Laurent Ropa,
               écrivain bônois.

Laurent Ropa, écrivain bônois.
 Sa vie
La ville de Bône à travers
quelques extraits de ses écrits.

 Sa vie.

Laurent Ropa

        Laurent, Joseph, Emmanuel ROPA est né à Xhagra (Gozo) le jour de Noël 1891.
        Fils de Giuseppe Rapa, le père qui avait quitté Malte dès l'âge de 16-17 ans pour venir travailler en Algérie. Quand il avait un peu d'argent, il retournait à Gozo pour quelque temps. C'est à l'un de ses voyages qu'il se marie avec Carmela, continuant à venir seul chaque année quelques mois en Algérie. Quand enfin il a un emploi stable et un logement, il fait venir sa femme et ses deux fils, Laurent le plus jeune, a alors deux ans en 1893. Ils sont accompagnés par un oncle et voyagent sur un grand voilier peu confortable.
        C'est l'aventure de cette famille, sa famille, que Laurent Ropa raconte dans "Le chant de la noria".
        La maman épuisée est morte faute de soins à l'âge de 42 ans; son papa a fini centenaire à Gozo.
        Les parents de Laurent Ropa ont eu 6 enfants :

         La famille est très modeste, Laurent et son frère apportent leur aide.


        "Vers 7 ou 8 ans, de notre propre initiative, nous nous louions, mon frère et moi, dans une briqueterie où nous sortions du four les briques cuites ; ou comme débardeurs au port où nous aidions, avec beaucoup d'autres enfants plus âgés, à débarquer des briques de Marseille. J'ai été loué aussi par un marchand ambulant de fruits et de légumes; il me faisait porter avec lui un énorme panier à poignées, chargé plus que raisonnablement. Le porteur criait sa marchandise, puis me demandait de crier à mon tour: Il paraît que je n'avais pas le ton convenable. Il m'envoyait aussi vendre des bottes d'oignon ou d'ail : je rentrais toujours bredouille. Il fallut conclure que je n'étais pas fait pour le commerce... ".
        " Enfin, continue-t-il, mon père loua un jardin dans la banlieue de l'antique Hippone, à l'Allélik. L'Allélik est ma véritable patrie". Il y sera employé comme ouvrier agricole à l'Allelick. Rien ne le prédestinait à devenir instituteur et écrivain.
        Et de cette époque douloureuse il a gardé toute sa vie la nostalgie de ce coin de Bône, l'Allelick.

SOIRS DE L'ALLELIK.

Les fraîches norias, âmes des bergers d'août,
Tournent en résonnant d'un pas égal et doux ;
Jacky, le vieux mulet, hennit pour la relève ;
Son pauvre cri parmi les grenadiers s'élève,
Plaintif, et va mourir dans les profonds jardins.
Des ronces, un chant monte en purs sons argentins ;
Le mystique olivier rêve et dort dans la lune ;
Accueillante au logis sourit la lampe brune...
Le repas est fini. Ma mère va s'asseoir
Sur le pas de la porte et l'oraison du soir,
S'égrenant de sa voix que chacun accompagne,
Vole en essaims légers et clairs dans la campagne.

Un changement qui allait s'avérer capital : la fréquentation de l'école.

        "A six ans, j'étais entré à l'école communale. Maintenant l'école était à six kilomètres, le hameau n'ayant pas la sienne. Il fallait faire le chemin à pied, matin et soir, par tous les temps. Bientôt, je profitais avec mon frère de la voiture qui transportait les légumes aux halles : réveil à trois heures chaque matin. Nous emportions notre repas de midi : pain, quelques olives ou un fromage de chèvre, un fruit. Parfois, nous prenions, pour un sou chacun, une portion de pois chiches, de haricots ou de fèves au cumin, chez un gargotier ambulant arabe. Les jeudis et aux grandes vacances, j'étais gardien de noria - il s'agissait d'empêcher le cheval ou le mulet de service de s'arrêter - et je menais les bœufs aux champs."

        Connaissant le chemin parcouru depuis l'Allelick par les charrettes du marché, sachant que le seul pont praticable était celui d'Hippone, il est vraisemblable que Laurent Ropa fréquentait les écoles qui avaient été construites au niveau du marabout de Sidi-Brahim, lui-même édifié sur les ruines d'une basilique romaine d'Hippone.

L'intégration totale d'un brillant élément.

        " A onze ou douze ans, je fus reçu au certificat d'études. On me mit alors en apprentissage, à l'Allélik même, chez un pépiniériste vigneron venu des Pyrénées. Mais j'avais la nostalgie des études, des livres. Je faisais déjà des vers. Mon instituteur insistait pour que je retourne en classe ; des Français instruits, nos voisins, faisaient de même auprès de Maman qui était prête aux sacrifices les plus héroïques, malgré son extrême pauvreté et malgré mon père ".
        Ainsi L. Ropa est inscrit au cours complémentaire, passe le brevet, réussit le concours d'entrée à l'Ecole Normale de Constantine. Ses premiers postes seront à Clairefontaine puis à Saint-Arnaud.

         Né sujet britannique, il sera naturalisé français à l'âge de 22 ans, en mars 1913. Mobilisé en 1914 dans les Zouaves, il est envoyé sur le front en métropole ne se doutant pas qu'il quitte alors l'Algérie pour toujours.
        Blessé deux fois sur le front, il sera titulaire de la Médaille militaire et de la Croix de Guerre.
        1ère convalescence dans la Sarthe où il fait la connaissance de Marguerite Gervaiseau, celle qui fut son infirmière, institutrice à Piacé, qui va devenir sa femme le 7 février 1917.
        Il termine la guerre comme lieutenant à Tunis où il est démobilisé.
        Il s'installe ensuite dans le pays de son épouse, à Mézières-sous-Ballon puis à Sillé-le-Guillaume où il fut directeur d'école entre 1928 et 1949.
        Il décède de la maladie de Parkinson le 29 mars 1967 à Piacé (Sarthe) où il aura passé une partie de sa vie comme instituteur, puis comme principal du collège et sa retraite.

La vocation.

         Laurent Ropa n'avait aucune disposition pour la vie agricole.
        Mme Ropa parle de l'adolescent :
        "Pour aller au cours complémentaire, on lui donne un bourricot qui se décharge rapidement de son cavalier et rentre seul à l'écurie. Son frère lui attelle une petite charrette, mais la bête reste d'autant plus rétive que le conducteur ne veut pas la frapper. Finalement un voisin qui a beaucoup insisté pour que mon mari continue ses études lui obtient un abonnement au chemin de fer local ".
        Très jeune, il est passionné pour la culture et la langue française et s'intéresse particulièrement à la littérature, allant jusqu'à économiser le prix d'un repas pour acheter des livres.

Premiers vers.

        A 14 ans, il commence à écrire des poèmes ; il est plein d'admiration pour Victor Hugo.
        Plus tard, le Directeur de l'Ecole normale de Constantine, M. Gaston Clais, auquel il vouera une reconnaissante vénération, lui avait fait prendre conscience de sa vocation.
        "Il me dit dès la première rédaction française : " Vous avez quelque chose de Victor Hugo dans votre style ". Puis : " Vous devriez faire des vers ". J'en faisais depuis longtemps, en gardant les norias et les bœufs. N'avais-je pas commencé même deux tragédies ? Il fallut bientôt me rendre compte que le plus urgent était, pour moi, de me défaire de l'influence tyrannique du terrible maître que j'avais choisi."
        Laurent Ropa doit donc choisir : écrire ou gagner sa vie. Le choix s'est imposé à lui, celui de l'enseignement où sa vocation intellectuelle a pu s'affirmer car parallèlement, Laurent Ropa a mené une réflexion philosophique, religieuse autour de son inspiration littéraire :

         " Pour moi, écrire n'est pas un passe-temps, une distraction, mais l'occupation essentielle. Ecrire, c'est méditer, prier, chanter ".
        Plus d'une fois, il a éprouvé la souffrance de voir la profession empiéter sur l'inspiration. C'est le thème du poème intitulé:

" Regrets "

J'étais un grand poète alors en mes quinze ans :
Je n'ai pas su cueillir les fleurs de ce printemps
Je vivais de beauté, d'amour inexprimable...
Puis, un jour, écoutant une voix raisonnable,
Songes, vous reniant, je vous ai tous chassés...
Hélas ! revenez-moi, Muses du temps passé !

L'écrivain.

         Son talent est divers. Il a laissé des romans, des poèmes, traduit en français des poètes maltais et collaboré à plusieurs revues.

Les romans.

         Il présente ainsi son oeuvre romanesque :
        " Peu doué pour le roman, j'en ai pourtant écrit trois parce que je me suis laissé dire que, pour se lancer, il fallait en faire. Mais mes romans sont des poèmes".

