerie,
          - dirigèrent le feu de vingt-quatre pièces de canon sur le fort et
          - ouvrirent une large brèche.

          Alvare de Sande qui ne pouvait leur opposer que douze pièces d'un moindre calibre,
          - rassemble ses soldats,
          - choisit les plus intrépides, et, à leur tête,
          - il se jette pendant la nuit dans le camp des infidèles pour les forcer à lever le siège. Une lutte terrible s'engage dans l'obscurité ; les Turcs accourant en foule entourent les Espagnols et les forcent à la retraite.

          Alvare de Sande, couvert de blessures, épuisé de fatigue, tomba en leur pouvoir.
          Frappé de tant de courage, Piali-Pacha accueillit l'Espagnol avec distinction et lui fit les propositions les plus brillantes pour l'engager au service du sultan, mais cet intrépide officier rejeta ces offres et fut conduit à Constantinople.

          C'est ainsi que les Turcs s'assuraient la possession des points les plus importants du littoral de l'Afrique, et qu'ils tenaient en échec les puissances chrétiennes.
          Après la défaite des Espagnols à l'île de Gelves l'attention de Soliman se porta sur Malte. L'occupation de cette île était importante pour lui car, par sa situation elle offrait à ses navires un refuge assuré contre la tempête et les croiseurs ennemis.
          Malte était alors au pouvoir de ces chevaliers qui en ont retenu leur nom et qui s'étaient toujours montrés les adversaires les plus acharnés et les plus redoutables du croissant.

          C'était de Malte que paraient ces galères, fines voilières qui :
          - s'attachaient aux flancs des convois turcs,
          - harcelaient leurs navires de commerce,
          - visitaient les côtes de l'empire et
          - venaient s'y recruter d'esclaves pour leurs chiourmes.

          Partout depuis le détroit de Gibraltar jusqu'à l'entrée des Dardanelles on les rencontrait et partout les marins qui les montaient faisaient preuve de courage et d'audace.
          C'étaient aussi les chevaliers de Malte qui, par la fréquence de leurs relations avec les différentes langues de l'Europe, appelaient l'attention sur les affaires des États barbaresques et les excitaient à des entreprises hardies contre la Porte.
          Le plus pressant intérêt de cette puissance était de chasser de l'île de Malte les chevaliers, comme elle les avait déjà chassés de l'île de Rhodes.

          Soliman résolut donc une expédition contre eux. Il réunit une flotte de cent-cinquante-neuf galères et une armée de trente mille soldats.
          Piali fut nommé capitan-pacha, et Mustapha, l'un des meilleurs généraux du sultan, eut le commandement de l'armée.
          En même temps le pacha d'Alger, Hassan, rassemblait deux mille cinq cents vieux soldats qui s'appelaient fièrement eux-mêmes les braves d'Alger, et se dirigeait avec vingt-huit voiles sur Malte où se trouvait déjà la flotte ottomane (18 mai 1865).

          Le siège de Malte est l'un des plus fameux dont l'histoire fasse mention. Jean de la Valette, alors grand-maître de l'ordre, avait tout disposé pour une résistance vigoureuse.
          Sept cents chevaliers et douze mille soldats composaient toutes ses forces. Mais comptant plus sur la valeur que sur le nombre, il se flattait de contraindre bientôt les Turcs à se réembarquer.
          Il distribua ses troupes dans les différents postes et se logea lui-même dans le Grand Bourg l'un des plus importants et des moins fortifiés. Les Turcs résolurent d'attaquer d'abord le fort Saint Elme. Persuadés que la prise de ce fort entraînerait celle de toutes les autres places.

          Malte située entre la Sicile et l'Afrique à environ douze lieues de circonférence.
          - Au levant se trouve l'île de Candie,
          - au couchant celle de Pantalerie,
          - le Nord regarde la Sicile et
          - le midi le royaume de Tunis : Ce côté n'est presque bordé que de rochers et d'écueils. Un peu plus loin à l'occident est l'île de Gozo séparée de Malte par un canal de quatre milles de largeur. En avançant ensuite vers le Nord on trouve deux grands ports dont l'un, appelé port Musset, renferme une petite île, l'autre se nomme le Grand Port.

          Ils sont séparés par une langue de terre assez élevée sur la pointe de laquelle est construit le fort Saint Elme qui défend l'entrée des deux ports.
          Dans le plus grand ce sont deux langues de terre qui s'étendent du levant au couchant. A l'extrémité de la première, la plus voisine de l'entrée du port est situé le château Saint-Ange derrière lequel se trouve une petite ville appelée le Grand Bourg. Sur l'autre pointe est le fort Saint Michel avec un autre bourg. Cette seconde langue de terre portait aussi le nom de l'île de la Sangle quoiqu'elle ne fût qu'une presqu'île. Quant à la cité Notable ou ville de Malte, elle est située sur une colline à six ou sept mille des deux grands ports. C'était alors la capitale de l'île.
          On la nomme aujourd'hui la cité-Vieille et la véritable capitale est la cité Valette.

          Ils dressèrent aussitôt leurs batteries et firent un feu si terrible, qu'aucun des assiégés n'osait se montrer à découvert. Sur ces entrefaites Dragut, pacha de Tripoli arriva à Malte avec des renforts pour l'armée ottomane.
          Dragut désapprouva l'attaque du château Saint Elme mais en déclarant toutefois que l'honneur du sultan exigeait qu'on poursuivit ce qui était commencé
          Il alla reconnaître lui-même les ouvrages et le 24 mai 1565, jour de l'Ascension, il fit dresser deux nouvelles batteries qui eurent bientôt foudroyé, tout démoli devant elles.

          Encouragés par ce succès, les assiégeants :
          - se précipitèrent en foule vers la brèche,
          - plantèrent leurs échelles contre la muraille et bien qu'elles se trouvassent trop courtes,
          - ils tentèrent l'escalade.

          Cette attaque terrible dura depuis le matin jusqu'à deux heures de l'après-midi ; mais enfin ils furent forcés de se retire.
          Ils firent alors venir un grand nombre de pionniers et d'esclaves chrétiens qu'ils employèrent à porter :
          - de la terre,
          - du bois et
          - des fascines pour combler le fossé.


          Ne doutant plus du succès, ils livrèrent un nouvel assaut qui dura six heures entières.
          Au plus fort de la lutte, ils se retirèrent tout à coup pour laisser jouer leur artillerie et les assiégés qui s'étaient présentés en foule pour défendre la brèche, furent victime de ce stratagème car il en périt un grand nombre ; les autres, entièrement découragés, envoyèrent le chevalier de Médran vers le grand maître pour lui présenter l'inutilité de la défense.
          La Valette lui répondit que, puisqu'ils avaient peur de la mort, il allait envoyer des troupes prendre leur place. Cette réponse fit une impression profonde sur l'esprit de ces chevaliers qui jurèrent de s'ensevelir sous ses ruines plutôt que de ses rendre.

          Depuis un mois le siège durait sans interruption quand un assaut général fut fixé pour le 16 juin.
          Mais cette fois encore les Turcs rencontrèrent une résistance opiniâtre.
          Les assiégés faisaient pleuvoir sans cesse une grêle de pierres.
          Des cercles de bois enveloppés de coton et de chanvre et trempés ensuite dans des chaudières pleines d'huile et de bitume étaient lancés avec des pinces de fer au milieu des ennemis qui étaient forcés d'aller se précipiter dans la mer pour n'être point brûlés vifs.
          Après six heures d'un combat opiniâtre, les généraux turcs, voyant périr leurs plus braves soldats, firent sonner la retraite.

          Les assiégés avaient toutefois fait des pertes considérables : le chevalier de Médran et presque tous ses confrères furent tués. Le lendemain les pachas étaient allés visiter les travaux lorsqu'un boulet de canon, parti du château Saint-Ange, tomba à quelques pas d'eux, et fit voler un éclat de pierre qui blessa mortellement Dragut.
          Un autre boulet emporta Sadi-Aga qui était aux côtes de Mustapha. Ce général sans témoigner la moindre émotion, continua de donner ses ordres, et fit commencer, sous ses yeux, un rempart pour mettre ses troupes à l'abri des batteries du château de Saint-Ange.
          En ce moment un soldat chrétien, qui s'échappait du fort, apprit à Mustapha que les assiégés ne se défendaient avec tant de courage que parce qu'ils étaient ravitaillés continuellement par des secours qui leur venaient du Grand-Bourg.
          A l'aide d'un chemin couvert, qui fut élevé aussitôt, les Turcs coupèrent les communications. Ils donnèrent un troisième assaut au fort Saint-Elme ; enfin un quatrième emporta la place.

          Après la prise du fort de Saint Ange, les Turcs établirent six batteries contre :
          - le château Saint Ange,
          - le bourg et
          - l'île de la Sangle et poussèrent leurs tranchées jusqu'au bord du fossé Saint Michel. En ce moment même, Hassan, pacha d'Alger, arrivait à Malte avec sa flotte et deux mille cinq cents hommes.

          Hassan, qu'une grande réputation de valeur avait précédé, se chargea de l'attaque de l'éperon Saint Michel.
          Trois fois les Algériens plantèrent leurs étendards sur la brèche ; mais après cinq heures d'efforts inutiles ils furent repoussés et Hassan fit sonner la retraite. Deux mille janissaires perdirent la vie dans cet assaut.
          Du côté des assiégés, les chevaliers de Guiney de Simiane et plus de deux cents soldats restèrent sur la place.

          Tandis que ce terrible assaut se donnait, une partie des Algériens, commandés par Candelissa, califat de Hassan, attaquait l'éperon Saint Michel, du côté de la mer et parvenaient malgré la résistance des chevaliers à planter sept de leurs étendards sur le parapet.
          Le grand maître découvrit du Grand Bourg le péril des assiégés et envoya sur des barques le commandeur de Gion à leur secours.
          Ce brave chevalier fondit avec sa troupe sur les Algériens déjà vainqueurs, les précipita du haut du parapet et les poursuivants jusque sur le rivage massacra tous ceux qui ne purent s'embarquer assez promptement.
          Les pachas assemblèrent aussitôt un conseil extraordinaire et après plusieurs délibérations tumultueuses, fatigués de tant de résistance, ils finirent par abandonner le siège.
          Cependant avant de rembarquer, ils firent une descente sur un autre point de l'île et s'avancèrent jusqu'à la Cité Notable, mais ayant rencontré l'armée chrétienne, ils furent encore une fois battus et regagnèrent à la hâte leurs vaisseaux.
          La flotte ottomane mit alors à la voile pour Constantinople et rentra pendant la nuit dans le port, honteuse de sa défaite.
          De son côté, Hassan reprit la route d'Alger. Pendant quelques années la Méditerranée jouit d'une paix qu'elle ne connaissait plus depuis longtemps.
Histoire de l'Algérie ancienne et moderne depuis les premiers établissements carthaginois par Léon Galibert, Directeur de la revue britannique. Édition 1843


Domination turque III
Envoi de M. Christian Graille
Deuxième époque (1541-1830)
               Depuis son rétablissement aux fonctions de gouverneur, Hassan-Pacha s'était attaché à ruiner le pouvoir des janissaires, tantôt en adoptant contre eux des mesures sévères, tantôt en favorisant les Berbères ou le corps de la marine.
                Ce système ne fit qu'irriter les janissaires qui le dépossédèrent pour la troisième fois (1567).
                Selim III, successeur de Soliman, prince efféminé, n'osa pas châtier cet acte de rébellion. Mohamed, fils de Salah-Reis, nommé gouverneur d'Alger en remplacement des Hassan fit même de nouvelles concessions à la milice des janissaires algériens.

                Avant l'arrivée des Turcs à Alger, les raïs, patrons ou capitans étaient les seuls chefs des forces de terre et de mer car Aroudj et Khaïr-ed-Din commandaient à la fois sur mer et sur terre.
                Mais depuis que l'Algérie s'était placée sous la domination des Turcs, on avait introduit une ligne de démarcation entre les janissaires et les raïs.
                De là des jalousies et des dissensions perpétuelles qui dégénéraient souvent en luttes à main armée.
                Les janissaires étaient jaloux des marins parce que ceux-ci retiraient de leurs excursions des profits plus considérables qu'eux-mêmes n'en avaient en restant à terre.
                Mohamed-Pacha changea cet ordre de choses en prescrivant qu'à l'avenir les janissaires turcs ou renégats seraient admis comme soldats à bord des navires algériens qui faisaient la course.
                Dès ce moment on ne connut plus dans la régence qu'une seule force sur terre et sur mer, celle de la redoutable milice algérienne.
                Après une administration qui avait duré environ quinze mois, Mohamed-Pacha fut remplacé par Ali, renégat corse (1568).

                Ali surnommé fartas (le teigneux) était l'un des meilleurs généraux du sultan Selim. Sa valeur lui avait mérité le surnom de kilidj (homme d'épée) et il passait pour le plus habile marin qui eut navigué dans la méditerranée depuis le fameux Barberousse. Le fameux Barberousse. Il fut donc reçu avec acclamation.
                Deux galères allèrent à sa rencontre, et les chefs des janissaires, l'aga à leur tête, vinrent au-devant de lui jusque sur le port.
                Quinze cents coups de canon furent tirés des forts et des galères pour saluer son arrivée, et dès qu'il eut mis, pied à terre, on lui présenta un magnifique cheval :
                - richement caparaçonné,
                - portant une bride et des étriers d'or enrichis de turquoises.

                Vêtu d'une veste blanche, symbole de la paix, il s'avança sur son noble coursier vers le palais, au milieu d'une foule avide de contempler ses traits.
                Mais malgré ces démonstrations dont on accueillait les pachas envoyés par la Porte, son autorité commençait à n'être plus, à Alger, qu'une lettre morte.

                Dès qu'il eut pris possession du gouvernement de la régence, Ali-Pacha tourna son attention vers Tunis qu'il voulait faire entrer sous la domination du sultan. Par son ordre, une armée de six mille hommes fut dirigée sur cette ville qui fut prise presque sans combat, au moyen d'intelligences secrètes qu'il avait su s'y ménager. Toutes les autres places tombèrent également en son pouvoir, à l'exception du fort de la Goulette dont il pressa le siège avec une vigueur extrême. Mais le gouverneur espagnol, Pecaëntel, lui opposait une résistance non moins énergique. Sur ces entrefaites, Philippe II, successeur de Charles-Quint, envoya des secours en hommes et en munitions de guerre, et la Goulette fut sauvée.
                Mais Tunis resta au pouvoir des Algériens. La situation de la Porte vis-à-vis des états de la chrétienté n'avait point changé depuis la mort de Soliman.

                Cherchant un prétexte de rupture, son successeur Selim, se plaignait aux Vénitiens de la piraterie des Uscoques (population croate) qui nuisaient, disait-il au commerce du golfe adriatique. Aussi redemanda-t-il l'île de Chypre, sur laquelle il prétendait avoir des droits, cette île ayant autrefois dépendu de l'Égypte.
                Pour soutenir ces prétentions, la flotte ottomane sortit des Dardanelles au printemps de l'année 1571 pour faire voile vers l'île de Chypre.
                Mustapha commandait les troupes du débarquement et Piali était grand amiral.
                Ali, pacha d'Alger, rejoignit dans l'archipel la flotte du sultan.
                La première attaque des Turcs se porta sur Bussa qu'ils trouvèrent sans défense ; après s'en être emparés, ils allèrent investir Nicosie.
                Toutes les richesses de l'île étaient renfermées dans cette place qui était bien fortifiée et pourvue d'une nombreuse garnison commandée par Nicolas Dandolo.

                Les Turcs :
                - dressèrent leurs batteries,
                - ouvrirent la tranchée et
                - pressèrent vivement la place.

                La garnison fit une vigoureuse sortie et repoussa les assiégeants ; mais, s'étant avancée trop loin, elle fut chargée à son tour et éprouva des pertes considérables.
                Dans cette situation difficile les assiégés envoyèrent demander des secours à Zune commandant la flotte vénitienne. Celui-ci leur répondit par un refus et Nicosie tomba au pouvoir des Turcs.

                Leur barbarie et leur amour du pillage furent telles qu'ils massacrèrent vingt-cinq mille habitants et embarquèrent à bord de leurs vaisseaux une quantité considérable :
                - d'or, d'argent et
                - de dépouilles précieuses
                - ainsi que quinze mille prisonniers.

                Tout le reste de l'île éprouva bientôt le même sort, à l'exception de Famagouste (ville de Chypre) que Mustapha fut obligé de tenir assiégé pendant six mois.

                Pendant ce temps la flotte chrétienne s'était ralliée, forte de trois cents voiles, sous les ordres de don Juan d'Autriche.
                Partie de Messine vers la fin du mois d'août, elle rencontra l'ennemi dans le golfe de Lépante.
                La flotte ottomane se composait de trois cent vingt quatre navires, montés par les meilleurs soldats et les officiers les plus habiles de l'empire. C'étaient :
                Mahomet, Sangiac (gouverneur de province) de Tripoli, fils de Salah-Reïs, Hassan-Pacha, fils de Khaïr-Ed-Din, Pertau, général renommé par sa prudence et sa valeur, Carey-Ali, l'un des plus intrépides marins et surtout Ali-Kilidj, pacha d'Alger.
                La mer couverte d'une forêt de mâts, semblait ployer sous le poids des navires. La flotte ottomane fut disposée en forme de croissant.
                - Le capitan-pacha occupait le centre,
                - Sirocco, Sangiac d'Alexandrie commandait l'aile droite, et
                - le vaillant Ali Kilidj commandait l'aile gauche.


                Du côté de la flotte chrétienne, Don Juan conduisait le corps de bataille, assisté des généraux :
                - Colonne, Venieri, et Pierre Barberigo, noble vénitien, l'aile gauche.

                La bataille s'engagea le dimanche 7 octobre 1571. Don Juan fit arborer l'étendard de la croix sur sa galère et bientôt la mêlée devint générale, partout on combattait avec fureur.
                - Le bruit des canons,
                - le sifflement de la mousqueterie,
                - les cris des Chrétiens et des Turcs,
                - la fumée épaisse qui dérobait aux combattants la clarté du jour, formaient une affreuse confusion.


                Du côté des chrétiens Barbarigo obtint le premier succès en coulant à fond la galère de Sirocco, Sangiac d'Alexandrie. Cette mort jeta l'épouvante dans l'aile droite des Turcs.
                Don Juan d'Autriche s'attachait à ce moment même aux flancs de leur vaisseau amiral et faisait sur lui un feu terrible.
                Le capitan-pacha est tué par un boulet. Aussitôt les Espagnols se précipitent à l'abordage et sautent dans la galère de l'amiral, dont ils massacrent l'équipage ; puis arrachant le drapeau impérial, ils arborent l'étendard de la croix.
                A ce spectacle, des cris de victoire partent de l'armée chrétienne et les Turcs frappés de stupeur, se laissent égorger sans défense.

                Cependant la victoire n'était pas complète car l'aile droite de la flotte chrétienne, commandée par Doria était sérieusement compromise ; elle avait pour adversaire l'aile gauche où était le pacha d'Alger.
                Celui-ci profitant d'une fausse manœuvre attaqua les galères ennemies avec impétuosité et dix d'entre elles, au nombre desquelles était la capitane de Malte tombèrent en son pouvoir.
                Mais à la vue du danger que courait Doria, Don Juan d'Autriche s'avança sur le théâtre de l'action à la tête de ses galères victorieuses.

                Alors Ali-Kilidj, réunissant ses navires, passa au milieu de l'armée chrétienne et gagna la pleine mer. Ce ne fut, après son départ qu'une horrible déroute et un massacre général de la flotte turque.
                Les chrétiens eurent cinq mille des leurs hors de combat. Mais les Turcs perdirent trois cents pièces de canon et trente mille hommes.
                Depuis la défaite de Bajazet (sultan) par Tamerlan (guerrier turco-mongol), ils n'avaient pas éprouvé de plus grande perte, ni livré de bataille si sanglante.
                Constantinople en fut épouvantée et quand Ali-Kilidj y arriva avec les débris de la flotte, les Turcs le reçurent comme leur libérateur et leur unique espérance.
                Selim lui fit un brillant accueil et le nomma grand amiral.
                Cependant les chrétiens ne surent pas profiter de leur victoire. Après avoir employé quinze jours à partager les dépouilles, ils s'en retournèrent chacun dans leurs ports.

                La part que la marine algérienne prenait à ces luttes mémorables peut donner une idée de l'importance du pachalik d'Alger à cette époque.
                Mais malgré cette puissance et cet éclat, un grave inconvénient résultait pour le gouvernement de la régence de l'absence continuelle de pachas qui, ayant tant à faire eux-mêmes pour se soutenir au pouvoir, confiaient les administrations des affaires publiques et des intérimaires et allaient, ou commander les flottes du sultan, ou séjourner à Constantinople.
                Exposés sans cesse à mille intrigues, ne faisant que passer au pouvoir, ils n'accomplissaient aucune grande entreprise.

                Ainsi dans l'espace de quatorze ans, depuis 1568, époque de l'avènement de la régence d'Ali-Kilidj, jusqu'en 1582, on compte neuf gouverneurs, tant pachas titulaires, qu'intérimaires.
                Cependant, sous l'empire de ces gouvernements éphémères, les corsaires algériens deviennent de plus en plus redoutables. La Méditerranée n'est plus assez vaste pour eux. Ils cherchent un autre théâtre pour leurs déprédations, et s'avancent jusqu'aux îles Canaries où ils portent la désolation et la mort.
                Dans l'espace d'une seule année, en 1582, deux mille esclaves chrétiens sont vendus à Alger et on en comptait alors plus de trente mille dans les différentes parties de la régence.
                Michel Cervantès, qui y était prisonnier à cette époque nous a laissé des détails curieux sur la manière dont les Algériens traitaient leurs esclaves. Nous allons les rapporter en faisant le récit de la captivité du célèbre romancier espagnol.

                Michel Cervantès s'était trouvé à la bataille de Lépante où il avait perdu la main gauche. Déposé à Messine pour guérir sa blessure, il s'était rendu à Naples aussitôt après son rétablissement. Le 26 septembre 1575 il avait quitté cette ville pour la galère du roi le Soleil pour retourner en Espagne.
                Ce navire fut capturé dans la traversée par le fameux Arnaute Mami, le corsaire le plus redoutable de son temps.
                La captivité à Alger que les Espagnols regardaient alors comme le plus affreux des malheurs, devenait cependant quelquefois supportable pour ceux qui tombaient dans les mains de maîtres assez humains ou assez intéressés pour ménager l'existence de leurs esclaves.

                Mais la fortune refusa cette triste consolation au malheureux Cervantès, car elle voulut qu'il échût en partage au terrible Mami lui-même.
                Mami était un renégat Albanais, ennemi mortel des chrétiens et surtout des Espagnols. Il s'était signalé contre eux par tant d'atrocités, que, même parmi les Algériens, ce farouche corsaire passait pour un maître impitoyable et barbare.
                Une situation si cruelle, et qui semblait ne laisser aucune ressource au courage le plus déterminé, n'abattit cependant point l'intrépide Cervantès.
                Loin d'être écrasé par l'horrible pesanteur de ses fers, il trouva dans son âme assez de force pour entreprendre de les briser.

                Un Algérien, renégat grec, avait à trois milles d'Alger, un jardin qu'il faisait cultiver par un chrétien navarrais, son esclave.
                Ce Navarrais après plusieurs années de travaux était parvenu à creuser dans l'endroit le moins fréquenté du jardin un souterrain dont l'extrémité aboutissait au bord de la mer.
                Cervantès parvint à s'évader de la maison de son maître et se rendit le premier au souterrain à la fin de 1577.
                L'espoir de recouvrer la liberté y appela bientôt d'autres esclaves. A la fin du mois d'août de la même année, ils y étaient au nombre de quinze, tous Espagnols ou Majorquins, et tous hommes d'honneur et de résolution.
                La sûreté, les moyens de subsistance, en un mot, le gouvernement de cette petite république étaient confiés à la vigilance et à la sagesse de Cervantès qui s'exposa souvent seul pour le salut de tous.
                Le jardinier était chargé de surveiller au dehors, et de donner l'alarme au moindre danger.

                Un autre esclave qu'on nommait le Doreur, et qui, à raison de cet emploi chez son maître pouvait aller et venir avec une certaine liberté, avait la commission de se procurer des vivres et de les porter secrètement au jardin.
                Il était d'ailleurs expressément défendu à tous les autres de se montrer de jour hors du souterrain, ce n'était jamais qu'à la faveur des ténèbres de la nuit que ces infortunés pouvaient sortir pendant quelques heures des entrailles de la terre.

                Au commencement de septembre de la même année, Cervantès apprit qu'un esclave majorquin, nommé Viane, devait bientôt retourner dans sa patrie.
                Viane était :
                - homme d'honneur,
                - courageux, excellent marin,
                - connaissant parfaitement les côtes d'Alger.

                Il le décida à s'intéresser au sort de ses compagnons et lui remit une lettre pour le vice-roi de Majorque dans laquelle étaient exposées les souffrances des malheureux captifs.
                Viane s'engagea à revenir prendre Cervantès et ses amis sur un petit bâtiment qu'il espérait obtenir de la bienveillance du vice-roi.

                Il tint parole. Car de retour, le 28 septembre au soir, il manœuvrait à la hauteur d'Alger avec un brigantin que le vice-roi s'était empressé de lui confier. A la chute du jour, Viane s'approcha de la côte où il arriva heureusement.
                Plein d'ardeur et de joie, il s'élançait sur le rivage pour voler au souterrain lorsqu'il fut aperçu par quelques Maures. Ceux-ci donnèrent l'alarme et appelèrent les gardes côtes.
                Viane reprit aussitôt le large, décidé à faire une autre tentative quand l'alerte qu'il venait de produire se serait apaisée.
                Pendant ce temps Cervantès et ses compagnons ignorant qu'il fut si près d'eux, l'attendaient avec confiance. Mais la fortune par un second coup bien plus cruel encore, et qu'ils étaient loin de prévoir allait les arracher au zèle de leur libérateur, au moment même où celui-ci croyait enfin pouvoir les sauver.

                Le Doreur, cet esclave que Cervantès avait mis dans sa confidence, et qui s'était montré si plein de zèle pour les intérêts communs, n'était malheureusement qu'un traître.
                Le lendemain du jour de l'apparition de Viane cet esclave se présenta devant le pacha d'Alger, lui déclarant qu'il désirait embrasser la religion musulmane ; et, afin de manifester la sincérité de sa conversion, il dénonça les quinze esclaves cachés dans le souterrain.
                Le pacha envoya aussitôt une troupe de soldats avec ordre de ramener tous les esclaves et de charger de chaîne le malheureux Cervantès Celui-ci redoutant pour ses compagnons les premiers mouvements de la colère du pacha, résolut de risquer sa vie pour les sauver : " Si c'est un crime à tes yeux, lui dit-il avec une noble fierté, d'avoir cherché à briser nos fers, je suis le seul coupable.
                Epargne mes frères ; tu le dois puisque c'est moi qui les ai séduits et livré à la discrétion du traître qui nous a vendus. " Hassan-Pacha avait de la grandeur d'âme et touché de la noble audace de Cervantès, il le retint dans son palais.
                Peut-être aussi espérait-il tirer une forte rançon d'un homme qui, se montrant si grand dans le malheur, ne pouvait manquer d'appartenir à une famille distinguée.
                Il l'acheta donc au corsaire Mami, moyennant cinq cents écus d'or et le traita toujours avec beaucoup d'égards.

                Malgré ses efforts continuels pour briser ses chaînes, Cervantès n'avait point négligé le moyen beaucoup plus sûr de recouvrer la liberté par la voie de rachat.
                ar suite des démarches qu'il avait faites auprès de sa famille, sa mère, devenue veuve, et Dona Andréa de Cervantès, sa sœur vinrent en juillet 1579 à Madrid remettre aux pères Juan Gil et Antonio de la Vella, trinitaires, chargés d'un prochain rachat de captifs à Alger, une somme de trois cents ducats qu'elles étaient parvenues à se procurer en vendant tout ce qu'elles possédaient.
                Aussitôt leur arrivée à Alger, ces deux religieux s'empressèrent de traiter du rachat de Cervantès. Mais comme il appartenait au pacha, qui en demandait mille écus d'or afin de doubler le prix qu'il avait payé au corsaire Mami, cette affaire souffrit beaucoup de difficultés.

                Peut-être même aurait-elle échoué sans une circonstance imprévue.
                Le grand seigneur venait de rappeler Hassan-Pacha et avait confié le gouvernement d'Alger à Safer-Pacha (24 août 1580).
                Hassan, obligé d'obéir aux ordres du sultan, réduisit à cinq cents écus d'or la rançon de Cervantès.
                Mais pour montrer que c'était là son dernier mot, il feignit de vouloir emmener Cervantès avec lui et le fit embarquer sur sa galère.
                Alors le père Juan Gil se décida à compléter la rançon exigée, au moyen de quelques fonds destinés à d'autres rachats qu'il prit sur lui de différer.
                Cervantès fut débarqué et demeura à Alger en pleine liberté jusqu'à ce qu'il pût repasser en Espagne.
                Ce moment heureux arriva au bout de quelques mois, et il put mettre enfin le pied sur le sol natal, (janvier 1581) après être resté onze ans absent de son pays et en avoir passé cinq dans les bagnes algériens.

                Nous allons joindre à cet intéressant épisode des détails plus circonstanciés sur la condition générale des esclaves chrétiens à Alger. Les malheureux prisonniers faits par les corsaires se divisaient en deux classes : la première comprenait le capitaine, les officiers du bâtiment capturés et les passagers avec leurs femmes et leurs enfants. Cette première classe était soumise à un travail moins dur que les simples matelots qu'on vendait publiquement au plus offrant et dernier enchérisseur.
                Les enfants étaient presque tous envoyés au palais du dey ou aux maisons des premières familles et les femmes servaient les dames maures ou entraient dans les harems. Quant au traitement des esclaves en général, Leweso, secrétaire du consulat danois, qui a publié un livre sur Alger vers la fin du siècle dernier, n'a pas fait une peinture trop révoltante. " Mais les plus malheureux, dit-il, étaient ceux qu'on employait aux travaux publics. Nourris :
                - de pain grossier, de gruau, d'huile rance et
                - de quelques olives, il n'y avait que les plus adroits qui pouvaient par leur industrie, en travaillant pour leur compte, après le coucher du soleil, se procurer quelquefois une meilleure nourriture et un peu de vin.


                L'État leur accordait pour tout vêtement :
                - une chemise,
                - une tunique de laine à longues manches et
                - un manteau.


                Dans le principe, il n'y eut qu'un seul bagne affecté au logement des esclaves et il appartenait au pacha. Mais bientôt les prises furent si nombreuses qu'on en construisit cinq nouveaux.
                Chaque bagne formait un vaste édifice distribué en cellules basses et sombres qui contenaient chacune de quinze à seize esclaves.
                Une natte pour quelques-uns et la terre humide pour le plus grand nombre leur servait de lit.
                Ces lieux malsains étaient infestés :
                - de vermines, d'insectes, de scorpions.
                On y logeait quelquefois cinq à six cents esclaves, et, lorsque tous ne pouvaient être placés dans les cellules, on les faisait coucher dans les cours ou sur les terrasses de l'édifice.
                C'est là qu'étaient tenus les esclaves qu'on appelait de magasin, c'est-à-dire esclaves appartenant à l'État. Ceux-ci étaient les plus à plaindre, car, n'ayant pas de maîtres particuliers avec lesquels on put traiter de leur rachat, il leur était extrêmement difficile, même avec de l'argent, de recouvrer leur liberté.

                Un bachi en chef (gardien) était chargé de les surveiller. Il répondait d'eux ; aussi exerçait-il le plus souvent sa surveillance d'une manière cruelle.
                Les esclaves qui appartenaient aux particuliers étaient généralement assez bien traités surtout ceux que l'on présumait rachetables. Ils servaient comme domestiques à la ville et travaillaient aux champs dans la campagne ; quelquefois même on ne les forçait pas à travailler à moins que leur rachat ne tardât trop à s'effectuer. Alors seulement, et dans le but de les obliger à presser leurs parents ou leurs amis, on les employait aux corvées les plus pénibles.
                Dans quelques circonstances, l'esclave chrétien obtenait la permission de tenir taverne, moyennant une redevance qu'il payait à son maître.
                Mais jusqu'à ce qu'il se fût racheté, il portait à la jambe gauche, au-dessus de la cheville, un cercle de cuivre qui rappelait sa condition.

                La vente des esclaves se faisait dans un bazar particulier appelé Batistan. La valeur vénale de chaque esclave dépendait :
                - de son âge, du lieu de sa naissance,
                - de sa fortune présumée,
                - de sa position sociale en Europe,
                - de son état de santé, de ses forces physiques.


                Un écrivain espagnol, Don Emmanuel d'Aranda, qui fut longtemps captif à Alger s'exprime ainsi au sujet des principales circonstances qui accompagnaient cet abominable trafic : " Le douzième de septembre (1754), dit-il, on nous mena au marché où l'on a coutume de vendre les chrétiens. Un vieillard caduc, avec un bâton à la main, me prit par le bras et me fit faire plusieurs fois le tour du marché.
                Ceux qui avaient envie de m'acheter demandaient de quel pays j'étais, mon nom, ma profession.
                Sur lesquelles demandes, je répondais avec des mensonges étudiés, que j'étais natif du pays de Dunkerque et soldat de profession.. Ils me touchaient les mains pour savoir si elles étaient dures et pleines de cal ; autre cela ils me faisaient ouvrir la bouche pour voir si mes dents étaient assez bonnes pour briser le biscuit sur les galères.
                Après quoi, ils me firent asseoir ainsi que mes compagnons ; et le vieillard, prenant le premier de la bande, fit trois ou quatre fois avec lui le tour du marché en criant : Qui offre le plus ? Le premier était vendu, il passa au second, puis à un troisième et continua ainsi jusqu'au dernier. "
                Ces esclaves appartenaient à toutes les nations chrétiennes, même à la nation française, que son alliance avec la Porte ottomane aurait dû mettre à l'abri de pareils outrages.

                Le rachat des esclaves s'accomplissait de trois manières :
                - Il y avait premièrement la rédemption publique ; c'était celle qui se faisait aux dépens de l'état auquel appartenait les esclaves.
                - Il y avait ensuite le rachat qui s'opérait par l'entremise des religieux de la Merci, lesquels faisaient des quêtes dont le montant était destiné à cette œuvre de charité, et
                - enfin le rachat qui se faisait directement par les parents ou les amis des captifs.


                La rançon une fois payée au propriétaire de l'esclave, on exigeait ensuite une foule de redevances supplémentaires à titre de droits divers, comme par exemple :
                - le droit de cafetan du pacha,
                - le droit du secrétaire d'État,
                - le droit du capitaine du port,
                - le droit du bachi ou gardien des portes du bagne,
                - et mille autres encore, qui réunis finissaient par doubler le prix de la rançon convenue.

                Pour donner une idée de l'importance à laquelle toutes ces exactions pouvaient faire élever le prix du rachat, nous dirons qu'en 1719, une jeune enfant de douze ans, la petite fille du lieutenant-général de Bpurck, gouverneur de la châtellenie de Bouchain, ayant été capturée par les Algériens avec son oncle et deux femmes de chambre, ses parents furent obligés de payer 75.000 livres pour obtenir la délivrance de ces quatre personnes.

                Au reste, la sollicitude des Pères de la Merci ne se bornait pas à faire des quêtes dans les divers États de la chrétienté pour subvenir au rachat des malheureux esclaves :
                - ils visitaient,
                - ils consolaient dans leur captivité ceux qu'ils n'avaient pu affranchir,
                - ils entendaient leurs confessions et
                - les maintenaient dans leur foi.

                Lorsqu'ils étaient malades :
                - ils les soignaient dans un petit hôpital qu'il avait élevé à leurs frais, et
                - les empêchaient de tomber dans les vices honteux ou la passion brutale de leurs maîtres ne les entraînait que trop souvent.

                Telle était la malheureuse condition des chrétiens que le sort de la guerre faisait tomber entre les mains des redoutables corsaires algériens.

                A l'issue de la bataille de Lépante, nous avons vu le fameux Ali-Kilidj élevé aux fonctions de capitan-pacha. Après avoir parcouru toute la Méditerranée, Ali-Kididj, qui gouvernait encore à Alger par l'intermédiaire Mami, résolut d'expulser les chrétiens de la Goulette.
                Ce projet fut secondé par la Porte. La flotte ottomane parut en vue de Tunis le 13 juillet 1874 ; elle avait à bord quarante mille hommes de débarquement. La Goulette fut de nouveau investie et attaquée.
                Les assaillants éprouvèrent d'abord une vigoureuse résistance ; mais leur nombre, leur persévérance, les firent triompher de tous les obstacles ; et, après plusieurs assauts, ils demeurèrent maîtres de la place.
                Cette prise importante, puisqu'elle enlevait aux Espagnols leur dernière position sur la côte tunisienne, ne coûta aux Ottomans que trente jours d'efforts.
                Toutefois Tunis ne devint pas une dépendance d'Alger.

