L'EUROPE ET L'ISLAM


En 1519 Charles-Quint est élu empereur d'Allemagne. C'est un affront. Un camouflet que François 1er ne peut pas accepter. Aussi entreprend-il de soulever les Maures et les mauresques sans qu'il y ait état de guerre entre la France et l'empereur.

En 1524 François 1er envoie aux Turcs de Tunis son homme de confiance Guillaume du Bellay (l'oncle du poète Joachim) pour "susciter des difficultés à l'empereur dans son royaume de Naples" ce qui, traduit en français moderne, signifie "faites ravager les côtes chrétiennes par des forces islamiques".

En Février 1525 François est battu et capturé à Pavie, en Italie, par les Bourguignons et les Espagnols de Charles de Lannoy.

Que fait-il ? Il trouve moyen d'envoyer un ambassadeur, puis un deuxième (un bosniaque) à Soliman le Magnifique et il lui demande ''d'entreprendre une opération par terre et par mer pour le délivrer.

En 1526 les Turcs occupent la Hongrie après la bataille de Mohacs où le roi (beau-frère de Charles-Quint) est tué. Les prêtres catholiques de la région, dominicains et franciscains, sont empalés, crucifiés, écorchés vifs. Cela n'empêche pas quelques personnalités importantes de l'Eglise de France de se rendre complices du Turc.

Il serait trop long et fastidieux de raconter les va-et-vient de tous les agents secrets.
Un exemple entre dix ou vingt:

François 1er et Charles-Quint connaissent une période de paix en 1535. Charles-Quint en profite pour organiser une expédition contre Tunis dont les corsaires ravagent les côtes d'Italie. Cette croisade, une flotte de 65 galères et 300 navires transportant 30 000 hommes, quitte Malte et débarque à Tunis où les Barbaresques les attendent. L'expédition n'en réussit pas moins car 20 000 esclaves chrétiens se révoltent et massacrent la garnison. Que s'était-il passé ? François 1er au reçu d'une confidence de Charles-Quint avait envoyé un de ses officiers à Tunis, Monsieur de Florettes pour prévenir Barberousse (Khetr-ed-Din, d'Alger) à Tunis.

En 1536, François 1er signe avec le Sultan les "Capitulations des accords qui sont censés nous garantir des avantages commerciaux et, parait-il, la protection turque des lieux saints.

En fait il y a en tout et pour tout deux entreprises commerciales françaises à Constantinople et rien ne justifie cette alliance contre nature. Quant à la protection des lieux-saints elle est aussi efficace que le seront les accords d'Evian pour les Français d'Algérie en 1962. C'est tout dire,

Quoi qu'il en soit, accords ou non, les Barbaresques continueront à arraisonner les navires français, espagnols, italiens et autres, et à conduire équipages et passagers à Alger ou on les vend sur le marché.

En 1541, on le sait déjà. Charles-Quint lance son expédition sur Alger. L'expédition échoue à cause d'une effroyable tempête.

Il n'en reste pas moins que là encore des agents de François 1er, notamment Pellicier, avaient tenu Barberousse au courant des préparatifs et des buts de l'expédition. Pellicier était évêque!! Et ambassadeur de France à Venise.

En Avril 1543 Soliman écrit à François 1er "J'ai accordé une redoutable flotte, équipée de tout ce qui est nécessaire. J'ai ordonné à Barberousse, mon Kapudan Pacha d'écouter tes instructions".

De mieux en mieux. Voilà le roi de France commandant en chef de la flotte turco-barbaresque ! En attendant, la "redoutable flotte" dévaste Reggio de Calabre puis gagne Marseille où elle est "accueillie splendidement" par le comte d'Enghien qui reçoit des cadeaux et offre, de la part du roi, une épée d'honneur à Barberousse. Après cela la ville chrétienne de Nice, possession des ducs de Savoie, est attaquée par une flotte française commandée par Paulin de la Garde intégrée à l'escadre turco -barbaresque de Barberousse. Il s'ensuit un bombardement de quinze jours. Puis vient le débarquement des janissaires. Il y a combat et une femme de la ville, la Segurane, s'empare d'une bannière turque.

Cependant, le 22 août 1543 la ville capitule, sauf le château qui tiendra jusqu'à l'arrivée d'une flotte espagnole commandée par le marquis del Vasto. Les Turco- Barbaresques s'en vont, laissant derrière eux une ville dévastée.

C'est alors que le roi de France offre à Barberousse le refuge de Toulon pour hiverner. On expulse manu militari tous les Français pour faire place aux 30 000 orientaux. Tout Français pris en ville sera pendu. Pour nourrir ces hommes, on opère des razzias dans tous les environs.