Le Chant de la Noria.
        C'est le titre du premier ouvrage, paru en 1932 et qui reçoit une critique fort élogieuse. Laurent Ropa y décrit la vie souvent misérable des émigrants maltais et de leurs ouvriers kabyles qui ont défriché, mis en valeur la plaine de la Seybouse. Paysages de soleil et de verdure, rude labeur quotidien des hommes et des bêtes, joies intimes et douloureuses épreuves d'une humble famille paysanne en font un livre attachant, plein de vie et d'émotion. C'est aussi un document remarquable sur l'Algérie d'avant 1914, réédité en 1980 par le Cercle Algérianiste aux Editions de l'Atlanthrope ; actuellement épuisé.
        En désaccord avec son patron, le père trouve un autre emploi à Bône et la famille doit, loger dans un quartier pauvre de la ville au grand désespoir de la mère qui regrette la campagne. Enfin, il loue un jardin à l'Allélick à la grande joie de sa femme. Leur vie dure, inquiète, est décrite dans ce livre avec beaucoup de fidélité.
        "Lazaro" et "Dora" ressemblent à ses parents et "Luigi", c'est son frère aîné.
        Ce roman est considéré par Robert Randau comme " un des plus beaux livres écrits sur l'Algérie ".

Kâline

        Annoncé par l'auteur sous le nom de "Séraphin", l'ouvrage paraît en 1936. "Beau roman grave, tendre et triste, dont les héros sont des Maltais transplantés comme l'auteur mais restés fidèles au berceau de leur race", il met en scène le patriotisme d'une jeune intellectuelle maltaise de Bône qui revient à la fierté de ses origines familiales après les avoir longtemps ignorées voire méprisées.
        Le thème en est très actuel.
        " ... (K) exprime un sentiment qui n'a guère été, étudié par les romanciers de chez nous, celui d'un coeur de néo-français où doivent coexister et s'arranger pour vivre, non sans quelque drame en ce partage, le sentiment de la Patrie nouvelle et la légitime piété, due à celle des origines ".
        " ... Le lecteur d'Algérie sera séduit plus particulièrement par l'art avec lequel l'auteur traite la mise en scène de son ouvrage, ces décors, ces paysages et ces moeurs du pays bônois si intimement liés au drame psychologique qui dévaste l'âme de ses héros ". (Jean Pomier, " Afrique ", août 1936).
        Encore aujourd'hui, Laurent Ropa est au centre des discussions qui rassemblent les Maltais du monde entier.
        Comme en 2000, lors de ce Congrès des Présidents d'Associations d'origine maltaise de l'étranger qui regroupait à la maison de l'émigrant de La Valette des gens d'Australie, de Nouvelle Zélande, d'Amérique, du Canada, du Royaume Uni, de Corfou, de France représentée par Pierre Dimech.
        Laurent Ropa, fut mis à l'honneur comme ayant été le premier à développer l'idée, en 1936, d'une Fédération des Associations maltaises dans le monde.
        C'est le thème de Kâline.
        Il écrivait à un auteur de pièces de théâtres qui fut l'ami des grands hommes politiques champions de l'indépendance de Malte :
        " Continue à combattre courageusement contre l'ignorance et contre ceux qui veulent que ton peuple reste dans l'ignorance pour l'empêcher de se développer."
        Ses dernières paroles témoignent de cet amour de Malte et des Maltais :
        " Où sont mes Maltais ?

Bou-Ras.


        Paraît en 1960.
        La dédicace mentionne : " A ma Mère Bénie, à ma Femme bien-aimée, A nos enfants, A tous, Espérance !
        Piacé, ce 1er août 1960 ".
        " L'enfant ayant le crâne d'un volume extraordinaire, on l'appela Bou-Ras, c'est-à-dire l'enfant à la grosse tête ".


        Plutôt qu'un roman, ce livre est plutôt un conte philosophique, un poème en prose qui décrit le chemin qui mène de l'Ombre à la Lumière, de l'Ignorance à la Vie, découvrant ainsi l'itinéraire spirituel de l'auteur.
        Un critique le jugeait ainsi :
        "Le récit est soutenu par un style étonnant où l'on retrouve l'équilibre, la cadence et la poésie des contes orientaux, la saveur et la richesse de leurs dialogues ".
        Ropa confiait lui-même ainsi le prix qu'il y attache :


        " Voici plus de dix ans que je le couve... Je crois que ce livre est mon livre : " Vivre, c'est marcher ardemment à la rencontre de Dieu : cela seul compte dans notre existence terrestre ".
        C'est le message de sa vie et de son roman qui avait été d'abord annoncé par l'auteur sous le nom de "Virgilio Bouras". Ce choix de "Bou-Ras" (l'enfant à la grosse tête), la reprise par l'auteur de ce nom dans ses trois recueils de poésie : "Le tombeau de Bou-Ras", le consacre pour lui donner une résonnance très personnelle : au premier degré, Bou-Ras, c'est lui, L. Ropa ; mais, au second degré, l'expression a le sens de malin, débrouillard et Bou-Ras, c'est un homme qui, par son travail, sa réflexion, sa valeur, s'est élevé au-dessus des autres hommes ; cela devient aussi l'Homme par excellence.

Les poèmes.

        Mais pour Laurent ROPA, l'essentiel de son oeuvre ce ne sont pas ses romans, ce sont ses poèmes rassemblés en trois volumes qui jalonnent sa vie et les péripéties de sa pensée qui n'a cessé d'évoluer dans le temps.

         " Je crois qu'il n'y a rien de plus beau qu'un alexandrin réussi"

         Le tombeau de Bou-Ras : 1 - Le Jardin de l'Allélik, 29 poèmes - le premier, paru en 1950, évoque son enfance, les souvenirs de jeunesse avec l'enivrement de la Science qui amène la rupture religieuse.
        Le recueil est dédié "A la mémoire de Gaston Clais, au directeur et à l'Ami, qui ne me permit pas d'oublier que j'étais poète et qui aima quelques-unes de ces poésies".

         Le tombeau de Bou-Ras : 2 - La Prière à Hippone, le second, publié en 1953, est marqué par l'inquiétude métaphysique et l'insatisfaction de son incroyance. Devant les déceptions de la vie et ses insuffisances, il retrouve un impérieux besoin d'absolu. Il comprend 8 poèmes.

         Le tombeau de Bou-Ras : 3 - Notre-Dame-de-la-Vie, rassemble 47 poèmes publiés en 1968.
        "D'abord poète... l'étincelle jaillit vers ma treizième année à l'audition du poème de Victor Hugo Les Pauvres Gens ... c'est alors que je suis né... " - (Vocation).

         " Ce qui compte seulement, c'est la Poésie, l'Inconnue mystérieuse qui enchanta Bou-Ras dans les jardins et les champs de l'Allélick, aux heures merveilleuses de son enfance, de son adolescence et tout au long de sa vie ". (De quelques vues).
        "Ce troisième recueil marque le terme de son évolution intérieure. C'est la quête ardente de la Vérité, la foi en Dieu et la prière retrouvées, la conviction que la plénitude et le bonheur n'existent qu'au delà des obscurités et des limites de la terre et du temps. Le Iong poème final, qui donne son nom au recueil, exprime bien ces recherches et ces cheminements de sa pensée".
        En voici les première strophes :

A MA FEMME

Savions-nous bien où nous allions, ô Bien-Aimée,
Le jour d'entre les jours, ce jour déjà lointain
Où, la main dans la main, sur la Route enflammée,
Nous partions à deux pour faire un seul destin ?
Pour moi, je l'ignorais. L'esprit plein de fumée,
Je fus bientôt séduit par le Noir Libertin;
Et ainsi engagé dans sa funèbre armée
J'existais pour mourir chaque nouveau matin.
Béni soit qui brisa le joug de l'Ephémère !
Aujourd'hui, nous savons ce que voulaient nos cœurs:
Après bien des combats, revoici la Lumière !
Ecoute dans mon chant, ses ineffables chœurs !
Ils disent, d'une voix que l'Infini prolonge :
S'il ne s'achève en Dieu, l'Amour n'est qu'un vain songe.

         Chaque recueil a un climat spirituel qui lui est propre ; mais la personnalité de l'auteur s'y retrouve en permanence constituant ainsi la trame et l'unité de l'ensemble.

Le promoteur du mouvement de renaissance maltaise.

Etudes littéraires.

        Laurent Ropa sera le promoteur de la renaissance maltaise, voulant maintenir les liens moraux entre les colonies maltaises du monde entier par le moyen de la culture et du développement de la langue nationale que les poètes ont élevé au rang de langue littéraire.


        " Mes compatriotes d'Afrique deviennent d'excellents citoyens français, mais ils se montrent si fiers de l'être qu'il ne faut guère leur rappeler qu'ils sont tout de même... Maltais. Maltais, c'est une tare, et ils se hâtent de se débarrasser de leur langue nationale. Je me suis dressé vigoureusement, violemment même parfois, contre cette tendance dans mes articles de Mélita : "Ma province franco-maltaise " ... ".
        " Le poète Fernand Gregh est d'origine maltaise, passé par l'Algérie. Je lui en ai longtemps voulu de se montrer comme un peu gêné de cette origine : il l'a encore paru dans le premier volume de ses mémoires (" L'Age d'or ") : il se voudrait nordique ! Où alors il ne descendrait que de sa mère, d'une vieille famille française de l'Ile de France "

ÉTUDES LITTÉRAIRES SUR L'ÉCRIVAIN ET SON ŒUVRE.