                On en format un État à part qui releva directement de Constantinople.
                Hassan Pacha et Al-Kilidj comprirent qu'un pays qui avait : - ses mœurs, ses coutumes,
                - ses intérêts particuliers,

                Avait besoin d'être gouverné par une autorité immédiate ; ils organisèrent donc une administration et établirent une milice composée de cinq mille Turcs distribués et deux cents pavillons, c'est-à-dire en compagnies de vingt-cinq hommes chacune, qu'on nommait odjak, sous le commandement d'un capitaine qui était appelé odjak-bachi.
                Au nombre de deux cents, ils étaient pris parmi les soldats les plus anciens. Les quatre plus anciens étaient promus à la dignité d'odjaki ou conseillers du pacha ; ils passaient ensuite à celle de boluk-bachi ou aga.
                Ces derniers étaient envoyés dans les garnisons éloignées de Tunis.
                Le chaouch-Bachi était pris parmi les agas et avait sur eux le droit de préséance, c'était l'une des premières dignités de l'État.
                Un divan, ou grand conseil, fut chargé de connaître des affaires qui concernaient l'État. Cette assemblée ne comptait parmi ses membres que des gens de guerre. Elle était présidée par un aga qui avait pour coadjuteur un Kaya ou lieutenant général. Elle se composait :
                - de huit chaoux,
                - de quatre baluks-Bachis ou agas, et
                - de vingt odjak-bachs.


                Hassan-Pacha et Ali-Kilidj créèrent également la charge de Bey ou de grand trésorier. Cette charge se donnait tous les six mois au plus offrant, et ne pouvait être exercée pendant plus d'une année.
                Cette organisation, comme on le voit, était à peu près la même que celle d'Alger.)

                Nous allons nous occuper maintenant des relations politiques ou commerciales que l'odjak avait établies avec les différents États de la chrétienté car cette partie de notre histoire a aujourd'hui un grand intérêt pour nous.
                A l'extérieur les relations de la Régence se bornaient à la France, qui, par suite de l'alliance contractée entre ses rois et les sultans de l'empire ottoman, se trouvait à Alger l'objet spécial du patronage de ces derniers.
                L'Espagne, au contraire, toujours maîtresse d'Oran et de Mers-el-Kébir, était en butte à la haine des Algériens, et c'était habituellement contre elle que l'odjak dirigeait ses corsaires.

                Quant à l'Angleterre, cette puissance ne commença à entrer en relation avec la Régence qu'en 1581.
                Mais tout en constatant la préférence et les ménagements dont la France jouissait en Algérie, nous devons reconnaître que la Régence faillit bien souvent aux obligations que lui imposaient la volonté du grand seigneur et l'amitié dont elle se disait pénétrée envers nous.
                - Les actes de barbarie que commirent ses corsaires sur les équipages de nos bâtiments de commerce,
                - les avanies qu'ils firent subir à ceux de nos marchands qui trafiquaient dans leurs ports, furent nombreux, et auraient mérité d'être réprimés sévèrement, si la France se fut trouvée à cette époque en mesure de le faire.


                Entre tous nos ports de la Méditerranée, Marseille se distinguait par l'activité de ses relations avec les États barbaresques, et notamment avec Alger.
                En 1561, deux armateurs de cette ville, Linche et Didier, établirent un comptoir à la Calle.
                C'est là l'origine de la fondation des établissements français dans le Nord de l'Afrique. (Voici, d'après M. le baron Baude quelle a été l'origine des établissements français sur les côtes de l'Algérie.

                En 1520, des négociants provençaux traitèrent avec des tribus de la Mazoule (installées près de Naples) pour faire exclusivement la pêche au corail, depuis Tabarque jusqu'à Bône. Sous le règne de Charles IX, Sélim II fit concession à la France du commerce des places, ports et havres :
                - de Malfacarel, de la Calle, de Collo, du cap Rose et de Bône.
                En 1560 le bastion de France fut achevé. En 1601, les liens d'amitié qui existaient entre Henri IV et les sultans de Constantinople amenèrent la confirmation de toutes les concessions déjà faites.

                Tombés sous les Guises dans le dernier état de désordre et de faiblesse, ces concessions se relevèrent sous la voix puissante de Richelieu.
                En 1624, trois mois après que le roi eut changé son consul, Amurath IV cédait à la France en toute propriété les places dites :
                - le Bastion de France,
                - la Calle,
                - le cap Rose,
                - Bône et
                - le cap Nègre.


                Le comptoir de la Calle prospéra, et à quelques années de là les Marseillais négocièrent pour avoir un consul à Alger.
                Une tentative de cette nature avait déjà été faite en 1564, sous le règne de Charles IX, par l'entremise de M. Pétremol de Norvoie, agent du roi de France à Constantinople.
                Ce prince avait nommé Bertholle de Marseille, aux fonctions de consul à Alger.
                Bertholle prêta serment entre les mains du comte de Tende, gouverneur de Provence, mais il ne fut jamais admis dans sa résidence.
                En 1579, sous le règne de Henri III, les Marseillais n'avaient pu encore obtenir cette faveur, ainsi que le démontre à lettre suivante, écrite par Hassan-Pacha dit le vénitien, document dont nous avons été assez heureux pour nous procurer, l'original.

                Magnifiques seigneurs,
                Il est venu ici un nommé François Giugigotto, porteur d'une expédition de consul en faveur du capitaine Maurice Sauron, dont il serait le substitut.
                Mais nous, qui voulons rester d'accord avec les anciennes confédérations, et avec l'affection que nous portons à sa majesté de Henri, notre cher ami et votre roi, nous ne trouvons aucun moyen pour le mettre en place, la chose répugnant à l'esprit des marchands, du peuple et de tous.
                Ils ne veulent point admettre la nouvelle autorité que vous leur imposeriez et qui ferait du tort à l'échelle d'Alger.
                Si elle venait à s'y établir de force, nous serions bien surpris que vous l'ayez permis, vos prédécesseurs n'ayant jamais eu la hardiesse de le faire, et la chose étant à votre préjudice et notre grand dommage.
                Lorsque vous nous demanderez des choses qui seront dans nos habitudes et conformes à nos devoirs, nous ne manquerons pas de vous montrer la bonne volonté que nous avons de vous faire plaisir. Que Dieu vous accorde tout contentement.
                Votre bon ami,
                Hassan, pacha d'Alger Alger 28 avril 1779.


                Cependant le consul français d'Alger ne tarda pas à s'établir. Les religieux de la Trinité de Marseille qui s'employaient particulièrement au rachat des captifs, en acquirent la propriété et le premier consul en charge fut M. Boinneau. Sa prise de possession date de 1581. Quatre ans après il fut mis en prison par ordre du pacha.
                Les troubles auxquels la France était alors en proie ne permirent pas de demander réparation de cet outrage et l'on ignore encore si, à la suite de cet incident, M. Boinneau fut remplacé.
                Quoi qu'il en soit, de 1581 à 1597, les évènements de la régence furent en général de peu d'importance ; Jeffer-Pacha céda la place à celui-là même qui avait été son prédécesseur, à Hassan le vénitien, dont les intrigues, aidées de sa fortune, étaient parvenues à lui ouvrir, pour la seconde fois, le chemin du pachalick.

                Mami Arnaute, renégat albanais, le remplaça et se montra non moins ardent que lui pour les entreprises maritimes. Vint ensuite Mehmet, puis Heder sous le gouvernement duquel les corsaires d'Alger eurent l'ordre du grand-seigneur de courir sur les navires de Marseille " pour punir cette ville disait le firman (édit) de s'être rangé du parti de la ligue contre son roi légitime. "
                Il nous a paru curieux de constater d'une manière précise les premiers rapports diplomatiques que la France établit avec la régence d'Alger.

                Nous allons les suivre encore pendant quelques années, car, en définitive, ils résument les évènements les plus importants de l'Odjak.
                En 1597, M. de Vias, maître des requêtes de Catherine de Médicis, fut mis à la tête du consulat.
                A cette époque les Algériens élevaient de vives récriminations contre la France parce que le roi, disaient-ils, en accordant à certains navires le privilège de naviguer sous son pavillon, les frustrait de leur droit de course et les privait de leur bien. Cette réclamation resta sans succès.
                La France ne voulut pas abdiquer un privilège qu'elle avait acquis par sa puissance et que le temps avait consacré.

                Les Algériens, irrités de ce refus, se mirent aussitôt à courir sur les navires de Marseille et firent éprouver de grandes pertes aux armateurs de cette ville.
                Henri IV, qui régnait alors, ne se laissa pas intimider par ces démonstrations ; il ordonna à ses galères d'user de représailles contre la marine algérienne pendant que son ambassadeur à Constantinople demandait à la Porte le prompte répression de ces hostilités.
                Le grand seigneur reconnut la justice des réclamations de la France.
                Il fit rendre les navires capturés et 3.000 sequins (ancienne monnaie d'or de Venise) furent en outre comptés aux négociants français qui avaient essuyé des pertes. " C'est le premier exemple, dit Hammer, d'une réparation donnée par la Porte à une puissance étrangère. "
                Heder occupait alors le pachalick ; furieux de cette sentence, il voulut continuer ses courses contre les navires français mais le lacet fit justice de sa désobéissance : il mourut étranglé dans son palais (1604) par ordre du sultan.

                Ce fut dans ce temps, dit le capitaine Sander-Rang, à qui nous devons de précieuses recherches sur l'histoire du pachalick d'Alger, ce fut alors que M. de Brève reçut d'Henri IV l'ordre de renouveler les capitulations afin d'y ajouter quelques articles qui devaient assurer la tranquillité du commerce maritime et remédier au mal que faisaient les Barbaresques.
                Ce digne représentant remplit sa mission à l'honneur de la France et à la satisfaction de son prince.
                L'un des articles de la capitulation autorisait le roi " à se faire justice lui-même en cas de nouvelles contraventions de la part des corsaires d'Alger.

                Après la conclusion de ce traité, un chaoux de la Porte, Mustapha-Aga se rendit en Afrique, accompagné de M. de Castellane, délégué par la ville de Marseille, pour signifier aux Algériens la volonté de Sa Hautesse.
                Il leur était enjoint de laisser rebâtir le Bastion de France, ruiné quelque temps auparavant par la milice d'Alger et de rendre tous les esclaves français retenus dans les bagnes.
                Mais cette négociation resta sans succès et la paix entre la France et l'odjak ne fut signée qu'en 1628. Pendant ce laps de temps, le commerce français eut à subir de fréquentes avanies.

                En 1606, un corsaire flamand Simon Danser vint apporter aux Algériens une force nouvelle et leur apprenant à substituer à leurs galères des vaisseaux ronds pontés et à voiles. Ce changement de système donna un nouveau développement à leur marine et leurs courses n'en devinrent que plus redoutables pour le commerce de la Méditerranée. Les Marseillais furent les premiers à s'en ressentir.
                Dans l'espace de sept à huit mois ils se vinrent enlever pour plus de deux millions de marchandises : Ils arrivèrent à leur tour contre les pirates et retinrent prisonniers quelques Algériens échappés des galères d'Espagne qui étaient venus se réfugier à Marseille.
                Dès que la milice d'Alger qui voulait régner sans contrôle sur la Méditerranée eut connaissance de ces faits, elle enleva le consul de France de sa demeure et le chargea de chaînes. M. de Vias n'obtint sa délivrance qu'en payant une forte rançon.
                Ainsi tous les bons rapports qui avaient existé entre la France et l'odjak se trouvaient définitivement rompus.

                La France demanda satisfaction de toutes ces avanies ; mais le brusque changement des pachas et les agressions ou les représailles qu'exerçaient les deux partis au milieu des négociations, ajournèrent pendant longtemps la conclusion d'un traité.
                Enfin, en 1616, Mustapha-Pacha envoya des chaoux au roi de France pour lui demander la liberté des esclaves turcs. On la lui accorda à la condition que l'odjak n'armerait plus contre les navires français.
                Malheureusement ces esclaves se trouvaient pour la plupart à bord des galères que le duc de Guise entretenait sur les côtes de Provence, et on ne put renvoyer à Alger qu'une quarantaine de Turcs que le fils de M. de Vias accompagna. La milice ne se montra pas satisfaite et continua ses dépravations.

                En 1616, le baron d'Allemagne fut encore envoyé à Alger pour négocier avec la régence. Ce nouvel ambassadeur n'aurait pas mieux réussi que les précédents si les Algériens n'avaient eu quelques inquiétudes au sujet des armements considérables que M. de Guise faisait à Marseille et à Toulon.
                Le traité de paix fut presque conclus ; mais en 1622, les habitants de Marseille, ayant appris qu'un corsaire algérien avait massacré tout l'équipage d'un de leurs navires, voulurent user de représailles et assassinèrent un envoyé d'Alger qui se prouvait dans leur ville ainsi que quarante Turcs de sa suite. Cet acte de vengeance fit encore ajourner la ratification du traité.

                Ce fut vers cette époque que la Hollande, qui avait aussi à se plaindre des Barbaresques, dirigea une expédition de six vaisseaux contre Alger ; elle fut prompte et décisive.
                Le capitaine Lambert qui commandait cette escadre avait capturé pendant la traversée plusieurs navires appartenant à l'odjak. En arrivant devant Alger, il demanda satisfaction ; le Divan éconduit son parlementaire, et lui, pour toute réponse, fit pendre ses prisonniers aux vergues de ses bâtiments.
                Quelques jours après, le capitaine Lambert reparut encore devant Alger avec de nouveaux prisonniers, décidé à leur faire subir le même sort si le divan lui refusait la réparation qu'il demandait.
                Son énergique persévérance obtint un succès complet, tandis que la France, plus généreuse, attendait toujours le résultat de ses négociations.

                En 1624, Sidi-Saref, qui avait dirigé les affaires sous Mustapha fut appelé à lui succéder. Sidi-Saref était un homme capable, qui s'était d'abord montré bienveillant pour les Français ; mais, soit faiblesse, soit politique, il laissa ses corsaires arrêter et dépouiller nos navires.
                Cependant la cour de France espérait obtenir de lui un traité favorable et Sanson Napollon fut chargé de cette négociation.
                Lorsqu'il arriva à Alger (9 juin 1626), ce pacha était mort et la plus complète anarchie régnait dans la ville.
                Napollon revint en France et détermina le commerce de Marseille à réunir une somme de 72.000 livres pour racheter les Turcs retenus sur les galères de M. de Guise, et les ramena à Alger.

                En 1628, il reparut dans cette ville avec les esclaves rachetés par ses soins et le 19 septembre de cette même année il conclut un traité de paix avec le Divan et le nouveau pacha Hussein.
                Cette négociation coûta 272.435 livres. Le bastion fut rétabli et la pêche au corail reprit son cours. Ce traité ratifiait, entre autres conditions, la concession précédemment faite du Bastion de France , avec l'échelle à Bône ; et, pour cette concession, la France s'engageait à payer 26.000 doubles (monnaie d'une valeur de deux deniers tournés)
                - 16.000 pour la milice,
                - 10.000 pour le trésor de la Casbah …


                Le traité portait en outre :
                - que les navires de la compagnie pourraient naviguer librement sur les côtes d'Afrique qui dépendaient de la régence,
                - qu'ils pourraient vendre, négocier, acheter,
                - enlever cuir, cire, laine etc.
                - que ces vaisseaux ne seraient point inquiétés par les corsaires algériens,
                - que, si les bateaux de pêche venaient à être poussés par les vents contraires ou la grosse mer dans différents lieux de la côte, et notamment à Gigelly (Djidjelli) et à Bône, il ne leur serait fait aucun mal, que les équipages seraient respectés et ne pourraient être vendus comme esclaves.

                (A ce traité était annexé un état de ce qui était nécessaire pour l'entretien :
                - du Bastion de France,
                - de La Calle,
                - du cap rose et
                - de la maison de Bône.


                Cet état dont nous croyons devoir reproduire les principales dispositions parce qu'elles donnent une idée de l'importance de nos établissements à cette époque, portait que la forteresse de Rose serait commandée :
                - par un caporal au salaire de 30 livres par mois, avec huit soldats, au salaire de 9 livres chacun par mois,
                - qu'un interprète, aux émoluments de 18 livres par mois y serait établi à demeure,
                - que la petite garnison recevrait ses vivres du Bastion de France,
                - qu'il y aurait au lieu-dit la Calle une garnison de quarante hommes commandée par un capitaine dans les temps ordinaires,
                - que cette garnison serait renforcée au besoin, que le Bastion de France, étant la place la plus forte et un lieu de dépôt pour les munitions de guerre,


                Il servirait de résidence habituelle :
                - à un capitaine et son lieutenant,
                - à deux caporaux, vingt-huit soldats et un tambour
                - que cet établissement possèderait en outre :
                - un homme chargé de l'administration du commerce,
                - un écrivain pour la comptabilité,
                - un capitaine et quarante matelots,
                - deux charpentiers, un boulanger et
                - deux religieux pour desservir l'église,
                - que vingt et un bateaux seraient employés à la pêche,
                - que chaque bateau porterait sept hommes etc., etc,.


                Ce document établissait enfin que tous les meubles et ustensiles qui se trouvaient dans la forteresse du Bastion étaient la propriété de la compagnie.)

                En signant ce traité le pacha avait déclaré qu'il punirait de mort tout raïs qui commettrait la moindre avanie contre les Bâtiments français ; mais ses menaces furent impuissantes, les courses continuèrent et les vaisseaux du roi de France s'emparèrent d'un corsaire d'Alger qu'ils avaient surpris croisant dans le golfe de Lyon.
                De leur côté les Marseillais ayant appris que l'un de leurs navires avaient été pillé, se mirent à égorger tous les Algériens qui se trouvaient dans leur port.
                Ainsi cette paix toujours si difficile à conclure était sans cesse rompue par des actes de violences qui reculaient le but.

                A cette époque, la marine algérienne, avait, il est vrai, atteint son apogée et elle se montrait intraitable.
                Les pachas s'intitulaient Rois de la mer, et leurs capitaines frémissaient de rage à la vue des navires qu'ils ne pouvaient capturer.
                Les moins expérimentés d'entre eux croisaient sur les côtes :
                - d'Espagne, de Provence et d'Italie.
                D'autres allaient en Égypte guetter les vaisseaux qui sortaient d'Alexandrie.

                Enfin les plus hardis franchissaient le détroit de Gibraltar et croisaient à l'embouchure de la Manche, sur les côtes du Danemark ou de l'Angleterre.
                Le père Dam estime : " que les prises de ceux d'Alger depuis vingt-cinq ou trente ans, se montaient à plus de vingt millions ; leur marine, au dire du même auteur, témoin des évènements de cette époque se composait de soixante-dix bâtiments, tant polacres (navires de Méditerranée à voiles carrées) que barques de course, armés de vingt-cinq à quarante canons.
                On calcule que depuis la paix de 1628 à 1634 les Algériens ont pris à la France quatre-vingt navires dont cinquante-deux appartenaient aux ports de l'Océan.
                Leur valeur totale montait à 4.752.600 livres tournois (ancienne monnaie de compte française valant 24 deniers ou 20 sous.)
                Le nombre de captifs provenant de ces prises fut de 1.331 dont 149 se firent musulmans. A cette époque les bagnes d'Alger contenaient plus de 3.000 esclaves français !

                Pour remédier à cet état de choses si déplorable, Louis XIII chargea M. Samson Lepage, premier héraut d'armes de France, d'aller négocier un traité de paix avec la régence.
                Mais la mission de ce diplomate n'eut d'autre résultat que le rachat de quelques esclaves qui furent ramenés en France par le père Dan.
                Le roi, voyant qu'il ne pouvait parvenir à son but par la conciliation résolut d'employer la voie des armes. En conséquence une flotte partit des ports de Marseille et de Toulon sous les ordres de l'amiral de Mantis.
                Elle avait pour mission de forcer le divan à ratifier la paix depuis si longtemps convenue et à faire cesser la piraterie.
                Malheureusement les vents contraires la dispersèrent, et lorsqu'elle arriva devant Alger elle se trouvait hors d'état d'opérer la moindre attaque.
                Cette démonstration hostile eut pour résultat la ruine du Bastion, qui fut détruit, à titre de représailles, par les Algériens ; Six cents Français furent de jetés de nouveau dans les fers.

                Enfin en 1670, le traité tant désiré fut conclu et le Bastion se releva par les soins de Jean de Coquielle, gentilhomme de la chambre du roi, et de Thomas Siguer, négociant.
                Les actes de piraterie n'en continuèrent pas moins. Les bagnes d'Alger étaient toujours remplis d'esclaves français qui devenaient un objet de spéculation pour leurs patrons. Les gémissements de ces malheureux parvinrent jusqu'en France et les Pères de la Trinité redoublèrent d'efforts pour les racheter.
                Un pasteur protestant de la Rochelle, M. Maistrezat marcha sur leurs traces. Il fît des quêtes dans les temples pour retirer de l'esclavage ses coreligionnaires qui étaient abandonnées par les Pères de la Mission. Mais détournons un instant notre attention des rapports extérieurs de la régence pour examiner sa situation intérieure.

                Nous avons vu avec quel soin les fondateurs de l'odjak avaient cherché à écarter toute influence locale :
                - aucun indigène, aucun Maure,
                - pas même les fils de Turcs issus d'une femme algérienne, ne pouvaient faire partie de leurs bataillons.

                Cependant après terribles échecs de Malte et de Lépante, on s'était insensiblement relâché de cette loi d'exclusion, et on avait fini par admettre dans la milice les Maures et les Koulouglis. Ceux-ci, pour la plupart :
                - Riches, instruits, et
                - doués de plus d'intelligence que les aventuriers et les renégats envoyés de Constantinople, comme janissaires, ne tardèrent pas à s'élever aux premiers emplois de l'odjak, à envahir les postes les mieux rétribués et à exercer une grande influence sur les délibérations du Divan.


                Cette suprématie si légitimement acquise déplut aux janissaires purs, toujours habiles à saisir des prétextes d'insurrection.
                En 1626, dix-huit cents d'entre eux se réunirent pour faire revivre les anciens statuts de l'ordre et chasser de la milice tous les Maures ou Koulouglis qui occupaient un grade.
                Les conjurés prétendaient, pour justifier leur proposition que les Maures ou le Koulouglis travaillaient depuis longtemps à se rendre les souverains maîtres de l'odjak et à se soustraire à la suzeraineté du sultan.
                Ces raisons spécieuses, appuyées d'une foule d'autre moins solides encore, rallièrent la majorité des janissaires et l'exclusion des Maures et des Koulouglis fut prononcée ; on les obligea même à quitter immédiatement le territoire d'Alger.

                Les Maures et les Koulouglis, accablés par la force, subirent sans se plaindre le jugement inique qui venait d'être porté contre eux, espérant que plus tard ils pourraient le faire révoquer.
                - Les uns allèrent dans les environs d'Alger attendre des temps meilleurs,
                - les autres restèrent cachés dans la ville même.

                Ils comptaient tous, dans la milice, des parents, des amis et ils pensaient que de tels appuis finiraient par obtenir leur pardon auprès de leurs farouches ennemis.
                Quelques mois après cette expulsion, ils étaient tellement persuadés d'une prochaine réintégration qu'ils avaient abandonné leur retraite et se promenaient librement dans la ville.

                Cette conduite qui puisait sa source dans les sentiments les plus chers à l'homme, les affections de famille, fut considérée comme de l'audace, comme une rébellion contre les arrêts du Divan.
                La mort seule pouvait expier un tel forfait. Les janissaires se réunirent de nouveau, et on décida que tous les Maures et Koulouglis condamnés au bannissement et retrouvés dans Alger seraient jetés à la mer.
                Deux cents de ces malheureux, cousus dans des sacs, expièrent dans les flots leur amour pour leur famille et leur ville natale.

                Cette expédition barbare exaspéra les Koulouglis qui ne se trouvaient pas à Alger ou qui avaient pu échapper au massacre ; mais ils refoulèrent leurs sentiments au fond de leur cœur en attendant une occasion favorable pour en tirer vengeance.
                L'entreprise n'était pas facile. Réunis dans un petit village du Sahel, ils s'entretenaient sans cesse de leur malheur, et cherchaient activement les moyens de le réparer.
                Dans la ville ils comptaient beaucoup sur l'assistance des Maures, qui formaient la majorité de la population.
                Ils étaient sûrs aussi de trouver dans les rangs de l'Odjak des amis dévoués.
                Avec du courage et de l'audace ils pouvaient donc triompher.

                Depuis près de trois ans leur exil durait, et cependant aucun mouvement n'avait encore eu lieu.
                Enfin vers le milieu de l'année 1629, ils se décidèrent de mettre à exécution leurs projets.
                Ils rentrent dans Alger sous divers déguisements, bien armés,
                - ils gagnent par différentes rues la Kasbah,
                - poignardent les sentinelles qui veulent en défendre l'entrée, et
                - s'y installent au nombre de cinquante environ, faisant des signaux à leurs amis qui se trouvent dans la ville, appelant avec le canon ceux qui sont dans la campagne. Mais les Maures indécis se rendent mollement à l'appel de leurs frères.


                D'un autre côté les Koulouglis qui étaient restés aux environs d'Alger trouvent les portes de la ville fermées et partout marchent en compagnies les janissaires, qui, voyant leur existence menacée, redoublent d'ardeur pour conjurer le sort qui les menace .
                Ils se dirigent à leur tour vers la Kasbah ; cinquante hommes seulement étaient hors d'état de défendre une si vaste citadelle.
                Ils simulent sur divers points de fausses attaques, tandis qu'on brise à coups de hache la porte principale.
                On somme alors les Koulouglis de se rendre. Ceux-ci répondent à ces paroles par d'horribles imprécations et de sanglantes menaces.
                On marche contre eux, on les chasse des postes avancés ; mais bien décidés à vendre chèrement leur vie, ils se retirent tous vers la poudrière, et là, des torches à la main, ils demandent à leurs ennemis une honorable capitulation et la réintégration de leurs droits.

                Cette satisfaction si juste leur est refusée. Les janissaires sont impitoyables, et, dans leur rage aveugle, se pressent autour des malheureux Koulouglis comme pour le déchirer.
                Ceux-ci les regardent approcher avec sang-froid et lorsque toute la Kasbah est remplie de janissaires, ils mettent le feu aux poudres.
                En un instant cette immense citadelle ne fut plus qu'un monceau de ruines ; cinq cents maisons d'Alger furent renversées par l'explosion et plus de six mille personnes périrent dans cette épouvantable catastrophe.
                La conjuration des Koulouglis est, sans contredit, l'un des évènements les plus mémorables de l'histoire d'Alger ; et si elle eût réussi, si l'éviction barbare prononcée contre eux et les Maures eut été révoquée, la civilisation aurait fait à Alger des progrès bien autres que ceux qu'elle y a accomplis sous le despotisme brutal et stupide des janissaires.

                Trente ans vont encore s'écouler sans que nous n'ayons aucun évènement important à rapporter.
                De 1640 à 1658, rien de remarquable n'est accompli en Algérie. M. Sander Rang résume ainsi l'histoire de ces années. " En 1646, Hamed-Pacha vint remplacer Joussouf dont le gouvernement avait duré près de douze ans, fait bien rare dans l'histoire des pachas algériens.
                En 1652, les Hollandais firent un traité de paix et de commerce avec l'odjak, la franchise entière de leurs navires y furent stipulée, en 1655 une flotte anglaise vint à Alger et y conclut un traité, en 1657, Hamed-Pacha après un gouvernement presque aussi long que celui de Joussouf fut remplacé par Ibrahim-Pacha. " Ici finit la première période du gouvernement turc tel que l'avait établi Barberousse, c'est-à-dire l'exercice du pouvoir par les pachas et le Divan.

                En 1659, une révolution importante vint modifier dans ses bases essentielles le gouvernement d'Alger.
                Depuis longtemps le divan, prévoyant la possibilité de circonstances difficiles avait formé un trésor à la Kasbah. Ce trésor était sous sa propre responsabilité et le pacha ne pouvait y puiser sans l'autorisation de ce conseil.
                Mais les chefs ne tardèrent pas à profiter du prestige de leur titre et de l'appui de Constantinople, pour envahir tous les pouvoirs et amasser de grandes richesses au détriment de l'odjak.
                Cette domination oppressive et absolue était devenue odieuse non seulement aux Arabes mais à la milice qui ne manquait pas de manifester son mécontentement chaque fois que le paiement de sa solde éprouvait quelque retard. Alors elle entrait en révolte, emprisonnait le pacha, souvent même l'égorgeait.

                Enfin, en 1659 le divan fut sommé de réduire l'autorité de ces chefs despotes et prévaricateurs.
                Le pacha était alors en prison, un boulouk-bachi, nommé Calil, chef du parti réformateur, provoqua et obtint du Divan, cette décision que le père Barreau rapporte en ces termes : " Au mois de juin, le divan continuant toujours dans les bonnes dispositions qu'il a prises de maintenir la correspondance avec les pays étrangers, et particulièrement avec Marseille, s'était fait informer tant de ses propres sujets que marchands chrétiens et autres, des raisons pourquoi son port semblait abandonné aussi bien que le pays de sa domination, et lui ayant été représenté que la trop grande autorité qu'il a laissé prendre insensiblement aux pachas qui viennent de la Porte du grand seigneur lui donnait occasion de faire beaucoup d'extorsions et avanies.

                C'est pourquoi il se serait résolu, pour le bien et avantage de tous d'abolir entièrement cette autorité démesurée qu'il s'était imposée et, pour cet effet, aurait interdit et défendu à celui qui est de présent en charge de ne pas se mêler de quoi que ce soit.

                A la suite de cette résolution, une députation fut envoyée au sultan pour lui exposer que la conduite des pachas compromettait non seulement le maintien de l'odjak dans sa composition primitive, mais menaçait même l'existence de la domination turque dans la régence.
                Ahmed 1er, qui régnait alors, admit, peut-être parce qu'il ne pouvait mieux faire, la validité de ces raisons, et consentit à ce qu'il fut créé à côté du pacha, délégué de la Porte, un second chef de la régence qui prit le titre de manzoul-aga.
                L'aga représentait spécialement les intérêts de la milice.
                C'était lui qui était chargé :
                - de la levée des tributs,
                - de l'administration des finances et
                - du paiement des troupes.


                Le pacha continua d'ailleurs à garder ses titres honorifiques.
                On lui assura un traitement de 500 piastres par lune et l'approvisionnement de sa maison resta à la charge de l'odjak.
                Mais son intervention dans le gouvernement dût se borner à une sorte de contrôle. Sa présence dans le Divan ne fut plus requise que dans les grandes occasions, et il n'y parut guère que pour sanctionner des mesures auxquelles il restait presque complètement étranger.

                La milice, ayant ainsi absorbée tout le pouvoir exécutif, se montra plus hautaine et plus indisciplinée qu'auparavant.
                Il n'y avait pas un an que Calil s'était placé à la tête du gouvernement que déjà il tombait sous les coups de ses propres partisans.
                Baba-Ramadan, qui lui succéda et qui avait été l'un des plus ardents promoteurs de la réforme fut massacré peu de temps après en plein divan par ses ministres. Ramadan était un homme très capable.
                Il avait organisé les diverses branches de l'administration et conclut un traité de paix avec Charles II, roi d'Angleterre ; mais son mérite ne le préserva pas du yatagan de ses ennemis.

                Au milieu de tous ces conflits, la piraterie continuait plus active que jamais.
                Les corsaires d'Alger se prirent à attaquer tous les pavillons, à croiser sur toutes les côtes. On ne répondit à ces hostilités que par des expéditions insignifiantes.
                Le commandeur Paul, envoyé à leur poursuite avec quinze vaisseaux, fit quelques prises, et rentra s'en s'être montré devant Alger.
                Les chevaliers d'Hocquincourt et de Tourville les inquiétèrent aussi.
                Les Hollandais firent contre eux de nouveaux armements.
                Mais l'amiral Ruyter, qui les commandait, une fois devant Alger se borna à demander une trêve de neuf mois et autorisa la visite des navires de sa nation.
                Les États de Hollande, mécontents de cette clause, renvoyèrent Ruyter pour obtenir de nouvelles conditions.
                Sa nouvelle mission n'eut d'autre résultat que le rachat de quelques esclaves. A cette époque si déplorable pour les nations maritimes de l'Europe, le consul, anglais était retenu dans les bagnes et travaillait à la charrue !

                Tant d'audace de la part des corsaires algériens méritait une énergique répression ; mais les guerres dans lesquelles les puissances européennes étaient engagées entre elles, et peut-être aussi le souvenir toujours présent et la dernière et fatale expédition de Charles Quint, avait depuis un siècle empêché toute tentative sérieuse.
                C'était à la France qu'il appartenait de nouveau la voie qu'elle devait si glorieusement fermer en 1830.
                En effet, Louis XIV ordonna un armement considérable contre les Algériens ; et le duc de Beaufort, qui le commandait, les fit repentir en plus d'une rencontre de leur audace.

                Encouragés par ce premier succès, le cabinet de Versailles résolut l'année suivante d'occuper d'une manière permanente un point de littoral d'où l'on pût :
- tenir constamment en respect les Barbaresques,
                - surveiller les côtes et
                - prévenir toute agression.

                Après avoir hésité quelque temps entre Bône et Gigelly on se décida pour ce dernier point et le duc de Beaufort fut encore chargé de diriger cette entreprise.
                Elle réussit au-delà de toutes les espérances ; le duc, à la tête d'un corps de 5.200 hommes, s'empara de Gigelly le 23 juin 1664 et s'y établit.

                Mais bientôt la division qui éclata entre les chefs de l'armée, la faiblesse des ressources qui avaient été mises à leur disposition, enfin la négligence que l'on apporta à fortifier la place et à y réunir tout ce qui était nécessaire à l'entretien des troupes obligea la France à renoncer à cette conquête.

                Cet échec ne fit qu'accroître l'audace des Algériens. Leurs corsaires se mirent à poursuivre nos navires avec un tel acharnement que le duc de Beaufort se vit obligé de reprendre la mer pour les châtier de nouveau.
                Le 24 juin 1665, il atteignit l'escadre algérienne en vue du fort de la Goulette.
                - Il l'accula dans la baie,
                - s'empara des trois plus grands vaisseaux et
                - incendia les autres.

                Ali, homme d'esprit et d'un mérite singulier, au dire de M. le chevalier d'Arrieux, était alors aga ; il se hâta de conclure un traité de paix avec la France et le fit observer avec la plus rigide exactitude (1666).

                Ali fut le dernier aga ; comme ses prédécesseurs, il fut :
                - assassiné et sa tête,
                - exposée sur la place publique,
                - devint le jouet des enfants et de la populace.

                Sa femme, chose inouïe dans les révolutions turques eut à subir les tourments les plus atroces, pour la forcer à déclarer le lieu qui recelait, disait-on, les trésors de son mari.
                De la mort d'Ali date une modification nouvelle dans le gouvernement de l'odjak.

                La milice fatiguée des agas, supprima le titre et non la fonction.
                A l'exemple des Tunisiens, les janissaires d'Alger donnèrent à leur nouveau chef ; le titre de Dey (patron et selon quelques écrivains généralissime de la milice), et lui laissèrent toutes les attributions de l'aga.
                Ce fut un vieux raïs, ennemi des Français nommé Hadj- Mohamet-Trick qui fut leur premier dey ; il partagea l'autorité avec son gendre Baba-Hassan qu'il avait choisi pour son lieutenant et qui avait eu l'adresse de se faire aimer des soldats.

                Sous le gouvernement de Mohamed Trick et de Baba-Hassan, plusieurs puissances entamèrent des négociations avec la Régence ; la plupart n'eurent aucun résultat.
                Il y avait dix ans que le vieux Trick gouvernait et la crainte de subir le même sort que ceux qui l'avaient précédé le porta à s'enfuir secrètement d'Alger et de se réfugier à Tripoli. Baba-Hassan fut élu à sa place.

                Ce nouveau dey fit aussitôt exécuter des armements considérables ; puis ayant fait venir le consul de France et lui montrant l'escadre qui était prête à appareiller : " La paix avec ton pays est rompue, malheur à ton maître ! lui dit-il, dans quelque jour ces vaisseaux auront anéanti sa marine et son commerce. "
                Cette insolente provocation décida l'expédition de Duquesne.