La flotte turque séjournera à peu près 6 mois à Toulon. Les protestations affluent de toute l'Europe chrétienne. Pour faire partir Barberousse qui s'incruste, le roi sera obligé de verser 800 000 écus d'or après d'humiliants marchandages Les protestants allemands de la Diète de Spire déclarent "Le roi de France est autant ennemi de la Chrétienté que le Turc lui-même`.

L'escadre française raccompagnera Barberousse jusqu'à Constantinople. Elle se sera ainsi rendue complice du massacre des chrétiens des îles Lipari et aura aidé le pirate barbaresque à conduire en Turquie quelques centaines d'esclaves chrétiens.

Est-il besoin d'ajouter qu'un intense trafic d'armes en direction de la Turquie s'opéra pendant toute cette période? Non seulement de l'artillerie (qu'on retrouvera en Hongrie du côté turc, les canons ponant la Salamandre de François 1er mais aussi des cordages, des voiles, et même, ô monstruosité, des rames pour les galères turques.

L'attaque de la Corse

François 1er meurt en 1547 et c'est son fils Henri Il qui monte sur le trône. Il continue, au début, la politique de son père.

En 1553 nouvelle conjonction entre les flottes turque et française. Après l'attaque de l'île d'Elbe c'est le tour de la Corse, alors possession génoise (Gênes était une république). Barberousse (Kheïr-ed-Din, d'Alger) est mort et c'est Dragut qui commande l'escadre turco-barbaresque. C'est encore Paulin de la Garde qui commande l'escadre française, c'est-à-dire 25 galères.

La Corse, située dans le golfe de Gênes, n'a jamais eu, surtout à cette époque, une importance économique quelconque. Mais il n'en va pas de même pour son importance stratégique. Elle est en effet placée, avec la Sardaigne sur la route Espagne - Italie et il faut soit la contourner par le Nord, soit franchir le dangereux (à cette époque) détroit de Bonifacio, soit encore passer par le Sud de la Sardaigne. Les Français et les Turcs se partagent la tâche. Dragut attaque Bonifacio et le baron de la Garde s'occupe de Bastia. Cette dernière ville capitule au bout de quelques jours. Corte est prise également. Par contre, Dragut perd 600 hommes à Bonifacio. Il recourt alors à la ruse. Il envoie aux Génois et Corses un officier français qui l'accompagne. Celui-ci est reçu et présente aux assiégés un tableau assez sombre de leur situation, c'est-à-dire qu'en cas de nouvelle résistance prolongée toute la population sera passée au fil de l'épée. Il leur garantit qu'en se rendant Génois et Corses se trouveront placés sous la protection de la France. Ces paroles rassurantes produisent leur effet. Bonifacio ouvre ses portes et rend la citadelle. Mais les Turcs sont là pour le butin ! La ville est saccagée, une partie de la garnison et bon nombre d'habitants sont massacrés. Comme les Français protestent avec véhémence, Dragut fait battre le rappel de ses troupes, les rembarque et fait voile vers Constantinople. sans oublier tout ce qui avait été pillé, Henri proteste. Les morts restent morts!

Soliman donne à nouveau l'ordre à sa flotte de se mettre à la disposition des Français. Il envoie une centaine de galères. plus une vingtaine de navires de servitude (ravitaillement, communications, munitions). Salah Reis commande une flotte barbaresque venue d'Alger. Devant Piombino la rencontre s'opère : Dragut, Salah Reis, de la Garde. La flotte emporte du matériel de siège.

Bartia est à nouveau attaquée (entre la première et la deuxième agression elle avait été reprise par l'amiral génois André Doria). L'attaque échoue. Les assaillants essayent alors Calvi, mais les Turcs, sachant que les Français, échaudés, les surveillent, combattent sans entrain excessif. Si bien qu'après plusieurs assauts franco-turcs infructueux il faut renoncer.

Comme le souligne Léon Galibert "aucun événement ne s'accomplissait en Méditerranée sans que la marine algérienne y prit part". Faut-il rappeler que les rameurs des galères turques et barbaresques étaient tous des esclaves chrétiens

En Juin 1555, Salah Rets attaque le poste espagnol de Bougie et le conquiert après un féroce combat. Tous les chrétiens du poste, soit 600 hommes, femmes et enfants sont vendus sur le marché aux esclaves.

En 1556 Salah Rets meurt, victime de la peste (?) et il est inhumé à Alger près de la porte Bab-el-Oued.

N.B. On peut diviser cette complicité franco-turque en trois périodes: - Celle de François 1er de 1520 à 1547
- celle d'Henri Il qui la poursuit puis la rejette brutalement en 1539. Hélas le roi meurt jeune encore (40 ans) d'un accident de tournoi.
- Celle de Charles IX de 1562 à 1568 et qui continue après Lépante jusqu'en 1573.

(Revue Ensemble N° 211, pages 29-32, Décembre 1997)