LAURENT ROPA.
Article signé " Docteur A. Mizzoni ", Le Réveil Bônois, 21 juillet 1936 (trois colonnes en 1- page).
L'auteur regrette que L.R. n'ait pas eu le " Grand prix littéraire de l'Algérie ", il repousse la thèse de L.R. sur Malte (nation, civilisation, langue, littérature) d'origine " phénico-punique " et affirme sa latinité et celle aussi de L. R. " votre structure physique, psychique et morale est toute entière latine ".
MALTE, LAURENT ROPA ET NOUS.
Article de Jean Pomier, président de l'Association des écrivains Algériens. Revue d'Alger Afrique, mars 1939, repris dans Mélita 20 juin 1939.
HEURES NOUVELLES. RENAISSANCE MALTAISE. Article de Léon Darcis, journal La Démocratie Algérienne, 16 janvier 1936.

Sa participation.
" ANTHOLOGIE DES POETES NEO-CLASSIQUES ". 1936.

Collabore au premier volume. 9. " POETES MALTAIS ". " Les Cahiers de Barbarie ", Tunis, 1937, o Dédié à son Père et à sa Mère ainsi qu'à A. Guibert.
Traduction de 32 poèmes de 9 poètes, morts ou vivants :
Rozar Briffa, F. Saver Caruana, Niny Cremona, Délia, Dun Karm, Carmelo Mifsud-Bonnici, Guzè Muscat-Azzopardi, Georges Pisani, Arthur Vassiliu Vassalo.
" ... il est le porte-parole des jeunes intellectuels maltais ". (Rob. Randau, dans l'Echo d'Alger 26 février 1936
" POETES MALTAIS ".
Anthologie, 2e volume, doit sortir incessamment à Malte sous le patronage du Conseil de l'Europe.

11. REVUES.
Il collabore à un certain nombre de Revues par divers articles particulièrement consacrés à la poésie maltaise
o La Parenthèse (Paris), études de linguistique;
o Afrique (Alger), organe des " Algérianistes ";
o La Kaliena (Tunis), organe des " Ecrivains de l'Afrique du Nord "
o La Grande Revue (Paris) (manifeste pour la langue et la littérature maltaises)
o L'âge nouveau (Paris) (études sur la prose et la poésie maltaises);
o Mélita (Sousse), Organe maltais d'informations (série d'articles: "Ma province maltaise ;
o Il quari-Malti (Port-Saïd).

PRINCIPAUX ARTICLES :
1. MALTE ET SA LITTERATURE.
" La Grande Revue", Paris, 39ème année, N° 11, novembre 1935, pp. 18 à 36.
Cette Etude légèrement remaniée a été reprise par- l'auteur pour en faire la préface de son volume des Poètes Maltais. Elle est suivie (pp. 37 à 39, de la Revue) par un poème de Dun Karm, 1927, " Non omnis moriar" - Le Chant demeure, poème traduit par L.R. (ce poème est repris dans le recueil des Poètes Maltais N° 4, ci-dessus, pp. 85 à 89).
"Je suis né Maltais, à Malte, (le lion et vieux sang maltais, et je suis, probablement, le seul homme en France capable de lire tant bien que mal une page de maltais".
2. MALTE ET SES POÈTES. (L'âge nouveau, Revue... des Arts, des Lettres et des Idées, Paris, N° 14, avril 1939, pp. 228-230).
3. LA PROSE MALTAISE. (L'âge nouveau... V, 1939).
4. MIKIEL ANTON VASSALI, père de la littérature maltaise. (Afrique, Alger, 1939).
5. KARMENU VASSALO, poeta nisrani. (Afrique, Alger N° 146, 1939, pp. 757-768).
6. Le Moi et l'Au-Delà du Moi, UN POÈME DE DUN KARM , Mgr Karmenu Psaïla, président de l'Académie Maltaise. L. R. présente le poème "Le Moi et l'Au-Delà du Moi " et en donne la longue traduction. " Mélita " (organe maltais d'information), Sousse, 3, année, N° 58~ 5 février 1939. Mélita littéraire, N° 1, 4 pages.
7. LE PLUS GRAND AMOUR. " Mélita ", N° 63, 20 avril 1939. Traduction de la pièce en un acte de Ivo Muscat-Azzopardi.
8. LES PROPOS DU MALTAIS DE FRANCE: NOUS, D'AFRIQUE. Articles dans Mélita, 21 janvier 1938 (hommage à Jean Pomier).
9. LES PROPOS DU MALTAIS DE FRANCE -. LORD STRICKLAND OU L'HONNEUR D'ÊTRE MALTAIS. (Mélita, 4 février 1938).
10. LES PROPOS DU MALTAIS DE FRANCE: L'AKBAR IMHABBA OU MALTE ÉTERNELLE. (Mélita, 11 février 1938).
11. LES PROPOS DU MALTAIS DE FRANCE: MALTE - NOUVELLE DU NOUVEAU MONDE. (Mélita, 25 février 1938).
12. Mélita, courts articles d'actualité, 20 janvier 1939, 20 février 1939.
13. LA LANGUE ET LA LITTÉRATURE MALTAISES A L'HONNEUR. LA CAUSERIE D'ARMAND GUIBERT SUR LES POÈTES MALTAIS. (Premier acte de la Fédération maltaise universelle). (Mélita, 5 mars 1939).
14. LES OEUVRES COLLECTIVES DU PATRIOTISME MALTAIS. LE MONUMENT LA VALETTE. (Mélita, 5 juin 1939).
15. L'ARBRE DE LA LIBERTE A MALTE (14 juillet 1798) (dédié à Fernand Gregb). (Mélita, 20 juillet 1939).

TRADUCTION :
Le Sermon sur la montagne (roman maltais de Joseph Aquilina).
INEDITS :
- Deux autres pièces en un acte adaptées du Théâtre maltais
La Messe de Minuit ; Le Retour.

La reconnaissance.

         Laurent Ropa a été membre de l'ACADÉMIE MALTAISE, membre d'honneur de l'Association franco-maltaise (La Valette) de Bône, lauréat de l'Association Nationale de l'Encouragement au Bien (médaille de vermeil), cru 1933, pour "Le chant de la noria".



        Malte, sa terre natale, lui a rendu aussi hommage. Le 29 mars 1970 - 3ème anniversaire de sa mort - une plaque commémorative a été inaugurée à Xaghra dans l'île de Gozo, à l'initiative du président du"Gozo Civic Committee".
        Beaucoup de discours en maltais furent prononcés, un sonnet traduit en français a été lu par le chanoine Gaucher, ami de l'écrivain. En présence d'une foule nombreuse. Mme Ropa découvrit la plaque, aux accents de l'hymne national maltais, en présence de l'évêque de Gozo, du ministre du Travail de La Valette, des professeurs de la Royal University of Malta et de la délégation de l'académie des Ecrivains Maltais.
        La formulation en français de la phrase en langue maltaise est la suivante : "Qaleb bil-Franciz xoghlijiet Maltin". "Il a traduit en français des oeuvres littéraires maltaises".
        Un monument avec buste a été inauguré en 1975, le dimanche de Pâques, à Victoria (Gozo).

         L'université de Malte a invité Madame Ropa qui a laissé à la bibliothèque les ouvrages de son défunt mari, connu par les travaux du gozitain Guzé (Ouzé) Aquilina qui avait publié vers 1971 la traduction en maltais du Chant de la Noria.
        L'oeuvre de Laurent Ropa a été mise au programme de travail des étudiants en langue française de M. François Cunen.
        Laurent Ropa est toujours, avec d'autres écrivains d'origine maltaise d'expresion française, l'objet de recherches et de conférences universitaires (Congrès de Winnipeg, 2004).

         Laurent Ropa peut-il être considéré comme un écrivain algérianiste ?
        Probablement pas.
        Il est très classique dans son écriture. Trop, parfois. Cela lui a fait ignorer la phase pataouète qu'ont connue d'autres écrivains d'Algérie et son œuvre sera empreinte du classicisme le plus pur.
        Pierre Dimech, lui, le considère comme le chantre de la maltitude, à mi-chemin entre sa patrie d'origine et sa patrie d'adoption pour laquelle il a failli donner sa vie en 1914. Bel exemple d'intégration en tout cas !
        Nous, nous allons nous promener dans Bône avec Laurent Ropa, écrivain bônois.
        Pourquoi le qualifier ainsi ?
        Parce que tout, dans ce qu'il a écrit respire Bône. Soit que la ville et son environnement soient cités directement, soit que les suggestions ne font pas illusions sur cette nostalgie qui fait ressortir ce passé douloureux (perte de sa mère) mais aussi fondateur puisque c'est là et à cette époque que sa vocation d'écrivain a commencé à voir le jour, qu'il est devenu un homme, un Français et un meneur d'homme en tant qu'instituteur.
        Alors, partons maintenant nous promener dans le Bône de ce début de 20ème siècle à travers les textes retenus.