                L'Angleterre se hâta de profiter de cet état de guerre entre la France et la régence d'Alger pour obtenir un traité que le père Levacher qualifie de honteux.
                En effet l'amiral Herbert se désista de toute prétention sur trois cent cinquante bâtiments de commerce que les Algériens avaient pris aux Anglais.
                Il rendit les Turcs qui étaient sur sa flotte, sans réclamer ses compatriotes enfermés dans les bagnes d'Alger ; enfin il livra une quantité considérable de matériel de guerre (1682).

Histoire de l'Algérie ancienne et moderne depuis les premiers établissements carthaginois par Léon Galibert, Directeur de la revue britannique. Édition 1843



MARIAGE A LA MAIRIE
Envoyé par Mme Eliane

         J’ai été invité à la mairie pour un mariage
         Le maire a annoncé:
         « S’il y a ici, présente, une personne qui s’oppose à ce mariage, qu’elle se manifeste maintenant ou se taise à jamais ! »

         Alors du fond de la salle, une jeune femme enceinte s’est levée et s’est avancée dans l’allée avec un enfant de 3 ans à la main.
         On s'est tous retournés.

         Le marié s'est mis à transpirer et la mariée s’est évanouie.
         Toute l'assistance retenait son souffle.
         La tension était maximum !
         À trois mètres du maire, elle a dit :

         - Quand on est au fond, on n’entend pas bien ! »




Domination turque IV
Envoi de M. Christian Graille

Deuxième époque (1541-1830)

               Louis XIV était à ce moment à l'apogée de sa gloire ; il venait, après des guerres brillantes de conclure le fameux traité de Nimègue ; il avait une armée nombreuse et aguerrie, et ses flottes, commandées par :
               - D'Estrée, Martel, Vivonne, Duquesne, Tourville s'étaient couvertes de gloire dans plusieurs rencontres avec l'ennemi.

               Il ne pouvait donc ajourner le châtiment qu'avaient encouru les Algériens.
               L'expédition dont le brave Duquesne fut chargé se composait :
               - de onze vaisseaux de guerre,
               - de quinze galères,
               - de cinq galiotes à bombes, (petits bateaux à voiles utilisés pour le transport)
               - de deux brûlots (petit bâtiment bourré de matières inflammables utilisés pour incendier les vaisseaux adverses) et
               - de quelques tartanes (petits bateaux à voiles triangulaires pour le cabotage et la pêche).


               C'était la première fois qu'on allait se servir de mortiers à bombes sur mer.

               La proposition en avait été faite par un jeune navarrais nommé Renaud d'Eliçagarray. " On n'avait pas d'idée, dit Voltaire, que des mortiers pussent n'être pas posés sur un terrain solide ".
               Sa proposition révolta. Renaud essuya les contradictions et les railleries que tout inventeur doit attendre. Mais sa fermeté et son éloquence déterminèrent le roi à permettre l'essai de cette nouveauté.
               Les galiotes proposées par Renaud étaient des bâtiments de la force des vaisseaux de cinquante canons mais ils avaient un fond plat et étaient très garnis de bois pour résister à la réaction de la bombe.
               Chacune de ces galiotes étaient armées :
               - de deux mortiers placés en avant du grand mât, et
               - de huit pièces de canon placées à l'arrière du bâtiment ; quatre de chaque bord. Dans le combat elles présentaient la pointe à l'ennemi de manière à offrir une moindre surface à ses coups. Les mortiers de douze à quinze pouces (équivalent à 2,54 centimètres) étaient établis sur une plate-forme de bois supportée par des couches de madriers et de câbles.


               La flotte parut devant Alger vers la fin d'août 1682 mais la grosse mer empêcha l'attaque pendant quelques jours ; il fallut attendre le calme pour que les vaisseaux pussent prendre leur poste de combat.
               Le feu s'ouvrit alors ; mal dirigé d'abord, il fit peu de mal à l'ennemi. Un mortier chargé d'une bombe laissa même tomber son projectile enflammé dans l'intérieur du navire d'où il venait d'être lancé.

               Duquesne ordonna aux galiotes de se rapprocher de la ville, et le tir recommença avec plus de justesse et de vivacité que la première fois.
               Cette attaque dura pendant toute la nuit et causa des dégâts considérables à Alger et dans le port.

               Le jour suivant, le mauvais temps força l'amiral français à rompre ses lignes.
               Mais le 3 septembre, il y eut un nouveau bombardement plus terrible que les précédents.
               Le lendemain, on vit le père Levacher, vicaire apostolique qui remplissait à Alger les fonctions de consul de France, s'approcher du vaisseau amiral pour faire des propositions de paix.
               Duquesne ne voulut pas le recevoir : " Si les Algériens, lui dit-il, désirent la paix, ils n'ont qu'à venir à bord eux-mêmes pour la demander. "
               Et le bombardement fut repris avec une nouvelle vigueur.
               Le 5, des envoyés du dey se présentèrent.
               L'amiral exigea qu'au préalable tous les esclaves français seraient rendus, condition qui ne fut pas acceptée.

               Mais le mauvais temps s'étant déclaré et la saison étant fort avancée, Duquesne quitta Alger le 12 septembre pour rentrer dans le port de Toulon.

               Cette expédition dont le succès était loin d'être complet, eut néanmoins un grand retentissement en Europe, tant à cause de l'innovation des mortiers employés à bord des galiotes qu'à cause des désastres essuyés par les Algériens ; car leur ville était pour ainsi dire entièrement détruite.
               Cependant leur audace ne les abandonnait point encore ; ils se vantaient d'être assez riches pour en rebâtir une nouvelle.
               Louis XIV résolut donc de renouveler l'attaque au printemps de l'année suivante. L'hiver fut employé à radouber les vaisseaux, à perfectionner les galiotes.

               La nouvelle expédition prit la mer vers la fin de juin 1683.
               A son arrivée devant Alger, elle rallia cinq vaisseaux français commandés par le marquis d'Amfreville.

               Le 28 juin, les galiotes s'étant embossées devant Alger commencèrent le bombardement et jetèrent un grand nombre de projectiles dans la ville.
               La consternation des Algériens fut si grande que le divan envoya le père Levacher pour solliciter la paix.
               Celui-ci que l'amiral avait refusé de recevoir à son bord l'année précédente était cette fois accompagné d'un Turc et d'un interprète.
               Duquesne demanda, avant d'entamer aucune négociation, que tous les esclaves français et étrangers pris à bord des bâtiments français lui fussent livrés, menaçant de recommencer le bombardement si cette condition préliminaire n'était pas acceptée.

               Le Divan auquel l'envoyé turc transmit la demande à l'amiral, s'empressa d'y faire droit et, dans la matinée du jour suivant, une partie des esclaves français qui étaient à Alger furent rendus.
               Duquesne demanda ensuite que Mezzomorte, amiral de la flotte algérienne, et Ali, raïs de la marine, lui fussent remis comme otages.
               Sa demande fut également accordée avec autant plus d'empressement que le Dey était jaloux de l'influence de Mezzomorte.

               La condition la plus rigoureuse pour les Algériens était le paiement de l'indemnité de 1.500.000 francs que Duquesne réclamait, indemnité des prises faites sur ses compatriotes.
               Baba-Hassan déclara à l'amiral français qu'il lui serait impossible de remplir cette dernière condition.

               Mais Mezzomorte qui voulait à tout prix sortir de la position où il se trouvait, l'engagea à le laisser aller à terre en lui disant : " Dans une heure j'en ferai plus que Baba-Hassan en quinze jours. "
               Duquesne ne comprenant pas le double sens de ces paroles, lui accorda la faveur qu'il demandait.
               Au moment où il quittait le vaisseau français, il toucha la main de l'amiral, lui promettant bientôt de ses nouvelles.
               En effet, dès qu'il fut à terre, Mezzomorte se rendit auprès du dey et le fit poignardé par quatre de ses affidés :
               - Il endossa son caftan et
               - fit annoncer son élection au peuple,
               - ordonna d'arborer des drapeaux rouges sur tous les forts et
               - de tirer le canon de toutes les batteries contre la flotte ennemie.

               Puis il envoya un officier français M. Hayet à l'amiral avec recommandation de lui dire que, s'il lançait encore des bombes, il ferait mettre les chrétiens à la bouche des canons.

               Les négociations étant rompues, le bombardement recommença.
               Mais les nouveaux ravages que faisaient les galiotes exaspérèrent à tel point la milice et le peuple qu'un Anglais, fort influent en profita pour provoquer les sanglantes exécutions dont Mezzomorte avait menacé l'amiral.
               Les domestiques du père Levacher ayant mis du linge à sécher sur la terrasse de la maison consulaire, l'Anglais fit accroire au peuple que c'étaient des signaux qu'on faisait à la flotte.
               Les portes du consulat furent aussitôt enfoncées. On pilla tout ce qui s'y trouvait.
               Le consul était perclus de ses membres depuis qu'il avait eu la peste à Tunis, les forcenés le portèrent sur sa chaise et dit un ouvrage du temps, ils conduisirent cette innocente victime à la mort qu'ils voulaient lui faire souffrir sans aucune formalité, car l'ayant mené sur le môle, le dos tourné à la mer, ils chargèrent un canon de poudre et après avoir mis le serviteur de Dieu à la bouche, toujours assis sur sa chaise, ils lui firent mille indignités et ayant fait mettre le feu au canon, ils sacrifièrent ce saint homme à leur rage et à leur désespoir.

               Le canon creva, mais il avait eu tout l'effet que ces misérables en avaient attendu car il consuma la plus grande partie de cette victime ; le reste de son corps et de ses habits furent ramassés par des chrétiens qui les conservèrent comme de précieuses reliques.
               Il y eut même des Turcs qui en voulurent avoir pour se ressouvenir d'un homme dont les vertus et la rare prudence les avaient charmé pendant sa vie.

               Ce meurtre fut suivi de vingt-deux autres chrétiens qui périrent de la même manière. Il y avait parmi les prisonniers français que l'on conduisait au lieu du supplice, un jeune homme appelé Choiseul, plein de calme et de résignation.
               Dans des temps plus heureux, il avait fait prisonnier un raïs algérien et l'avait traité avec beaucoup d'égards.
               Celui-ci, redevenu libre, conserva le souvenir de ces bons traitements et au moment où Choiseul fut mis à la bouche d'un canon, il le reconnut.
               Aussitôt il s'élança pour embrasser le malheureux Français, déclarant qu'il mourrait avec lui si on ne lui faisait pas grâce.

               Cet acte de fraternel dévouement aurait dû les sauver tous les deux. Mais la férocité des Algériens était tellement excitée par le carnage qu'ils n'écoutèrent même pas les prières de leurs compatriotes et au lieu d'une victime, le même coup de canon en fit deux.

               Tel était l'état des choses lorsque les bombes vinrent à manquer. Une soixantaine de maisons et quelques mosquées avaient été renversées. Les rues étaient pleines de décombres, quatre cents personnes avaient péri et trois gros corsaires avaient été coulés dans le port. Mais les Algériens résistaient encore, et ne faisaient pas de propositions.
               M. de Seignely envoya M. Dussault auprès du dey pour sonder ses dispositions. Celui-ci déclara que l'amiral Duquesne n'ayant pas traité après la remise des esclaves, il s'ensevelirait sous les ruines d'Alger plutôt que d'entamer de nouvelles négociations avec lui. Après une telle réponse, l'escadre française, se trouvant hors d'état d'agir, partit et rentra à Toulon le 25 octobre, ramenant un grand nombre de captifs.

               L'année suivante M. Dussault fut envoyé à Alger pour prendre des arrangements avec Mezzomorte ; celui-ci était alors en butte à diverses conspirations et avait été grièvement blessé à la figure dans une émeute provoquée par les agents du bey de Tunis.
               Il était tellement disposé à faire la paix qu'il déclara à M. Dussault que si le roi la voulait une fois, lui la voulait dix. Mais le divan entravait les négociations.
               Enfin le 1er avril, M. de Tourville arrive devant Alger avec une nombreuse escadre pour presser la conclusion du traité.
               Après vingt-trois jours de négociations, on s'entendit sur les conditions, et la paix fut signée le 25 avril 1684 au grand dépit des Anglais et des Hollandais qui avaient mis en jeu toutes sortes d'intrigues pour entraver la négociation. Les esclaves furent rendus de part et d'autre, et le dey envoya un ambassadeur à Paris.

               Ce traité portait en substance que le commerce international des deux pays serait fait librement et sans obstacles :
               - que tous les esclaves français retenus et Algérie seraient rendus,
               - que tous les bâtiments naviguant sous pavillons français seraient respectés par les navires algériens, qui, de leur côté, seraient respectés par les vaisseaux du roi de France,
               - que les navires français venant chercher refuge contre l'ennemi dans les ports d'Alger seraient défendus par les Algériens eux-mêmes,
               - que tous les Français pris par les ennemis de la France et conduits à Alger seraient remis en liberté,
               - que si quelque navire se perdait sur les côtes, il serait secouru par les Algériens comme leurs propres navires,
               - que le consul français établi à Alger aurait dans sa maison le libre exercice du culte chrétien, tant pour lui que pour ses coreligionnaires,
               - que les différends survenus entre un Français et un Turc ne serait pas porté devant les juges ordinaires mais devant le divan, enfin
               - qu'un navire de guerre français venant mouiller à Alger, le Dey, sur l'avis du consul français, ferait faire le salut d'usage etc., etc.


               Mais les corsaires algériens ne purent rester longtemps dans l'inaction.

               Quelques mois après la signature de ce traité, ils couraient déjà sur les navires anglais, et dès 1686, ils capturaient sans le moindre scrupule les bâtiments français. Vers la fin de cette année, leurs expéditions devinrent si nombreuses et les pertes de notre commerce si considérables que le ministre de la marine fut obligé d'ordonner une chasse à outrance contre tout corsaire algérien qui serait rencontré dans la Méditerranée ; et une prime considérable fut accordée pour chaque capture.
               Le pacha qui gouvernait alors l'odjak en l'absence du dey fit piller, à titre de représailles, la maison consulaire de France, et M. Piolle, consul, fut jeté dans les bagnes. Le pacha se préparait sérieusement à la guerre.
               Il fit commencer la construction d'un fort au cap Matifou, mais, afin de gagner du temps, il écrivait à M. de Vauvré, intendant de la marine à Toulon, pour faire des ouvertures de paix. La France ne fut pas dupe du stratagème.
               Lorsque ses lettres arrivèrent, une escadre allait mettre à la voile, sous le commandement du maréchal d'Estrées, et rien n'en suspendit le départ.

               L'escadre mouilla devant Alger à la fin du mois de juin 1688. Le maréchal adressa aussitôt au pacha la déclaration suivante :
               " Le maréchal Destrées,
               - vice-amiral de France,
               - vice-roi d'Amérique,
               - commandant l'armée navale de l'empereur de France,
               - déclare aux puissances et milices du royaume d'Alger que si, dans le cours de cette guerre on exerce les mêmes cruautés qui ont été ci-devant pratiquées contre les sujets de l'empereur, son maître, il en usera de même avec ceux d'Alger, à commencer par les plus considérables qu'il a entre les mains, et qu'il a eu ordre d'amener pour cet effet avec lui. Ce 29 juin 1688 ".


               Il parait que l'emploi des bombes avait singulièrement frappé les Algériens car Mezzomorte répondit sur le revers de cet écrit : " Vous dites que si nous mettons les chrétiens à la bouche du canon vous mettrez les nôtres à la bombe ; et bien si vous tirez des bombes, nous mettrons le roi des vôtres au canon ; et si vous me dites : Qui est le roi ? C'est le consul.

               Ce n'est pas parce que nous avons la guerre, c'est parce que vous tirez des bombes. Si vous êtes assez forts, venez à terre ou tirer le canon avec les vaisseaux. "

               Pendant quinze jours, le feu des galiotes ne discontinua pas et fit des ravages affreux dans Alger. Dix mille bombes furent lancées ; elles avaient :
               - renversé un grand nombre de maisons,
               - tué beaucoup d'habitants,
               - coulé cinq gros corsaires,
               - démantelé la plupart des batteries et
               - rasé la tour du fanal.

               Mezzomorte fut lui-même atteint d'un éclat de bombe à la tête.

               Ces ravages au lieu de faire fléchir les Algériens, amenèrent de nouveaux actes de cruauté. Le père Montmasson, vicaire apostolique, ancien curé de Versailles, fut leur première victime.
               Puis on immola successivement à la bouche des canons :
               - le consul Piolle,
               - un religieux,
               - sept capitaines et
               - trente matelots.

               En apprenant ces scènes de carnages, le maréchal d'Estrées ne put contenir son indignation et fit égorger dix-sept des principaux Turcs qu'il avait à bord ; leurs cadavres furent ensuite placés sur un radeau que l'on poussa vers le port. Puis il rentra à Toulon avec son escadre.

               Cependant ces actes de cruauté étaient loin d'amener la paix et la sérénité que réclamait si vivement notre commerce maritime.
               Le gouvernement français le sentait bien ; aussi, l'année suivante, se prévalant des lettres écrites à l'intendant de la marine de Toulon, fit-il de nouvelles tentatives qui eurent un plein succès.
               Un traité de paix fut conclu et Mohammed-El-Emin-Cogea se rendit à Paris en qualité d'ambassadeur du dey avec la mission de demander au roi la ratification de ce traité.

               Il fut présenté à Louis XIV le 26 juillet 1690, et lui adressa le discours suivant, que nous reproduisons comme l'un des monuments les plus curieux des rapports diplomatiques de la France avec l'Odjak : " Très puissant, très majestueux et très redoutable empereur, Dieu veuille conserver Votre Majesté avec les princes de son sang, et augmenter de un à mille les jours de votre règne.
               Je suis envoyé, ô très magnifique empereur, toujours victorieux, de la part des seigneurs du Divan d'Alger et du très illustre dey, pour me prosterner devant le trône impérial de Votre Majesté, et pour lui témoigner l'extrême joie qu'ils ont ressentie de ce qu'elle a eu la bonté d'agréer la publication de la paix qui vient d'être conclue entre ses sujets et ceux du royaume d'Alger.

               Les généraux et les capitaines, tant de terre que de mer, m'ont choisi, Sire, d'un commun consentement nonobstant mon insuffisance pour avoir l'honneur d'entendre de la bouche sacrée de Votre Majesté la ratification de cette paix , étant persuadé que c'est de cette parole royale que dépend son éclat et sa durée, qui sera, s'il plaît à Dieu, éternelle.
               Ils m'ont ordonné d'assurer Votre Majesté de leur très profond respect et de lui dire qu'il n'y a rien au monde qu'ils ne fassent pour tâcher de se rendre dignes de sa bienveillance. Ils prient Dieu qu'il lui donne la victoire sur les ennemis de toutes sortes de nations qui se sont liguées contre elle, et qui seront confondues par la vertu des miracles de Jésus et de Marie, pour le droit desquels nous savons que vous combattez.

               Je prendrai la liberté, Sire, de dire à Votre Majesté qu'ayant eu l'honneur de servir longtemps à la Porte ottomane, à la vue de l'empereur des musulmans, il ne me restait pour remplir mes désirs que de saluer un monarque qui, non seulement par sa valeur héroïque, mais encore par sa prudence consommée, s'est rendu :
               - le plus grand et le plus puissant prince de toute la chrétienté,
               - l'Alexandre et le Salomon de son siècle et enfin l'admiration de tout l'univers.


               C'est donc pour m'acquitter de cette commission, qu'après avoir demandé pardon à Votre Majesté, avec les larmes aux yeux et avec une entière soumission, au nom de notre supérieur et de toute notre milice, à cause des excès commis pendant la dernière guerre, et l'avoir priée de les honorer de sa première bonté, j'ose lever les yeux en haut et lui présenter la lettre des chefs de notre divan, en y joignant leurs très humbles requêtes, dont je suis chargé.
               Et comme ils espèrent qu'elle voudra bien leur accorder leurs prières, il n'y a point de doute qu'ils ne fassent éclater dans les climats le plus éloignés de la gloire, la grandeur et la générosité de Votre Majesté, afin que les soldats et les peuples, pénétrés de son incomparable puissance, soient fermes et constants à observer jusqu'à la fin des siècles les conditions de la paix qu'elle leur a donnée.

               Je ne manquerai pas aussi, si Votre Majesté me le permet, de rendre compte par une lettre à l'empereur ottoman, mon maître, dont j'ai l'honneur d'être connu, des victoires que j'ai appris avoir été remportées par vos armées de terre et de mer surtout vos ennemis, et de prier Dieu qu'il continue vos triomphes. Au reste toute notre espérance dépends des ordres favorables de Votre Majesté. "


               Voici la réponse tant soit peu hautaine que fit Louis XIV à ce message : " Je reçois agréablement les assurances qu'il me donne des bonnes intentions de ses maîtres. Je suis bien aise d'entendre ce qu'il vient de me dire, et je confirme le traité de paix qui leur a été accordé en mon nom.
               J'oublie ce qui s'est passé ; et pourvu qu'ils se comportent de la manière qu'ils doivent, ils peuvent être assurés que l'amitié et la bonne intelligence augmenteront de plus en plus et qu'ils en verront les fruits."


               Après la signature de ce traité, Mezzomorte, fatigué de ses fonctions et n'osant pas les résigner en public, quitta furtivement la régence. Chaaban fut élu dey à sa place (1689).
               Ce nouveau chef de l'odjak s'empressa d'écrire au gouvernement français pour l'assurer de ses bonnes dispositions en faveur de la paix.

               A cette époque de troubles et d'agitation en Europe, la France chercha un point d'appui à Alger elle voulait que le dey déclara la guerre à la Hollande et à l'Angleterre ; mais le consul anglais se montra si habile et répandit l'or avec tant d'à propos que M.de Seignely ne put obtenir du Divan qu'une rupture avec la Hollande et l'assurance que ses corsaires captureraient tous les navires anglais que ne seraient pas munis d'un passeport de Jacques II.
               La coopération de l'odjak n'alla pas plus loin. Il est vrai qu'en ce moment on méditait à Alger de grandes expéditions pour tendre les limites de la régence.

               Ce fut au roi du Maroc, qui venait parfois ravager son territoire, que le nouveau dey Chaaban déclara la guerre : il se porta à cet effet sur la frontière de l'Ouest avec 10.000 janissaires et 3.000 spahis.
               Les Algériens y rencontrèrent l'armée ennemie qui était forte de 14.000 fantassins et 800 chevaux. Malgré l'infériorité de leur nombre, ils attaquèrent vigoureusement les Marocains et leur tuèrent 5.000 hommes. Les Algériens n'en perdirent qu'une centaine.
               Aussitôt après, Chaaban se porta sur Fez que protégeait une armée de 24.000 fantassins et 20.000 chevaux. Le roi du Maroc Ismaël la commandait en personne ; il n'osa pas cependant engager le combat.
               La victoire inespérée que venaient d'obtenir les Algériens avait répandu la terreur parmi ses soldats, et malgré leur supériorité numérique ils l'obligèrent à faire des propositions de paix.

               Les deux chefs se retirèrent sous une tente élevée entre les deux camps, et la paix fut signée. Ismaël se présenta à la conférence les mains liées en signe de soumission et baisant trois fois la terre il en appela à la protection du grand seigneur.
               Puis il dit au dey : " Tu es le couteau et moi la chair que tu peux couper. "
               Chaaban ne fit pas hacher en morceaux le roi du Maroc mais il lui imposa de si dures conditions qu'il fut hors d'état de les tenir.

               Après une si heureuse expédition, Chabaan dirigea ses forces contre Tunis (1694) dont il finit par s'emparer après plusieurs assauts.
               Il imposa les habitants à une forte rançon, leur laissa pour gouverneur Hamed-Ben Chouquer, un de ses favoris, et revint à Alger avec de riches dépouilles.
               Mais à peine eut-il quitté Tunis que les habitants chassèrent Ahmed-Ben-Chouquer. De son côté la milice de l'odjak s'opposa à ce que le favori de Chaaban se réfugiât à Alger et menaça même de se soulever si le dey voulait encore faire la guerre aux Tunisiens Chaaban, ne tenant pas compte de ces dispositions, voulut entreprendre une seconde campagne.
               Aussitôt le camp du Levant se révolta et marcha sur Alger. Le dey envoya au-devant de ces révoltés,
               - le pacha, le cadi, et le muphti qui ne purent les calmer.
               Alors Chaaban fit ouvrir le trésor de la Casbah et distribua beaucoup d'argent aux miliciens qui se trouvaient dans la ville afin d'exciter leur zèle.
               Mais il fut saisi, jeté en prison, et étranglé trois jours après.
               On dit qu'il refusa de déclarer le lieu où étaient enfermés ses trésors et qu'il supporta avec un courage extraordinaire les tortures cruelles auxquelles on le soumit pour lui arracher cet aveu.

               Cette révolte amena encore de nouveaux changements dans le gouvernement de l'odjak.
               Pour remplacer Chaaban la milice choisit Hadj-Ahmed, vieillard maladif, d'un caractère doux, que l'on venait de trouver assis à sa porte raccommodant ses babouches.
               Il fut convenu que le Divan donnerait connaissance de ses décisions au dey et :
               - que celui-ci n'aurait d'autre charge que de les faire exécuter,
               - qu'il ne sortirait pas de son palais et
               - n'y donnerait aucune audience sur les affaires du gouvernement.

               Le Divan devait s'assembler régulièrement deux fois par semaine à la Kasbah.

               Le vieil Hadj-Hamet, à qui, on avait conféré sa dignité qu'en attendant un choix plus convenable, promit tout ce que l'on voulut.

               Mais une fois installé il parvint à ressaisir une partie du pouvoir que les janissaires avaient enlevée à ses attributions et mourut paisiblement en 1698. Hassan-Chaoux le remplaça.
               Le nouveau Dey était un homme de beaucoup de sens et d'une grande activité.
               Il s'empressa de ratifier le traité de 1690 avec la France et fit comprendre au Divan que le maintien de bons rapports avec cette puissance était nécessaire à la prospérité de l'odjak.
               Il renouvela la paix avec l'Angleterre et fit présent de quelques bêtes fauves pour la Tour de Londres à l'amiral Almers qui s'était montré devant Alger avec huit vaisseaux.
               Quant aux États secondaires de la chrétienté, leur marine ne fut pas plus respectée que par le passé.

               Le Bey de Tunis profita de la sollicitude qu'apportait le nouveau Dey au règlement de ses affaires intérieures pour l'attaquer à l'improviste. Il égorgea la garnison d'un fort et mit le siège devant Constantine ; Mourad se vantait d'être bientôt maître d'Alger et désigna même le Dey qui gouvernerait cette régence sous sa suzeraineté cette nouvelle la milice murmura ; Hassan-Chiaoux, effrayé de l'effervescence qui se manifestait se retira dans la Kasbah et déclara qu'il résignait le pouvoir.
               Le Divan élut aussitôt Hadj-Moustapha, et, choses extraordinaires dans les annales algériennes, Hassan put se retirer librement à Tripoli ; on mit une barque à sa disposition et son départ fut salué par le canon de la ville et des forts. La milice se porta en toute hâte contre Mourad.
               Les Turcs mirent leurs bonnets entre leurs dents, en signe de rage, et se précipitèrent avec une telle impétuosité contre les troupes tunisiennes que la déroute de celles-ci fut bientôt complète. 2.000 prisonniers furent égorgés.

               Dès que les troupes furent rentrées à Alger, le Dey se mis à leur tête et les conduisit contre le roi du Maroc, qui ne pouvait payer le tribut qui lui avait été imposé en 1694, s'était allié avec le Bey de Tunis pour envahir chacun de leur côté le Régence d'Alger.
               Moustapha, sûr de la victoire, s'avançait avec assurance contre un ennemi qu'il avait déjà battu, n'ayant que 6.000 fantassins et 1.000 spahis, lorsqu'il se trouva en face d'Ismaël qui comptait 50.000 combattants, la plupart à cheval.
               Mais telle était la terreur que les Turcs inspiraient aux Arabes indisciplinés, que cette poignée d'Algériens défie en quatre heures une armée huit fois plus forte, ne perdant que dix hommes et enlevant 3.000 têtes et 5.000 chevaux à l'ennemi.
               Le cheval d'Ismaël resté au pouvoir des Turcs, fut offert à Louis XIV.
               Malheureusement la joie de ce triomphe fut de courte durée ; la peste de 1701, d'après le rapport du consul de France, vint enlever 45.000 habitants à Alger.

               En 1702 le dey, pour terminer les luttes qui existaient entre lui et ses voisins, conclut un traité de paix avec le bey de Tunis, Ibrahim-Chérif qui avait succédé à Mourat, mort assassiné avec toute sa famille.
               Hadj résolut alors de se porter contre les Espagnols et de s'emparer d'Oran ; mais il en fut détourné par le consul de France, qui lui dit qu'Oran entre les mains des Espagnols lui étaient plus utiles qu'entre les siennes propres, " c'est, lui dit-il, une source abondante par où l'argent entre dans votre pays ; gardez-vous de la détruire. " Hadj se rendit à ce conseil.

               L'année suivante, l'amiral Bing fut envoyé à Alger par la reine Anne avec de riches présents. L'Angleterre voulait un traité spécial qui la mît sur le même pied que la France dans ses relations commerciales avec la régence ; elle l'obtint du Divan, en prodiguant l'or à tous ses membres ; l'or était, à cette époque, tout puissant à Alger car les caisses étaient vides.
               Ce fut même cette pénurie du trésor qui décida l'odjak à entreprendre une nouvelle guerre contre Tunis, malgré le traité qui venait d'être ratifié.

               Le grand seigneur avait détaché l'île de Zerbi du pachalik de Tunis, et avait confié l'exécution de ses ordres au dey d'Alger et au bey de Tripoli.
               Moustapha se porta sur la frontière de l'Est, battit Ibrahim-Chérif à une journée de Keff et le fit prisonnier.
               Les habitants de Tunis qui n'avaient pas oublié le dernier sac de la ville offrirent 150.000 piastres pour obtenir la paix, et firent observer au dey qu'il avait atteint son but en déposant le bey ; mais Moustapha voulait surtout entrer dans la ville pour y faire du butin. Il rejeta les propositions qu'on lui faisait et commença le siège.

               De leur côté les Tunisiens étaient décidés de se défendre jusqu'à la dernière extrémité. Leurs sorties furent meurtrières et les Algériens perdirent sept cents hommes en quarante jours.
               Le dey fit alors demander la paix ; les habitants, au lieu d'offrir de l'argent, réclamèrent une indemnité pour les frais de guerre. Moustapha prit donc le parti de lever le siège abandonnant une partie de son matériel.
               L'armée algérienne, dans sa retraite, fut attaquée par les Arabes ; épuisée de faim et de fatigue, démoralisée, elle perdit beaucoup de monde, et le dey ne ramena que des débris de ses bataillons.
               Il n'osa pas rentrer dans la ville et se réfugia à sa maison de campagne.
               Mais le divan ne perdit pas de temps. Dans la nuit il élut un nouveau dey Hussein-Cogea-Shérif, et Moustapha fut étranglé ; ses biens servirent à payer la milice.
               Le bey de Tunis fut mis en liberté, il promit d'envoyer 150.000 piastres et laissa sa famille pour garantir de cette promesse ; mais il fut tué en rentrant dans sa capitale.

               Hussein trouva le trésor presque vide ; c'était là le plus grand écueil qu'un dey pût rencontrer et contre lequel plusieurs de ses prédécesseurs s'étaient brisés.

               La milice n'étant pas exactement payée murmura d'abord ; puis elle laissa déposer le dey par quatre Turcs que celui-ci avait bannis de l'odjak et qui y étaient rentrés secrètement (1707). L'un d'eux, Pectache- Cogea, fut élu à sa place.
               Son premier soin fut de donner de l'occupation à la milice ; dans cette intention, il projeta la conquête d'Oran, et envoya dans l'Ouest son gendre Baba-Hassan avec un corps d'armée.

               L'Espagne, agitée à cette époque par les discordes sanglantes qui avaient suivi la mort de Charles II, et par la guerre de la succession, n'avait apporté qu'une attention secondaire à ses possessions du Nord de l'Afrique.
               Oran qui était le seul point qu'elle occupât, se trouvait dénué de toute espèce d'approvisionnement et ne pouvait faire une longue résistance.

               Cependant la première tentative des Algériens échoua ; les Espagnols soutenus par la puissante tribu des Beni-Amers, repoussèrent les assiégeants.
               Les Algériens ne se découragèrent pas et reparurent bientôt sous les murs de la ville. Oran résista encore une année ; mais les Espagnols ne recevant aucun secours du dehors demandèrent à capituler (1708).

               Le fort Saint Philippe se rendit le premier, à la condition que la garnison serait libre ; elle n'en fût pas moins mise en esclavage.
               Un traité livra le fort Sainte-Croix aux Turcs ; quant au château Saint Grégoire, défendu par un moine, il résista avec courage l'ennemi n'y entra qu'après un assaut des plus opiniâtres et la garnison toute entière fut massacrée.

               Enfin la ville capitula. Mers-el-Kébir qui avait une garnison de 1.200 hommes aurait pu résister longtemps mais ses défenseurs pressés par la famine furent obligés de se rendre.
               La perte de cette possession fut vivement sentie par la cour d'Espagne, qui faible et épuisée, , ne put songer en ce moment à la reprendre.

               Après cette expédition l'histoire d'Alger ne va plus nous offrir que des révolutions sans portée, lâches assassinats et exploits de pirates. L'odjak se ressent de la décadence de l'empire ottoman et sembla attendre sa dernière heure.
               Pectache, (pacha) fier de ses derniers succès, envoya au grand seigneur trois clefs d'or et sollicita le caftan du pacha pour son gendre, mais il ne l'obtint pas.
               Il s'en vengea en réduisant de moitié les émoluments du pacha.
               Au mois de mars 1710, lui-même n'ayant pas payé la milice, est assassiné par Deli-Ibrahim qui se fait proclamer à sa place et endosse son caftan tout sanglant (1710). Baba-Hassan, qui s'était distingué à la prise d'Oran est exécuté à son tour : il portait ombrage au nouveau dey.
               Deli-Ibrahim ne gouverna néanmoins que six mois ; il fut assassiné le 14 août 1710 et remplacé par Ali-Chaoux.

               Pour consolider son pouvoir, Ali déploya une férocité inouïe.
               Il fit périr, coup sur coup, plus de dix-sept cents personnes, et gouverna ensuite avec équité. Mais ce qui donne une importance réelle à son avènement, c'est l'expulsion définitive des pachas et la réunion de leur dignité à celle du Dey.
               Ali fut l'auteur de cette grande mesure qui achevait enfin la révolution commencée en 1659.

               " Ali-Chiaoux, dit M de Rotalier décidé à conserver le pouvoir que le sort lui avait départi, et mécontent du pacha, fit saisir ce fonctionnaire et le renvoya à Constantinople en le menaçant si jamais il remettait les pieds à Alger de lui faire trancher la tête.
               Si Ali se fût borné à cette seule violence, il eût manqué de l'adresse et de l'intelligence nécessaire aux hommes qui veulent disputer le pouvoir aux factions ou accomplir de grands changements dans l'État.

               En se bornant à détruire, il eût compromis le reste de l'édifice qu'il avait à cœur de conserver, mais il sut comprendre avec cette pénétration dont semblent doués tous les novateurs habiles, qu'il fallait flatter d'une main le sultan qu'il insultait ; de l'autre ne pas briser les liens qui unissaient Alger à Constantinople et conserver tous les avantages d'une pareille union, tandis qu'il se débarrassait des dernières charges qu'elle imposait ; enfin en chassant l'homme, ménager une dignité dont le nom seul avait grande importance. Un Ambassadeur précéda le pacha à Constantinople.
               - Les sultans, les vizirs,
               - les principaux officiers du sérail furent gagnés par de somptueux présents et l'envoyé du dey put aisément faire agréer au sultan les excuses d'Ali.

               " Le pacha, dit-il, s'était fait remarqué par un esprit d'intrigue qui avait failli porter le désordre dans l'État et la mort seul eût été une punition digne d'un si grand crime. Par respect pour le sultan, la milice s'était contentée de l'expulser du deylick. Mais la colère des janissaires était à son comble.
               Les pachas leur étaient devenus odieux. Il suppliait donc le sultan de ne point exposer son autorité mais de daigner accorder à Ali lui-même le titre glorieux de pacha. (M. Ch. De Rotalier a publié un livre du plus grand intérêt sur l'histoire d'Alger et la piraterie des Turcs dans la Méditerranée.)