Le port et la jetée.

         Laurent Ropa connaît bien…
        Imaginons-nous un instant à Babaiaud à rêver devant la mer, "notre" mer…

Sur la jetée
J'ai laissé la ville, fournaise ;
Sur la jetée on sent le coeur
Respirer enfin à son aise ;
Il s'y réveille avec douceur.
Sur un rocher, j'aime à m'étendre
Dans l'odeur âpre des poissons

La jetée est comme un navire
Mais plus vagabond et plus sûr

Attardons-nous dans cette ivresse,
Oublions-nous jusqu'à la nuit

Restons encor ! Bientôt les voiles
Vont pâlir et, des cieux ouverts,
Sortiront, lentes, les étoiles,
Pour le bal immense des mers.

        Le premier port était prévu sur la Seybouse. Les travaux du port actuel ont été menés de 1856 à 1869. Ici, la jetée Babaiaud, au niveau de la passe de 70 m de large et 10 m de profondeur.

La ville fournaise, c'est aussi la ville cauchemar, surtout pour sa mère.
        Après un désaccord avec son patron, le père de Laurent doit quitter la propriété où il travaille et la famille vient s'installer en ville (Rue Bugeaud), période très pénible pour la maman qui ne rêve que de revenir à la campagne.
        Dora est la maman de Laurent.
        "La ville, cependant, ne la gagnait pas. Dora s'était faite blanchisseuse. Accaparée par son travail de l'aube à la nuit, ses enfants lui échappaient : toujours partis, sales, déguenillés, pieds nus, sans chapeau, en compagnie des " diocanes " du quartier qui les entraînaient en des expéditions lointaines et périlleuses, à la campagne ou à la mer. La maman ne cessait de s'alarmer. La maison, où logeaient surtout des charretiers et des débardeurs siciliens, napolitains ou maltais, devenait, plusieurs fois par jour, le théâtre de scènes affreuses : ivrognes battant leurs compagnes, cris d'enfants terrorisés, disputes de femmes dont les clameurs belliqueuses et ignobles faisaient trembler les murailles. Dora en était dégoûtée et effrayée; aussi, malgré la douceur de certaines amitiés, elle ne s'habituait pas à cette vie, elle ne se faisait pas à la ville : son âme regrettait toujours la campagne; elle pleurait le jardin."

Jardinier, profession maltaise.

         Avant de pouvoir s'installer à la campagne, il faut travailler durement pour gagner un argent chèrement acquis : voyage à Malte ou location d'un jardin ?
        Lazaro est le père de Laurent.
        "Ils recommençaient, recomptaient plusieurs fois la même liasse de papier, la même pile de pièces. Ils avaient fermé la porte à clé. Ils ne se pressaient pas, ils jouaient : ils ne connaissaient pas d'autre jeu et ils le pratiquaient à deux, trois ou quatre fois par an. Au bout d'une heure, les comptes étaient achevés : Dora et Lazaro possédaient deux mille francs et même un peu plus...
        Deux mille francs!...
        Qui peut dire le nombre des coups de pioche et de battoir que cette fortune représentait ? Lazaro, pour gagner davantage, chaque printemps, depuis deux ans, louait à l'Oued?Kouba ou au Pont?Blanc, au pied de la montagne, un carré de terre rouge au flanc d'un coteau qu'il plantait de tomates, ou achetait la récolte d'une centaine de citronniers, d'orangers ou de pêchers. Qui dira combien de bidons d'eau il a transportés du ravin au champ de tomates ? Combien de voyages il a fait, deux fois par jour, de son pas vif, de la maison à la montagne, de la montagne au marché, dix à douze kilomètres, sous le feu, les épaules coupées par le poids de deux couffins de fruits de vingt à trente kilos ?...
        Deux mille francs !... Dora ne cessait pas de compter... Et pourtant, en ce moment, ils jouissaient du résultat de leurs efforts comme d'une surprise. Ils rayonnaient...
        Deux mille francs ! Ils pourraient faire le voyage de Malte, revoir tout le monde qu'ils ont laissé là-bas depuis huit ans... Rêve attendrissant ! Mais ils n'étaient pas gens à se payer un plaisir sans hésiter... "

         Les Maltais ont fourni un gros effectif de maraîchers. Plusieurs se sont enrichis
        Ici apparaît le rêve de tout émigré : revenir à Malte fortune faite. Mais cela ne sera possible que plus tard avec les opportunités offertes par des pays l'Australie, particulièrement, qui va s'ouvrir largement aux Maltais (voir les retours financiers et les réalisations de ces émigrés à Malte ou Gozo).

Le rêve.

        Alors le rêve de Lazaro et de Dora se double d'un autre rêve : celui de s'installer à leur compte.

         "En s'éveillant, à l'aube, Dora entendit un roulement de voiture rapide ; les sabots ferrés des chevaux résonnaient précipitamment sur le pavé et, dans le silence du matin, ce bruit amplifié par l'écho, faisait vibrer la chambre, emplissait la rue un moment, puis il fuyait, tournant vers le marché aux légumes.
        Dora sauta du lit… vola au balcon, seul luxe de sa demeure.

         Elle resta là quelques minutes. Sur le vieux palmier qui se penchait à cinq cents mètres, en pleine rue, devant le marché arabe, une cigogne caquetait, son long bec en l'air ; puis elle s'envola.


        Au pas dans la rue Gambetta, un tombereau : il venait d'Hippone, du Ruisseau d'Or ou de l'Orphelinat. Il devait être bien fatigant, lorsqu'on est loin de la ville, surtout en hiver, de se rendre au marché sur un tombereau

        …Couchés dans un coin, sur une paillasse étendue par terre, les enfants se réveillaient… Depuis plusieurs jours ils n'avaient entretenu leurs camarades que du jardin, du jardin où ils iraient bientôt :
        - C'est aujourd'hui qu'on va à la campagne, maman ? demanda Pietro
        - Quelle chance, on va manger du raisin ! chuchota Luigi
        - Et des figues de Barbarie, compléta Pietro, du même ton ravi."

         Le palmier semble être celui de la rue Bugeaud (ancienne Place Bugeaud) qui se trouvait face au marché arabe (ancien fondouk) et qui a donné son nom au "Café du Palmier", situé près du marché. Très haut et représentant un danger, il avait reçu des consolidations à sa base. Il fut abattu une nuit d'orage.
        Les Ropa, lors de leur passage dans la ville de Bône auraient habité rue Bugeaud la maison du boucher Zammit.


        A l'angle des rues Négrier et Mesmer, il y avait le "Café des deux halles" dans la maison Sens détruite pendant la guerre. Les deux marchés avaient été érigés sur deux terrains vagues : l'un, derrière le théâtre, servait de marché aux légumes pour les Européens ; plus bas, les autochtones avaient un fondouk. Le "marché" de la rue Bugeaud date de 1936.

Le jardin de l'Allélick.

         Finalement, Dora et Lazaro louent un bout de terre à la campagne, à l'Allélick.


        "Dora aussi était indécise. Elle savait maintenant, elle ne savait que trop tous les frais qu'il y avait dans un jardin, et qu'ils devraient supporter seuls : le loyer, les ouvriers, les bêtes à nourrir, les norias à entretenir, les outils, les semences, le fumier ... ; elle pensait à tout l'argent qu'ils avaient déjà sorti; il faudrait en dépenser au moins encore autant... Ces réflexions la rendaient soucieuse. Abandonner ? Mais où irait-on ? S'exiler de nouveau à la ville ? Se remettre à travailler à la journée, lui à la pioche, elle au battoir, maintenant qu'on a goûté à la joie d'être son maître ?... Chercher un autre jardin ?... Mais L'Aâlig, c'est L'Aâlig... La terre y est dure comme la pierre, mais pourvu que le fer de la pioche soit solide, que le fumier ne manque pas et que partout, dans les mille rigoles, l'eau circule en miroitant au soleil, elle récompense comme nulle part ailleurs... Tous les grands jardiniers ne sont-ils pas à L'Aâlig? Ils ont commencé avec rien; n'ont-ils pas été comblés ? "

         Dès 1846, le chargement des minerais de la mine du Bou-Hamra se faisait sur la Seybouse. Près de là, le quartier des usines où, en 1846, le Marquis de Bassano (Blanzy, Le Creusot) avait acheté des terrains afin d'édifier des hauts-fourneaux pour traiter le fer de la région de Bône. L'affaire a duré peu de temps, puis le minerai a été exporté.


        Une ferme militaire des subsistances militaires avait été installée dans la partie basse de l'Allelick, quartier humide qui convenait bien à la vocation agricole qui fut la sienne plus tard.