               Malgré la hardiesse d'une demande qui sous des formes obséquieuses pouvait paraître une injonction, le sultan jugea politique et prudent de déférer aux vœux de l'odjak.
               La nomination d'un chef unique, abandonnée au choix de cette milice ne donna plus lieu de la part du sultan qu'à une sorte de sanction qu'il était à peu près hors d'état de refuser.
               Ainsi s'accomplit cette grande réforme, ainsi fut concentré sur une seule tête la double dignité de dey et de pacha.
               Ahmed III sanctionna la révolte d'Almi en le nommant dey-pacha.
               Les trois queues furent envoyées et jusqu'à l'époque de la conquête d'Alger par les Français les deys régnèrent sans partage.
               La réunion des pouvoirs dans les mains d'un seul chef ne rendit point les janissaires plus soumis ni moins terribles.
               Mais Ali qui le premier était parvenu à réunir en sa personne les deux dignités de pacha et de dey fut pour eux l'objet d'une grande vénération.
               Ils le regardaient comme un saint et longtemps après sa mort on l'implorait à l'égal des marabouts les plus renommés.

               Le traite d'Utrecht ayant raffermi Philippe V sur le trône d'Espagne, ce monarque annonça l'intention de conquérir Oran, tant pour illustrer son règne que pour se rendre agréable au Saint-Siège.

               En conséquence, le 7 juin 1732, le roi publia à Séville un manifeste dans lequel il faisait part à l'Europe de son projet. Rien ne fut négligé pour le succès de l'expédition.
               Une flotte composée de :
               - douze vaisseaux,
               - deux frégates,
               - deux galiotes et
               - cinq cents bâtiments de transport partis d'Alicante, le 15 juin, et débarqua près du cap Falcon 25.000 hommes commandés par le comte de Montemar.


               Le généralissime faisait ses préparatifs d'attaque lorsqu'une affaire d'avant-garde décida du sort de la place.
               Les Turcs poursuivaient l'aile droite de l'armée espagnole quand les grenadiers de l'aile gauche, commandés par le marquis de Villa-Durias parurent sur le sommet d'une colline qui dominait la ville.
               La garnison qui était dans les forts si effrayée à cette apparition inattendue qu'elle se replia en foule sur la ville et y répandit l'alarme : Avant la nuit Oran et tous ses châteaux-forts furent déserts.
               Les Espagnols n'avaient perdu que cent cinquante hommes ; ils trouvèrent dans la ville et le fort :
               - cent quarante-six pièces de canon,
               - plusieurs mortiers et
               - des vivres en abondance.


               Les Espagnols s'empressèrent de réparer les fortifications et d'en construire de nouvelles. C'est de cette époque que date le fort Saint André et le Château-Neuf.
               Oran était pour eux d'une grande importance car ils s'y fournissaient d'esclaves noirs et venaient y chercher :
               - des cuirs, de la cire, de l'huile.

               Maîtres de cette ville et de Mers-el-Kébir ils espéraient ensuite étendre leurs conquêtes sur le sol africain.
               Mais les Arabes qui leur étaient restés fidèles lors de la prise d'Oran avaient été refoulés dans les montagnes et les Turcs les avaient remplacés par une ceinture de tribus hostiles qui empêchèrent les Espagnols de renouer leurs anciennes relations avec les Indigènes. La garnison d'Oran fut dès lors comme prisonnière de la ville et des forts.
               Pendant tout le règne de Louis XV, les Algériens continuèrent leurs déprédations sur mer.
               - Les conventions,
               - les traités,
               - les renouvellements furent fréquents.


               Le 16 janvier 1764, le chevalier de Fabry, commandant l'escadre mouillée à Alger conclut avec le dey Ali-Aga un traité en six articles portant :
               - que tous les griefs passés seraient oubliés,
               - qu'un délai de trois mois serait donné aux marchands français résidant à Alger s'il survenait une cause de rupture,
               - que dans le cas de collision entre deux bâtiments le coupable serait sévèrement puni par le dey, s'il était algérien et par le consul s'il était français,
               - que les corsaires de Salé (ville du Maroc) ne pourraient ni vendre leurs prises, ni résider à Alger,
               - qu'un bâtiment abandonné en mer, dans la crainte des Salétains, étant conduit par les corsaires, le séquestre en serait accordé au consul français, s'il le requérait, et le vaisseau restitué ensuite s'il était reconnu pour français,
               - enfin, que s'il y avait un combat entre les corsaires d'Alger et des bâtiments français, il ne serait fait aucun mal aux Français résidant dans les villes de la régence.

               Ces conventions n'avaient pas une grande valeur mais à défaut d'expéditions décisives, c'était le seul moyen qu'on pût employer pour contenir les forbans dans le respect.

               En 1770 le Danemark, pour se soustraire au paiement d'un tribut arbitraire que lui avait imposé le chef de l'odjak, envoya une flotte assez considérable devant Alger. Ses attaques échouèrent complètement et le gouvernement danois fut obligé d'acheter la paix, moyennant cent mille écus et deux navires chargés de munitions de guerre. Malheur aux vaincus !
               Tel était le grand axiome des Algériens.

               La plupart des États qui, à cette époque, entretenait des consuls à Alger étaient soumis à des redevances de différente espèce envers la régence.
               - Le royaume des deux Siciles payait au dey un tribut annuel de 24.000 piastres fortes et faisait en outre des présents de la valeur de 20.000 piastres.
               - La Toscane n'était soumise à aucun tribut mais à un présent consulaire de 23.000 piastres.
               - La Sardaigne avait obtenu, par la médiation de l'Angleterre, d'être libre de tout tribut : mais elle payait une somme considérable à chaque P 240 changement de consul. Les États de l'église devaient à la protection du roi de France l'exemption de tout tribut et de tout présent consulaire.
               - Le Portugal avait conclu un traité aux mêmes conditions que les Deux-Siciles.
               - L'Espagne était parvenue à s'affranchir du tribut mais elle devait des présents à chaque renouvellement de consul.
               - L'Autriche, par la médiation de la Porte ottomane avait obtenu la remise des tributs et des présents consulaires. Cependant elle faisait toujours des cadeaux.
               - L'Angleterre même après le bombardement d'Alger par lord Exmouth, en 1816, fut obligée de s'engager à envoyer un présent de 600 livres sterling (15.000 F)


               A chaque renouvellement de consul.
               - La Hollande, par suite à sa coopération au bombardement de 1816, fut comprise dans les stipulations du traité.
               - Les États-Unis, lors du traité conclu par le commodore Décatur adoptèrent le même arrangement que l'Angleterre.
               - Le Hanovre et les États de Brême s'étaient obligés à payer une somme considérable à chaque renouvellement de consul.
               - La Suède et le Danemark payaient annuellement un tribut consistant en munitions de guerre pour une valeur d'environ 4.000 piastres fortes.

               En outre, ces différents États payaient de dix ans en dix ans, au renouvellement des traités, un présent de 10.000 piastres fortes, et leurs consuls, en entrant en fonctions, faisaient des cadeaux.
               La France, suivant la lettre de ses conventions, ne devait rien. Cependant l'usage de faire des présents lors de l'installation d'un consul était conservé.

               Malgré ces traités, les navires de commerces des différents États européens étaient constamment exposés aux attaques des Algériens car ceux-ci s'étudiaient à élever sans cesse de nouvelles contestations pour justifier leurs hostilités.
               La marine espagnole en souffrait plus que toutes les autres.

               Charles III, prince éclairé et habile administrateur, gouvernait alors. Indigné de ces continuelles avanies et surtout d'une tentative audacieuse que les Algériens avaient dirigée contre le penon de Velez, l'un des présides d'Espagne sur la côte d'Afrique, il résolut d'en tirer vengeance et fit préparer une expédition considérable contre eux.
               Un officier de fortune irlandais, O'Reilly qui avait servi avec quelque distinction dans les armées de France et d'Autriche, en reçut le commandement.
               O'Reilly se présenta devant Alger le 1er juillet 1775.
               Sa flotte se composait de plus de trois cents vaisseaux de toute grandeur. Elle portait 22.000 hommes de troupes de débarquement et un matériel de siège considérable.

               Au lieu de jeter immédiatement son armée sur la côte, O'Reilly fit parader la flotte pendant huit jours devant Alger pour intimider l'ennemi. Les beys :
               - de Constantine,
               - de Médéah,
               - de Tittery,
               - de Mascara mirent à profit ce temps perdu en inutiles démonstrations pour accourir avec leurs contingents au secours d'Alger.


               Enfin le débarquement s'opère (8 juillet).
               Les Algériens n'opposent d'abord aucune résistance. Ils semblent fuir devant les Espagnols, les laissent s'engager au milieu des chemins couverts qui sillonnent la campagne et lorsque toute l'armée se trouve disséminée, hors d'état de se rallier, ils fondent sur elle et la décime.
               Une seule journée suffit à dégoûter les Espagnols de leur entreprise ; O'Reilly et son conseil décidèrent que l'armée se réembarquerait le lendemain.
               On abandonna à l'ennemi le matériel, ainsi que les malades et les blessés qui ne purent regagner les vaisseaux.

               Le gouvernement espagnol voulut réparer cet échec et de nouvelles tentatives de bombardement succédèrent à l'expédition de 1775.
               Mais ces tentatives n'eurent aucun succès et l'Espagne fut obligée de conclure avec Alger une paix qui ne la mit pas toujours à l'abri de ses insultes (1785).

               A Charles III venait de succéder un prince faible et incapable qui considéra tout d'abord l'occupation d'Oran comme une charge sans compensation.
               Une catastrophe vint lui fournir un prétexte pour en rejeter le fardeau.
               Dans la nuit du 8 au 9 octobre 1790, un affreux tremblement de terre se fit sentir à Oran et dans les environs.
               - Les édifices,
               - les maisons,
               - les fortifications s'écroulèrent.

               Un tiers de la garnison périt sous les décombres. Le reste se trouvait sans vivres ni munitions et dépourvu :
               - de tentes, d'hôpitaux, de médicaments pour les blessés.

               Le bey de Mascara, profitant de la consternation générale, se présenta devant Oran avec 30.000 hommes. Mais le commandement, ayant reçu quelques renforts, défendit ces ruines jusqu'au mois d'août de l'année suivante.
               Des négociations furent alors ouvertes et en 1792, par une convention passée entre le gouverneur d'Oran et Mohammed-el-Kébir, il fut stipulé :
               - que l'Espagne céderait Oran au dey d'Alger,
               - que les Espagnols emporteraient leurs canons de bronze et leurs approvisionnements,
               - que les habitants musulmans pourraient se rendre à Ceuta ou à Mélilla ou rester dans la ville, que leurs propriétés seraient respectées et
               - qu'ils ne seraient point recherchés pour des faits antérieurs à la prise de possession par les Turcs.


               La plupart des habitants abandonnèrent Oran avec les Espagnols et la ville fut repeuplée par des familles maures et juives :
               - de Mascara,
               - de Mazouna (ville près de Relizane),
               - de Tlemcen,
               - de Mostaganem et
               - de Mazagran.

               Cet abandon d'Oran prouve assez l'état d'abaissement dans lequel était tombé l'Espagne.

               Avec un peu de persévérance, il eut été facile de conserver cette position et de rendre ainsi plus difficiles les expéditions des corsaires jusqu'au moment où des temps plus heureux lui eussent permis de les réprimer complètement.
               Voici donc les Turcs, seuls maîtres de l'Algérie.
               Aucune puissance ne leur la dispute ; mais les indigènes protestent toujours contre la souveraineté qu'ils s'arrogent.
               Trois siècles de possession n'ont pas suffi pour légitimer et consolider leur pouvoir. Ils sont obligés de subir la loi qui a constamment pesé sur les conquérants de l'Afrique septentrionale :
               - Carthaginois,
               - Romains,
               - Byzantins furent réduits à combattre pour se maintenir.

               Et le jour où ils crurent pouvoir déposer leurs armes et goûter enfin les douceurs de la paix, les indigènes, se soulevant en masse, vinrent les faire repentir de leur sécurité.
               Fatale condition que nous n'avons cessé de constater dans le cours de cette histoire, et à laquelle, la France, nous devons l'espérer, grâce à la supériorité de sa civilisation et de sa tactique militaire saura aujourd'hui se soustraire.

               La révolution de 1789 n'apporta d'abord aucun changement dans les rapports de la France avec la régence d'Alger.
               Les traités de paix et d'amitié furent renouvelés en 1791 et 1793.
               Mais lors de l'expédition d'Égypte, les corsaires algériens, pour se conformer aux ordres du grand seigneur parlant au nom de l'islamisme menacé, firent une guerre acharnée à notre marine et à notre commerce.
               L'établissement de la Calle fut une fois encore livré aux flammes : les Européens se sauvèrent et le consul resta prisonnier à Alger.
               En 1800, la Turquie ayant cédé au traité d'Amiens fit rentrer les corsaires dans leurs ports.

               Enfin (30 septembre) par un nouveau traité de paix et de commerce entre le dey d'Alger et la république française, la régence restitua à la France :
               - les concessions d'Afrique
               - ainsi que l'argent,
               - les marchandises et
               - les effets qui avaient été saisis
.
               Ce traité fut renouvelé et confirmé avec plus de développement, le 17 décembre 1801 par Dubois-Thainville, chargé d'affaires de la république.
               Mais comme à toutes les époques, la paix ne fut pas très religieusement observée par les Barbaresques.

               Ils butinaient et capturaient sans cesse, suivant leur habitude. C'est alors (1803) que, pour arrêter ces exactions, le premier consul adressa à Moustapha-Pacha, dey d'Alger, le message suivant :
               Bonaparte, premier consul, au très haut et très magnifique dey d'Alger, que Dieu le conserve en principe, en prospérité et en gloire !
               Je vous écris cette lettre directement parce que je sais qu'il y a de vos ministres qui vous trompent, qui vous porte à vous conduire d'une manière qui pourrait vous attirer de grands malheurs.
               Cette lettre vous sera remise en mains propres par un adjudant de mon palais. Elle a pour but de vous demander réparation prompte, et telle que j'ai droit de l'attendre des sentiments que vous avez toujours montrés pour moi.
               - Un officier français a été battu dans la rade de Tunis par l'un de vos raïs. L'agent de la république a demandé satisfaction et n'a pu l'obtenir.
               - Deux bricks ont été pris par vos corsaires qui les ont menés à Alger et les ont retardés dans leur voyage.
               - Un bâtiment napolitain a été pris par vos corsaires dans la rade d'Hyères et par-là ils ont violé le territoire français.
               - Enfin du vaisseau qui a échoué cet hiver sur vos côtes, il me manque encore plus de 150 hommes qui sont entre les mains des Barbares.
               - Je vous demande réparation pour tous ces griefs, et, ne doutant pas que vous ne preniez toutes les mesures que je prendrais en pareille circonstance, j'envoie un bâtiment pour reconduire en France les 150 hommes qui me manquent.


               Je vous prie aussi de vous méfier de ceux de vos ministres qui sont ennemis de la France, vous ne pouvez en avoir de plus grands.
               Et si je désire vivre en paix avec vous, il ne vous est pas moins nécessaire de conserver cette bonne intelligence qui vient d'être rétablie et qui peut seule vous maintenir dans le rang et la position où vous êtes ; car Dieu a décidé que tous ceux qui seraient injustes envers moi seraient punis.
               Que si vous voulez vivre en bonne amitié avec moi, il ne faut pas que vous me traitiez comme une puissance faible, il faut que vous fassiez respecter le pavillon français, celui de la république italienne qui m'a donné son chef et que vous me donniez réparation de tous les outrages qui m'ont été faits.
               Bonaparte, premier consul

               Voici la réponse pleine de déférence que reçut le premier consul. L'obséquiosité de cette dépêche est d'autant plus remarquable qu'elle contraste avec le ton d'insolence que la régence affecta depuis 1815 dans ses rapports diplomatiques avec la France.
               Mais sous le consulat, la campagne d'Égypte avait grandi le nom français dans l'esprit des musulmans et ils s'inclinaient humbles et soumis :
               - devant l'homme du destin,
               - devant le vainqueur d'Aboukir et des Pyramides.


               A notre ami Bonaparte, premier consul de la république française, président de la république italienne,
               Je vous salue, la paix de Dieu soit avec vous.
               Ci-après, notre ami, je vous avertis que j'ai reçu votre lettre datée du 20 messidor ; je l'ai lue et j'y réponds article par article :
               - Vous vous plaignez du raïs Ali-Tatar : quoiqu'il soit un de mes joldaches, je l'ai arrêté pour le faire mourir. Au moment de l'exécution votre consul m'a demandé sa grâce en votre nom, et pour vous je la lui ai accordée.
               - Vous me demandez la polacre napolitaine prise, dites-vous, sous le canon de la France : les détails qui vous ont été fournis à cet égard ne sont pas exacts ; mais sur votre désir, j'ai délivré dix-huit chrétiens composant son équipage.
               - Vous demandez un bâtiment napolitain qu'on dit être sorti de Corfou avec des expéditions françaises : on n'a trouvé aucun papier français, mais selon vos désirs, j'ai donné la liberté à l'équipage.
               - Vous demandez la punition du raïs qui a conduit ici les deux bâtiments de la république française : selon votre désir, je l'ai destitué. Mais je vous avertis que mes raïs ne savent pas lire les caractères européens. Ils ne connaissent que le passeport d'usage, et, pour ce motif il convient que les bâtiments de la république française fassent quelque signal pour être reconnus par mes corsaires.
               - Vous me demandez 150 hommes que vous dites être dans mes États : il n'en existe pas un, Dieu a voulu que ces gens se soient perdus et cela me peine.
               - Vous dites qu'il y a des hommes qui me donnent des conseils pour nous brouiller : notre amitié est solide et ancienne et ceux qui chercheraient à nous brouiller n'y réussiront pas.
               - Vous me demandez que je sois l'ami de la république italienne, et de respecter son pavillon comme le vôtre : si un autre m'eût fait une pareille proposition, je ne l'aurais pas acceptée pour un million de piastres.

               Vous ne m'avez pas voulu donner les 200.000 piastres que je vous avais demandées pour me dédommager des pertes que j'ai essuyées pour vous : que vous me les donniez ou que vous ne me les donniez pas, nous serons toujours bons amis.
               - J'ai terminé avec mon ami Dubois-Thainville, votre consul, toutes les affaires de la Calle et l'on pourra venir faire la pêche du corail : la compagnie d'Afrique jouira des mêmes prérogatives dont elle jouissait anciennement. J'ai ordonné au bey de Constantine de leur accorder tous genre de protection.
               Si à l'avenir il survient quelque discussion entre nous, écrivez-moi directement, et tout s'arrangera à l'amiable.
               Moustapha, pacha d'Alger.

               Cette influence presque souveraine de la France sur Alger devait cependant avoir bientôt un terme.
               Le désastre de Trafalgar porta le dernier coup à notre marine et à notre commerce. Le pavillon français ne paraissait plus qu'à de longs intervalles dans la Méditerranée et l'Angleterre était devenue maîtresse de Malte.
               A l'instigation de cette puissance, le bey de Constantine admit en 1806 la concurrence :
               - des Maltais,
               - des Juifs,
               - des Espagnols sur les marchés où nous avions seuls le droit d'acheter.

               De cette flagrante infraction à l'abolition du traité il n'y avait qu'un pas ; le bey le fit et, moyennant une redevance annuelle de deux cent soixante-sept mille francs, il investit, en 1807, l'Angleterre de nos concessions.
               C'est alors que Napoléon chargea le capitaine Boutin d'explorer surtout le littoral de l'Algérie et que son doigt prophétique.
               Il indiqua le lieu où vingt-trois ans plus tard la France devant trouver un abordage facile et triompher des Barbaresques.

               (Sans contredit, ce fut l'empire qui prépara notre conquête de 1830. Toutes les indications du lieutenant de Napoléon ont été exactement suivies :
               - pour le lieu de débarquement,
               - pour la marche sur Alger,
               - pour le chiffre même de l'armée.)
               - C'est vers cette époque aussi qu'un des savants les plus illustres dont s'honore la France entrait comme captif à Alger.

               Arrêtons-nous un instant à cet intéressant épisode.
               La mort de Méchain (astronome, 1744-1804) et les erreurs qu'il avait commises dans les opérations concernant la mesure de l'arc du méridien terrestre laissaient incomplets les calculs relatifs à l'espace compris entre Barcelone et Rodez.
               Le gouvernement français chargea MM. Biot et Arago de se rendre aux îles Baléares pour redresser et compléter ce grand travail.

               En avril 1807, les opérations principales furent terminées et M Biot, chef de l'expédition, partit pour Paris afin de rédiger les tables qui devaient en faire connaître le résultat définitif.
               Resté en Espagne pour achever les travaux, M. Arago se transporta bientôt à Majorque et alla s'établir sur le sommet de la montagne de Galatzo afin de communiquer avec Ivice (île des Baléares) et mesurer l'arc du parallèle compris entre ces deux stations.

               Cependant la guerre venait tout à coup d'éclater entre l'Espagne et la France ; et tandis que M. Arago poursuivait tranquillement ses opérations le bruit se répandit parmi le peuple que les feux et les signaux du jeune savant français avaient pour objet d'appeler l'ennemi.
               Les majorquins soulevèrent et courent en armes vers Galatzo en poussant des cris de mort.
               M. Arago n'eut que le temps de se déguiser en paysan et d'emporter les papiers contenant ses observations.
               Puis grâce au concours de quelques amis, il parvint à passer à Alger où il se rendit avec son bagage d'astronome, sur une barque de pêcheur conduite par un seul matelot.

               Le consul de France à Alger M. Dubois-Thainville, accueillit M. Arago avec la plus touchante sympathie et obtint de lui le passage à bord d'une frégate algérienne qui faisait voile vers Marseille.
               On était déjà en vue des côtes de France lorsqu'un corsaire espagnol qui croisait dans ces parages :
               - joint la frégate,
               - s'en empare et
               - conduits prisonniers en Espagne tous ceux qui étaient à bord.

               Cependant le dey à la nouvelle de l'insulte faite à son pavillon, exige et finit par obtenir qu'on rende la liberté à l'équipage et quelques jours après cette sommation, le navire algérien faisait voile pour l'Afrique.
               Tout à coup une affreuse tempête du Nord-Ouest le surprend et le jette sur les côtes de la Sardaigne. Nouveau péril.
               A cette époque les Sardes et les Algériens étaient en guerre : aborder c'eût été retomber dans une nouvelle captivité. On se décida alors, malgré une voie d'eau considérable qui vient de se déclarer, à affronter tous les périls, et à diriger vers l'Afrique. Le vaisseau désemparé et prêt à couler bas toucha enfin Bougie.

               Là M. Arago apprit que le dey qui l'avait assez bien accueilli la première fois, venait d'être tué dans une émeute.
               Il se trouva seul et sans appui au milieu des Barbares : on s'empare des caisses que renferment ses instruments parce qu'on les croit pleines d'or,
               - on le fouille, on le menace, on exerce sur lui les plus mauvais traitements.
               Mais un marabout, indigné de la conduite de ses compatriotes prend le jeune savant sous sa protection et ils se dirigent ensemble vers Alger.
               Couvert du burnous des Arabes, M Arago traverse à pied l'Atlas sous la sauvegarde de son libérateur.

               Lorsque les deux voyageurs arrivèrent à Alger, le nouveau chef de l'odjak était en différend avec la France : il refuse de les recevoir, et pour toute réponse aux demandes que lui adresse M. Arago, il le fait inscrire sur la liste des esclaves et l'envoie servir à bord des corsaires de la régence en qualité d'interprète.
               M. Nordesling, consul de Suède, obtint quelque temps après la permission de recueillir chez lui le malheureux captif, et enfin, le 1er juillet 1809, M. Arago rendu complètement à la liberté, s'embarqua pour la France.

               Revenons maintenant aux affaires intérieures de l'odjak. Que s'y passe-t-il ? Toujours
               - des insurrections, des meurtres, des assassinats.
               Les Kabaïles continuent leur guerre désespérée contre les Turcs et les janissaires toujours mécontents de leurs chefs les déposent ou les étranglent. Moustapha que nous avons vu se dire si orgueilleusement l'ami de Bonaparte succombe sous leurs coups.
               Ahmed qui lui succède occupe assez tranquillement le pouvoir pendant trois ans. Mais le 23 juillet 1808, une révolte éclate et il est déposé.
               Heureusement pour lui, le nouveau dey fut décapité le jour même de son élection, en sorte que le lendemain on recourut à Ahmed pour qu'il prit de nouveau les rênes de l'État : honneur bien éphémère !
               Le 7 novembre suivant, il était, lui aussi, contraint d'offrir son cou au fatal lacet.
               Ali-Khodja qui vient après meurt à la suite d'une guerre contre les Tunisiens.
               Hadj-Ali, promu en 1809, ne se maintient quatre ans au pouvoir qu'en déployant la plus horrible cruauté.
               Il parvint à intimider les janissaires mais non à s'en faire aimer, aussi ne pouvant l'atteindre par la force eurent-ils recours à la perfidie.
               Ils séduisirent le cuisinier du palais et Hadj-Ali mourut empoisonné (22 mars 1815). Les vœux de la milice se portèrent alors sur Omar, aga des janissaires.
               Mais celui-ci connaissait trop bien les allures de ses soldats et pensa qu'un seul assassinat ne suffirait pas pour assouvir leur soif de sang. Il se récusa.
               Un vieux chaoux, Mohamed, fut élu dey. Quatorze jours après il mourait assassiné. Omar, renégat grec, lui succéda et fit preuve d'habileté et de courage pendant les trois années qu'il conserva le pouvoir.

               A cette époque le congrès de Vienne était réuni. Les plénipotentiaires qui le composaient portèrent leur attention sur l'Algérie et témoignèrent le désir de s'unir pour opposer une digue aux déprédations des corsaires.
               L'Angleterre seule qui craignait que cette réponse ne rendit à la France l'influence qu'elle avait précédemment exercée sur les Barbaresques s'y opposa.
               Dans ce moment même, une escadre américaine composée de :
               - trois frégates,
               - un sloop (voilier à un mât),
               - un brick,
               - trois schooners (petit navire à deux mâts utilisé pour la pêche et le commerce)
               - et commandés par le capitaine Decatur, se dirigeait vers Alger.


               Elle venait relever l'Union d'un honteux tribut qui lui avait été imposé par le dey, bien décidée à obtenir une prompte et complète satisfaction.
               Avant même de se montrer devant la ville, les Américains capturèrent trois navires algériens.
               Une attitude si énergique déconcerta le Divan qui souscrivit presque sans réclamations à tout ce qui exigeaient des ennemis si déterminés à faire triompher leur bon droit.

               Le succès de cette expédition ramena l'attention des puissances européennes sur Alger, et dès ce moment elles résolurent d'abolir l'esclavage des chrétiens dans les États Barbaresques.
               En avril 1816, lord Exmouth fut chargé par le gouvernement anglais de négocier avec les différentes régences pour arriver à ce résultat : Il devait en même temps obtenir que les îles Ioniennes fussent traités à l'égal des autres possessions britanniques. Vingt-six vaisseaux armés en guerre accompagnaient le plénipotentiaire, dont la mission réussit assez bien à Tunis et à Tripoli.
               Mais Alger se montra intraitable : Omar déclara qu'il ne consentirait jamais à se dessaisir des droits qu'il avait de charger de fers tout ennemi de l'odjak, offrant d'ailleurs de s'en rapporter à la décision du grand seigneur.
               L'amiral consentit, avant d'accomplir aucun acte d'hostilité, qu'un envoyé du Divan allât à Constantinople pour se consulter avec la sublime Porte.
               Mais l'envoyé algérien ne rapporta aucune réponse favorable. D'ailleurs, pendant cet armistice, le consul s'était vu ignominieusement outragé dans les rues d'Alger. A Oran et à Bône, les équipages de plusieurs navires de sa nation avaient été massacrés. Lord Exmouth reparut donc devant Alger (26 août 1816) avec l'intention bien arrêtée d'en finir.

               Sa flotte renforcée de six frégates hollandaises, se composait de trente-deux voiles. A son arrivée il fit signifier au dey les conditions suivantes :
               1° la délivrance sans rançon de tous les esclaves chrétiens,
               2° la restitution des sommes payées par les États sardes et napolitains pour le rachat de leurs esclaves,
               3° l'abolition de l'esclavage,
               4° la paix avec les Pays-Bas aux mêmes conditions qu'avec l'Angleterre.


               Sur le refus du Divan d'accéder à ces conditions le bombardement commença.
               Une manœuvre hardie, au moyen de laquelle les Anglais parvinrent à tourner le môle et à s'embosser à l'entrée du port, jeta la consternation parmi les Algériens.
               Leurs feux causa d'affreux ravages. Bientôt l'incendie se communiqua dans le port et consuma une partie des navires qu'il renfermait.
               Lord Exmouth écrivit alors au dey qu'il continuerait le bombardement si l'on se hâtait d'adhérer aux propositions proposées. Omar, qui pendant toute la durée du combat avait déployé le plus grand courage, refusa d'abord de se soumettre.
               Mais les officiers de la milice, voyant que la résistance devenait impossible, le déterminèrent à entrer en arrangement. Les quatre articles signifiés furent acceptés et devinrent la base d'un traité définitif entre la régence et l'Angleterre.

               Bientôt après le départ de Lord Exmouth une sourde conspiration se trama contre le chef de la régence ; les janissaires l'accusaient de trahison, de lâcheté lui qui, s'il n'eût écouté que son courage se fût volontiers enseveli sous les ruines d'Alger. Lui qui, au moment où l'on complotait contre sa personne, s'occupait activement d'armer plusieurs vaisseaux et de faire réparer les fortifications afin de rendre impossible une nouvelle attaque.
               L'habileté d'Omar et ses bonnes intentions furent impuissantes pour conjurer l'orage.
               Attaqué à l'improviste au sein de son palais, il tendit le coup au fatal lacet après avoir fait d'inutiles efforts pour ramener au devoir les révoltés.

               Son rival et successeur fut Ali-Khodja, nom fameux dans la régence pour le caractère impitoyable de celui qui le portait. Les consuls étrangers dit Shaler qui se rendaient auprès de lui dans les cérémonies publiques n'arrivaient à sa salle d'audience qu'après avoir passé sur vingt cadavres.
               Entouré de gardes et magnifiquement vêtu, il affectait de tenir toujours un livre à la main. Il montrait en effet quelque goût pour la littérature.
               Mais, aussi voluptueux que cruel, il ne connaissait ni frein ni obstacle à ses passions et faisait sans scrupule enlever les femmes qui avaient le fatal privilège de lui plaire. On assure que la femme et la fille du consul hollandais n'échappèrent elles-mêmes à ce triste sort que par la mort d'Ali.
               Ce monstre mourut de la peste. Il avait fait tomber plus de quinze cents têtes dans le court espace de quelques mois qu'avait duré son règne.
               Sa vigilance était extrême, et il suivait d'un œil inquiet tous les complots des janissaires.
               Ce fut lui qui fit transporter le trésor public dans la Kasbah et qui y établit ensuite sa résidence Lorsqu'il fut installé dans cette citadelle, il s'écria : " Maintenant je suis maître ! "
               En effet, les janissaires voulurent s'opposer à cette innovation mais Ali les fit impitoyablement mitrailler.
               Depuis cette époque, une garde composée d'indigènes maures fut attachée à sa personne et veilla à sa sûreté.

               Ali-Khodja eut pour successeur Hussein-Khodja : c'est le dernier dey d'Alger.
               Appelé au trône par les dernières volontés d'Ali, Hussein refusa d'abord ; mais les instances du Divan l'obligèrent à accepter : " il y allait de ma tête " disait-il en racontant lui-même son avènement au pachalick, lors de son voyage à Paris en 1831 ; car ceux des membres du Divan dont le choix était tombé sur moi m'auraient tenu compte de ce mépris que je semblais faire de leur vote, qui avait trompé de hautes espérances et avait dû leur donner pour ennemis tous les prétendants sur lesquels je l'avais emporté. D'un autre côté l'un de ces prétendants, arrivé au trône, aurait bien pu se débarrasser d'un homme possédant l'affection du peuple, car il eût été difficile de lui cacher que cet homme avait été désigné par le testament du pacha, puis élu par le Divan. Je pourrais donc devenir dangereux au dey ; j'étais la seule garantie de ceux qui m'avaient choisi ; force me fut d'accepter. " Bien qu'on lui ait généralement accordé des dispositions généreuses, un grand esprit de justice et beaucoup de sagacité, Hussein fut lui-même en butte aux violences capricieuses des janissaires.

               Un jour étant sorti de la Kasbah pour examiner des fortifications qu'on élevait sur le bord de la mer, il faillit périr assassiner par ces mutins.
               Ils n'avaient point cependant de griefs contre lui, car son avènement ne datait encore que de quelques mois, mais ils entrevoyaient dans l'élection d'un nouveau Dey le moyen de s'assurer de nouveaux profits.
               Hussein se réfugia à la hâte dans son palais de la Kasbah, dont il ne sortit que douze ans après, lorsque le général de Bourmont entra victorieux à Alger.

L'Afrique ancienne et moderne
depuis les premiers établissements carthaginois
par Léon Galibert, Directeur de la revue britannique. Édition 1842.


PHOTOS de DJIDJELLI
Envoyé par diverses personnes


RUE PICARDIE




RUE PICARDIE





RUE PICARDIE





CASINO





MARCHE COUVERT





PLACE DOLPHUS







Les transportés de 1848
Envoi de M. Christian Graille
Statistiques, analyse, commentaires
           Le 4 mai 1848, les représentants du peuple, élus au suffrage universel et issus des élections du 23 avril précédent, se réunissent pour former l'Assemblée Constituante et proclamer officiellement la naissance de la République.
          Quelques semaines plus tard la fermeture des Ateliers Nationaux par un décret de la commission exécutive du 21 juin 1848 provoque à Paris un mouvement insurrectionnel de grande ampleur.
          Une violente répression est alors menée contre les insurgés parisiens par le général Cavaignac, ministre de la Guerre au sein de la commission exécutive.

          Les opérations militaires se déroulent essentiellement entre le 23 et le 26 juin 1848 contre les barricades dressées dans l'Est parisien tant sur la rive gauche que sur la rive droite de la Seine.
          Quant aux insurgés qui ont survécu aux combats, un décret du 27 juin prévoit qu'ils seront soumis à la transportation :
          " Seront transportés par mesure de sûreté générale dans les possessions d'outre-mer, autres que celles de la Méditerranée, les individus actuellement détenus qui seront reconnus avoir pris part à l'insurrection du 23 juin et des jours suivants. "

          Mais ce décret ne sera appliqué ni dans sa forme initiale puisque la loi du 14 janvier 1850 désignera finalement l'Algérie comme lieu de transportation, ni dans toute son ampleur.
          En effet, si aux lendemains des journées de juin, des commissions militaires examinent le cas de 11.371 individus susceptibles d'être transportés, ce nombre sera considérablement réduit à la suite des travaux menés en septembre 1848 par 11 commissions " composées de magistrats appartenant à tous les corps judiciaires :
          - cours de cassation,
          - cour d'appel,
          - tribunal de première instance " puis par ceux d'une " commission spéciale composée de deux magistrats et d'un inspecteur général des prisons " chargée, en novembre 1849, d'interroger " les détenus sur les pontons, dans les forts ".


          Enfin des mesures de grâces prononcées par le Président de la République Louis Napoléon Bonaparte après son élection en décembre 1849, ramèneront le nombre des individus concernés par la transportation à environ 500 tous détenus à Belle Île.
          Les transportés de juin 1848 font tous partie des détenus de Belle-Ile.
          En effet l'article premier de la loi du 24 janvier 1850 prévoit : " Tous les individus actuellement détenus à Belle Île et dont la transportation a été ordonnée en vertu du décret du 27 juin 1848, par suite des décisions des commissions instituées par le pouvoir exécutif, seront transférés en Algérie, qu'elle qu'ait été l'époque de leur arrestation. "

          Un ultime examen est effectué par une commission de libération qui recense individus auxquels s'appliquera la transportation.
          Deux états des détenus de Belle-Île sont dressés et certifiés conforme le 26 janvier 1850 par le secrétaire de la commission de libération Eugène Demarquay.
          Leur transport a en effet été effectué depuis Cherbourg et Brest par le Gomer et l'Asmodée, deux frégates à roues armées respectivement en décembre 1841 et en juillet 1842.

          Dans le Moniteur du 21 février 1850 on peut lire :
          " De Cherbourg le 21 février 1850 : Les frégates à vapeur le Gomer, capitaine Paris et l'Asmodée capitaine Fourteu-Nauton sont parties de Cherbourg et de Brest pour conduire en Algérie les transportés de juin 1848, lesquels seront détenus à la casbah de Bône ".

          La présente étude veut répondre à un double objectif.
          En premier lieu, mettre à la disposition des chercheurs les annotations et les renseignements reportés sur les états manuscrits de Belle île.
          Ces renseignements concernant les transportés portent sur :
          - les noms et prénoms,
          - les lieux de naissance,
          - les âges,
          - les professions,
          - les domiciles,
          - l'état civil,
          - les enfants,
          - le classement à Belle Île et
          - les observations portées par l'Administration.

          Ont été signalés et donc ajoutés, par nos soins ceux qui se sont embarqués sur l'Asmodée et ceux qui seront ultérieurement transférés en Guyane.

          En second lieu, tenter d'analyser et de commenter l'ensemble de ces données afin de compléter et si possible améliorer nos connaissances à propos de la transportation des insurgés de juin 1848.
          Enfin cette étude vient en complément d'un article intitulé " transporter les insurgés de juin 1848 ".

          Un problème de dénomination se pose donc d'autant plus que l'usage conduit à désigner sous les termes " transportés de 1848 " des individus qui sont en fait transportés en 1850.
          Nous avons choisi de conserver la dénomination que l'usage a consacré, " transportés de 1848 " et de désigner les détenus initiaux étudiés par Jacques Houdaille en précisant dans le texte, détenus ou condamnés à la transportation en 1848.

Combien de transportés en 1848 ?

          Les états de Belle-Île ne permettent pas d'assurer que les 462 détenus qui y sont recensés ont tous été effectivement transportés en Algérie.
          En effet, selon le Moniteur et comme indiqué plus haut, le nombre des insurgés de juin débarqués à Alger par le Gomer et l'Asmodée est respectivement de 224 et 200 soit 424 individus.
          Mais selon Marcel Emerit, un troisième convoi parti de Toulon arrive quelques jours plus tard à Alger avec un dernier groupe (les déportés d'Algérie revue de la société d'études de la Révolution de 1848, 1849, tome 39, bulletin n° 181, pages 1 à 9).

          Puis citant les archives du gouvernement de l'Algérie, Marcel Emerit note qu'au 3 juin 1859 " le chiffre exact des déportés de juin en Algérie fut de 259 Il apparaît donc que travailler à partir des deux listes précitées des détenus de Belle-Île revient à étudier les transportés de 1848. D'autant plus que ces deux listes recensent 450 personnes auxquelles il faut rajouter selon un état complémentaire 3 détenus supplémentaires " dont la commission n'a pas cru devoir maintenir l'ordre de mise en liberté " les dénommés :
          - Jean Baptiste Maritus, 27 ans, voiturier,
          - Edouard Rigaudin, voyageur et
          - Antoine Valachon, 31 ans, forgeron.


          " Dangereux " et " Repris de justice "
          Les détenus de Belle Île sont classés en deux groupes " les repris de justice " et les " dangereux ".
          Les premiers ont tous été condamnés pour des infractions relevant du droit commun. Ils sont au nombre de 234.
          Les seconds sont ainsi dénommés en référence à l'ardeur de leurs opinions politiques ; ils sont au nombre de 225. La catégorie à laquelle appartiennent les trois transportés supplémentaires n'est pas précisée.

          Les " dangereux "
          Sur les 225 détenus de Belle-Île classés parmi les " dangereux " 86 (38%) sont signalés avec des mentions aggravantes.
          Ces annotations supplémentaires censées attirer l'attention sur la dangerosité des individus concernés révèlent en réalité toutes les inquiétudes et les peurs des décideurs et des responsables de la IIe République.
          Un examen minutieux permet de constater que sur les 86 mentions 54 relèvent de facteurs politiques indéniables.
          Ceux qui sont considérés comme les responsables des journées de juin ou comme des meneurs sont, bien entendu, particulièrement mentionnés.

          Il faut citer en premier lieu :
          Louis Pujol, de Saint Girons en Ariège, un publiciste de 25 ans : le principal acteur de l'insurrection de juin, homme d'intelligence, d'énergie, d'action. Très à craindre comme meneur et comme homme d'exécution. Auteur de tous les désordres commis au dépôt et de toutes les manifestations coupables. A tenter trois fois de s'évader. Paraît avoir été détenu à la maison centrale d'Eysse près de Villeneuve d'Agen ".
          Pierre Becker : un rémois de 48 ans, lieutenant-colonel de la légion italienne deux fois condamné pour offense au Roi, association illicite, gracié. Un des chefs de la dernière révolte. Homme intelligent mais incitateur et propagandiste.
          Hyppolite Lermigeaux, originaire du Nord, capitaine de la garde républicaine, âgé de 47 ans : On peut y ajouter deux jeunes gens ayant servi dans la garde mobile :
          Le Parisien Jean Marie Hugelmann, 19 ans, déclaré comme homme de lettres mais également ex-lieutenant de la garde mobile, ambitieux, sans conviction, auteur de la parodie du catafalque des assassins du général Bréa, mauvais homme, dangereux,
          Jean-Baptiste Kollman né à Clichy la Garenne, garçon épicier : ex-sous-lieutenant de la garde mobile, pris les armes à la main, proférant constamment des menaces de vengeance a tenté plusieurs fois de s'évader.

          Parmi les autres meneurs que l'Administration redoute particulièrement :
          Jean-Louis Aubin, d'Arras, 34 ans, terrassier : homme d'action, dangereux sous tous les rapports. Un des plus ardents instigateurs de tous les désordres, ne reculerait pas devant la violence, très mauvais, sans instruction,
          Antoine Beury, un architecte parisien de 36 ans : arrêté en mai 1848 pour attentat, mis en liberté, très exalté et violent capable de se livrer aux derniers excès, dangereux au point de vue de ses théories, homme d'action dangereux,
          Jean Chautard natif du Gard, 35 ans, teneur de livres : énergumène, homme d'action. Dangereux sous tous les rapports. Ardent meneur, très mauvais. S'est échappé du dépôt a été pour ce fait condamné à 2 mois de prison,
          Léon Derouin, de Blois, 27 ans, horloger : ex-capitaine des Montagnards, blessé sur les barricades, homme d'action et d'énergie, très dangereux
          Gabriel Pelin, 32 ans, artiste peintre et journaliste : transfuge de l'armée de Lyon en 1834, méchant, dangereux, menaçant, un des plus exaltés.

          L'exaltation, l'énergie, la dangerosité sont les caractères les plus souvent relevés qu'ils soient employés seuls :
          - Achille Saint Léon : très exalté, très énergique, très dangereux,
          - Joseph Frémont, très mauvais, très dangereux,
          - Jean Robert, excessivement exalté, très mauvais, très dangereux,

          Ou pour souligner un trait de l'homme concerné :
          - Louis Achille très exalté, mauvais sujet, homme dangereux,
          - Pierre Picheloup très mauvais, homme d'action énergique,
          - Julen Even très dangereux, très exalté, homme d'action,
          - Jean Dargout homme très mauvais, très exalté, très dangereux.


          Ceux qui sont considérés comme pouvant propager des idées dangereuses sont également visés par ces mentions.
          - Jacques Leyris très exalté, propagandiste, homme d'action,
          - Théodore Tassillier très exalté, meneur et propagandiste très dangereux,
          - Jules Peyront propagandiste très exalté en politique, ambitieux,
          - Jean-Baptiste Lagarde excessivement dangereux, propagandiste très exalté, homme d'action,
          - Gabriel Guilleminot propagandiste outré, très mauvais, très dangereux,
          - Hervé Brucker dangereux au point de vue de ses théories politiques.


          Autre critère retenu dans ces annotations des " dangereux ", leur capacité à agir y compris par la violence :
          - Auguste Maillard exalté au dernier degré, homme d'action, de coups de main, très dangereux,
          - Hippolyte Grand énergique, exaltation outrée, dangereux,
          - Théodore Martin homme brutal, violent, exalté, très dangereux,
          - Jacques Klein homme d'action, de barricades, très dangereux,
          - Hippolyte Paon 10 jours pour rébellion. Redoutable, capable de toutes les violences.


          Enfin apparaissent aussi des jugements quant aux capacités intellectuelles de certains transportés décrits comme :
          - sans instruction ; très exalté ou comme ; méchant esprit ; demi-intelligence ; meneur : propagandiste dangereux ou encore comme ; esprit intelligent ; mauvais antécédents ; exalté ; dangereux.

          Les intellectuels sont principalement ciblés parmi les plus dangereux.
          Citons notamment :
          -Jean Terson né à Fa dans l'Aude, 44 ans, homme de lettres dont Marcel Emerit fera connaître les mémoires, défini comme ex-prêtre défroqué. Le Bazile de la détention préparant tous les mauvais actes dans l'ombre, meneur dangereux, agent provocateur, méchant esprit,
          Emile Thuillier originaire de Sedan, 30 ans, journaliste ex rédacteur du " père Duchêne " , dangereux, exalté et homme d'intelligence et de menées sourdes, propagandiste, mauvais sous tous les rapports.

          Ils sont également plusieurs à représenter des antécédents judiciaires dont l'examen montrent qu'ils se fondent :
          - sur des infractions de caractère politique ou ; sur des délits d'opinion ; de coalition ; d'association ; de complot :
          Jules Bourbier ancien détenu politique, homme d'action et très dangereux,
          Bathélémy Chardon 7 fois condamné pour vente d'imprimés ,
          Georges Duhamel 8 jours pour attroupement,
          Stéphane Gaillard 15 jours pour destruction d'arbres, renvoyé pour coalition, 25 f pour outrage à agent,
          Henri Gorlier arrêté pour cris séditieux et rébellion, acquitté en Assises, 25 f amende pour vol,
          Jean Herbulet arrêté 3 fois pour cris séditieux, complot. 10 ans de détention, cour de Paris 1839, gracié le 4 octobre 1844.
          Antoine Jacquemin acquitté de complot, 8 jours pour association,
          Claude Maison arrêt pour attentat, renvoyé, très dangereux, représentant de club,
          Augustin Morel non-lieu pour association illicite. Propagandiste dangereux, homme d'action,
          Louis Sanial arrêté pour complot en 1843, renvoyé.


          On peut donc constater une cohérence dans la définition des profils des " dangereux " où l'aspect politique domine.
          Qu'en est-il du profil des repris de justice ?

Les repris de justice

          Les 234 repris de justice font tous l'objet d'une observation personnelle quant à leurs antécédents judiciaires respectifs.
          Notons qu'une quarantaine d'entre eux se voient attribuer une annotation complémentaire plus politique.
          Leurs condamnations relève dans la plus grande majorité de la peine de prison et donc d'infraction de simple police ou de délits mais 8 d'entre eux ont été condamnés aux travaux forcés, une peine qui ne peut être prononcée qu'en matière criminelle. Parmi ces anciens forçats :
          Charles Cartigny, tourneur, âgé de 30 ans, condamné à 7 ans par les assises de la Seine.
          Jacques Dupont, imprimeur de 40 ans, condamné à 20 ans de travaux forcés le 22 août 1833 pour vol sur un chemin public, après 13 arrestations.
          Jean-Paul Ribon, fabricant de meubles, âgé de 40 ans, condamné à 8 ans de travaux forcés après avoir été arrêté 7 fois pour vol.


          A ces trois Parisiens de naissance, il faut ajouter :
          Alphonse Guillemont, natif de Quevauvillers dans la Somme, cordonnier de son état et condamné à 5 ans de travaux forcés pour vol, après 4 condamnations pour rupture de ban.
          François Martin, né à Confracourt en Haute Saône, âgé de 26 ans marié, un enfant, et déjà condamné à 5 ans de travaux forcés par contumace,
          Jean Baptiste Renaudin originaire des Ardennes, un journalier de 55 ans, condamné à cinq ans de travaux forcés pour vol.


          Les 6 forçats précités ont subi des condamnations prononcées à partir de faits relevant du droit commun. En revanche :
          Félix Chopin un serrurier parisien âgé de 50 ans, veuf et père de deux enfants a subi 3 ans de travaux forcés pour désertion, une peine qui a dû lui être infligé tandis qu'il était militaire.
          Enfin : Aimable Carpentier, natif de Gravelines a été condamné à 8 ans de travaux forcés pour attentat contre le gouvernement, une incrimination de caractère politique (cette peine a d'ailleurs été commuée en 8 ans de détention, laquelle est une peine politique.)

          En dehors des anciens condamnés aux travaux forcés se trouvent également parmi les repris de justice, de nombreux récidivistes et même des multirécidivistes. Ainsi en nous limitant à ceux qui avaient déjà subi plus de 5 condamnations, nous en avons relevé 26 soit 11% répondant à ce critère.
          Sur les repris de justice les plus souvent condamnés aucun n'est signalé pour sa dangerosité politique.
          Il s'agit de :
          Joseph Cuisinier, né à Dôle, âgé de 41 ans, enregistré comme perruquier mais 21 fois condamné,
          François Launoy, natif de Pont de Planches en Haute Saône, âgé de 33 ans, déclaré comme porteur aux halles et condamné 15 fois,
          Pierre Gaudot dit Pierre Michel, né à Paris, 52 ans tourneur en cuivre, 19 fois arrêté, 16 fois condamné,
          Julien Meyer dit Jean-Marie également né à Paris, 48 ans, peintre en bâtiment, 14 fois condamné.

          Les motifs de condamnation de ces quatre transportés sont identiques :
          - vols, vagabondages, rupture de ban.

          Ce sont des motifs que l'on retrouve parmi les 22 autres repris de justice condamnés plus de 5 fois. Il suffit pour s'en convaincre de consulter le tableau de référence et par ordre nominatif la liste suivante :
          Condamnés 10 fois :
          Jean-Baptiste Krieger et Alexis Martin.
          Condamnés 9 fois :
          Charles Meyer et Pierre Toitot.
          Condamnés 8 fois :
          René Beauvallet, Joseph Bourlé, François Duc, Jacques Morisot et Louis Oudard.
          Condamnés 7 fois :
          Louis Breton, Pierre Champs, Joseph Duffet, Louis Milsan, Pierre Naudin, et Jean-Baptiste Touchard.
          Condamnés 6 fois :
          Jean Bigarel, Louis Bonneville, François David, Narcisse Desbonner, Nicolas Meunier, Jean-Baptiste Pedeau et Gaspard Rivière.

          Seuls trois d'entre eux sont également signalés comme " dangereux politiques " :
          Narcisse Desbonner, Alexis Marin et Pierre Naudin.

          Quant à François Duc il est le seul à avoir été poursuivi pour " écrits séditieux ", un délit à caractère politique.
          On peut également constater que parmi les individus précités ayant subi de nombreuses condamnations, nombre d'entre eux ont connu des arrestations encore plus nombreuses. C'est le cas pour :
          - François Duc arrêté 17 fois,
          - Joseph Bourlé 16 fois,
          - Pierre Naudin 14 fois,
          - François David 13 fois,
          - Charles Meyer 12 fois,
          - Jacques Morisot et Pierre Toitot 11 fois,
          - Louis Milsan et Jean Baptiste Touchard 10 fois,
          - Pierre Champs et René Beauvallet 9 fois ainsi que
          - Jean-Baptiste Pedeau 8 fois.


          Ce profil de délinquants récidivistes condamnées à des peines de prisons pour des motifs comme :
          - le vagabondage, la mendicité, la rupture de ban, les coups et blessures, l'outrage, la rébellion et au pire le vol,
          Laisse à penser que ces antécédents ont dû peser lourdement au moment de l'établissement des listes des graciés par les différentes commissions désignées à cette effet.

          La catégorie qui sépare les " dangereux " des repris de justice répond donc à des critères reconnaissables.
          Pourtant les frontières entre les deux catégories dont loin d'être hermétiques.
          En effet un certain nombre d'individus, au vu des renseignements en notre possession, auraient pu être classés dans l'une ou l'autre.

          Ainsi une trentaine de dangereux (13,3%) sont signalés avec en marge des annotations qui auraient pu les faire relever de la catégorie des repris de justice :
          - Jean-François Armand, 20 jours pour coup en 1845
          - Julien Arondel, 6 jours pour rébellion et outrages,
          - Charles Bachelet, renvoyé 3 fois de vol et vagabondage, 3 jours pour coups, Claude Bataille, 3 jours pour vol,
          - Charles Bivors, 10 jours de prison pour rébellion François
          - Blondeau 6 jours de prison pour coups,
          - Pierre Boudin, 2 fois condamné pour coups,
          - Désiré Desgrief, 8 jours pour coups,
          - Edouard Gossart, 7 fois condamné pour contravention,
          - Marie-Etienne Grobois, arrêté 3 fois pour coups et blessures, condamné 1 fois,
          - Philippe Joson, 3 jours pour vol,
          - Eugène Labarre, 15 jours pour coups et blessures,
          - Sébastien Laroche, 2 condamnations pour outrages, rébellion et coups,
          - Jean Leprince, 10 jours de prison pour coups,
          - Louis Link, 6 jours pour rébellion,
          - Jean-Baptiste Mouton, 8 jours pour coups et blessures,
          - Désiré Renard, 1 mois pour coups etc.


          De même, comme indiqué plus haut, une quarantaine ce repris de justice (17%) sont signalés, avec en marge, des annotations de caractère très politique.
          Ainsi la mention " dangereux politiques " apparaît 29 fois (12,4% des repris de justice).
          Mais l'on trouve aussi des mentions :
          - très exalté, très mauvais, très dangereux…

          Parmi les repris de justice les plus mal notés du point de vue politique, on peut signaler les 3 Parisiens suivants :
          - Jean-Baptiste Barbier, 30 ans menuisier, dangereux au point de vue politique.
          Demi-instruction. Auteur de plusieurs mauvaises chansons socialistes, homme d'action,
          - Joseph Poussot, 37 ans, journalier et brocanteur. 3 condamnations pour vol, 2 non-lieux pour vagabondage. Très dangereux, homme politique d'action et de barricades,
          - Louis-Pierre Chaumont, 43 ans parquetier, marié, 2 fois condamné pour vol. Très exalté, très dangereux, meneur froid mais résolu.


          Les développements qui précèdent ont permis de montrer que la répression des journées de juin a concerné à la fois des politiques ou des auteurs de délits d'opinions et des délinquants relevant du droit commun même si une grande partie de cette dernière délinquance est issue de la misère.
          Mais il en est ainsi dans tous les mouvements insurrectionnels.

          Au-delà de la volonté manifeste de discréditer les " politiques " en les mêlant à de vrais délinquants, la loi du 24 janvier 1850 apparaît bien au moins dans son application comme un prélude aux futurs décrets d'exception qui permettront après le 2 décembre, la transportation en Algérie et en Guyane de milliers d'opposants à Napoléon III, classés soit comme " affiliés à des sociétés secrètes " soit comme repris de justice comme "repris de justice ".

          La similitude entre le classement de janvier 1850 " dangereux " et " repris de justice " d'une part et celui de décembre 1851 " affiliés à des sociétés secrètes " et repris s de justice d'autre part est évidente.
          On peut aussi penser que l'on a voulu profiter de cette transportation pour débarrasser Paris de délinquants arrêtés entre le 23 et le 27 juin 1848.

          Mais à cette date, le nombre de ces délinquants qui ont été finalement transportés est bien trop faible pour avoir des conséquences sur la baisse de la criminalité parisienne et cette hypothèse pourra mieux être appliquée aux transportés du 2 décembre.
          Elle sera également évoquée à propos des déportés de la Commune.
          Elle se fondera alors sur les statistiques des services de la Déportation lesquelles signaleront la présence de nombreux auteurs de délits parmi ces déportés.

          Selon l'Administration Pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie sur 3324 déportés de la Commune, 1185 auraient subi 3.194 condamnations.
          En revanche, et même si elle procède d'une autre logique, la loi sur la relégation du 27 mai 1885, permettra d'exiler légalement en Guyane et en Nouvelle-Calédonie des milliers de petits délinquants récidivistes dont les profils seront semblables sinon identiques à ceux de la catégorie " repris de justice " des transportés de 1848.

          Comment donc ne pas voir dans cet amalgame entre dangereux et repris de justice la progression du concept classes laborieuses classes dangereuses défini par Louis Chevalier et l'illustration de " la peur sociale " éprouvée par les classes dirigeantes ?
          Les instructions données aux commandants des navires chargés de la transportation des insurgés de juin sont à cet égard révélatrices :des insurgés de juin sont à cet égard révélatrices :
          Il ne doit s'établir aucune intimité entre les passagers et l'équipage … Le bon esprit qui règne dans la Marine doit rester pur de tout contact même prolongé avec les doctrines subversives de ces hommes égarés.
          Notons que ces instructions ne semblent pas établir de différence de " nocivité " entre les deux catégories de transportés.

          A notre connaissance aucune instruction ne fait référence à des différences de traitement ou de régime entre les dangereux et les repris de justice à Belle-île comme sur les navires transporteurs.
          Ainsi sur l'Asmodée sont embarqués, sans autre distinction que l'ordre alphabétique 114 dangereux et 108 repris de justice.
          On y trouve aussi Edouard Rigaudin et Jean-Baptiste Maritus dont les catégories ne sont pas précisées.

          L'administration de Belle île a mis en place des catégories qui créent un cadre répressif dont les délimitations ne sont pas encore rigoureusement définies laissant ainsi ouverte la porte à une application qui ne prolonge pas les distinctions initiales.
          Cependant cette première catégorisation annonce aussi, sans conteste, des dispositions futures beaucoup plus contraignantes.

          Les détenus de Belle-Île sont originaires de 64 départements français. Onze d'entre eux sont nés à l'étranger.
          Les origines de 446 détenus sur 462 ont pu être reconstitués (12 sont sans mention de lieu de naissance, pour les 4 autres, soit le département n'est pas indiqué soit le lieu de naissance est illisible).
          Sur ces 446 identifiés on trouve 233 repris de justice sur 234,
          212 " dangereux " sur 225 et Jean Baptiste Maritus originaire de Moselle.

          Les pourcentages suivants sont établis à partir de ces chiffres :
          - Paris 140 (31%)
          - Seine et région parisienne 44 (10% )
          - Province 215 (57%)
          - Étranger 11 2% .


          Les natifs de Paris (132) et des communes qui y seront annexées en 1860 représentent 140 individus. Si on leur rajoute les natifs des communes de l'ancien département de la Seine, on arrive à 157 détenus (35,2%), chiffre qui atteint 184 (41,2%) avec les originaires de l'ancien département de Seine et Oise (20) et ceux de Seine et Marne (7) Paris et la région parisienne représentent donc, selon les critères choisis, entre 31 et 41% des effectifs des derniers insurgés de juin détenus à Belle île.

          Ces derniers sont donc majoritairement issus de la province, entre 66% (295/446) et 56,3% (251/446) selon les critères retenus.
          - Province : 251 (57%),
          - Paris : 140 (31%),
          - Seine et région parisienne : 44 (10%),
          - Étranger 11 : (2%)


          Les régions du Nord de la Picardie, du Nord-Est et de l'Est constituent la source d'origine de la majorité des provinciaux de notre étude, soit un détenu sur 4.
          Par rapport au nombre total de détenus dont l'origine est identifié (446) le Nord et la Picardie :
          - Aisne, Nord, Pas de Calais, Oise, Somme, représente 11,6% du contingent (52 individus).

          Le Nord-Est et l'Est en l'entendant jusqu'au Jura :
          - Ardennes, Aube, Doubs, Haute Marne, Haute Saône, Jura, Meurthe, Meuse, Moselle, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Vosges, avec 62 originaires atteint 14% de l'effectif total.

          Les autres régions les plus importantes quant à l'origine des détenus sont la Normandie :
          - Calvados, Eure, Orne, Manche, Seine Inférieure avec 30 natifs (6,7% de l'effectif global)
          Et l'Auvergne le Limousin :
          - Cantal, Creuse, Haute Vienne, Puy de Dôme avec 27 natifs (6%).
          A l'Ouest, la Bretagne :
          - Finistère, Ille et Vilaine, Morbihan, Loire Inférieure : Nantes, n'est présente qu'à travers 9 détenus mais les Bretons, comme le note Jacques Houdaille sont assez rares parmi les Parisiens d'adoption au XIXe siècle.

          Quant aux régions d'Auvergne et du Limousin, le même Jacques Houdaille avait déjà signalé dans son étude la forte proportion des natifs du Limousin (les maçons de la Creuse). On trouve en effet :
          - 27 originaires du Cantal (4),
          - de la Creuse (7 dont 6 maçons),
          - de la Haute-Vienne (9) et
          - du Puy de Dôme (7).


          Certaines régions sont très peu représentées parmi l'effectif de Belle-île. C'est le cas du Sud-Est :
          - Basses Alpes, Var
          qui même en y adjoignant des départements du Languedoc :
          - Aude, Gard, Lozère
          n'est concerné que par 8 individus (1,8%) de l'effectif global.

          Parmi les régions peu présentes, la vallée du Rhône et les Alpes avec 12 originaires (2,7%) des départements de :
          - l'Ain, de l'Ardèche, de la Loire, du Rhône, de la Savoie.

          Les autres régions fournissent à l'ensemble des transportés de 1848 des effectifs d'égale importance mais qui représentent des différences notables avec l'étude menée par Jacques Houdaille :
          19 transportés natifs du Centre et des pays de Loire :
          - Eure et Loir, Indre, Indre et Loire, Loir et Cher, Loiret, Maine et Loire, Mayenne, Sarthe soit 4,3 contre 8,8% pour Houdaille.

          17 originaires de Bourgogne :
          - Nièvre,
          - Saône et Loire,
          - Yonne soit 3,8% contre 7,4 pour Houdaille.


          15 nés dans le Sud-Ouest, du Poitou à l'Aquitaine :
          - Ariège, Dordogne, Gironde, Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées, Landes, Lot et Garonne, Tarn soit 3,4% contre 4,4% pour Houdaille.

          Les étrangers sont peu nombreux : 11 (2,5% de l'effectif global) parmi eux 4 repris de justice et 7 dangereux.
          Trois Belges sur les 4 recensés ont été classés parmi les dangereux :
          - Célestin Coustry,
          - François Deslaëf d'Ypres et
          - François Liberton de Bruxelles.
          - Le dernier Jérôme Eloi est un ouvrier du chemin de fer originaire de Mons.


          En provenance des différentes régions d'Allemagne, on trouve deux repris de justice :
          - Antoine Merkel, Abraham Schmidt
          - Mathieu Leinen, 29 ans, un marchand de vin né à Sarrelouis et signalé comme très dangereux réunissant chez lui des socialistes, très exalté et
          - Paul Maillard, un bavarois âgé de 25 ans, conducteur sur le chemin de fer, noté comme exalté au dernier degré, homme d'action, de coups de main, très dangereux.


          Également signalé comme très dangereux, meneur ardent ayant pris part à toutes les manifestations, homme d'action et de paroles,
          - l'ltalien Ange Molonari, natif de Gênes, âge de 30 ans et bijoutier de son état.
          - Son compatriote François Trisconi, un Piémontais, tourneur en cuivre de 42 ans, a été classé parmi les repris de justice.

          Le dernier étranger Constantin Corneille Pépé est natif des Pays-Bas et il appartient à la catégorie des dangereux.

          Leurs domiciles
          S'ils sont en majorité originaires de la province, les transportés de 1848 sont domiciliés à Paris même. Vingt-huit d'entre eux soit à peine 6% résident en région parisienne :
          - département de la Seine (19),
          - de la Seine et Oise (4),
          - de la Seine et Marne (1),
          - de l'Oise (4).


          Pour l'ancien département de la Seine :
          - 10 résident dans les communes appartenant au Val de Marne,
          - 4 en Seine Saint Denis,
          - 5 dans les Hauts-de-Seine.


          Pour les 4 résidant dans l'ancien département de Seine et Oise, la répartition est la suivante :
          - 2 à Corbeille dans l'Essonne et
          - les 2 autres respectivement à Gagny en Seine Saint Denis et Villiers sur Marne dans le Val de Marne.


          Le domicile n'est pas indiqué sur les états consultés pour 12 détenus de Belle île. De plus sur les 422 domiciliés à Paris, 9 d'entre eux n'ont pas pu être identifiés, soit parce que le nom de la rue est illisible, soit parce qu'il a été impossible de la retrouver dans la nomenclature des rues de Paris.
          Dans ces deux derniers cas, le nom de la rue est indiqué en italiques.
          Exemples :
          - rue des Lavandières, sans autre précision alors qu'il existe les Lavandière place Maubert (5e arrondissement) et les Lavandières Sainte-Portune (1er),
          - rue du pont de la Réforme ou encore
          - Caserne municipale de Paris dont à la différence des autres casernes, nous n'avons pas retrouvé l'arrondissement.


          L'emplacement des rues par rapport aux arrondissements actuels a pu donner lieu à quelques erreurs, mais elles sont minimes et elles n'entraînent pas de conséquences sur les pourcentages retenus dans cette étude.
          Ces pourcentages entre les arrondissements ont été calculés à partir de 413 domiciles effectivement identifiés pour Paris dans ses limites actuelles.
          Pour les anciennes communes intégrées dans Paris en 1860, leur nom est indiqué en premier. Exemples :
          - Montmartre, Belleville, la Villette.

          Dans nos calcul de répartition, ces communes ont été placées de la manière suivante :
          - actuel 15e Grenelle,
          - actuel 16 Auteuil, Passy,
          - actuel 17e Batignolles,
          - actuel 18e la Chapelle, Montmartre,
          - actuel 19e/20e la Villette, Belleville.


          Selon l'étude de Jacques Houdaille :
          - " C'est le 11e et le 20e arrondissements qui ont le plus contribué à l'insurrection.
          - Les quartiers du centre sont également bien représentés.
          - L'Ouest de Paris a peu pris part à l'insurrection.
          - La banlieue Sud-Est au contraire est bien représentée.


          Ces conclusions ont été établies par rapport au nombre d'habitants par arrondissements et non pas par rapport au nombre totale de détenus en 1848.
          Cependant les grandes lignes desdites conclusions se trouvent confirmées par nos propres relevés à propos des transportés de 1848.
          En effet, :
          - 60 d'entre eux (14.6%) sont domiciliés dans le 11e arrondissement et
          - 36 (8,7%) dans le 19e/20e tandis que
          - 137 transportés résident dans les quartiers du centre 3e et 4e (28,3%) et
          - 24 dans le 1e et le 2e arrondissements. (5,6%).


          Dans le 11e les rues les plus citées en référence sont :
          - la rue Sainte Marguerite,
          - la rue du Faubourg Saint Antoine,
          - la rue de Charonne,
          - la rue Popincourt.


          Pour les 3e 4e arrondissements, ce sont :
          - les rues Geoffroy Lasnier,
          - Saint Antoine,
          - Saint Martin,
          - de l'Hôtel de Ville,
          - de la Verrerie.


          Dans les 19e et 20e arrondissements les communes de Belleville et de la Villette fournissent la majorité des domiciles.
          Les 9e, 10e, 18e regroupent à eux trois les domiciles de 50 transportés (12%) et leur apport n'est donc pas négligeable, avec les rue :
          - du faubourg du Temple,
          - du faubourg Saint Martin (10e),
          - du faubourg Poissonnière (9e)
          - ainsi que les communes de Montmartre et de la Chapelle.


          L'Ouest de Paris n'est pratiquement pas représenté, un seul résident à Passy et un autre à Auteuil.
          Même remarque pour l'actuel 8e avec un seul ressortissant.
          Quatre autres transportés sont domiciliés dans la commune des Batignolles laquelle correspond au 18e.

          Enfin pour en terminer avec les arrondissements de la rive droite 12 transportés ont élu domicile dans le 12e en particulier dans la rue de Charenton et de la rue Traviersière.
          En revanche la rive gauche abrite un transporté sur quatre.
          Les 5e et 6e représentant les principaux lieux de domicile avec 92 résidents, soit 22,3% des transportés domiciliés à A paris.
          Les rues qui apparaissent les plus souvent étant :
          - la rue Saint Jacques,
          - la rue Mouffetard,
          - la rue de la Montagne Sainte Geneviève,
          - la rue Saint Nicolas du Chardonnet.


          Leur âge
          L'âge moyen des transportés de 1848 s'élève à un peu plus de 32 ans.
          Ils sont dans l'ensemble plus jeunes que l'ensemble des détenus de juin 1848 étudiés par Jacques Houdaille qui avance un âge moyen de 33,8 ans.
          La répartition par tranche d'âge donne des pourcentages identiques pour les 30/39 ans et les 40/49 ans qui représentent 50% des détenus en 1848 comme des transportés de Belle Île.
          En revanche la catégorie d'âge ses 29/30 ans passe de 33% en 1848 à 39% en 1850. Pour les âges extrêmes les proportions représentent également des différences notables.
          Ainsi sur les 14 détenus âgés de 60 ans en 1848, un seul sera finalement transporté vers l'Algérie. Il s'agit de Jean-Jacques Romeron, un journalier né à Courtefontaine dans le Jura, âgé de 66 ans, marié et père de 4 enfants. Il est signalé comme ayant effectué 13 mois de prison pour vol.
          De même les moins de 20 ans qui représentent 9% des listes des détenus en 1848 ne sont plus que 7% en 1850.
          Dans les deux cas il est difficile de savoir si leur jeune âge ou leur âge avancé ont constitué un motif d'atténuation de leur peine initiale pour les différences commissions de révision ou de grâce.

          Répartition par âges des transportés de 1848
          - moins de 20 ans : 28 (6%)
          - 20 à 29 ans : 177 (39%)
          - 30 à 39 ans : 144 (31%)
          - 40 à 49 ans : 87 (19%)
          - 50 à 59 ans : 23 (5%)
          - 60 ans et plus : 0%


          Pour Houdaille :
          - moins de 20 ans : 101 (19%)
          - 20 à 29 ans : 359 (33%)
          - 30 à 39 ans : 348 (31%)
          - 40 à 49 ans : 207 (19%)
          - 50 à 59 ans : 78 (7%)
          - 60 ans et plus : 14 (1%)


          Le classement établi à Belle île permet d'effectuer les constats suivants :
          (classement établi sur 224 dangereux sur 225 et sur les 234 repris de justice).
          Ceux-ci sont en moyenne plus âgés, 35 ans au lieu de 29 ans ½ pour les dangereux.
          Ainsi les moins de 20 ans sont 7 chez les repris de justice et 21 pour les dangereux.
          69 repris de justice, soit 29,5% ont entre 20 et 29 ans contre 47,8% pour les dangereux soit 107.
          La tranche d'âge entre 30 et 39 ans représentant 81 individus chez les repris de justice (34,6%) et 62 (27,6%) chez les dangereux.
          Pour les 40 ans et au-dessus les chiffres donnent 67 personnes (dont 18 ont 50 ans et plus), soit 28,6% pour les repris de justice et 34 (dont 6 ont 50 ans et plus) soit 15,1% pour les dangereux.

          Le plus jeune détenu de Belle île est Adolphe Normand, un tourneur en fer, natif d'Amiens et qui ne serait âgé que de 15 ans, un âge qui n'a pas empêché l'Administration de le classer comme dangereux.
          Le plus jeune repris de justice, Louis Jobert, est un Alsacien né à Lauterbourg dans le Bas-Rhin. Ce journalier a déjà été condamné à 4 ans pour vagabondage.

État civil

          Au point de vue de l'état civil, les repris de justice en moyenne plus âgés :
          - sont mariés pour 41 % d'entre eux,
          - soit 84 individus contre 39, soit 20% chez les " dangereux. "
          - 8 repris de justice sont déclarés non mariés et
          - 9 veufs,
          - enfin 103 sont célibataires.


          Pour les " dangereux " les mêmes références donnent :
          - 3 veufs,
          - 4 non mariés et
          - 147 célibataires.

          Les mentions d'état civil ne sont pas indiquées pour 62 détenus dont 30 repris de justice et 32 " dangereux " (les pourcentages précités ont été établis sur ces bases soit 204 repris de justice et 193 " dangereux ".)

          Enfants
          Les états de Belle Île font également mention de 161 enfants issus de ces détenus dont :
          - 131 de couples mariés,
          - 16 de non mariés,
          - 10 de veufs et
          - 4 de célibataires.


          Par rapport au classement " dangereux " et repris de justice, 50 enfants sont issus des premiers qui sont également les plus jeunes et parmi lesquels on trouve le plus de célibataires et 11 enfants des seconds.
          Notons que 2 d'entre eux sont pères de 5 enfants :
          - un bitumier de 42 ans, François Auguste Jolin né à Villey-le-sec dans la Meurthe, repris de justice déjà condamné 4 fois pour :
          - vagabondage,
          - rébellion et
          - outrages

          et
          - Louis Alexandre Riquier d'Auxi-le-Château dans le Pas-de-Calais, un instituteur de 44 ans signalé comme " mauvais esprit, un des auteurs du factum (exposé écrit de faits juridiques présentés devant le tribunal lors d'un procès ou d'un jugement ) adressé à Lagrange. Propagandiste " et de ce fait classé dans " les dangereux ".

          Leurs professions
          Ces transportés se recrutent en très grande majorité 74% parmi :
          - les artisans,
          - les ouvriers
          - les manœuvres du secteur secondaire (340 sur 459 professions déclarées).