         "Changio était devenu, depuis quelques années, la gloire des jardiniers de Bône. Portefaix sur les quais, aux minerais de fer et aux phosphates, puis journalier agricole, il avait loué, enfin, cinq hectares de terre à l'ombre du domaine de Clément Et-Tsop, alors en pleine splendeur. Il rappelait plaisamment ce temps où, avec son âne et sa carriole grotesques, n'ayant pour harnachement que des cordes usées et du fil de fer, il était la risée de ses riches voisins. Depuis, ayant acheté sa ferme et trente autres hectares dont il eut à défricher une partie, il constitua une véritable forêt d'arbres fruitiers.
        Sa prospérité crût plus rapidement encore depuis qu'il s'avisa d'expédier une partie de ses produits en France. A partir de décembre, artichauts et petits pois empilés dans des tonneaux ; plus tard, les pêches : cueillies encore dures, elles traversaient la mer, de mai à juillet, par centaines de cageots. "

         Phosphates et minerais arrivaient ensuite sur le port. Les gisements du Kouif ont été découverts en 1892 et exploités à partir de 1897. L'embarquement se faisait au quai ouest de la petite darse. La société s'est installée ensuite sur la future place de la gare.

La livraison en ville.

         Tous les matins, très tôt, les jardiniers viennent en ville livrer leur production.
        " Peu à peu, les airs s'apaisent; la clarté d'un bec de gaz troue la nuit de sa flamme maigre et frileuse; la pluie continue de tomber, mais de plus en plus fine.

        Les fers d'un cheval, un roulement : ces bruits se rapprochent, résonnent dans la rue bordée de hautes maisons... Un tombereau... Avec sa petite lanterne, oeil clignotant, il tourne à l'angle de la rue Perrégaux, passe dans la lumière du bec de gaz qui projette son ombre fantastique et bondissante, se dirige à tâtons vers le monument plongé dans un silence sépulcral.

         Il s'arrête vers le milieu. Le conducteur, qui était assis sur le devant, les jambes pendantes, saute sur le pavé, saisit le cheval par le mors, fait reculer, puis avancer, recommence ce va-et-vient plusieurs fois; enfin, le chariot se trouve rangé contre le trottoir : exactement à cet endroit, on devine une large grille dont la partie supérieure est à claire-voie et à laquelle on accède par trois marches."

        A l'Ouest, on entend un claquement sonore de becs de cigognes jouant des castagnettes de bon matin. Bientôt, le pavé retentit du bruit d'un tombereau qui s'arrête de l'autre côté de la place. Enfin, quatre carrés de lumière brillent au-dessus d'une porte : Jean, le cafetier, à l'intérieur du Bar d'Apollon, prépare le café. Après quelques minutes, il ouvre, déversant, dans la rue, un large flot de jour et de chaleur. Le débit est étroit mais tout brillant, avec ses grandes glaces convexes ou concaves, son comptoir de marbre blanc, ses panneaux peints qui firent l'émerveillement des jardiniers, ses chaufferettes rutilantes et la gaîté joviale du patron au teint vermeil, au ventre prospère retenu par une large ceinture élastique, tête nue et en bras de chemise en toute saison et à toute heure du jour ou de la nuit."

         La première mairie avait été aménagée dans la vieille ville, au bas de la rue vieille St-Augustin, angle rue Jemmapes près de la Place d'Armes. L'immeuble a été détruit en 1942.
        En 1856, ouverture de Bab-el-Djdida, la nouvelle porte ou Porte Saint-Augustin qui pousse la ville hors des murs.
        En 1888, construction de l'Hôtel de ville avec son socle en granit du Cap de Garde et ses colonnes en marbre du Filfila.


        Face à la porte, un terrain cédé à la commune où sera édifié le théâtre pour remplacer l'ancien établissement de la vieille ville. Il sera inauguré en 1854 et détruit par les bombardements de 1942.
        Derrière le théâtre, sur des terrains vagues s'installent le marché aux légumes, dit marché français, et à 200 mètres, autour d'un monument religieux musulman et d'un fondouk, le marché, dit arabe.

        
        La construction du marché français date de 1876, place de Strasbourg, avec sa structure métallique (maison Gabelle de Marseille). Construction carrée, façade principale vers la rue Négrier. Il sera détruit aussi en 1942.

         "De minute en minute, maintenant, les voitures arrivent, se rangent les unes derrière les autres.

Il en vient de toutes les directions et chaque région de la campagne possède son secteur autour du marché. Par le Nord, débouchent les jardiniers du Cimetière et de l'Oued-Kouba, à l'aspect sauvage et misérable; Ils alignent leur attelage sordide à l'écart, dans la rue des Laitiers. Ceux de
        l'Orphelinat et du Ruisseau d'Or, dont quelques­uns assez bien équipés, arrivent par la rue Gambetta et par la rue Bugeaud; ils stationnent dans la rue Lemercier. De temps à autre retentit un roulement rapide et des sabots trottant vigoureusement : voici les grands jardiniers de l'Aâlig et de l'Oasis, claquant fièrement du fouet, illuminant de vastes espaces avec leurs phares aveuglants : leur quartier est la rue du Théâtre...

        En files serrées, les véhicules chargés de légumes et de fruits assiègent le marché : les premiers arrivés se placent le plus près possible des quatre portes ; les derniers se casent où ils peuvent. En saison d'abondance, ils refluent assez loin, parfois dans les rues avoisinantes.

         Changio, le fils de Mario, Peppo, le fermier de Mario maintenant enrichi, Lah-Lah. de l'Oasis, quelques autres encore conduisent au marché deux, quelquefois trois voitures pleines ; alors, le plus déshérité a sa petite vente ; on en voit qui, à dos d'âne ou de mulet, apportent quelques corbeilles de figues, de cerises, d'abricots ou de prunes qu'ils étalent sur le trottoir. A la fin de l'été, la rue Négrier est embouteillée par des chars de toutes formes et de toutes dimensions chargés de melons et de pastèques dont on élève des monceaux odorants sur la place, contre les murs de la Halle, et de caisses de raisins aux grains dorés qu'on expose sur les trottoirs presque sans interruption depuis le Marché aux légumes jusqu'au Marché arabe. Certains jours, on voit des chameaux accroupis tranquillement au milieu de la rue, parmi le va-et-vient de. la foule des marchands, tournant la tête à gauche, puis à droite, incessamment, avec une curiosité de sauvages, pendant qu'on les charge de fruits et de légumes à transporter vers le Sud."

        Edifié en 1885, le marché arabe, improprement appelé ainsi, était un ancien fondouk. Il n'occupait pas tout l'espace qu'occupa après sa destruction le marché moderne : du côté de la rue Gambetta, un terre-plein permettait aux chameliers de parquer leurs dromadaires. Il fut promis qu'il serait reconstruit à l'identique vers le Boulevard Lavigerie.

        D'après Arnaud, c'était le plus beau monument de la ville après la mairie.
        Du côté de la rue Gambetta, il y avait un mausolée dédié à Sidi-Djaballah.

         Puis,
        "Les arrivages se font de plus en plus rares; les rues qui entourent le marché sont combles ; les buvettes, Bar d'Apollon (Jean Gauci), Café de Sainte-Hélène, (d'après le prénom de la fille de Jean Camilleri), Café du Théâtre (Louis Xerri), le Café de Saint-Joseph, regorgent de monde : jardiniers, revendeurs, détaillants de la Halle, épiciers venus pour faire leur provision de fruits et de légumes, mais, aussi, par curiosité, pour respirer l'air du marché et, surtout, l'air de la communauté natale, car, à cette heure, on ne rencontre guère, là, que des Maltais ; beaucoup sont obligés de rester debout."

         Les cafés ne manquaient pas : le café des quatre saisons de Greck, le café des deux halles (2 marchés français et arabe), angle rue Négrier et Mesmer. Le café du théâtre de Louis Xerri était le plus important et il restait ouvert toute la nuit.


        C'est là que se faisaient les transactions entre Maltais producteurs et Maltais revendeurs, avant même l'ouverture de la porte du marché. Surtout dans le bar d'Apollon aux murs revêtus de miroirs déformants, appartenant à Jean Gauci, turfiste acharné, propriétaire d'un cheval aveugle.

        Il y avait d'autres cafés célèbres à Bône, situés plus vers l'autre côté du Cours Bertagna. Ours et Witowski, dans la vielle ville, Café Couronne, du Port, café Riche, etc…

La neige.

         Luigi, c'est le fils aîné, Laurent Ropa, lui-même.
        " L'épreuve la plus rude que Luigi eût connue datait du premier hiver. Jamais il n'avait tant neigé ; l'Eydough était blanc et le vent qui en descendait pénétrait jusqu'aux os.


        La neige ayant fondu, la Seybouse déborda, envahit la plaine, entraînant arbres arrachés, gourbis démontés, bestiaux surpris ; les routes, en maints endroits, étaient devenues des rivières... L'eau montait de jour en jour. Des nouvelles sinistres se répandaient ; des voitures, disait-on, avaient été emportées, avec cocher et cheval, sur la route, au pont d'Hippone.
        Au jour de la plus grande crue, le jeune jardinier prépara sa vente comme d'habitude. Il désirait profiter des circonstances pour réaliser quelques bonnes affaires : mauvais temps, bon marché. Es-Signor était cloué au lit par, la fièvre. Dora voulait empêcher son fils de faire le voyage; comme il ne se rendait pas à ses prières, elle demanda à son mari d'intervenir.
        - Il fera comme il voudra, avait répondu celui-ci ; je ne le commande pas...

        Ce n'est que plus tard, quand l'eau se fut complètement retirée, que Luigi raconta ses émotions de cette terrible nuit : le tombereau dans l'eau jusqu'au moyeu pendant près de trois kilomètres ; partout, sur la terre et au ciel, de l'eau, de l'eau qui ruisselait et qui mugissait... Pour se diriger, dans cette ombre et dans cet océan, une petite lanterne, grosse comme le poing, dont Bou Terma, maudissant le sort qui l'avait placé dans une si périlleuse situation, du haut des bottes de légumes sur lesquelles il était posé, projetait la lumière toujours près de s'éteindre…


        Et ils arrivèrent ainsi au rond-point d'Hippone, près du pont, là où le Ruisseau d'or, changé en fleuve, coupant court, franchissait le chaussée pour s'unir à la Bou Djimah tumultueuse dont les grondements sauvages, sous les arches, se confondaient avec ceux de la mer démontée et toute proche…"

         Le pont d'Hippone sur la Bou-Djimah (la rivière de la mosquée), d'origine romaine fut longtemps le seul pont qui permettait de se diriger vers l'intérieur, vers Duvivier, La Calle, Guelma. Voir le tableau "Départ du Duc de Nemours et du général Damrémont pour le siège de Constantine en 1837" . Tableau du capitaine Genet, Musée de Versailles.

         Le cours d'eau coulait sur l'emplacement de l'avenue de la Marne (ancienne route de Guelma), de la rue Prosper Dubourg et arrivait à la mer au niveau de la gare.
        Problèmes d'envasement, besoin de terrains pour la gare du Bône-Guelma, 1874), ont conduit à son détournement dans un lit artificiel, en 1878.
        On avait conçu un projet de port et de canal par le Champ de Mars, les Prés salés, le cours de la Zafrania, le Ruisseau d'or et l'Oued Kouba vers Chapuis, pour l'établissement d'un avant-port entre la colline des Anglais et la plage Fabre.

Le cimetière (Kâline).

         "Chaque fois qu'elle allait au cimetière de Bône, Mlle Agius était frappée par le grand nombre des tombes maltaises qui s'y pressent, des plus humbles aux plus somptueuses, les unes encore neuves, les autres datant des premières années de la colonisation française, des centaines de Bonici, de Camilleri, de Farrugia, de Zérafa, de Mikalef, de Debono, de Zamith. Ils débarquent en Afrique armés seulement de leurs bras et de leur tête, ils vivront d'un morceau de pain et d'une sardine salée, mais plus d'un de ces va-nu-pieds parviendra rapidement à la fortune et aux honneurs. Il faut des soldats ? Voici André Gatt, surnommé Abderahman-el-Malti, terreur des Arabes, et le baron de Piro, colonel au 16e de Ligne à Constantine, commandeur de la Légion d'Honneur. Des commerçants, des colons ? Pas de ville, petite ou grande, depuis Gabès jusqu'à Oran, pas de campagne où l'on ne trouve au moins une grande entreprise maltaise, sans compter les milliers de petits fermiers et boutiquiers, artisans ou marins. Pour combattre la concurrence des vins algériens, les vignerons du Languedoc ne les baptisent-ils pas algéro-maltais ?... On a besoin d'administrateurs ? Joseph Grech fut Premier Interprète de la Résidence à Tunis et Consul de France, un autre Grech, Résident au Ministère de l'Intérieur, Mgr Polimeni, évêque de Sfax. Des littérateurs ? Fernand Gregh pourrait répondre.
        - Mon père fut un luthier maltais de Philippeville émigré à Paris."

Joanonville.

         "Au petit trot de sa jument, elle (Kâline) fut en un instant à la plage de Joanonville qui s'arrondit en une courbe immense jusqu'au cap Rosa brillant au soleil du matin. La mer était aveuglante par les feux qui s'y jouaient. Mlle Agius mit pied à terre en un point qui n'est jamais fréquenté ; attacha sa monture à une barque abandonnée, se dévêtit, se jeta nue dans l'eau. Elle n'avait jamais pu trouver de plaisir à se baigner en public. De temps en temps, elle sortait pour inspecter l'horizon.

         Comme elle quittait la plage, elle remarqua, dans les dunes, des touffes de fleurs blanches étoilées, avec un oeil doré, doux et candide... Des narcisses, éclos la nuit dernière sans doute... Jacqueline arrêta sa jument, sauta sur le sol, émerveillée, les yeux dilatés par la joie, un sourire attendri épanouissant angéliquement sa bouche.
        Elle gagna l'hippodrome de l'Allélick, s'engagea sur la piste où elle lança la jument à toute bride."
        Un champ de courses avait été aménagé sur les champs dépendant de la ferme des Subsistances Militaires de la subdivision de Bône, hébergeant un dépôt de remonte, qui fut cédée ensuite aux civils.
        Tous les dimanches et lundis de Pentecôte, courses, fantasias, fêtes. L'escadre faisait escale à Bône à cette occasion.
        Avant 1914, quelques meetings aériens ont eu lieu. Sur un terrain concédé à la Cie Air Union par le Ministère de la Guerre.1930, création d'un terrain d'aviation et des "Ailes bônoises" qui organisa sa première manifestation.
        L'association disposait d'un hangar de 550 m² , d'un club house. Les travaux avaient été financés par les Etablissements Bertagna.
        L'aéro-club s'est installé ensuite sur l'aérodrome des Salines en 1939.

         Mlle Agius et Séraphin, son compagnon, se promènent sur le site d'Hippone.
        "Le jeune homme avait peine à imaginer que là où il voyait des vergers, des jardins, des maisons et sous la route même qu'il foulait, il pût exister à deux mètres de profondeur les restes d'une Cité jadis florissante, plus antique que Rome. Elle était si parfaitement ensevelie qu'on la croyait réduite en poussière, balayée de la surface de la terre. Or, en 1883, en arrachant de vieux arbres pour creuser les fondations de sa villa, un colon fut intrigué par des vestiges qui l'arrêtaient à chaque coup de pioche - bases de murs, seuils de portes avec pivot de bronze, tronçons de colonnes, pans de mosaïques ...
        Il venait de découvrir Hippone.
        Depuis, on a mis à jour les merveilles de la somptueuse villa aux mosaïques, des tombeaux, un baptistère avec sa piscine attenant à une petite chapelle, les grands Thermes signalés par un énorme tronçon de maçonnerie au sommet cintré, et qui sont parmi les plus beaux et les mieux conservés que l'on connaisse... Ce monument, au nord de la villa Chevillot, est-ce la basilique de la Paix, le premier tombeau de saint Augustin ? Et là-bas, sont-ce les thermes de Socius où l'évêque, en présence du peuple d'Hippone, tint une conférence contradictoire avec le prêtre manichéen Fortunatus ? Voici, au pied du Gharf-el-Atram, un mur de gneiss en blocs atteignant jusqu'à quatre mètres de longueur et qui se raccorde à un mur calcaire de magnifique appareil portant un triple phallus en bas-relief…
        …sublime découverte de M. Triphallus, le conservateur du musée qui, pour elle, donnerait bien tout le reste d'Hippone... En relief dans la pierre, d'une facture parfaite, Séraphin fut obligé de reconnaître, dans un angle, un dessin semblable à ceux que tracent les voyous sur les murs, au charbon ou à la craie, pour figurer le membre viril… Cette vue, surtout dans les circonstances où elle se présentait à lui, le choqua brutalement et l'effara. Il n'était pas sans savoir bien des choses étranges sur les goûts et les mœurs païennes ; néanmoins, il pensait qu'on le mystifiait et il douta que cette sculpture fût Oeuvre des anciens. Il ne dit rien, eut toutes les peines du monde à se retirer de là et il fut plusieurs minutes sans oser lever les yeux sur sa compagne.


        Cependant, M. Triphallus exposait complaisamment l'origine du culte phallique, venu d'Égypte, tel qu'il l'avait appris de M. l'abbé Leroy, chanoine de Saint-Augustin. Séraphin fut longtemps sans dérougir. "

        

         Importance d'Hippo Regius avec ses 7 basiliques.
        Les ruines ont été découvertes lors de la construction des usines Borgeaud, puis un arrêté de non aedificandi a été pris et en 1908, la ville a achèté la villa Chevillot.
        Le culte du Phallus divinisé était très pratiqué chez les Grecs et les Romains.
        Originaire de l’Assyrie et de la Chaldée qui en faisait partie, il est passé chez les Egyptiens où Phallus, placé dans les temples, recevait des honneurs divins.