          Le secteur tertiaire :
          - commerçants,
          - employés de commerce,
          - de maisons,
          - gardes mobiles et
          - républicains,
          - intellectuels,
          - artistes etc
          - représentant 25.5% des effectifs (117 sur 459).


          Le secteur primaire est ultra minoritaire avec un seul cultivateur et un journalier apprêteur de faux.
          Dans le secteur industriel et de l'artisanat, les métiers du fer sont les plus nombreux avec 80 individus apparaissant comme :
          - fondeurs, forgerons, mécanicien, tourneur et surtout serrurier.

          Puis viennent les professions du chez les détenus en 1848 avec 65 personnes dont :
          - 21 maçons,
          - 13 menuisiers,
          - 12 peintres.


          Jacques Houdaille avait déjà noté qu'ils étaient moins nombreux que les " métallurgistes " chez les détenus de 1848 mais il faut nuancer cette affirmation pour les transportés de 1848 car plus de 34 d'entre eux sont déclarés comme :
          - journaliers,
          - hommes de peine ou
          - manœuvres

          Sans qu'il soit précisé s'ils " exercent dans le bâtiment ou les métiers du fer.
          De plus nous avons recensé dans des secteurs différents du bâtiment des activités qui en sont proches comme :
          - les carriers, les terrassiers, les tailleurs de pierres (18 au total)
          - ou les professionnels de l'ameublement : ébénistes, tourneurs en bois, tabletier.. (18 au total).
          - Les métiers des tissus : teinturiers, tisserands
          - (16 personnes) de l'habillement : tailleurs, chapeliers (17 personnes)
          - ou du cuir (30 individus dont 22 cordonniers) représentent au total 18,5% du secteur secondaire.
          - La catégorie des métiers de l'alimentation : cuisiniers, boulangers (19 individus mais nous avons aussi inclus dans ce classement 6 forts et porteurs des halles)
          - ainsi que de nombreuses autres activités artisanales : Tonneliers, coiffeurs, perruquiers, cordier
          - ou de " petits métiers " dont beaucoup aujourd'hui disparu :
          - Fabriquant de porte-crayons, peintre en porcelaine, graveur de peignes, polisseur en peignes complètent ce tableau.


          Il faudrait aussi signaler la présence de 5 transportés recensés comme bijoutiers et de 2 horlogers que nous avons classé parmi les artisans plutôt que comme commerçants.
          Enfin notons la présence de 2 architectes dont :
          - Antoine Beury cité plus haut et
          - Jean-Pierre Jouanneau âgé de 20 ans qui est, comme son collègue, classé parmi les dangereux.


          Il semble difficile de tirer des enseignements quant à la répartition de ces professions de l'industrie et de l'artisanat entre les 2 catégories de détenus, constatons que sur 28 journaliers, 23 sont classés dans les repris de justice ainsi que 14 cordonniers sur 22, de même que tous les porteurs des halles.
          En revanche tous les mécaniciens et tous les cuisiniers apparaissent chez les dangereux.

          Dans le secteur tertiaire, les commerçants et les employés de commerce représentent 34% des effectifs dudit secteur.
          Mais l'on a souvent affaire à du petit commerce ; on relève ainsi :
          - 7 marchands des quatre saisons,
          - 2 marchands ambulants,
          - 2 brocanteurs,
          - 2 marchands forains,
          - 1 chiffonnier,
          - 1 colporteur,
          - 1 marchand de coco,
          - 1 marchand d'oignons,
          - 1 marchand de contremarques.


          Restent :
          - des commissionnaires, teneurs de livres, garçons de magasin, comptables et 5 marchands de vin.
          Les métiers des transports :
          - charretiers, cochers, mariniers représentent 22 personnes si l'on y inclut les ouvriers des ports.

          Autre catégorie importante : les gardes mobiles et les gardes républicains.
          Certains ne sont déclarés que comme gardes mobiles (13) ou gardes républicains (6), d'autres sont déclarés avec une double activité (7) :
          - Pierre Magny journalier et garde républicain,
          - Louis Link serrurier-mécanicien et garde mobile …

          Seuls 10 d'entre eux ont déclaré comme résidence leur caserne.
          Le jeune âge des gardes mobiles qui se sont battus contre les insurgés de juin a souvent été évoqué, Jacques Houdaille cite en particulier Lamartine et Marx).

          Dans l'échantillon étudié nous avons aussi relevé parmi les gardes mobiles et républicains faisant partie des insurgés de nombreux jeunes gens. Ils sont 9 âgés de 17 à 20 ans. Les deux plus jeunes sont :
          - Alexandre Miller 17 ans, né à Charonne et incorporé à la caserne de Rosny et
          - Nicolas Rivière 18 ans, originaire de la Charité sur Loire dans la Nièvre et incorporé à la caserne d'Aubervilliers.


          Ils ne sont que deux quadragénaires :
          - Hippolyte Lermigeaux, 47 ans, capitaine de la garde républicaine que nous avons déjà évoqué parmi les meneurs de l'insurrection et
          - Christophe Dieudonné, 45 ans, originaire de la Meuse, classé à Belle- le parmi les repris de justice pour avoir été condamné, le 13 janvier 1848, à un an de prison par défaut par le tribunal de Paris.


          La moyenne d'âge des gardes mobiles et des gardes républicains faisant partie des transportés de 1848 s'établit à 27 ans. Cette moyenne ne tient pas compte de deux gardiens de Paris, des transportés déjà cités :
          - Jean-François Dalongeville, originaire de Vraucourt dans le Pas-de-Calais âgé de 51 ans et
          - Joseph Napoléon Cuisnier, un Parisien de 34 ans qui a déjà subi une condamnation de 3 ans pour vol et qui est donc classé parmi les repris de justice.


          De même cette moyenne d'âge ne tient pas compte de deux transportés déjà cités :
          - Victor Kollmann, 20 ans et Jean-Marie Hugelmann 19 ans, respectivement ex-sous-lieutenant et ex-lieutenant de la garde mobile.

          Pour compléter ce paragraphe notons que les gardes mobiles et les gardes républicains sont répartis dans le classement de Belle Île entre 19 dangereux et 9 repris de justice.
          Ont également été répertoriés dans cette catégorie armée/police Pierre Becker, lieutenant -colonel de la légion italienne déjà cité et Jean Auguste Pion, 24 ans, un ancien militaire né à Paris ainsi que le repris de justice Marie Félix Marmet, 29 ans, originaire de Noyon dans l'Oise, soldat au 18e régiment.

          Enfin dernière catégorie appartenant au secteur tertiaire : les professions libérales et les étudiants qui ne forment qu'une petite minorité.
          On y recense un avocat, Jules Peyron déjà cité, un étudiant en médecine de 23 ans, Charles Costin, originaire de Saint-Lô dans la Manche et un étudiant en droit Jean Massé, né à Sainte-Foy-la grande en Gironde et âgé de 25 ans.
          Tous trois ont été classés dans les dangereux.

          Nous avons déjà évoqué le cas des " intellectuels " considérés comme les meneurs de la révolte et également classés parmi les " dangereux " :
          - Louis Riquier,
          - Émile Thuillier,
          - Jean Terson,
          - Gabriel Pelin,
          - Jean-Marie Huegelmann et
          - Louis Pujol.


          Il faudrait leur joindre un autre meneur classé, lui, parmi les repris de justice : Donat Lucien Pelletier de Lorgues, 31 ans ancien commissaire de Ledru-Rollin, condamné à un an pour vol et présenté comme un cerveau fêlé, rêvant le règne du socialisme et le niveau égalitaire. "

Conclusions

          Si l'ensemble des développements qui précèdent contribuent à une meilleure connaissance des transportés de 1848, leur devenir individuel respectif n'y est pas traité.
          La dernière colonne signale les 30 d'entre eux qui seront par la suite transférés en Guyane.
          Des travaux ont été réalisés sur le centre de Lambèse en Algérie où ils ont été regroupés. Mais " les transportés de 1848 " seront rapidement rejoints en Algérie Notamment à Birkadem et Douéra par :
          - les " transportés de 1852 " et par
          - d'autres condamnés politiques du second Empire ainsi que
          - des repris de justice bien plus nombreux qu'eux.


          A notre connaissance, les études à propos des transportés politiques en Algérie concernent l'ensemble de la transportation politique sans distinction de leurs condamnations initiales.
          En plus des travaux Marcel Emerit déjà cités, mentionnons ceux :
          - de Fernand Rude dont " mourir à Douéra " et
          - de Georgette Sers
          - ainsi que le mémoire de maîtrise, " l'Algérie de 1848 à 1858 : 10 ans de transportation politique de Véronique Ragueso.


          La bibliographie sur ce thème pourra être complétée avec profit en consultant de Jean-Claude Farcy, la bibliographie d'histoire de la justice en France (1789-2004) sur le site de Criminocorpus.
          Il est certain qu'un grand travail universitaire à propos des " bagnes d'Afrique " pour reprendre l'expression de Charles Ribeyrolles mériterait d'être mené en particulier à partir des Archives d'Outre-Mer.

          Dans l'attente de ce grand travail, un article à destination du site Criminocorpus est en cours de rédaction. Il traitera de l'utilisation d'une législation d'exception pour transporter les politiques sous le Second Empire en prenant pour exemple la transportation politique en Guyane. *
          Nous tenterons également d'établir avec un tableau joint la liste de tous ces transportés politique quelques soient les origines de leurs condamnations ainsi que leurs devenirs. L'ensemble constitué par la présente étude, par celle intitulée " transporter les insurgés de 1848 mis en ligne sur le site Criminocorpus par la publication prochaine du travail à propos des transportés politiques du Second Empire en Guyane, ainsi que l'article relatif à la loi de déportation politique du 8 juin 1850 : des débats parlementaires aux Marquises, déjà mis en ligne sur le site de Criminocorpus fera apparaître la transportation des insurgés de juin pour ce qu'elle est : une répétition générale des déportations massives qui suivront le 2 décembre 1851 et un prélude à la déportation des Communards.
Criminocorpus, revue d'Histoire de la justice,
des crimes et des peines.


Je suis la première prise du FLN
à Alger le 4 juin 1962 !
Envoi de M. Christian Graille

               En 1962 je dirigeais l'école de filles de la rue Aumerat. Le quartier de Belcourt était " chaud " mais je n'avais jamais eu d'ennuis.
               Néanmoins le 9 février 1962 je recevais une lettre du FLN ainsi rédigée : " nous avons connaissance de vos sentiments et agissements racistes ainsi que des brutalités envers les élèves musulmans.
               Pour cette fois nous vous donnons un avertissement. Si vous continuez nous vous éliminerons dans les plus brefs délais et avis pour les autres chiennes qui sont sous vos ordres " (trois noms suivaient).

               Le même jour, comme si une concertation avait été possible, et ce n'était sûrement pas le cas, l'OAS me menaçait de sanctions parce que " je continuais à recevoir mes élèves ". La coupe était pleine.
               Fort heureusement aux beaux jours, dès le samedi midi, nous partions en famille nous détendre au bord de la mer et n'en revenions que le lundi matin.

               Ma surprise fut grande ce lundi 4 juin 1962 quand j'entrai dans la cour de mon école envahie par des militaires. Je sus immédiatement qui ils étaient avant qu'ils clament " FLN willaya 4 ". Les chefs étaient assis sur des bancs autour de grandes tables tandis que le reste du groupe circulait librement du rez-de-chaussée au troisième étage. Je découvrais alors que :
               - toutes les classes étaient ouvertes,
               - mon bureau occupé,
               - les armoires fouillées et pillées.

               Une sourde colère montait en moi mais je devais rester calme.

               Les questions que je posais restant sans réponse je préférais gagner mon appartement au deuxième étage ; j'en parcourais les pièces, anéantie, choquée ; j'en repartis aussitôt.
               Je n'y serais jamais revenue si je n'avais pas prévu un déménagement fixé au 6 juin. Ce matin-là je devais faire transporter une partie de nos affaires dans un appartement de la rue Michelet cédé par des amis.

               Parmi elles se trouvaient une colonne de lavabo dans laquelle mon mari avait glissé et scellé deux revolvers. Il ignorait alors que la fille de ma femme de ménage, une musulmane à qui je confiais les clés de mon appartement, l'avait vu à l'œuvre et avait fait son rapport.
               D'ailleurs sans sa complicité les membres de la willaya 4 n'auraient jamais pu pénétrer dans l'école.
               A l'heure dite ce mercredi 6 juin, la camionnette arrive, le chargement commence aussitôt et tout va très vite. Je suis alors dans mon appartement dans lequel y entre qui veut sans la moindre gêne.

               C'est à ce moment que les gardes mobiles, venus, je ne sais d'où, pénètrent dans l'école ; leur chef monte chez moi, se présente et me dit : " Nous apprenons que vous détenez des armes, nous venons les saisir ".
               Je suis en mauvaise posture; je profite d'un moment, le seul d'ailleurs, où personne n'est là pour lui dire :
               - " Tirez-moi de là !
               je suis venu en Algérie, me répond-t-il, pour combattre le FLN, comptez sur moi !"

               C'est alors que mon appartement est envahi à nouveau car, entre-temps, les gardes mobiles restés dans la cour avaient saisi et emporté la colonne de lavabo que les membres du FLN avaient interceptée lors du déménagement et posée sur une table ; c'était la pièce à conviction qui s'envolait.
               La colère gronde et se manifeste par :
               - des cris, des menaces, des injures et je suis seule ;
               Se présentent alors trois militaires de l'armée française qui entrent chez moi ; je respire …j'ignore encore ce qu'il m'attend….
               " Capitaine X je vous arrête pour détention illégale d'armes, suivez-moi, je vous prie et vite ". Le ton est si péremptoire que je compris qu'il me fallait obéir et cesser de poser des questions.

               J'apprendrai bien plus tard que ce capitaine craignait pour ma propre sécurité.
               Nous sortons de mon appartement en file indienne :
               - le capitaine ouvre la marche,
               - suivent :
               - un adjudant-chef,
               - moi-même,
               - un jeune militaire du contingent qui la ferme.

               Dans cet ordre nous descendons les escaliers, traversons la cour tête haute, je n'ai pas un regard pour ceux qui, assis, massés sur notre passage, nous regardent.

               C'est le cœur " gris " que je franchis pour la dernière fois le seuil de l'école, " mon école ". J'ai le sentiment alors d'y avoir fait du bon travail, aidée dans ma tâche par des professeurs et des instituteurs que je remercie ici.
               Nous nous engouffrons dans une voiture qui nous attend et démarre à vive allure.
               Elle s'arrête devant un édifice que je ne connais pas.
               J'en descends, le capitaine m'accompagne et me confie à un employé : c'est ainsi que je me suis retrouvée à l'école de police d'Hussein Dey.
               Je m'assieds et là commence une longue, une très longue attente.
               Après des demandes réitérées un commissaire finit par arriver et un dialogue s'engage. (Je n'en citerai que les phrases essentielles).
               - Pour quelles raisons suis-je ici ?
               - vous êtes, Madame, la première prise du FLN à Alger
               - vous plaisantez, l'Algérie est encore française, rendez-moi ma liberté.
               - impossible…. D'ailleurs le responsable c'est votre mari ; il doit venir vous remplacer.

               Mon mari me remplacera. Il sera le soir même envoyé en résidence surveillée " aux Quatre Chemins " (à quelques kilomètres de Boufarik) là où s'entassaient déjà dans la plus grande promiscuité des membres de l'OAS.

               Le 13 juin je quittais Alger, Le 21 juin mon mari était libéré,
               Je dois avouer que :
               - Je n'ai jamais su qui avait alerté les gardes mobiles ni
               - comment ils avaient appris que des armes étaient dans la colonne d'un lavabo.
               - Je n'ai jamais su qui avait alerté l'armée.
               - Je n'ai jamais connu le nom du capitaine qui m'a arrêtée (à son corps défendant) et peut-être sauvé la vie.

               Je n'ai jamais connu le nom du commissaire de l'école de police d'Hussein Dey si dévoué au FLN et qui pouvait se vanter d'avoir à son actif la première arrestation à Alger d'une Française pour détention d'armes le 4 juin 1962 alors que l'Algérie était encore française.
Madame Marcelle Tournier qui fut la doyenne
du Cercle Algérianiste de la région centre val de Loire.
Nous avons recueilli ces confidences, notre amie était âgée de 93 ans


               Ce " récit " est retranscrit tel qu'il m'a été envoyé, je ne suis pas responsable si des erreurs ont été faites dans la narration de ce texte. JPB.


Blagounettes
Envoyer par Mme Eliane

La blague du mari en taule

       Une femme discute avec une amie :
       – « J’ai un mari en or. »
       L’autre lui répond :
       « Moi, le mien, il est en taule. »

La blague de la belle-mère

       Deux amis discutent :
       – Crois-tu à la vie après la mort ?
       – Non, je n’y crois pas et toi ?
       – Ben… Je n’y croyais pas, mais, depuis que ma belle-mère est morte, je revis !
                  



 Derniers jours à Alger.
Envoi de M. Christian Graille

               Un mari ingénieur, quatre enfants, Francine Dessaigne avait parcouru l'Algérie depuis quinze ans avant de s'installer en 1960 à Alger. Elle vécut les derniers jours de l'Algérie française dans une angoisse indéfinissable.
              Son journal a su rendre cette atmosphère. Il se termine à la fin du mois de juin alors que l'exode des Européens s'accélère et que la famille Dessaigne a pris la décision de s'exiler.

              Mercredi 6 juin 1962. Je rencontre au marché Mme M… Elle m'annonce qu'elle fait partir ses cinq enfants et me conseille de partir au plus vite avec les miens avant une aggravation de la panique. C'est un choc pour moi.
              Cette femme calme et équilibrée me donnait confiance par sa détermination de rester jusqu'au bout. Elle a les mêmes soucis que moi, les mêmes charges. Notre espoir, nos difficultés étaient les mêmes. Sa décision me bouleverse et influe sur la mienne. Nous allons partir au plus tôt.
              Mon mari restera en attendant que l'EGA (Électricité, Gaz d'Algérie) lui indique sa nouvelle affectation.

              Un ami de l'Arba est venu nous voir cet après-midi. Le FLN règne en maître là-bas et fait maintenant inscrire la population pour voter. Les Européens sont presque tous partis.
              Entre l'Arba et Rovigo à Roumili se trouve un camp où le FLN garde des personnes enlevées à Alger ou dans la région.
              Certaines sont torturées ou tuées, d'autres en ressortent sans aucun mal, et sans savoir pourquoi elles sont soumises à un régime plutôt qu'un autre.
              Il est ahurissant de penser que ce camp existe à environ vingt kilomètres d'Alger et qu'on ne va pas délivrer les malheureux qui s'y trouvent.

              Jeudi 7 juin 1962. Mon mari et moi allons aux renseignements à la Compagnie Générale Transatlantique, boulevard Carnot.
              Quelques personnes attendent des places de pont. Nous apprenons que la chaîne pour les prochains départs aura lieu samedi.
              Mais comme les bateaux des 11, 12 et 13 n'avaient plus de couchettes disponibles, les employés ont distribué des tickets aux gens qui attendaient depuis 5 heures ce matin.
              Cela leur donne priorité samedi. C'est assez normal mais il se trouve que ces tickets couvrent le disponible de cabines et de couchettes pour les bateaux des 14, 15 et 16. Cela revient à obliger les passagers à faire deux fois cinq ou six heures de chaîne, d'abord pour avoir un ticket, ensuite pour avoir le billet.

              Prendre l'avion ? C'est une attente de douze à vingt-quatre heures sur le terrain avec enfants et bagages.
              Nous sommes assez démoralisés.… des explosions, des fumées : ce sont, paraît-il, le lycée Gauthier et l'école Volta. Les hold-up se multiplient dans les établissements publics ou les magasins. L'OAS n'est pas en cause. C'est la pègre, la pourriture qui prolifère sur les corps en décomposition.
              19 heures, sept coups de mortier assez proches, sans doute au Palais d'Été.
              20 heures une longue fusillade au loin, quelques coups très près.
              Un barrage de militaires au carrefour Télémly-Michelet arrêtent les voitures pour un contrôle.
              Une émission " pirate " à la télévision nous a dit qu'à la fin de la semaine prochaine nous saurons si les contacts sont repris. S'ils ne se renouent pas, la population devra envisager un exode massif. Le couvre-feu est rétabli à 20 h 30.

              Dimanche 10 juin 1962. Après nous être un peu restaurés, nous descendons au port pour nous renseigner. Il est 9 h 30. Deux chaînes s'étirent tant bien que mal :
              - l'une pour les candidats aux couchettes,
              - l'autre pour ceux des ponts.

              Bien entendu, l'inévitable porte fermée où rien n'est affiché.
              Les gens attendent sous le soleil, les yeux collés à cette porte, prêts à bondir.
              Il y a quelques soldats, arme au poing et des CRS.
              Un employé apparaît enfin sur la droite, en haut d'une rampe qui monte sur le toit des bureaux.
              Il va parler, la chaîne se disloque, on se rapproche pour mieux entendre. Il hurle : " On ne peut rien faire dans la pagaille, rangez-vous bien en file par quatre et nous ouvrons le bureau dans cinq minutes. "
              Il a raison, sans conteste. La foule :
              - se regroupe à tâtons,
              - se chipote,
              - s'énerve.


              Voilà l'employé piqué de la tarentule dictatoriale qui hurle plus fort :
              Rangez-vous ! Pas comme ça !... " ….Le bureaucrate a disparu.
              Mon mari qui s'est enfin décidé à prendre place dans la file pour les couchettes me fait de grands signes. Je m'approche : " Ce n'est pas cinq minutes mais plus d'une heure qu'il va falloir attendre pour les tickets. Un autre employé l'a dit discrètement au bout de la file. "
              Est-il permis d'abuser ainsi d'une population en détresse ? Je vois :
              - deux petites vieilles qui ont réinstallé leur pliant,
              - un aveugle qui s'appuie sur sa canne et
              - tous les autres fripés, les traits tirés, se protègent du soleil avec un mouchoir ou un papier.

              Ces tours de piste pour un mensonge ?...

              Mon mari décide de rester et me dit de rentrer à cause des enfants. Je ne devais le retrouver que le soir à 17 heures fatigué par un début d'insolation, dégoûté jusqu'à la nausée et totalement effondré.
              Une heure après mon départ, on a distribué quelques tickets. Les " heureux " qui les ont emportés avaient ainsi le droit de refaire une chaîne identique un jour prochain pour obtenir des places.
              Ce ticket n'est jamais qu'un numéro d'ordre. Mon mari n'était pas de ceux-là.

              Il était 13 heures. Les malheureux sont donc restés devant cette porte toujours fermée, contre la rampe vide. L'apprenti-dictateur était sans doute allé déjeuner.
              A 15 heures la porte s'est tout à coup ouverte sur un employé tout puissant qui a annoncé… qu'on ne distribuerait plus de tickets !
              Les gens sont repartis tête basse, la rage au cœur, à la pensée que tout est à recommencer demain à 5 heures.

              Pour nous c'est le miracle d'un geste d'amitié. Nous avons des voisins qu'en d'autres temps nous aurions mis sans doute des années à connaître.
              L'habitude d'un salut courtois dans l'escalier. Fortuitement un jour, on échange quelques mots et les affinités se dévoilent.
              C'est une amitié dont la durée procède de sa longue naissance. Il y a quelques mois, sans préambule, je frappais à leur porte.
              Nous nous sommes d'emblée révélé bien des choses.
              La sympathie a éclaté brutalement mais l'amitié hélas ! Sera courte. Elle aura la durée de nos foyers voués à la dispersion.

              Chez eux nous avons rencontré deux fois un homme qui les aime. Hier je l'ai croisé par hasard dans le couloir. J'étais si lasse, si écœurée que j'ai jeté mes peines à cet inconnu. " Je peux… " Et c'était le miracle : j'ai une cabine de première sur un bateau fin juin. Trois couchettes pour six, lorsqu'il y a quatre enfants, c'est encore merveilleux.
              Je peux ainsi emmener une jeune fille qui vit avec nous.
              J'ai appris par la suite que cet homme a de graves préoccupations. Rançonné, il ne paie pas et les " bandes incontrôlées " qui ont pris son usine près d'Alger le recherchent ; il sait très bien pourquoi.
              Miracle de notre époque où certains savent s'oublier.

              Étranges Algérois que d'autres voisins. Au moment où tout le monde lâche et se débat dans l'enfer déprimant des départs, elle est allée chercher des plantes à Hydra dans un jardin abandonné par des amis. Elle les repiquera dans son jardin à Kouba. Hydra, Kouba, où le FLN :
              - mitraille, enlève, expulse au hasard
              - où une dame cherche la paix en sauvant quelques fleurs.


              Jeudi 14 juin 1962. J'essaie de faire mes bagages. Je tente de choisir ce qui est essentiel. Je pense à ces jeux de l'esprit : qu'emporteriez-vous si vous n'aviez droit qu'à … J'ai :
              - des livres de valeur,
              - des disques,
              - des objets qui me sont chers.

              Dans ma tête endolorie c'est la ronde des kilogrammes et des vêtements. Les livres resteront.
              Je pense à l'hiver, à l'argent qu'il faudrait pour vêtir quatre enfants sous un climat qui nous sera rude.

              Je regarde chaque objet comme un ami mourant et les trottoirs me disent assez combien laide est sa mort. Je vais tout perdre après le 24 :
              - mes amis,
              - mon cadre familial,
              - cette ville que j'aime.


              Pauvre ville qui piétine en chaînes interminables devant :
              - les compagnies de transport,
              - les banques,
              - les bureaux de poste,
              - les magasins d'alimentation,
              - entre les tas d'ordures et les verres brisés, avec au-dessus de la tête la traînée sinistre des incendies.

              J'y pense à tout instant sans pouvoir m'en convaincre

              Pourtant, autour de nous, c'est l'exode, le pillage. D'autres ont déjà tout perdu, même la vie et tout abandonné. Moi j'ai encore huit jours semblables à une agonie. Mon journal s'arrête deux jours avant notre départ.
              Une partie de ma vie s'est terminée lorsque, du bateau j'ai vu s'éloigner :
              - les maisons blanches qui bordent la baie,
              - les arcades du boulevard du front de mer,
              - les grands immeubles de mon quartier.

              J'ai voulu tout fixer une dernière fois avant que les lignes ne s'estompent dans le lointain. Sanglotant, je me suis effondrée contre le bastingage, le visage enfoui dans mes bras repliés.

Francine Dessaigne
(Journal d'une mère de famille pied noir.)



JOLI MOIS DE MAI
Envoyé par Hugues.


        Joli, doux mois de mai, le muguet te rend gai,
         Car du cœur du printemps, tu vois déjà l'été.
         Les arbres verdoyants, par la sève irrigués,
         Sont images d'espérance, d'abandon d'anxiété.

         Cela reste un vœu pieux, dans un monde en folie
         Où personne ne fait en mai ce qui lui plaît.
         La hausse du chômage crée la mélancolie,
         La Fête du travail, elle même s'est dépeuplée.

         Le drame du 1er Mai, un carton rouge sévère,
         Infligé par une fille à son père répudié,
         Sous le regard de Jeanne que l'une et l'autre révèrent,
         Père en limite d'âge qu'elle a donc congédié.

         Mai est aussi le roi des Ponts, des jours fériés.
         Grand Prix de Monaco et Festival de Cannes,
         Sur la Côte d'Azur, toujours très appréciés,
         Favorisent quelques jours l'économie en panne.

         C'est le mois de Marie pour le monde Chrétien,
         Fête de l'Ascension puis de la Pentecôte.
         Les prières à la Vierge demandent son soutien,
         La force de l'Esprit qui pardonne les fautes.

Hugues Jolivet
11 mars 2022



1941 : Alger crie famine.
Envoi de M. Christian Graille

               Comme tous les ans en ce début de l'année 1939, les algérois insouciants sont partis pour la métropole rendre visite aux parents éloignés ou suivre la traditionnelle cure à Vichy ou à Vittel. Les plus pauvres sont restés au pays : à la montagne ou à la mer. Ils pêchent :
                - le rouget, le mérou, la grosse crevette qu'ils dégustent avec un petit rosé bien frais.
                Un magistral coup de tonnerre sort de leur somnolence les Algérois en vacances.
                Le 1er septembre au petit jour, les radios du monde entier annoncent l'entrée des Allemands en Pologne ; il n'y a plus aucun doute : c'est la guerre ! Et avec elle la mobilisation.

               
                En ce début de septembre, il ne reste guère en France que les femmes et les enfants des familles algéroises (citoyens habitant l'Algérie, non musulmans et non pas les seuls habitants d'Alger) en congé.
                Les hommes fonctionnaires ou colons sont déjà rentrés.
                Dès le 2 et le 3 septembre, la mobilisation générale en métropole et dans les territoires d'outre-mer est décrétée.
                Les familles en villégiatures se trouvent brutalement coupées :
                - de leur pays,
                - de leur maison,
                - du chef de famille,

                Sans pouvoir obtenir la moindre indication quant à la façon dont elles vont pouvoir rentrer chez elles.

                D'ailleurs on fait peu de cas de ces gens qui ne sont pas " d'ici ".
                - Les pouvoirs publics sont débordés,
                - hôtels et villas ferment,
                - les réquisitions commencent.

                C'est une pagaille organisée et la 5e colonne n'arrange pas les choses. Les Algérois n'ont plus qu'une idée : fuir. C'est vite dit.
                Les trains menant à Marseille sont pris d'assaut et c'est dans des wagons surchargés qu'il faut plus de 24 heures pour effectuer le trajet Paris-Marseille.

                Arrivés à destination c'est le black-out. Les hôtels convenables ont été réquisitionnés et femmes et enfants doivent se réfugier bien souvent dans d'horribles hôtels de passe.
                - Les portes ne ferment pas à clé,
                - La crasse des draps de l'unique lit est telle que la mère ne peut y coucher ses enfants,
                - le bruit empêche de dormir.
                - Elle somnole sur une chaise.


                Le lendemain c'est l'angoissante question. Quand et comment va-t-elle pouvoir quitter cette lèpre qu'est Marseille ?

Entassé mais soulagé.

                Première démarche, la Compagnie Générale Transatlantique : plus de cinq cents personnes occupent le trottoir dès le petit jour en face des locaux.
                Elles ne peuvent pénétrer dans les bureaux que deux ou trois à la fois.
                Et comme les horaires d'ouverture sont demeurées les mêmes, à la fin de la journée il faut distribuer des tickets pour que ceux qui n'ont pu passer ne perdent pas leur place le lendemain.
                Lorsque l'on est enfin devant le guichet on accepte n'importe quel espace sur le bateau. Ceux qui sont venus en première classe, repartent sur le pont, dans les soutes, peu importe, pourvu qu'ils embarquent.
                Les choses ne sont pas faciles bien sûr car chaque bateau doit absorber en priorité son contingent d'hommes mobilisables, ceux qui étaient encore en France et qui doivent regagner leur dépôt. A bord :
                - du ville d'Alger,
                - du ville d'Oran ou
                - des quelques vieux rafiots de la génération précédente comme le Gouverneur Jonnard ou Gueydon, on est entassé, mais soulagé.

                On parle bien des sous-marins allemands qui seraient en Méditerranée mais personne n'y prête attention. Le cauchemar se termine.

La " drôle de guerre ".

                On débarque sous le beau soleil et la tranquillité de la ville redonne un petit goût de paradis… Il a été impossible de télégraphier de Marseille, (la censure naturellement) pour annoncer l'arrivée.
                On se retrouve enfin chez soi. Mais la plupart de ces jeunes femmes découvrent :
                - une maison vide,
                - un appartement désert,
                - une cuisine où traîne la vaisselle sale,
                - une armoire à linge vidée d'une partie de son contenu,
                - un lit défait,
                - un désordre qui accuse la hâte avec laquelle le chef de famille a répondu à la mobilisation. Pas un mot.

                Où est-il ? Quand est-il parti ?

                Bien des femmes ont pleuré devant ce spectacle mais les enfants ont faim. Il reste un peu de pâtes, le fruitier en bas est ouvert, on est heureux de le retrouver.
                On va grignoter mais, surtout, on va dormir chez soi, dans son lit.
                Le lendemain elle apprend que son mari mobilisé a rejoint la Tunisie entre la côte et l'extrême Sud du pays, face aux Italiens qui occupent la Tripolitaine.
                Certaines épouses d'officiers ou de sous-officiers vont rejoindre leurs époux à Tunis ou à Bizerte ; les autres attendront le retour du chef de famille

                Ainsi commence, de ce côté de la Méditerranée, la " drôle de guerre " qui dure de septembre 1939 à avril 1940.
                En juin 1940, une nouvelle page d'histoire va se tourner en Algérie, quelque peu différente de celle de la métropole.
                Démobilisés les hommes regagnent leur foyer.
                Politiquement, la grande majorité approuve Pétain et ce sentiment va se renforcer avec l'attaque anglaise de Mer el kébir le 3 juillet 1940 qui vit les plus belles unités françaises :
                - le Provence,
                - le Dunkerque,
                - le Bretagne,
                - le Strasbourg placées sous le commandement de l'amiral Gensoul mises hors d'état de nuire par les 380 canons de la flotte anglaise qui entoure les vaisseaux.


                Seul le Strasbourg :
                - réussit à s'échapper,
                - gagne Toulon et
                - se sabordera en novembre 1942 à l'arrivée des troupes allemandes dans le port français.


                Ce désastre est profondément ressenti par l'Algérie qui comptait de nombreux marins parmi les équipages ; ainsi les Britanniques sont désormais aussi haïs que les pays de l'axe et, lors du débarquement de 1942, les premières troupes anglaises portent l'uniforme américain.
                La vie des Français d'Algérie reprend avec une certaine insouciance. Il y a eu très peu de prisonniers parmi le petit contingent de soldats envoyés en France et le régime de Vichy satisfait les colons qui y voient l'ordre établi et tiennent à ce qu'il y reste.

La peste à Alger.

                Quelques opposants au régime seront envoyés dans des centres de " résidence surveillée ". Ce n'est qu'une infime minorité :
                - petits fonctionnaires, ouvriers, artisans,
                - et leur sanction passe pratiquement inaperçue dans un ensemble de population dont l'apathie politique est totale.

                Mais cette belle tranquillité ne va pas durer.
                Et les Algérois sont loin d'imaginer qu'ils vont devoir bientôt devoir endurer. Quelques semaines se sont à peine écoulées (au cours desquelles d'ailleurs, on dénombre quarante cas de peste dans la seule ville d'Alger) que la population se voit gratifier sans aucune raison apparente de cartes de ravitaillement. En vingt-quatre heures, toutes les denrées de longue conservation :
                - sucre, huile,
                - chocolat etc. ont disparu des rayonnages des commerçants, réquisitionnées par des commissions ad hoc, les stocks étant sévèrement comptabilisés et surveillés.


                C'est la stupeur mais il faut se résigner à connaître, comme en France, les tribulations qu'engendrent les rationnements :
                - un demi-litre d'huile d'olive par personne adulte,
                - une livre de sucre par personne,
                - 150 grammes de savon de Marseille, (jusqu'à ce qu'il devienne de fabrication locale et inutilisable en raison de la proportion de soude qui y est ajoutée, ce qui brûle la peau et le linge),
                - 125 grammes de café par adulte, tout ceci pour un mois !


                L'huile sera inutilisable deux fois de suite. Apportée dans un cargo qui transportait précédemment du pétrole, cette huile n'était pas consommable.
                Certains tentèrent pourtant de l'utiliser en la faisant préalablement brûler avec des croûtons de pain et des oignons.
                Le café sera remplacé au bout de quelque temps par de l'orge, le savon par du sapindus (cette boule était utilisée dans l'antiquité ; elle se trouve en forêt ; débarrassée de son noyau, elle produit un liquide savonneux et inoffensif pour la peau et les tissus. On s'en servira énormément en Algérie comme produit de remplacement du savon).
                La viande, surtout le mouton dont regorgent les plateaux d'Algérie, les légumes et les fruits frais qui débordent des champs et des vergers, disparaissent en l'espace de quelques jours. C'est inimaginable.

                Mais à part les fonctionnaires chargés de réquisitionner toutes ces provisions, tout le monde ignore encore qu'au-delà de l'armistice, les exigences du vainqueur se sont abattues sur l'Algérie. L'armée de Rommel est en Lybie et c'est l'Algérie qui doit la ravitailler.
                La production locale est rationnée mais que dire de la nourriture venue de la métropole. Les Algérois ne verront plus, pendant des années :
                - de lait, de beurre, de fromage.
                Avant la guerre les vaches étaient toutes importées de France. Il n'en est plus question à présent. C'est un drame pour les nourrissons dont les mères n'ont plus de lait : ils sont condamnés à boire des biberons d'eau sucrée ou de bouillon de légumes.

                Il ne parviendra à Alger, en deux ans, qu'un seul et unique bateau de la croix rouge chargé de lait en boîtes. On dénombrera de nombreux enfants rachitiques qui ont ainsi pâti de cette malnutrition du premier âge. Chose bizarre, seuls :
                - les carottes, les oignons, les courgettes,
                - les oranges, les dattes (lorsque c'est la saison) restent en vente libre.

                En revanche plus une pomme de terre ; on les remplacera par des patates douces. Des lentilles (vieux stocks de l'armée) sont distribuées de temps à autre, mais elles sont complètement charançonnées.
                On boit du vin en quantité limitée, on mange aussi du pain et des pâtes.
                On penserait que sur le littoral le poisson supplée au manque de viande. Les pêcheurs ne peuvent suffisamment aller au large pour rapporter des pêches abondantes.
                Une ou deux fois par semaine, une distribution est organisée mais comme en métropole seuls les premiers arrivés sont servis, les autres rentrent bredouilles.
                Même scénario pour le porc, que l'on élève mal, ne pouvant rien lui donner à manger.

75 grammes de chameau.

                Lorsqu'une boutique annonce une vente pour le lendemain elle est assaillie dès 2 ou 3 heures du matin alors qu'elle ouvre ses portes à 6 heures. Sur présentation de sa ou de ses cartes d'alimentation, on distribue quelques dizaines de grammes de viande avec os. La situation est telle que le gouvernement procède à l'extermination totale du cheptel camelin du Sahara.
                Et l'on a droit alors chaque semaine à 75 grammes de chameau, avec os, par adulte. Le stock de médicaments une fois terminé, il faut utiliser des compositions faites de plantes principalement, une pharmacopée d'un autre âge.

                Grâce aux vignobles il y a toujours cependant de l'alcool pour la désinfection.
                Le marché noir existe évidemment, mais accessible uniquement à ceux qui possèdent une voiture à gazogène (l'essence ne réapparaît qu'avec les Américains) qui puise vous transporter vers les bleds où, dans les gourbis arabes, on abat clandestinement de vieilles chèvres, si coriaces qu'il faut des heures pour cuire un morceau d'épaule ou quelques côtelettes que l'on achète à prix d'or, il va s'en dire !
                Le trajet, plus le prix de cette carne, n'est pas à la portée de tout le monde, et comme partout, seuls les nantis ont droit… au festin !

                On trouve aussi en montagne, quelques œufs que les Indigènes conservent des semaines et savent qu'il passera toujours quelqu'un pour en acheter plusieurs douzaines. La chaleur et le temps les mènent le plus souvent à la limite de la consommation. Combien d'omelettes ont provoqué hépatites et jaunisses ?
                L'étude de la langue anglaise est suspendue dans les lycées d'Algérie et, à la faculté, seuls sont autorisés l'allemand ou l'arabe.
                Il n'y aura bientôt plus de livres chez les libraires ni de papier pour les imprimer.
                Un seul journal parait à Alger, la Dépêche algérienne.
                Il est à la " botte " du maréchal. Dès le débarquement son directeur prendra la place d'un " assigné à résidence " ce dernier ayant été libéré à l'arrivée des Américains ! Pour donner de ses nouvelles aux parents et amis qui sont restés en France, en zone occupée, ne sont autorisées que des cartes inter zones absolument ridicules où l'on n'a qu'à remplir les blancs, l'administration s'étant chargée des trois quarts de la rédaction. Ce qui donne à peu près cela :
                Je vais ………………………….. (Bien ou mal à vous de compléter)
                Il fait …………………………….. (Beau, il pleut, à vous de compléter)
                les enfants sont ……………… (Sages, insupportables etc.)
                Tout va bien ………………….. (Naturellement !) Signature :

                Un mot personnel et la carte ne parvient pas à son destinataire.
                Il sait seulement par ces lignes si vous êtes encore en vie ! Et le contraire est valable dans l'autre sens. Ces cartes sont en vente dans les bureaux de poste tout imprimés, y compris l'effigie du maréchal qui sert de timbre.

Il fait chaud et les poux rouges attaquent.

                L'Algérie a donc faim mais elle n'a pas froid. Elle a même chaud, trop chaud.
                L'été 40-41, qui dure presque cinq mois est interminables, surtout dans les villes. Il fait plus de 35° à l'ombre, à midi comme à minuit. On étouffe, on cherche sa respiration.
                L'humidité des grands centres, comme Alger, avec des degrés d'hygrométrie extrêmes, est insoutenable, d'autant plus qu'il devient de plus en plus difficile de se déplacer.

                Aller en montagne en Kabylie est une rare exclusivité. On prend son mal en patience. On raconte tellement qu'en France, c'est autrement terrible !
                Un malheur ne vient jamais seul. : Cette disette ajoutée à un climat malsain, provoque dès la fin de 1940, une violente épidémie de typhus qui ne ménagera ni les Européens, ni les Arabes.
                Des poux rouges sèment la maladie, connue sous le nom de " typhus exanthématique ". Des tâches apparaissent sur la peau. On n'en réchappe pas.
                Soixante mille victimes sont recensées officiellement par le service de santé du gouvernement général de l'Algérie. Ces chiffres qui couvrent surtout la population européenne, sont en réalité incomplets car de nombreux indigènes ont péri du même mal, mais sans médecin.

De nouveaux venus.

                A la ville l'épidémie est angoissante. L'affection commence par la piqûre du pou, se poursuit par une fièvre de plus en plus violente contre laquelle on ne peut rien.
                En peu de jour, tous est fini.
                L'ampleur de la contagion est telle que la direction de la santé prend des mesures d'urgence. Tous les lieux publics :
                - trams, cinémas et même artères ou
                - magasins doivent être désinfectés chaque jour.

                La vaccination devient obligatoire.
                Pendant cette période de quelque vingt mois, où toute l'Algérie est préoccupée par le ravitaillement et la maladie, rares sont ceux qui remarquent de nouveaux arrivants. Discrets, certains parlent très bien le français, d'autre avec un accent qui n'attire pas l'attention dans ce pays à la population bigarrée.

Le groupe des cinq.

                En réalité ils font partie des petits noyaux de résistants chapeautés par le groupe des cinq, c'est-à-dire :
                - Lemaigre-Drubreuil,
                - Rigault,
                - Henri d'Astier,
                - Van Hekke,
                - Saint-Hardouin, dont le conseiller militaire est le colonel Jousse.

                Ces hommes sont indépendants de Londres. Ils travaillent en accord avec le consul général américain Murphy.

                Le 7 novembre au soir 1942, le temps est détestable. La mer mauvaise. 1 heure du matin ; un bruit encore diffus réveille les habitants d'Alger.
                Sans hésitation les hommes reconnaissent le bruit du canon. En un clin d'œil, tout le monde grimpe sur les terrasses des maisons ; le tir vient sans aucun doute de la mer. Mais il fait si sombre que l'on ne distingue pas grand-chose : " Les Allemands ont débarqué " entend-on. C'est sûr. C'est certain.
                Les coups de feu ont cessé. Comme on ne voit rien, on retourne se coucher, un peu inquiet tout de même… 6 heures du matin le jour se lève, les Algérois remontent sur les terrasses : l'on distingue nettement cette fois que le barrage qui, depuis près de deux ans, fermait l'entrée de la rade d'Alger est grand ouvert, et qu'un bateau de guerre dont on n'aperçoit pas le pavillon est accosté à quai. Tout seul.

Ils débarquent !

                Que s'est-il donc passé ? Très simple. Alors qu'à cette première heure du matin, les barges américaines débarquent en silence à Sidi Ferruch (30 kms d'Alger).
                Un torpilleur US est envoyé en éclaireur dans le port d'Alger pour " essayer " les défenses de la ville. A 1 heure du matin il s'est signalé à l'amirauté demandant l'autorisation d'entrer dans le port.
                Les batteries côtières ont ouvert le feu et le commandement du bateau américain ne redoutant pas les tirs, si faibles qu'ils n'auraient pas abattu une mouche, a donné l'ordre de s'éloigner car à trente kilomètres de là, l'opération du débarquement n'était pas terminée et il était inutile de créer du grabuge, aussi minime soit-il.

                A 6 heures, le débarquement est achevé, les patrouilles américaines ont pris position sur la route du littoral, avec jeeps et camions sortis des premiers convois.
                Le torpilleur est revenu vers le port d'Alger. Cette fois, les autorités lui permettent d'accoster.
                Quelques heures après, 400 unités environ, vaisseaux de guerre et liberty' s ships peuvent entrer dans la rade.
                Les habitants d'Alger n'en croient pas leurs yeux. C'est un miracle. Ils seront les premiers vers 8 heures à acclamer les GI.

                Alors que les rues sont restées quasiment vides tout le jour, une foule immense se rassemble aux alentours de la grande poste, au cœur d'Alger.
                Depuis l'aurore chacun s'était interrogé, pris entre le soulagement de " savoir que ce n'était pas les Allemands " et la crainte d'éventuelles représailles car, à Oran et à Casablanca, les combats sont sévèrement engagés.

Le V de la victoire.

                Mais l'apparition des premiers casques américains transforme les Algérois.
                En un clin d'œil, des monceaux de fleurs s'accumulent sur la place, sur le monument aux morts, non loin de là.
                Et pour la première fois, en terre française, depuis le début des hostilités, la foule et les libérateurs font des deux doigts le V de la victoire.
                La vie quotidienne des populations d'Algérie va se trouver modifiée :
                - 150.000 hommes ont été transportés sur le territoire, Américains et Anglais confondus.
                Les 400 premiers bateaux déchargent :
                - 11.000 tonnes de produits alimentaires,
                - 19.000 tonnes de vêtements et d'uniformes,
                - 4.000.000 de litres d'essence,
                - 700.000 tonnes de différents produits (pharmacie, objets de toilettes,
                - couvertures, lits de camp,)
                - 40.000 layettes distribuées gratuitement aux Indigènes qui s'empresseront de les vendre immédiatement aux Européens,
                - 200.000 réveils,
                - 10.000 pièges à rats,
                - des moustiquaires et un produit tout nouveau, terriblement efficace, destiné à détruire les larves et les moustiques propageant le paludisme : poudre DDT.


                Des cales des liberty 's ships sortent à une vitesse incroyable :
                - des tonnes de caisses de munitions,
                - des centaines de jeeps, camions, chars de combat.

                La Luftwaffe, basée tout près, dans l'île italienne de Pantellaria, ne tarde pas à réagir.

                Après l'euphorie du dimanche 8 novembre, le lundi 9, c'est l'alerte dans les ports :
                - d'Alger, de Bône, d'Oran, sur le coup de midi.
                La D.C.A entre en action contre les stukas allemands, mais les engins s'éloignent vite. Ce ne sont que des avions de reconnaissance.
                Mais le soir du 10 novembre, par une belle nuit claire, la première offensive aérienne ennemie s'abat sur Alger.
                Il n'y a pas d'autres abris pour la population que les caves des immeubles. Abris tout illusoires, chaque bombe qui tombe sur le port fait trembler les murs des maisons et des immeubles, donnant l'impression qu'ils vont s'écrouler.

                Ces bombardements vont durer six mois. Chaque alerte conduit grands et petits dans les sous-sols. On y descend avec sa petite valise aux trésors, ses papiers, ses bijoux. On finit par s'y installer.
                A Alger la D.C.A est massive sur le port et la ville, chaque soir, est noyée dans un nuage de fumée répandue par les Américains, une protection plus ou moins efficace. Lorsque les stukas allemands sont chassés de la rade qui abrite une moyenne constante de 1.200 navires ravitailleurs, ils se rabattent sur la ville.

                De nombreuses maisons sont touchées, leurs occupants écrasés sous les décombres. Ainsi, une nuit de chapelets de bombes ennemies tomba sur une caserne, tuant quelques 200 jeunes recrues, puis trois cents mètres plus loin atteignit un couvent où périrent une cinquantaine de religieuses.
                Il n'y avait que les soirs d'orage où l'aviation allemande ne décollait pas. Chaque jour on scrute le ciel pour savoir si l'on connaîtra enfin une nuit de calme. C'est épuisant car un raid succède à un autre et il arrive que la population connaisse quatre ou cinq alertes dans la même nuit.

Bône est en ruines.

                La libération de la Tunisie met fin à ce cauchemar.
                Pour avoir une idée de la puissance de cette lutte aérienne, on dénombra sur le seul port d'Alger 4.000 cratères de bombes.
                Quant au port de Bône, le plus avancé vers la Tunisie, et qui recevait au moins l'équivalent de ravitailleurs américains qu'à Alger, il ne resta que des ruines.
                C'est alors que la mobilisation des Français d'Algérie est terminée, et que tous les régiments d'Afrique, musulmans compris vont partir aux côtés des alliés pour libérer l'Europe.

                A ces hommes viennent chaque jour s'ajouter ceux qui ont réussi à fuir la France, la Belgique et les autres pays occupés pour se mettre à la disposition des commandements alliés.
                Il faut insister sur l'énorme effort demandé aux hommes des territoires d'Afrique du Nord et ne pas oublier " que les départements français d'Algérie ont été les seuls, après 1940, où la population ait été mobilisée pour faire la guerre à Hitler et libérer la métropole ".
                Dès les premiers jours du débarquement et malgré la bonne volonté des Algérois, les contacts sont difficiles entre la population européenne et les Américains. Problème de langue tout simplement. Les responsables de l'intendance outre Atlantique y avaient bien pensé, mais mal renseignés sur la façon dont la population s'exprimait en Afrique du Nord, avaient fourni aux G.I un petit manuel arabe-anglais.
                Malheureusement il s'agissait d'arabe littéral venu tout droit de l'université du Caire, et que les Nord-Africains ne connaissaient pas.
                Quant à la langue française elle était complètement oubliée ! Vite quelques linguistes se mirent à l'ouvrage.

Épuisés en dix jours.

                Des lexiques et des grammaires bilingues sont publiés, à petits tirages cependant, parce que l'on manque de papier. L'armada américaine en transporte certes, quand il est réservé au journal des troupes.
                Les chutes de papier sont mises à la disposition des éditeurs prioritaires, à ceux notamment qui publient ces manuels de la plus grande utilité. Publié à 30.000 exemplaires un dictionnaire sera enlevé en dix jours.
                On donne aussi des cours de français en échange de quelques boîtes de rations alimentaires supplémentaires.
                Le ravitaillement s'améliore lentement. Les Algérois ne mangent plus de chameau (d'ailleurs il n'y en a plus) mais restent rationnés.
                Ils sont très satisfaits des distributions supplémentaires de conserves américaines :
                - corned-beef, ragoût, haricots.
                On peut enfin se faire de délicieuses tartines avec de la margarine en boîte et l'on recommence à cuisiner avec du bacon ou du lard qui donne un bon goût aux plats " préfabriqués ".

Toutes adoptent leur GI et rêvent à l'Amérique.

                Aidés par les Américains, deux ou trois entreprises de tissage, avec un matériel sommaire, confectionnent des cotonnades, des tissus de laine, qui ne seront pas en vente libre, mais distribués selon les besoins.
                Une verrerie s'installe près d'Oran. Avec les fonds des bouteilles de whisky et de gin, on taille des verres.
                Chaque famille adopte son G I.
                Les officiers entrent dans les milieux bourgeois et bien des mariages se feront.
                La jeune épousée attendra, en rêvant à cette Amérique miraculeuse, que le bien-aimé en ait fini avec la campagne :
                - d'Italie, de France, d'Allemagne.
                De longs mois de patience ! Entre :
                - la faim, les épidémies, les bombardements,
                - la mobilisation de 1942,
                - la population d'Algérie, dans son ensemble paya son tribut à la France et à la guerre.

Élise Nouël.
Historia Algérie. Histoire et nostalgie. 1830-1987.


Le massacre des harkis
Envoi de M. Christian Graille

               La force militaire FLN qui campait depuis six ans derrières les barrages installés le long des frontières de la Tunisie et du Maroc ne s'était aventurée qu'avec beaucoup de précautions dans le chaos algérien livré aux clans armés.
               Et dans sa prudente progression, elle avait instinctivement retrouvé les chemins, des antiques invasions, tracés par les cavaliers aux âges dorés de l'Islam.
               Car dans cette bataille que l'Orient et l'Occident se livraient en Afrique depuis plus de trois mille ans, l'Occident abordait la vieille terre par les rivages déchiquetés de la mer et l'Orient l'envahissait par les steppes qu'embrasait le perpétuel incendie du soleil.
               Les vagues de la Méditerranée avaient successivement poussé sur le Maghreb les marées :
               - romaines,
               - vandales,
               - byzantines et
               - françaises.

               Et l'ALN retrouvait les routes des sables du Sud Constantinois ou du Sud Oranais par où étaient passée :
               - Okba-Ben-Naffa
               - ou les Almoravides
               - et les Almohades.


               A l'approche du 1er juillet 1962, apparurent les premières patrouilles par l'Aurès et le Hodna à l'Est et par les monts Amour et Tlemcen à l'ouest.
               Sur l'immense territoire algérien évacué par les Français surgirent en une génération spontanée que la France a connu en 1944, les combattants de la dernière heure, impatients de fêter dans le sang leur baptême de combattants et de se parer d'états de service de pillages et de tueries.
               Leurs bandes anarchiques trouvèrent partout des complices dans les populations anxieuses de se faire pardonner dans des sauvageries inédites, les longues années d'hésitation entre les Français et les rebelles et les mille trafics que suscitent las guerres.
               Partout ces foules primitives devinrent troupeau de bêtes féroces fouettées par les bestiaires sanguinaires.
               Partout elles connaissaient les hommes qui avaient accepté de recevoir des armes des mains des Français pour défendre leur haute dignité d'hommes libres ; ou les Harkis et les tirailleurs qu'une démobilisation honteuse avait rendus à leur famille et qui étaient naturellement revenus sur le rocher natal ou la steppe où ils avaient erré enfants derrière les troupeaux.
               Elles se ruèrent sur eux.

               A Iri Llali, des hommes furent enterrés jusqu'aux épaules, et sur ces têtes posées au ras du sol les femmes furent invitées à jeter des pierres. Meute de mégères vêtues de robes rouges ou vertes, marquées de ces décorations géométriques qui disent le souvenir de Carthage.
               La scène s'enfonçait dans les âges barbares ressuscitant de vieux supplices d'Arabie. Certaines victimes le crâne fracassé du premier coup, cessèrent vite de souffrir. Mais d'autres mirent des jours à mourir.
               Leurs terribles plaintes effrayaient les troupeaux de chacals qui rôdaient flairant le sang.
               Quand elles s'étreignirent enfin dans le silence des " djebels ", il restait sur la terre piétinée des têtes posées sur des jabots et des collerettes de sang et dont les yeux vides regardaient la grande débâcle des nuages sur les crêtes.

               Dans les Aurès :
               - on coupa les mains et
               - on creva les yeux des Harkis et des tirailleurs abandonnés par les Français.

               A Tiaret :
               - on les attacha à des poteaux plantés sur les places publiques et
               - on les fit écorcher lentement, à coups de canif, par des bambins, au centre d'un cercle d'hommes et de femmes qui battaient des mains.

               Les gosses assez forts pour blesser, mais trop faibles pour tuer, frappaient et venaient essuyer leurs mains rougies aux robes des mères qui les renvoyaient au carnage et les tenaient parfois dans leurs bras pour leur permettre de porter plus haut que les jambes des coups plus douloureux.

               Partout :
               - on fusilla,
               - on mura dans des bâtisses de pierres,
               - on brûla sur des bûchers de branches,
               - on ébouillanta,
               - on roua de coups des victimes enfermées dans des sacs, membres liés

               Dans le Nord Constantinois, des femmes tuèrent des captifs à coups de dents.

               Ni Mauriac, ni Sartre ne s'émurent, ni l'archevêque d'Alger…
               Aucune des hautes consciences qui font résonner le monde de leurs démons et tiennent toujours prêtes des pétitions couvertes de signatures, ne vit dans ces massacres la moindre atteinte à la dignité des hommes.

               Il reste des chiffres partiels, mais qui, même tronqués entre-ouvrent d'étranges meurtrières sur ce qui s'est passé en Algérie au cours du printemps et de l'été terribles de 1962.
               Les épouses des hommes assassinées ont été baptisées " veuves de la libération ". Il y en a sept cents à Boghari qui est un petit centre piqué aux limites des steppes présahariennes, et quatre cents à Aïn Boucif qui est une bourgade.
               On compte sur le territoire algérien des milliers d'Aïn Boucif et des centaines de Bogharis.

               Quand l'armée FLN se fut rendue approximativement maîtresse de l'Algérie, elle collecta les survivants épars dans les bagnes et les poussa sur les anciens barrages où des milliers de mines restaient enterrées.
               Un témoin m'a raconté des scènes entrevues sur ce chantier de détecteur de mines. On les amenait en camion sur les lieux de leurs supplices.
               On les faisait descendre à coups de crosse, sous les injures et les rires de leurs gardiens.
               Puis les hommes en uniforme se campaient derrière eux à distance suffisante.
               Les captifs devaient gratter le sol de leurs mains pour en tirer les mines.
               Ceux qui hésitaient ou ébauchaient un geste de fuite étaient abattus de quelques rafales. Les autres :
               - se penchaient sur la terre,
               - la fouillaient de leurs doigts,
               - essayaient de déterrer les mines détectées,
               - sautaient avec, le plus souvent déchiquetés, écartelés par l'explosion.


               On ne ramassait pas les morts, ni les blessés. Ils pourrissaient simplement sur un charnier qui couvrait les pentes des " djebels ".
               C'était l'hiver, l'hiver d'Afrique de pluie et de boue.
               D'autres témoins m'ont dit qu'ils ont entendu la plainte des hommes aux jambes déchiquetées traverser les jours et les nuits. On les laissait agoniser, couchés sur leur lit de pierres et de terre mouillée. Leurs cris accueillaient les contingents de condamnées que les camions amenaient inlassablement sur le chantier de l'épouvante.
Extraits de Jean Brune, Interdits aux chiens et aux Français.
Le drame de l'Algérie française. Éditions Atlantis 1988


Troglophobies
De Jacques Grieu


TROUS D'AIR
      
Il faut craindre les trous, tous les trous nous font peur :
Il n'y a pas de trou qui soit porte-bonheur.
Même le " trou normand " qui réjouit nos banquets,
Incite aux beuveries pour nous intoxiquer.
Car, boire comme un trou reste une affreuse tare,
Le trou fût-il breton, alsacien ou picard.
Dans ces trous de province, beaucoup de nos chômeurs,
N'ont jamais " f ait leur trou " pour leur plus grand malheur.

" Personne n'en a vu ", nous dit-on des trous noirs ;
Pourquoi seraient-ils noirs, si on ne peut les voir ?
Si un jour on découvre un trou noir blanc ou rose,
La science est dans le trou et son aura explose.
Dans un trou de souris, le savant s'en ira,
Pour aller vérifier si les trous noirs sont là !
" L'infini est un trou sans qu'on voie rien autour ",
Dira-t-il pour sortir de ce très vilain four.

On sait que les trous d'air sont pour les aviateurs,
Ce que les trous dans l'eau sont aux navigateurs.
Un trou au pantalon peut même être mortel,
Pour un scaphandrier en plongée bien réelle.
Pour un spéléologue, un trou est une aubaine,
Mais parfois un enfer dont il sort à grand-peine.
Pourtant, pour les gangsters, les truands, les marlous
Grandes chances ils ont tous d'aller finir … au trou.

Des trous dans son budget, la France en est truffée ;
Et les vœux de Bruxelles au trou sont étouffés.
Nos ministres auraient-ils des goûts cavernicoles,
Pour ainsi dans le trou rechercher le pactole ?
Comme les poinçonneurs aux trous dans les tickets,
Obsédés par les trous, ils creusent sans arrêt …
Pour boucher ce grand trou, faut-il en creuser d'autres,
Ou pour ce trou sans fond, agrandir tous les nôtres ?

Neuf trous ou dix huit trous, certains jours on adore,
Mais nous les maudissons les jours de méchant score.
Trous des villes ou des champs, trous d'homme ou trous d'état,
Trous en banque ou de tombe, ou de bombe ou à rat,
Si grand que soit le trou, il faudra le boucher ;
Aucune pêche au trou ne saurait le combler …
Enfin, je veux citer un des trous les plus noirs,
Mais … suis victime alors d'un gros trou … de mémoire !

Jacques Grieu                  



Les Harkis, nos frères.
Envoi de M. Christian Graille

Qui sont les Harkis ?

               Des Musulmans fidèles à la France, utilisés par le gouvernement français pour lutter contre le FLN. Une des premières harka fut créée en juillet 1956 par mon père, le Bachaga Saïd Boualam.
               L'armée lui délivra, non sans lui demander une quantité d'engagements, une centaine d'armes qui lui servirent à organiser un groupe d'auto-défense.
               Ces Musulmans étaient rompus au maniement des armes ; il s'agissait d'anciens combattants qui avaient déjà engagé leur vie au service de la France pendant la guerre de 1939 à 1945.

               Derrière eux se soulevèrent leurs frères, leurs fils et cette troisième force permit à l'armée française de remporter ses plus belles victoires contre le FLN.
               En effet, contrairement aux militaires français qui se trouvaient dépaysés dans une région hostile ces hommes se mouvaient dans l'Algérie comme des poissons dans l'eau.
               Grâce à une parfaite connaissance du terrain et des mœurs de la population, ils parvenaient à s'infiltrer dans les rangs de l'ennemi.

               N'étant soucieux ni de protéger leur vie ni de ménager leurs forces, ils combattirent avec un héroïsme digne des campagnes de Jeanne d'Arc ou des poilus de Verdun (parmi lesquels se trouvaient déjà leurs grands-pères).
               Pour récompenser :
               - cette fidélité, ce dévouement, ce courage,
               - on leur octroyait généreusement " 8 francs par jour, 8 francs par jour pour se faire trouer la peau ".


               Que sont devenus ces Harkis dont le nombre s'élevait à 250.000 au moment de l'indépendance de l'Algérie ?
               Nous pouvons dire avec certitude de ce qu'il est advenu des 25.000 à 30.000 qui furent rapatriés en France.
               Pour les 220.000 qui restèrent en Algérie nous avons le choix entre quelques tristes alternatives : les différentes dont ils furent torturés avant d'être massacrés, eux et leurs familles, femmes et enfants, qui subirent le même sort.

               Des camps entourés de barbelés.
               C'est en partie grâce à mon père que 30.000 harkis purent échapper aux couteaux de FLN et s'installer en France. S'installer c'est là un bien grand mot, car que trouvèrent à leur arrivée ces combattants dont pour certains le départ fut décidé si rapidement qu'ils ne purent emmener avec eux leurs familles ?
               Des camps ! Des camps entourés de barbelés, avec des baraques ouvertes à tous vents, l'année où la France subit un des hivers les plus rigoureux de son histoire :
               - sans eau, sans chauffage, sans aucune commodité.
               Des camps provisoires disait-on, qui pour certains existèrent jusqu'en 1975….
               - Saint Maurice l'Ardoise,
               - Bias,
               - Rivesaltes,
               - Larzac !

               Ils vivaient là coupés de tout contact avec les populations autochtones ; puis on les transféra dans des cités de transit, occupés au débroussaillage dans des baraquements toujours autant dénués de confort que de possibilité d'insertion dans les milieux avoisinants.

               C'est pourquoi, ils sont restés " à part ", des marginaux qui ne peuvent s'intégrer à la France d'aujourd'hui, dont les enfants n'ayant aucune relation avec les petits métropolitains de leur âge, dont ils ne parlent parfois même pas la langue, subissent des retards scolaires qui les pénalisent pour leur vie future.
               Aujourd'hui ces jeunes sont touchés par le chômage plus durement que les autres. En outre ces Français qui ont droit plus que tout autre à ce titre et à cette qualité, doivent se battre pour se faire reconnaître comme tels.
               Ils sont souvent confondus, dans le même opprobre, avec les immigrés dont ils ont pourtant à redouter l'organisation et le nombre.
               A titre d'exemple en 1987, un fils de Harki a été lynché à mort sur la plus grande place d'Arles.

               Après les avoir amenés en France, le Bachaga Boualam avait mis sa vie au service de ses frères. A sa suite, je me bats pour sortir les Harkis de leur isolement et faire reconnaître leurs droits et leur titre de Français.
               Le gouvernement actuel a supprimé " les bureaux arabes ", vieille survivance des bureaux indigènes, à juste titre si décriés par tous les gouvernements qui se sont penchés sur le problème algérien mais les avaient réinstallés en France.

               Les Harkis sont enfin rentrés dans le droit commun comme tous les autres citoyens. Pour que leur insertion dans la population française soit possible, pour qu'ils bénéficient des mêmes droits et possibilités que les Français, pour surtout qu'on ne les confonde pas avec les immigrés, il faut que soit supprimée la double citoyenneté qui les affecte encore et obtenir pour eux la libre circulation en Algérie.
               Par ailleurs je dénonce l'infamie de l'accord Mauroy avec le gouvernement algérien qui donne la possibilité à tous les enfants d'immigrés et de Harkis de faire leur service national en Algérie ce qui équivaut à bien affirmer que les Harkis ne sont pas Français.
               Actuellement le gouvernement de M. Chirac avec M. Santini secrétaire d'État aux rapatriés a mis en place plusieurs mesures visant à l'intégration des Harkis et de leurs enfants dans la société française :
               - pour les jeunes, des programmes de formation sont mis en place,
               - pour les plus âgés, des aides à la construction et à l'amélioration de l'habitat sont accordées,
               - des indemnisations forfaitaires sont octroyés aux chefs de famille.


               Toutes ces dispositions sont certes importantes mais ne peuvent régler la situation. Pour des causes exceptionnelles il faut prendre des mesures exceptionnelles.
               Les anciens ne demandent qu'à finir leurs jours dans le calme et la tranquillité mais tous s'inquiètent de l'avenir de leurs enfants.
               Or la seule solution qui permettra l'insertion totale des jeunes et celle des emplois réservés dans les administrations et les entreprises nationalisées, comme cela avait été fait pour les sous-officiers après la guerre de 1939-1945.
               Si une telle mesure est prise, le problème peut être définitivement réglé dans les cinq ans. Il faut que le gouvernement et le parlement aient le courage de prendre une telle mesure.
               C'est mon souhait le plus cher que ces fils, dont les pères ont défendu la patrie, puissent enfin dire : " Mon pays, la France. "

Ali Boualam.
Historia Algérie. Histoire et nostalgie. 1830-1987.


Souvenirs d'enfants.
Envoi de M. Christian Graille

Je raconte la réalité.

         Je vis dans une cité avec plusieurs familles harkis au milieu d'une forêt. Le village est loin de chez nous et je ressens un profond sentiment de rejet, une angoisse et une grande inquiétude.
         Nous sommes de la seconde génération et notre vie est dure :
         - chômage, délinquance, solitude.
         Dans cette cité où règne la misère intellectuelle, nous n'avons pas le droit d'être rejetés, d'être mal jugés.
         Toutes les tentatives que l'on fait pour trouver du travail se soldent par des échecs. Nous, les jeunes enfants de Harkis on souffre de ne pas être écoutés !
         Comment voulez-vous que l'on s'intègre à, la population française ? Elle nous rejette comme des bêtes !
         J'espère que nos enfants vivrons autrement, qu'on les écoutera, que la vie leur ouvrira les portes du bon chemin, que les Français les aideront.

Lila, L'enfant et le père Noël.

         Je suis né en France exactement à Perpignan dans les Pyrénées orientales. Nous ne sommes pas restés longtemps dans ma ville natale.
         Nous regagnâmes trois ans plus tard ma famille et moi un tout petit village (un camp de Harkis) isolé des citoyens français. C'était en Côte d'Or.
         C'était un endroit paisible, des gens formidables qui habitaient là. Il y avait une assistante qui s'occupait de leurs papiers administratifs.

        
         A cette époque-là, je ne savais pas ce qu'évoquait le mot Harki. J'avais six ans.
         Je m'habituais au fil des jours. On avait une école au milieu de ce hameau.
         C'était un paradis ; il y avait même des Européens qui amenaient leurs enfants à cette école mixte qui était sacrée pour moi. Je vais vous expliquer pourquoi elle était sacrée.
         Tous les élèves étaient égaux, il n'y avait pas de différences, on s'entendait bien entre nous.
         Depuis mon entrée dans cette école, quand le mois de décembre arrivait, j'étais toujours content car le seul à être vraiment gâté par le père Noël. Il venait toujours à l'improviste, quand nous étions en cours. Bien sûr le maître était au courant mais il ne disait jamais, il gardait son secret.
         Il s'appelait M. Ferrand.
         Jusqu'à maintenant je me souviens de lui : il était grand et mince, un regard tendre et discret. Il aimait tous ses élèves car lui n'avait pas d'enfant.

         Le père Noël entrait avec un monsieur et une dame, deux Européens qui avaient un grand sourire. Ils entraient et déposaient les cadeaux au pied du sapin qui était placé devant le tableau.
         - Des friandises, des chocolats, des brioches.
         Il fallait le voir pour le croire ; on aurait dit un magasin et non plus une école ! Le père Noël :
         - me fixait des yeux,
         - puis s'approchait de moi,
         - me prenait dans ses bras,
         - il m'embrassait et
         - me demandait comment je m'appelais.

         Il était gentil, il me donnait deux jouets, toujours un jouet de plus que les autres et personne ne se demandait pourquoi. Pour ça, il y avait bien une différence…
         J'ai compris trois ans plus tard que ce père Noël était mon père. Dire que pour chaque arbre de Noël, mon père était présent et que je ne le savais pas !
         Le lendemain, Alain qui était mon copain de classe, venait me chercher avec sa mère pour passer des vacances chez lui. C'était formidable. Jamais je ne l'oublierai, on s'amusait comme des fous.
         Malheureusement il fallut déménager car l'hiver était rude et ma mère, ne supportant pas le froid, était toujours malade.
         Tous les gens du village vinrent faire leurs adieux. Alain me dit : " On se reverra un jour, n'est-ce pas ? " Je n'ai pas répondu, j'avais les larmes aux yeux.
         Je voyais des gens qui pleuraient, on aurait dit un enterrement.
         Jamais je n'oublierai ce hameau si gai. J'ai toujours la nostalgie de ce bled.
         Nous regagnâmes le Midi. Je croyais aller dans un beau village, ce ne fut pas le cas : un camp de Harkis, des baraques où habitaient une vingtaine de familles.
         On était isolé. Pourquoi ?
         C'est ici même que j'ai compris qu'on nous différenciait des citoyens français.
         Car la cantinière de la cuisine disait toujours : " Les Harkis ont leur table seule car ils ne mangent pas de porc. "
         Á la place de la charcuterie on nous donnait deux olives. Pourquoi ?
         - Était-il nécessaire de nous appeler ainsi ?
         - De nous faire remarquer devant tout le monde ?

         Plus tard, je suis allé au LEP (Lycée d'enseignement professionnel) où j'ai décroché un CAP d'employé de bureau.
         C'est là que j'ai fait la connaissance d'une fille harki, superbe, compréhensive.
         Trois ans plus tard nous nous sommes mariés.
         Aujourd'hui nous sommes au chômage depuis deux ans, avec un enfant de huit mois à charge.
         Je vis avec mon père. Nous n'avons aucune ressource.
         Est-ce normal ?
         Nous sommes Français pourtant.
         Que deviendra mon fils dans quelques années ?
         Que faut-il faire ?
         Une pétition, une manifestation,
         une grève de la faim ?
         Nous vivons à neuf dans une même pièce, et quatre d'entre nous sont au chômage ! Que deviendra la troisième génération de Harkis ? Je crois que plus on vieillit, plus on rencontre des problèmes.

Ali Boualam.
Historia Algérie. Histoire et nostalgie. 1830-1987.



PHOTOS de MOSTAGANEM
Envoyé par diverses personnes


BANQUE D'ALGERIE





LE MARCHE






HÔTEL CONTINENTAL






PLACE GAMBETTA






PLACE THIERS





AVENUE RAYNAL





BROUTY
Par M. Bernard Donville
                Chers amis,

            Je poursuis ma présentation de Brouty en vous introduisant dans ses activités littéraires. Ce fut d'abord un excellent journaliste ce qui inclut un homme de terrain curieux de ce qui l'entourait. Et comme c'était à une époque de grand développement de notre pays la part qu'il consacra à nos découvertes pétrolières ne peut que nous remuer le couteau dans la plaie en ces temps de pénuries énergétiques. Je vous laisse avec ce chauve scrutateur, vous gaver de ses dessins.

            On attaque ce jour les dessins de Brouty par les quartiers d'Alger qu'il a fréquenté et plus particulièrement Bab el Oued. On circulera ainsi dans des endroits mythiques de la naissance du peuple pied noir, lieux de mélange de arrivants de tous points de la méditerranée.