        Les monuments antiques des Egyptiens qui témoignent de l’existence de ce culte sont très nombreux, et leur manière de représenter le phallus est très variée : on en voit plusieurs isolés, ou sculptés sur une borne dans un sens horizontal, placé dans un tombeau comme un préservatif, un moyen propre à détourner les mauvais génies, que les anciens croyaient occupés à tourmenter les âmes des morts. Les Phallus, unis aux figures humaines, étaient très fréquents dans les monuments égyptiens. La, même pratique se retrouvait chez les Grecs et les Romains

         La plupart des monuments antiques nous offrent ce dieu-soleil, tenant en main son Phallus très apparent, et semblant, par cette attitude, prouver à ses adorateurs sa résurrection au printemps et sa vigueur renouvelée.
        Les personnages d'Osiris et d'Isis ne sont pas étrangers à ce culte.
        Osiris, le soleil, principe du bien, génie de la lumière, avait pour ennemi son frère Typhon, principe du mal, génie des frimas et des ténèbres. Ce dernier parvint à se saisir d’Osiris, et le renferma dans un coffre, qu’il jeta dans les eaux du Nil.
        Cette disparition d’Osiris est une allégorie grossière de la saison rigoureuse, où les nuits, plus longues que les jours, l’absence de la végétation, l’engourdissement de la nature, annoncent le triomphe du génie des ténèbres et de la mort sur le génie de la lumière et de la vie.
        Isis (la lune), femme d’Osiris, fit de longs voyages pour retrouver le corps de son époux. Ce fut à Byblos, en Phénicie, et à l’époque du printemps, qu’elle en fit la découverte. Elle emporta aussitôt le coffre qui contenait ce dépôt précieux ; mais, voulant visiter son fils Horus (dieu du jour), elle le déposa dans un lieu secret, loin des regards des mortels.
        Typhon, chassant pendant la nuit, aperçoit le coffre, reconnaît le corps d’Osiris, s’en empare, le coupe en quatorze ou en vingt-six parties, et les disperse çà et là.
        Isis, affligée, recherche avec soin les parties éparses du corps de son cher Osiris. A chaque partie qu’elle retrouve, elle élève en son honneur un monument. Elle parvint à les recouvrer toutes, excepté la partie sexuelle que Typhon avait jetée dans le Nil, et qui était devenue la proie des poissons.
        La déesse, pour remplacer cette partie perdue, en fit faire une représentation, et lui rendit les mêmes honneurs funèbres qu’avaient reçus les autres parties du corps d’Osiris.
        Elle voulut même marquer sa prédilection pour ce simulacre de la virilité, en le faisant placer dans les temples et en l’exposant à l’adoration des peuples
        Telles furent les variétés progressives qu’éprouva ce simulacre en Égypte D’abord, Phallus simple et isolé, puis Phallus double, triple ; Phallus uni à un corps quelconque, arbre, borne, terme, etc. ; Phallus adhérent à une, figure humaine, sans désignation ; enfin, adhérent à celle désignée sous le nom du dieu Osiris.


        Chez les Romains, le culte du Phallus et de Priape ne devait pas y être oublié. Cette divinité y fut longtemps en grande considération.
        Les Romains désignaient assez généralement Bacchus sous le nom de Mutinus,.Liber ou de Pater liber, de même qu’ils donnaient souvent à Vénus le nom de Libera.

         Varron nous apprend qu’à Lavinium, la fête du dieu Liber durait un mois, pendant lequel on se livrait à la joie, à la licence, à la débauche ; les chansons lascives, les discours les plus libres répondaient aux actions. Un char magnifique portait un énorme Phallus, et s’avançait lentement jusqu’au milieu de la place publique. Là, se faisait une station, et l’on voyait alors la mère de famille la plus respectable de la ville, venir placer une couronne de fleurs sur cette figure obscène
        Plein d’indignation pour cet usage, saint-Augustin s’écrie, en nous instruisant des motifs de cette cérémonie : « Ainsi, pour apaiser le dieu Liber, pour obtenir une récolte abondante, pour éloigner des champs les maléfices, une femme vénérable est obligée de faire en public ce qu’elle ne devrait pas permettre sur le théâtre à une prostituée ! »
        « De quelle honte, de quelle confusion, dit-il ailleurs, ne devrait pas être saisi le mari de cette femme si, par hasard, il était présent à ce couronnement»
        Le Phallus isolé était, chez les Romains, nommé Mutinus ou Tutinus.
        Lorsqu’il était adhérent aux Hermès ou Termes, on le nommait Priape.
        « C’est une coutume considérée comme très honnête et très religieuse, dit saint Augustin, parmi les dames romaines, d’obliger les jeunes mariées de venir s’asseoir sur la masculinité monstrueuse et surabondante de Priape»
        On varia à l’infini les formes de ces amulettes ithyphalliques : les unes présentaient le Phallus combiné avec le mullos ou la figure du sexe féminin
        Considéré comme une amulette, comme un fétiche portatif, le Phallus recevait le nom de fascinum, et était d’un usage très fréquent chez les Romains. Ils ne connaissaient point de préservatif plus puissant contre les charmes, les malheurs et les regards funestes de l’envie. C’était ordinairement une petite figure du Phallus en ronde-bosse, de différente matière ; quelquefois, c’était une médaille qui portait l’image du Phallus. On les pendait au cou des enfants et même ailleurs.
        Il y eut des fascinum doubles et triples ou figurés par deux et trois branches partant du même centre. Les triples Phallus étaient fort en usage dans l’antiquité
        Il en existe en France au pont du Gard et à l’amphithéâtre de Nîmes, qui sont isolés.
        Quelquefois cette idole, avec ses attributs indécents, était placée sur les chemins. C’est alors que Priape était confondu avec Mercure et le dieu Terme. Scaliger dit avoir vu un pareil Terme dont le Phallus servait à indiquer le chemin. Cet Hermès phallique se trouvait à Rome dans le palais d’un cardinal.
        Le Phallus, ajouté à une borne itinéraire, devait préserver les voyageurs d’accidents, tout comme le Phallus, ajouté à un tronc d’arbre, devait détourner des champs voisins les accidents nuisibles aux récoltes ; c’était l’opinion constante des anciens, et la cause unique de l’érection d’un si grand nombre d’idoles du dieu Priape.
        On plaçait encore son idole dans les vignes, les vergers, les jardins ; mais il n’y figurait plus comme l’emblème du soleil fécondant la terre au printemps, et donnant une nouvelle vie à toutes les plantes. Il n’était que le vil gardien d’un verger ou d’un jardin, un épouvantail placé pour éloigner les voleurs superstitieux, les enfants et les oiseaux[30].

La procession à Saint-Augustin.

         Jacqueline Agius assiste à la procession vers Saint-Augustin. Elle est incroyante.


        "La fête a été annoncée, la veille par l'embrasement de la Colline sur laquelle, légère et flamboyante dans la nuit terrestre, la basilique surgissait, pilier d'un pont mystique élancé vers le ciel. Jusqu'au matin, les marchands ont roulé leurs voiturettes à bras ou à âne ; le bruit des roues et des pas était accompagné par les coassements des canards et des oies, les grognements des porcelets qu'on emportait dans des cages ; à l'aube, tôt venue, les forains dressaient encore les dernières tables.

         L'air, en ce matin, tout autour de la ville, est d'une douceur de ciel ; les chemins sont comme partis pour un saint voyage.


        Par les sentiers de l'Oued Kouba, des jeunes gens et des jeunes filles s'avancent dans la joie, les garçons jouent de l'accordéon et dansent ; leurs compagnes brunes et rieuses, coiffées d'un mouchoir, leur lancent des pommes rouges de la montagne et agitent des palmes et des roseaux. Des hommes et des femmes, blancs de poussière, les souliers à la main, prient en marchant sur les longues routes. Les pèlerins affluent non seulement des villages et des petites villes voisines, mais aussi de Philippeville, de Tunis, de Constantine, de Bougie à plusieurs centaines de kilomètres. A partir de neuf heures, Hippone devient le centre du monde, les routes qui y conduisent connaissent un mouvement de grande bataille ; fourgons, charrettes sur lesquelles on a installé des bancs et des chaises, jardinières, vieilles diligences sorties de leur retraite, breacks de toute forme et de tout âge s'égrènent dans toutes les directions. A mesure que l'heure s'avance, les véhicules forment, de la Ville à Hippone, une file continue et dense que doublent des voitures de location au grand galop de chevaux étiques sonnant frénétiquement les clochettes et les grelots de leur collier ; quelques rares automobiles prises dans ce filet qu'elles s'efforcent en vain de rompre, hurlent d'impatience.

        Passé le pont romain, l'encombrement est tel dans l'étroit chemin défoncé et bordé d'oliviers centenaires que les piétons sont obligés d'envahir les jardins ; un nuage s'est formé, il s'épaissit, s'étend, si opaque qu'on ne se voit pas à cinq pas.