            Je vais commencer cet épisode N°4 par l'observation des personnages que Brouty pouvait rencontrer en particulier à Bab el Oued les commères et les compères.
            Et nous changerons de quartier pour investir celui proche de la Casbah. Brouty fut un de nos rares auteurs à fréquenter la Casbah où il communiquait amicalement avec ses habitants ce qui lui a permis de nous offrir bon nombre de panoramas depuis les terrasses.

            Bonnes lectures
            Amitiés, Bernard

            PS. J'ai toujours fait savoir que je ne m'opposais pas à la divulgation de mes envois sur "Notre histoire de l'Algérie Française". Mais je vous serais reconnaissant que vous fassiez savoir à vos correspondants personnels que je suis choqué de trouver certains de mes travaux (élaboration personnelle) sans référence d'origine .
            NDLR : Je suis entièrement avec Bernard Donville, le respect du travail d'autrui est primordial. Merci.
Cliquer CI-DESSOUS pour voir les fichiers

BROUTY 2

BROUTY 3

BROUTY 4

A SUIVRE



COMPTES DE LA MERE LOI

De Jacques Grieu

PLETHORE LEGALE

Le Français veut des lois, Descartes nous l'a dit :
Des lois, encor des lois, c'est " pour être à l'abri ".
Et plus on légifère et plus il se sent bien,
Souvent sans trop savoir ce que la loi contient.
Les règles et les normes lui font un rempart
Contre tous les dangers qu'il sent de toutes parts.

Bien plus que le covid, la fièvre normative,
Sévit dans les principes et dans la vie active ;
Ordonnances et décrets régissent les méthodes,
Gonflant et boursoufflant les textes et les codes.
La France est le pays où la règle fleurit :
En hiver, en été, y pousse l'interdit.

Un projet ? Un permis ? Une autorisation ?
Un accord ? Un aval ou simple permission ?
Tous devront en passer par tant de conditions,
Qu'il faudra des années pour leur validation.
Les ralentissements, la paralysation,
Sont les vrais résultats de telles inflations.

Conscient de ce boulet, chaque gouvernement
Promet un écrèmage avec allègments.
Mais la pile des codes continue de monter,
Asphyxiant le pays sous son poids meurtrier.
Tout devient édicté, dédié, administré.
L'erreur est vérité si conforme au décret.

Mais le décret n'est pas toujours bien déchiffrable.
Il est si compliqué qu'il est interprétable
Et souvent fait la joie d'avocats et juristes
Qui se querelleront suivant de fausses pistes.
On ne sait plus écrire un texte simple et court
Et le style ampoulé fait passer le discours.

Faut-il normes et lois pour réussir sa vie ?
Personne ne connaît celles qui bonnifient...
" Trop de lois tue la loi " énonce le dicton.
La France va périr, rongée par ce poison :
Sa maladie empire... Et sans médication !
Mourir selon les lois serait consolation ?

Jacques Grieu                  




La fin du procès du Général Salan
Par M. Gilbert Ibanez
https://www.de-gaulle.info/proces-salan.shtml
            Page crée par un Ami, Gilbert Ibanez, hélas parti trop tôt pour mener à bien son projet.

            La fin du procès du Général SalanUne époque tragique et la psychopathologie du général De GaulleRecueilli par PA Barisain
            Pour ceux qui désirent comprendre une époque tragique et la psychopathologie du général De Gaulle, je conseille la lecture de cet article de Maurice Villard, retransmis dans l'excellente revue Ensemble, N° 234 d'Octobre 2002 (ACEP- 130 avenue de Palavas. 34070 - Montpellier. 23 euros pour 5 numéros par an).

La fin du procès du Général Salan

            Le procès s'ouvre le 15 mai 1962 ( L'Algérie est encore française, 150.000 harkis et leurs familles sont encore en majorité en vie, ainsi que 25.000 Européens et plus de 300 soldats français)….
            Après son exposé qui se passe à la seconde audience, Salan va se taire jusqu'au dernier jour, où après la dernière plaidoirie, au moment où le tribunal se lèvera pour entrer en salle de délibérations, il se contentera de déclarer : " Dieu me garde ! ".
            Debré à la barre - Complot, Bazooka, et comité des six. Tout est mis en œuvre par les avocats, ils ont gagné six jours et, en huit jours, le climat a changé. Des failles se sont creusées dans le bloc gouvernemental. On s'en rend compte le lundi 21 Mai.
            Tous les témoins ont été entendus. Seul le réquisitoire de M. Gavalda et les plaidoiries des défenseurs séparent le général Salan de son destin.
            Le premier et les seconds sont d'accord pour une suspension de 24h, le temps de relire la sténographie et de mettre une dernière main à leur discours. En tant que Ministère public, M. Gavalda s'est engagé à demander ce délai après en avoir averti le Président Bornet.

            Mais le 21 mai, donc, à 19h 20, au moment où l'audience va prendre fin, M. Gavalda ne pipe mot. C'est Tixier-Vignancour qui se lève et propose de se retrouver le surlendemain, mercredi 23 à 13 h. A sa grand surprise, le Président lui oppose le refus le plus net. C'est l'incident, qu'il faut régler. D'ordinaire, ce genre de délibération ne prend que quelques minutes. Il en faut 45 au tribunal pour accorder le renvoi au mercredi.
            -" Ah ! Je voudrais bien savoir ce qu'ils ont pu trouver à se raconter pendant tout ce temps, grommelle M° Tixier- Vignancourt. "
            Les jurés sont divisés, Valéry-Radot doit se retrouver jeudi à Lisbonne pour un congrès médical. Ensuite le Président a posé une grave question : " Si nous accordons ce renvoi, de combien de jours ce décalage va-t-il retarder l'exécution "
            Là, il y a eu des remous. Une voix dominait les autres : " Vous êtes donc sûr du verdict ? ".
            Le Président Bornet est gêné : " Je crois… Je pense … "

            Tixier enregistre, sa plaidoirie est prête et le mercredi, quand il se lève dans la grande salle pleine d'une foule silencieuse et frémissante, il dit : " A mon sentiment, trois témoins ont dominé les débats sans que pour autant la qualité des autres soit diminuée. Ce sont le R.P. Pascal, le Général Valluy et le Docteur Georges Salan.
            Comment se résument-ils ? Le Franciscain a dit : " Etant donné le personnage que je connais et ce qu'on lui attribue, je dis - Faîtes lumière !-. Le chef militaire a dit : -Il nous faut découvrir le choc qui a bouleversé cet homme et qui en a fait le chef d'un " organisation secrète ". Et le frère, j'allais dire le fraternel adversaire, a dit : - De Gaulle a comblé tous mes vœux mais il a par-là même abusé ceux qui, tel que mon frère, ont vu en lui, le mainteneur de l'Algérie Française. "


            Ainsi Tixier, le chef de file et l'âme de la défense, a délibérément élagué. Il renonce au bazooka, il renonce à l'exploitation des responsabilités du pouvoir, il renonce à l'exégèse de la déclaration du général de Pouilly qui, en ayant choisi la " loyauté ", s'était écrié : " J'ai choisi de partager avec mes concitoyens, la honte d'un abandon. Pour celui et pour ceux qui n'ont pas pu supporter cette honte, peut-être l'Histoire dira-t-elle que leur crime est moins grave que le nôtre ".

            Tixier va à l'essentiel qui est de montrer que le général Salan, conditionné par sa personnalité et par son expérience, ne pouvait cesser d'être Salan parce que De Gaulle avait choisi de mener à son terme, une certaine politique..
            Une chance sur mille de sauver Salan, songeait Tixier en plaidant. Mais c'est ainsi qu'il faut la jouer. Contre toute attente, il allait gagner, avec l'aide imprévue d'un adversaire politique : Pasteur-Valléry-Radot.
            Le secret des délibérations des jurys est moins bien gardé qu'on le croit. On l'a vu lors du procès du maréchal Pétain. On va le voir à nouveau aujourd'hui. Il nous est impossible de citer nos témoins qui seraient passibles de poursuites, peut-être de basses vengeances, mais nous affirmons ce qui suit : la défense du Général Salan a eu une relation précise des discussions qui, pendant 2h30, ont ébranlé la salle des délibérations.
            Ainsi, nous pouvons affirmer que c'est le Procureur Gavalda qui s'est trompé en transcrivant le verdict. Deuxième preuve de l'affolement, les juges oublièrent complètement d'ordonner la confiscation des biens de l'accusé, ce qui ajouta à la fureur du général De Gaulle. Quand il apprit la bévue il s'écria : " Ces Cons ! Ils n'ont même pas été capables de lui prendre son pognon ! " .
            Le pognon de Salan était bien mince. Une villa à, Alger, c'est-à-dire rien. Et un appartement à Paris. C'est cela qu'on avait oublié de lui confisquer, comme on avait fait 17 ans auparavant, pour l'appartement du vainqueur de Verdun, Bd de Latour-Maubourg.

            Autre trait révélateur du climat : les neuf juges du Haut Tribunal militaire ne pensèrent pas à détruire leurs bulletins de votre qui furent " récupérés " le lendemain. Il y en avait 45 : 35 oui et 10 non. Ce qui prouvait que 2 juges avaient voté l'acquittement et 7 la condamnation..
            La dernière question, la plus importante, celle relative aux circonstances atténuantes, fut en effet tranchée par un vote à mains levées, à cause d'un incident dramatique qui se produisit après le 5ème scrutin.
            Brusquement, un juré écarta sa chaise de la table oblongue, recouverte du rituel tapis vert. Il sortit un revolver et s'écria :
            " Je vous préviens : si vous votez la mort de Salan, je me tue, là devant vous " . C'était Pasteur Vallery-Radot.

            Le président Bornet sentit ses os se glacer et une sueur l'envahir. Il touchait au terme de cette sinistre corvée et tout était remis en cause. Car, s'il appelait à l'aide et faisait arrêter le juré ( Membre de l'Académie de Médecine, Membre de l'Académie Française depuis 1944, Grand-Croix de la Légion d'Honneur, Docteur honoris-causa des universités de Munich, Jérusalem, Athènes, ex-député RPF.), il fallait reprendre tout le procès à zéro.. Mais si on laissait Pasteur Valléry-Radot se suicider d'une balle dans la tête, quels seraient le scandale et ses conséquences : A cette seule pensée, le Président Bornet se sentait défaillir. Un instant, il essaya de raisonner P. V-R. Mais les yeux de notre collègue brillaient d'un tel feu que le Président n'insista pas, dit un juré. " Nous nous demandions même si, avant de mettre fin à ses jours, il n'avait pas décidé d'entraîner quelques-uns uns d'entre nous dans le trépas ".

            A 23h15, donc, la Cour : Le Président Cagne, le Premier Président Cavella, l'Ambassadeur Hoppenot, le Professeur Valléry-Radot, l'Amiral Galleret, les Généraux Gelée, Jousse et Gilliot, blêmes, dont on cherche en vain le regard, regagnent leurs rangs.
            Le Président Bornet ôte lentement sa toque.
            Au nom du Peuple Français, à la majorité, la réponse est " oui " à la première question, " oui " à la deuxième, " oui " à la 3ème, " Oui " à la 4ème, " Oui " à la 5ème.
            Un silence. Tout va se jouer. La 6ème question a trait aux circonstances atténuantes. Si le Tribunal ne les reconnaît pas, s'il dit non, c'est le peloton. La défense : M° Tixier Vignancourt, Guttermanoff, Le Coroller et Menuet, rassemblés, n'est plus qu'un bloc noir et tendu. Au-dessus, le Général Salan, impassible, s'est figé.
            " Oui ! " à la 6ème question dit le Président.

            Salan est sauvé. " Merci pour la France ! " crie Tixier. Il escalade le boxe et étreint Salan. M° Pierre Menuet entonne la Marseillaise. Dans la salle, on s'embrasse, se serre les mains. Les gardes débordés repoussent Tixier. Salan n'a pas desserré les dents.. " Algérie Française " scande Le Coroller et la foule reprend en chœur.
            Tixier craque soudain et s'effondre sur son banc, un silence relatif s'établit dans lequel le Président Bornet peut achever très vite le lecture de son jugement : " Détention criminelle à perpétuité ".

            C'est une deuxième surprise car, s'il n'y a pas de réclusion dans les condamnations politiques, le Général Salan n'est pas seulement poursuivi pour un délit politique ( atteinte à sûreté de l'Etat) mais aussi, et surtout, on lui reproche 18.000 crimes de Droit Commun, précise l'acte d'accusation ( 12.000 attentats, 4.500 blessés et 1.500 morts).
            Alors , pourquoi détention et non réclusion , L'heure n'est pas aux interrogations. On saura plus tard que c'est une erreur de transcription.
            Salan toujours impassible, regarde la scène, ne fait aucun geste théâtral, ne prononce aucune parole historique. Son escorte de gardes républicains, au commandement de l'Officier : " A vos rangs , fixe ! " rend les honneurs, à l'homme que le Général De Gaulle et une partie de la Presse s'emploient à essayer de déshonorer depuis des mois.

            C'est à 23h 42, très exactement, que la nouvelle frappa le front serein de l'Elysée comme une balle frappe le fronton. Après le dîner, le général De Gaulle recevait M. Moktar Ould Daddad, président de la Mauritanie, dans un salon du palais. Ce dernier put se rendre compte que le visage du chef de l'Etat se marbra de taches roses.
            D'un geste brusque, il jeta à terre l'encrier et la parure d'un bureau de travail.
            Dans la foulée, le Mauritanien reçut son congé et se dépêcha d'en profiter. L'Amiral Galleret, auteur d'un livre à la gloire de l'Algérie, fut le lendemain le second témoin de l'auguste fureur. Pour qu'il oublie ce spectacle, on lui donna, à la promotion suivante, une 5ème étoile. Quant à l'Ambassadeur Hoppenot, il failli, lui, être endormi pour le compte : lancée à la volée, une chaise le percuta…

            Fin de citation
---==oOo==---
Comment ne pas voir que notre actuelle liquéfaction est en germe, dans cette sinistre tragédie, qui va atteindre son paroxysme dans les jours suivant ce procès. ?
 
                      

AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
Gallica : Revue-orient 1948-1 pages 377 à 379

LE LICHEN COMESTIBLE DU DÉSERT.

         Extrait d'un rapport sur cette singulière production fait en 1847, par M. le général Yousouf au gouverneur général :

         " Monsieur le maréchal,

         " M. Raymond, chirurgien aide-major attaché à l'ambiance, avait signalé, à la suite des expéditions de l'année dernière, une sorte de lichen qu'il avait trouvé répandu en abondance dans certaines parties du Sersou, et qui lui avait paru pouvoir être utilisé pour la nourriture des animaux et peut-être des hommes. J'ai voulu mettre à profit la marche de ma colonne à travers les hauts plateaux du Sersou et la région du sud pour éclaircir les questions qui se rapportent à l'existence, à la nature, à la production et à l'utilité de ce lichen.
         " A. l'état où je l'ai observé, et où il paraît devoir être utilisé, il est détaché du sol sur lequel le vent le roule çà et là, et il a l'apparence de petits morceaux de cuir couleur de terre, rouies et racornis sur eux-mêmes il est sec et d'une dureté analogue à celle d'un grain de blé ; son intérieur est blanc, et présente un aspect farineux lorsqu'il est écrasé ; sa saveur est celle d'une graine céréale très-desséchée, et sa mastication prolongée développe une très légère amertume.

         " D'après les observations et les renseignements recueillis, nous avons la certitude qu'il se produit chaque année, après l'époque des pluies, sous forme de mousse, sur le sol où il est d'abord fixé ; la partie supérieure est alors blanchâtre, et celle qui touche la terre en prend la couleur. Le soleil agit plus tard sur celte substance, qui se dessèche, se roule sur elle-même, se racornit et se détache alors du sol, où le vent la promène et la rassemble à l'abri des touffes de thym, le seul végétal qui croisse sur le terrain où elle se produit.
         "L'apparence farineuse de l'intérieur de ce lichen, la connaissance que tous les végétaux de cette classe contiennent une substance nutritive, utilisée, comme nous l'avons dit, en Tartarie, firent naître l'idée qu'on pourrait peut être l'appliquer à la nourriture des animaux dans nos colonnes.
         On en présenta aux chevaux, qui en mangèrent volontiers. L'un d'eux fut soumis, pendant trois semaines, à un régime d'orge et de lichen, qui ne parut pas lui être nuisible. Cependant, l'expérience a besoin d'être répétée, et j'ai donné des ordres pour qu'un certain nombre d'animaux fussent soumis au lichen, mêlé d'abord à moitié d'orge, puis au quart, puis au lichen seul, s'il est possible. J'aurai l'honneur de vous rendre compte ultérieurement de ses résultats ; je ferai d'ailleurs porter à Alger plusieurs sacs de cette substance, pour qu'elle soit soumise à l'analyse et à l'observation.

         "J'apprends en outre que dans les années de disette les Ouled Naïl ont fait, avec le lichen et l'orge, un pain grossier, mais assez substantiel. "
         Les propriétés nutritives de ce lichen, dit le docteur Raymond, se résumeraient dans le nom de comestible que lui ont donné les botanistes.
         " Quant à son identité, c'est bien le lichen esculenius dont les Tartares font un grand usage. Leurs bestiaux s'en nourrissent, et eux-mêmes en font une espèce de pain que les pauvres mangent, et qu'ils regardent comme une sorte de manne que la Providence leur envoie.

         "M. le général Yousouf a fait faire aussi à Boghar deux pains de lichen. L'un, contenant du lichen pur, était plus friable et moins consistant que l'autre auquel on avait ajouté tout au plus un dixième de farine. Ce dernier ressemblait beaucoup au pain de munition, dont il avait à peu près le goût.
         On ne peut révoquer en doute les qualités nutritives de ces pains, quand on sait qu'un des chimistes distingués, M. Payen, a constaté qu'on peut extraire du lichen une substance identique par ses propriétés, ses transformations et sa composition élémentaire avec l'amidon que M. Berzelius y avait autrefois indiqué."


LIVRE D'OR de 1914-1918
des BÔNOIS et ALENTOURS

Par J.C. Stella et J.P. Bartolini


                            Tous les morts de 1914-1918 enregistrés sur le Département de Bône méritaient un hommage qui nous avait été demandé et avec Jean Claude Stella nous l'avons mis en oeuvre.
             Jean Claude a effectué toutes les recherches et il continu. J'ai crée les pages nécessaires pour les villes ci-dessous et je viens de faire des mises à jour et d'ajouter Oued-Zenati, des pages qui seront complétées plus tard par les tous actes d'état civil que nous pourrons obtenir.
             Vous, Lecteurs et Amis, vous pouvez nous aider. En effet, vous verrez que quelques fiches sont agrémentées de photos, et si par hasard vous avez des photos de ces morts ou de leurs tombes, nous serions heureux de pouvoir les insérer.

             De même si vous habitez près de Nécropoles où sont enterrés nos morts et si vous avez la possibilité de vous y rendre pour photographier des tombes concernées ou des ossuaires, nous vous en serons très reconnaissant.

             Ce travail fait pour Bône, Aïn-Mokra, Bugeaud, Clauzel, Duvivier, Duzerville, Guelaat-Bou-Sba, Guelma, Helliopolis, Herbillon, Kellermann, Millesimo, Mondovi, Morris, Nechmeya, Oued-Zenati, Penthièvre, Petit et Randon, va être fait pour d'autres communes de la région de Bône.
POUR VISITER le "LIVRE D'OR des BÔNOIS de 1914-1918" et ceux des villages alentours :

    
CLIQUER sur ces adresses : Pour Bône:
http://www.livredor-bonois.net

             Le site officiel de l'Etat a été d'une très grande utilité et nous en remercions ceux qui l'entretiennent ainsi que le ministère des Anciens Combattants qui m'a octroyé la licence parce que le site est à but non lucratif et n'est lié à aucun organisme lucratif, seule la mémoire compte :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
                         J.C. Stella et J.P.Bartolini.
 


NOUVELLES de LÁ-BAS
Envois divers


Féminicide à la Place d’Armes d’Annaba

Envoyé par Sylvain
http://www.lestrepublicain.com/index.php/annaba/ item/9034904-le-meurtrier-condamne-a-mort


lestrepublicain.com - 18 Mai 2022 Annaba

Le meurtrier condamné à mort

         L’assassin de son épouse, âgé de 36 ans a été condamné à la peine capitale par le tribunal criminel d’Annaba hier, mardi 17 mai.
         Le représentant du ministère public n’a pas hésité au cours de son réquisitoire à réclamer la tête de M. R. afin qu’il paye le crime atroce qu’il a commis le 28 février 2021 à la Place d’Armes.
         Accusé d’homicide volontaire avec préméditation et guet-apens l’accusé avait en effet tranché carrément la gorge de sa femme à l’aide d’un cutter.
         La victime morte sur le coup, a été trouvée allongée et tenait dans ses bras son enfant âgé d’un an. Au motif d’une trahison de son épouse, le meurtrier après avoir passé la nuit à se saouler s’était rendu tôt le matin chez sa demi-sœur à la place Carthage dans la Médina, pour rechercher sa femme.
         Cette dernière, a passé la nuit chez sa belle-sœur après une énième bagarre avec son époux. Elle aussi lui tenait rigueur et l’accusait d’avoir une relation extra conjugale.
         Elle a passé ses nuits dehors, fuyant le toit familial. En cette nuit sanglante, elle s’est rendue au domicile de la demi-sœur de son mari à quatre heures du matin pour y dormir. Le meurtrier fou de rage n’a pas trouvé d’autre solution que de l’assassiner.

         Le couple était connu dans cette partie de la vieille ville. Ils résidaient dans une bâtisse délabrée. Ce matin macabre, à sept heures, les policiers avertis par les voisins ont trouvé l’assassin assis sur le seuil de la porte du domicile de sa parente, tenant dans ses bras le bébé et s’est livré à eux sans aucune résistance.
         Il avait l’air abattu, conscient du geste fatal qu’il vient de commettre. A l’intérieur gisait le cadavre de son épouse baignant dans une mare de sang. Un simple divorce aurait évité la mort de la jeune femme et la prison à celui qui se trouvait dans le box de l’infamie.
          


Cours de la Révolution d’Annaba

Envoyé par Justin
http://www.lestrepublicain.com/index.php/annaba/ item/9034872-entre-culture-et-turlute


lestrepublicain.com - 15 Mai 2022 Annaba

Entre culture et turlute…

         Le Cours de la Révolution cette grande et magnifique promenade, est scindé en deux parties : côté Jardin et côté kiosques. Les responsables locaux continuent d’organiser des manifestations ou des expositions sur le Cours, plus exactement dans des espaces où les gens peuvent se promener à leur aise.
         Vu l’installation des stands pour l’exposition et la vente des livres, cette place publique ne dispose désormais que d’une seule allée située au milieu des kiosques à glace où les voiturettes se mêlent aux promeneurs.
         Pour ce qui est du côté Jardin, il est devenu à la longue un lieu non fréquentable, sous l’oeil « bienveillant » de la police, à cause de la débauche, la prostitution, les agressions et la dépravation à ciel ouvert qui y règnent de jour comme de nuit.

        Chaque jour, des passants assistent, impuissants, à des scènes de mœurs douteuses qui ternissent l’image de cette célèbre place. C’est pourquoi nombre de citoyens, des deux genres, évitent de l’emprunter ou de s’y attarder.
         La plupart des espaces réservés à la promenade sont occupés. « Notre Cours d’antan n’est plus ce qu’il est aujourd’hui. Les habitants qui n’ont pas où aller viennent ici pour s’y promener mais faute d’espace, ils ont beaucoup de mal à se frayer un passage », a dit un groupe de promeneurs.
         « Il est grand temps pour que les autorités locales fassent inscrire dans le plan de développement local la construction d’un palais des expositions à Annaba à l’instar des villes d’Alger et d’Oran », a apporté Mohamed, 79 ans, de l’eau au moulin. Le Cours de la Révolution est abandonné à son triste sort.
        De par sa grandeur et sa situation entre de belles bâtisses de style Haussmannien, datant de l’époque coloniale, cette belle place publique unique en son genre dans le pays peut drainer des milliers de touristes aussi bien nationaux qu’étrangers. Il y a lieu donc de réhabiliter le Cours de la Révolution pour lui redorer son blason d’antan.
          


Miel de l’Edough

Envoyé par Diane
http://www.lestrepublicain.com/index.php/annaba/ item/9035006-un-label-a-promouvoir

lestrepublicain.com - 23 Mai 2022 Annaba

Un label à promouvoir

          Une journée d’information a été organisée, avant-hier, dimanche 22 mai à la Maison de jeunes de Bouzizi, commune de Seraïdi, abordant le thème de la valorisation de la production mellifère locale. Cette rencontre a été organisée par les Associations « les apiculteurs de l’Edough » et de « la protection et de la valorisation du miel de l’Edough ».
          C’était une occasion pour les acteurs de la filière de faire l’état des lieux et dresser l’ensemble des problèmes qui empêchent l’essor de cette production très demandée des Algériens.
          Les intervenants ont souligné la nécessité de labéliser le miel produit dans cette région en vue de « valoriser le rendement de la filière apicole notamment et la production du miel pour s’orienter vers l’exportation ».
          Le miel « Edough » qui a suscité l'attention des spécialistes de la qualité lors des salons internationaux où il a été présenté, « a besoin aujourd’hui d’avoir un label et la certification de sa qualité qui lui permettront de se positionner sur le marché international », estiment des experts.

          A relever que le miel des montagnes de l’Edough est produit dans les communes de Seraïdi, Chetaïbi, El Bouni, Treat et Oued El Aneb. Ces dernières renferment une végétation diversifiée regroupant les fleurs des arbres d’eucalyptus ainsi qu’un certain nombre d'espèces végétales qui constituent l’alimentation des abeilles.
          D’où la nécessité de mobiliser les apiculteurs et les différents acteurs en vue de fournir le soutien technique et l’encadrement adéquats pour assurer la valorisation de la qualité de ce produit. A noter également que la production nationale de miel est passée de 35.000 quintaux en 2.000 à plus de 75.000 quintaux en 2020, soit une hausse de plus de 80%.
          Les wilayas de Skikda, Bouira, Tipaza et Blida occupent les premières places en matière de production mellifère. Très recherché pour ses vertus médicinales, le miel local s'écoule en Algérie à des prix qui atteignent 10.000 dinars le kilo, alors que le consommateur demeure incapable d'identifier le vrai miel du faux, en l'absence de traçabilité dans le processus de production et de commercialisation de ce nectar précieux.
          Outre la loi de l’offre et la demande, d’autres facteurs sont responsables de la cherté du miel dont la rareté récurrente du produit suite à la sécheresse, l’absence d'un circuit de commercialisation structuré et l'intervention de plusieurs intermédiaires et revendeurs qui n’ont souvent rien à voir avec le domaine.
A.Z            


Kamel Rezig menace depuis Annaba

Envoyé par Hervé
http://www.lestrepublicain.com/index.php/annaba/ item/9035064-fines-les-bouteilles-en-plastique-au-soleil

lestrepublicain.com - par : Salah-Eddine 28 Mai 2022 Annaba

Fini les bouteilles en plastique au soleil !

           A l’issue de son périple à Annaba, ponctué par l’inauguration de deux structures relevant de son département, et la visite de deux unités de production des plus performantes localement, le ministre du Commerce et de la Promotion des exportations, Kamel Rezig, s’est montré très « satisfait » et n’a pas hésité à louer les efforts des gestionnaires locaux, de certains opérateurs économiques et surtout du wali, Djamel-Eddine Berrimi.
           Le ministre a entamé sa visite de travail et d’inspection par l’inauguration d’un Laboratoire de contrôle de la qualité et de la répression des fraudes d’El Bouni, flambant neuf et doté d’équipements de haute technologie, répondant aux normes internationales.
           S’adressant aux responsables de son secteur lors de l’ouverture officielle de ce Laboratoire homologué par l’Organisme national d’accréditation (ALGERAC) et considéré comme une véritable « soupape de sécurité » dans la protection du consommateur, le ministre a appelé à mettre un terme à l’exposition à longueur d’année des bouteilles en plastique des boissons gazeuses et minérales sur les trottoirs et au soleil, notamment durant la saison des grandes chaleurs.
           « Cette interdiction à laquelle sont assujettis les commerçants et qui doit être observée en toute circonstance n’est pas l’affaire exclusive de la police pour la faire respecter.
           C’est également votre mission prioritaire, conformément aux lois et règlements de l’Etat visant à protéger le consommateur. La chaleur produit une réaction chimique des macromolécules du plastique de la bouteille exposée au soleil, libérant la Dioxine, un dérivé chloré du phénol, très toxique, dans le produit à consommer. La santé publique est ainsi menacée et il faut agir sévèrement », a-t-il insisté.

           Toujours en matière des mesures visant le renforcement des mécanismes de contrôle des activités commerciales et des différents produits locaux ou importés circulant sur le marché national, une inspection territoriale du commerce, équipée en moyens modernes, a été aussi inaugurée dans la commune de Berrahal.
           Le ministre s'est rendu aussi à la rencontre de la deuxième édition d’Annaba Economic Forum, organisée à l’hôtel Sheraton, par l’Association des Jeunes Algériens « AYA », en collaboration avec la Chambre de commerce et d’industrie « Seybouse », à laquelle des experts et des opérateurs économiques de l’intérieur et de l’extérieur du pays, ont pris part en présence également de certains ambassadeurs de pays accrédités en Algérie.
           Prenant la parole, à cette occasion, Kamel Rezig, a indiqué que pas moins de 11.947 primo-investissements qualifiés d’entreprises débutantes, dont 11068 personnes physiques et 879 personnes morales, ont vu le jour, en l’espace des cinq premiers mois seulement de l’année 2022, contre 11.605 établissements qui ont vu le jour, (10.885 personnes physiques et 720 Personnes morales) ainsi que 6.794 établissements (6.522 personnes physiques et 272 personnes morales) respectivement durant les exercices de 2021 et 2020.
           « Ceci reflète l’intérêt croissant des jeunes pour l’entrepreneuriat et la création d’activités privées et productrices de produits et de services », a-t-il dit, précisant « qu’à ce jour, le registre de commerce national compte un total de 2,2 millions d’activités ». L’orateur a noté que la majorité des jeunes entrepreneurs entrent dans la tranche d'âge de 25 à 35 ans, et que l’activité est répartie entre la gent féminine avec 22 605 établissements et les hommes avec 395 544 unités.
           En outre, La mise en service d'un portail électronique d’enregistrement des établissements depuis le 02 mars 2021, a permis à son département, selon le ministre, de constater qu’en termes de chiffres, il a été enregistré jusqu'au 25 mai 2022, dans le Centre National du Registre du Commerce, 2 211 341 activités commerciales classées comme suit : personnes physiques 1 989 061 activités et personne morale 222.280 membres. lors de sa visite à la zone industrielle de Berrahal, plus précisément à l’usine où est produite l’une des plus célèbres boissons, made in bladi, Bôna en l’occurrence, implantée sur une superficie de 13.500 m2 et offrant quelques 350 postes d’emploi, contre 60 postes d’emploi en 2000, il a mesuré l’important investissement consenti par le Groupe Ouinez.
           Les lignes de productions de dernière génération, dont est dotée cette unité, démontrent l’engagement du groupe Ouinez en matière de santé publique et de respect de l’environnement. Un exemple de réalisation qui mérite soutien et encouragement de l’Etat pour son extension.
           Même contentement affiché par Kamel Rezig en visitant la société Mansouri Métal Box (MMB), spécialisée dans la fabrication de boites d’emballage et dans l’impression sur métal pour l’industrie alimentaire, qui offre plus de 500 postes d’emploi avec à son palmarès une production de 500 millions de boites (tomate, thon, pâté de volaille, haricots, sauce pizza, petit-pois, champignon, fromages et autres) toutes dimensions et formes confondues, durant l’exercice en cours. En outre et grâce à cet investissement, l’emballage métallique algérien est maintenant fabriqué localement contrairement aux années précédentes où 80% de ce produit était importé de Tunisie, d’Italie et de Dubaï.

           Mieux encore MMB a réussi en s’alignant sur les standards internationaux, une exportation en direction des pays africains, d’une valeur d’un million de dollars environ « C’est avec l’implication de tels opérateurs économiques intègres et créateurs de richesses, qui peuvent injecter un sang nouveau sur le plans économique et social, que l’Algérie nouvelle doit être construite ». C’est ce qu’a déclaré, le ministre du commerce et de la Promotion des exportations, à l’issue de sa tournée de travail et d’inspection à ces deux unités de production.
Salah-Eddine            


ACTUALITÉ ALGÉRIE

Envoyé par Martial
https://www.dzairdaily.com/algerie-voici-taux-remplissage- barrages-apres-dernieres-pluies/

  - Par dzairdaily - Par: SALIMA A. 9 MAI 2022

Algérie : voici le taux de remplissage des barrages après les dernières pluies

           Algérie – Le coordinateur principal à l’Agence Nationale des barrages et des Transferts (ANBT) a révélé le taux de remplissage des barrages en Algérie après les dernières pluies. On vous en dit plus dans les lignes qui suivent ce lundi 9 mai 2022.
           Sur les ondes de la Radio Nationale, Ouglaouane Mourad, coordinateur principal à l’ANBT a indiqué que le taux de remplissage des barrages à l’échelle nationale après les dernières pluies est de 44,52 % en Algérie. Dans le détail, les barrages de l’est du pays sont remplis à hauteur de 61 %. Ceux du centre ont atteint 24 % et les barrages de l’ouest 26 %.
           Selon le responsable, ces taux sont considérés comme moyennement acceptables, comparativement aux taux de l’année passée. Il faut dire que ces dernières années, l’Algérie a connu une diminution importante des précipitations. Et ce, en raison des dérèglements climatiques. La conséquence de ces sécheresses a été le manque d’approvisionnement en eau dans toutes les régions du pays.
           Pour rappel, toutes les grandes villes du pays souffrent du manque d’eau. Cette situation persiste jusqu’à présent. Et les robinets ne fournissent de l’eau que quelques heures par jour, voire par semaine. La nouvelle de ce remplissage acceptable des barrages fait donc espérer un retour à la normale, notamment pour les habitants de la capitale.

           80 barrages souffrent du phénomène d’envasement en Algérie
           Cependant, le même responsable a expliqué que plusieurs barrages du pays souffrent d’un problème d’envasement. 13 % des barrages sont touchés, soit l’équivalent de 80 retenues d’eau. Ce phénomène diminue fortement les capacités de stockage des barrages. Et nécessite des processus de dévasement pour améliorer les capacités et fournir une plus grande quantité d’eau. Ce processus est complexe et coûteux mais s’avère nécessaire.
           Pour se faire, des bateaux sont mobilisés pour extraire les vases du fond des barrages. Et plusieurs projets ont d’ores et déjà été lancés. À l’exemple du barrage de Biskra, où 8 millions de mètres cubes de vase ont été extraits. Mais aussi le barrage de la wilaya de M’sila, d’où 5 millions de mètres cubes ont été retirés.

           Par ailleurs, il faut savoir que ces barrages fournissent l’équivalent de 33 % des ressources en eau du pays. Soit l’équivalent de 3,7 milliards de mètres cubes. Pour le reste de la consommation des Algériens, 50 % est fournie par les réserves souterraines tandis que les 17 % restants proviennent du dessalement de l’eau de mer. Comme le rapporte le quotidien arabophone Echorouk.
                

De M. Pierre Jarrige
Chers Amis
Voici les derniers Diaporamas sur les Aéronefs d'Algérie. A vous de les faire connaître.
    PDF 160A                                                  PDF 161
    PDF 161A
Pierre Jarrige
Site Web:http://www.aviation-algerie.com/
Mon adresse : jarrige31@orange.fr

Une plaisanterie à ne pas faire à tout le monde
Envoyé par Eliane

    – Allô Police ! Je viens d’écraser un poulet. Que dois-je faire ?
    – Et bien , plumez-le et faites-le cuire à thermostat 6.

    – Ah bon ! Et qu’est-ce que je fais de la moto ?


Si vous avez des documents ou photos à partager,
n'hésitez-pas à nous les envoyer. D'avance, Merci.

                 EN CLIQUANT. ===> ICI

Notre liberté de penser, de diffuser et d’informer est grandement menacée, et c’est pourquoi je suis obligé de suivre l’exemple de nombre de Webmasters Amis et de diffuser ce petit paragraphe sur mes envois.
« La liberté d’information (FOI) ... est inhérente au droit fondamental à la liberté d’expression, tel qu’il est reconnu par la Résolution 59 de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée en 1946, ainsi que par les Articles 19 et 30 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), qui déclarent que le droit fondamental à la liberté d’expression englobe la liberté de « chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».
Numéro Précédent RETOUR Numéro Suivant