        Et quel vacarme ! Cris de folle gaieté, chansons sur tous les airs et tous les tons reprises en chœur, jurons des cochers, plaintes des femmes que la poussière suffoque, exclamations effrayées au heurt de deux chars, claquement des fouets, grincement des roues. C'est miracle qu'au souvenir des vieillards les plus chenus, de ceux qui connurent le temps où la messe de Saint-Augustin se faisait en plein air, dans les ruines de la citerne d'Adrien, aucun accident grave ne se soit produit. La plupart des véhicules s'arrêtent aux premières pentes ; alors commence la prise d'assaut de la colline embrasée, maintenant, par le soleil. Les vieux et les sages suivent le sentier qui contourne doucement la hauteur ; les plus pressés coupent au plus court. De temps en temps, on s'arrête pour respirer, s'éponger, boire un coup à la gourde ou à la gargoulette ; on s'interpelle, on s'excite ; le nombre se grise de soi-même avant de communier dans la foi. Tout au long du chemin, sur les plates-formes autour de la statue du Saint, les forains ont installé avec leurs tables, leurs vitrines ou leurs cages ; marchands de confiserie, de nougats, de tartes aux tomates et aux sardines, de raisin, de glaces, de limonade, de souvenirs de piété. Sous les oliviers, des centaines de familles sont déjà campées, quelques-unes ont choisi et retenu leur emplacement la veille, autant que possible à l'abri du soleil de midi ; on sacrifie des poules ou des canards, on épluche des pommes de terre, d'énormes pastèques attendent à l'ombre au pied d'un arbre qu'on les découpe en belles et fraîches tranches rouges, à côté de la jarre d'eau et de vin ; des feux s'allument dans des trous ou entre deux pierres.

        Mais là-haut, les cloches sonnent, survolant tous les bruits de la terre. La Basilique blanche, surgie miraculeusement de la ténèbre des ruines et des siècles, chante solennellement la gloire du ciel. La foule se presse, fervente ; malgré les dimensions de l'église, le plus grand nombre demeure sur la vaste esplanade qui, elle-même, ne peut contenir tout le monde : riches commerçants maltais arrivés en breack et dont les femmes et les filles se parent de toilette de soie et de bijoux en or; officiers de la garnison aux uniformes étincelants ; vieilles dévotes qui prient à haute voix en égrenant leur chapelet ; élégantes arborant fièrement l'avant-dernière mode de Paris, campagnards gauches et timides, leurs gros souliers poudreux, la veste sous le bras ; tout le peuple des quartiers pauvres, les femmes des dockers et des pêcheurs graves et pensives, le visage encadré par la ligne souple et gracieuse du mouchoir de soie piqué de fleurs brillantes.

        Bientôt un souffle puissant et pathétique passe soulevant puis brisant les voûtes de la terre, les orgues ouvrent toutes grandes les portes du ciel et les âmes s'y élancent en un unanime ravissement.
        Grand Augustin, écoute la prière
        Monter de cette plage où le croissant régnait.

        Dans l'aube radieuse de l'autel, l'officiant paraît : c'est Don Joseph. Il se prosterne aux pieds du Maître, se tourne vers les fidèles. Il incarne si suavement celui qui se sacrifie chaque jour pour la rédemption du monde que tous les cœurs en sont émus. Jacqueline éprouve une secousse exquise. Elle ne prie pas, l'ayant désappris depuis longtemps ; elle ignore la signification des gestes du prêtre, mais elle les suit si attentivement qu'elle en est charmée.

        Elle voit bien que Joseph ne la regarde pas, qu'elle est pour lui une fidèle comme les autres. Autour d'elle, les femmes se demandent qui est ce prêtre. L'une dit : « Qu'il est beau, Jésus-Marie ! » Une autre exprime son ravissement en murmurant : « On a envie de lui envoyer des baisers ! » Jacqueline s'enivre d'une émotion qui, lentement formée dans son cœur s'y épanouit comme une rose à la rosée des matins d'avril. Elle se sent attirée vers Joseph par un appel délicieux, profond, chaste, auquel elle ne sait quelle voix répond en elle. C'est bien cet appel-là qui la tient inquiète. Elle demeure immobile, debout, extasiée; son corps est inerte, froid, cadavre honteux ; il s'immatérialise peu à peu ; et Jacqueline sent alors toute, son âme s'élever, voler avec l'âme des cantiques et de l'encens, triompher là-haut avec les saints et les saintes des vitraux, dans les lumières et 42 les couleurs ineffables. Le thème du sermon, développé par un véhément Père dominicain, semble avoir été choisi exprès à son intention : « La chair combat l'esprit, et l'esprit combat la chair. »

         Combien d'entre nous ont fait cette procession, certes moins folklorique, mais les communions solennelles ont charrié des centaines d'enfants, cierge à la main, vers la basilique.
        Le pont romain se situait au pied de la colline et le chemin qui partait du pont d'Hippone avait été baptisé du nom de l'abbé Leroy, ancien chanoine de la basilique.
        On a longtemps cru que les citernes d'Hippone, encore intactes ( eau de l'Edough, puis de Bou Gles et de Bou Redhim ) étaient les restes du monastère de Saint-Augustin.
        Monseigneur Dupuch a fait établir desus l'autel de marbre blanc en montant à l'église actuelle avec une statue du saint confectionnée avec le bronze des canons de la casbah.
        Puis on a pris cela pour le tombeau de saint Augustin.
        Or les restes de saint Augustin ( mort en 430 à 76 ans en défendant sa ville contre les Vandales ) ont été emportés en Sardaigne en 499 puis à Pavie au VIIIème siècle. Châsse offerte par l'Armée d'Afrique.
        En 1842, Monseigneur Dupuch ramène en grande pompe le cubitus du bras droit du saint.
        En 2004, les restes de saint Augustin ont été amenés à Rome pendant une quinzaine et le pape a prié le saint patron pour la paix
        Idée de la basilique ; première pierre avec le Cardinal Lavigerie et Monseigneur Combes évêque de Constantine, achevée en 1909. Crypte 1886, coupole, 1892).
        1887 : volonté de Mgr Mickaël Mizzi de faire venir des Augustiniens de façon fixe en Algérie. Jusque là, c'étaient des prêtres maltais qui venaient prêcher le Carême et repartaient sur l'archipel.
        1923 : Mgr Bessiers, Mgr Thienard signent un accord avec le père Laurent Agius, provincial des Augustiniens à Malte.
        Mars 1933 : accord définitif pour une maison tenue par les Augustiniens . Arrivée depuis l'Australie, alors de Michel Mizzi, dépendant alors d'un prêtre recteur français. Paroisse de La Calle à Philippeville.
        Ils s'occupèrent ensuite de Sainte-Monique de Joanonville.

Conclusion

         Poète, romancier, littérateur,, Laurent Ropa a tiré son inspiration dans l'amour de Malte, son pays natal, et de l'Algérie, dans la nostalgie de la terre où il vécut son adolescence; et dans l'intensité de sa foi spiritualiste.
        Il connut plusieurs ruptures dans sa vie : le choix entre littérature et vie professionnelle, l'épreuve de la guerre, son départ d'Algérie, la mort de sa mère, son éloignement de la religion catholique, son retour à un certain mysticisme.

         "Pour moi, écrire n'est pas un passe-temps, une distraction, mais l'occupation essentielle. Ecrire, c'est méditer, prier, chanter. Une oeuvre littéraire : témoignage, testament, confession (dans le sens augustinien)."
        "J'ai peu écrit, à cause de l'extrême confusion de mon esprit qui m'astreint à une recherche très laborieuse de la forme. J'ai cependant encore trop écrit; on écrit généralement beaucoup trop: l'expérience de n'importe quel homme peut tenir dans un ou deux livres."

BIBLIOGRAPHIE

Jacq.-Antoine Dulaure             Les divinités génératrices (1805)
Louis Arnaud.                          Bône son histoire, ses histoires.
Hubert Cataldo                        Bône, 1832-1962,T 1.
Hubert Cataldo.                       Bône, Hippone la royale, T 2.
Hubert Cataldo.                       Bône de ma jeunesse.
David Prochaska.                    Making Algeria french. Colonialism in Bône. 1870-1920.
Félix Gaucher.                         Laurent Ropa et son oeuvre littéraire.
Frédéric Lemeunier.                Ropa, éxilé maltais.
Mallia Milanès.                       Laurent Ropa.
Pierre Dimech.                        Le personnage du Maltais dans la littérature algérianiste.
Aurore Verié-Cassar.             Un écrivain d'origine gozitane : Laurent Ropa.
Marc Donato.                          Elisa, la Maltaise.
Laurent Ropa                          Le chant de la noria
Kâline
Notre-Dame de la Vie

         Remerciements à Noëlle Dippolito qui entretient les contacts avec la famille Ropa, notamment avec Mme Raymonde Camilleri, née Ropa, petite-nièce de Laurent Ropa, Monsieur Richard Spiteri, professeur à l'Université de M'sida à Malte, Yves et Cathy Marthot.
        Les photos de la vidéo-projection ont été gravées et traitées par René Vento et Luc Verdi.

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[1] Jean Gauci.
[2] Maréchal qui défit Abd-el-Kader. Gouverneur Général de l'Algérie.
[3] Jacques Lemercier, 1590-1660 - architecte, fut chargé par Richelieu de terminer le Louvre. La Sorbonne, le Palais royal..
[4] Le "gros cul", surnom d'un des ouvriers kabyles de Luigi.


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