CITOYENS ou SUJETS ?
Abbé N. POUPENEY

Ainsi, nous avons été appelés à renouveler par anticipation l'assemblée nationale! un voisin, prince sans rire à ses heures, m'a déclaré: J'approuve la dissolution de l'assemblée, parce que nous ferons l'économie d'une année de campagne électorale. Comme on le comprend!... Pris de court, les journalistes nous ont épargné leurs interminables commentaires orientés, leurs débats stériles et leurs sondages contradictoires. Ils l'ont tout de même fait, direz-vous. Oui, mais cela n'a duré qu'un mois et non un an et n'a pas revêtu l'ampleur habituelle. Ouf! Pour une fois, nous l'avons échappé belle!

Au-delà des véritables raisons qui ont présidé à cette dissolution et qui ne nous seront jamais révélées, une chose est certaine: aucun pouvoir n'aurait pris un tel risque s'il n'était par avance assuré du résultat. Encore que le grain de sable imprévu peut très bien gripper à l'engrenage... Et, en l'occurrence, le grain de sable était au rendez-vous .

La première chose qui vous a certainement frappé en écoutant les ténors de la politique -car peu ou prou on est bien obligé de les écouter - c'est que chaque camp détient seul les remèdes aux maux dont souffre la France. L'expérience devrait pourtant inciter ces messieurs à plus de modestie. Aux commandes du pays pendant deux septennats, la gauche, après avoir promis monts et merveilles, a prouvé son incompétence. M. Mitterrand, qui avait hérité d'un million et demi de chômeurs en 1981, en a laissé plus de trois millions à son départ en 1995. Et la droite ne fait guère mieux.

Le contribuable, éternelle vache à lait, n'aura pas manqué de remarquer que lorsque la gauche est au pouvoir, elle s'arrange toujours pour créer de nouveaux impôts (vignette automobile prévue pour un an par M. Ramadier, CSG concoctée par M. Rocard) et que, lorsque la droite lui succède, elle n'a rien de plus pressé que d'augmenter ces impôts contre lesquels elle s'élevait avec véhémence. Etonnez-vous ensuite du nombre sans cesse croissant d'abstentions!

Les Français n'en sont plus à se demander si tel ou tel camp résoudra les graves problèmes de l'heure, mais à quelle sauce ils seront mangés: sauce tomate pour la gauche, sauce béchamel pour la droite.

Avez-vous d'ailleurs noté que, depuis un certain temps, les journalistes essaient par tous les moyens de réduire le paysage politique à deux camps: d'un côté, la gauche PS-PC; de l'autre, la droite RPR-UDF. Les autres partis sont pratiquement ignorés, sous le fallacieux prétexte qu'ils ne sont pas représentés à l'assemblée. Les journalistes omettent seulement de préciser que si ces autres partis n'ont pas d'élus, c'est que le pouvoir en place a modifié le mode de scrutin pour qu'il en soit ainsi.

Une telle simplification à l'anglo-saxonne me paraît dangereuse, autant parce que les Anglo - Saxons et nous n'avons pas la même histoire que parce qu'elle génère des sentiments de frustration pouvant un jour ou l'autre conduire aux pires excès. La France n'est pas un gâteau que se partagent deux convives, mais un puzzle de sensibilités diverses. Il est vital pour elle que ces sensibilités soient toutes représentées dans les assemblées parlementaires.

Vous vous demandez peut-être pourquoi ni la gauche ni la droite ne se montrent capables de redresser le pays. La réponse est claire: ni l'une, ni l'autre ne veulent prendre le taureau par les cornes et dire la vérité aux Français, car cela les rendrait terriblement impopulaires. Et cette vérité, c'est que notre société meurt d'assistanat, d'avantages acquis et de loisirs. En clair, il faut remettre la France au travail, lui parler de devoirs et non plus de droits, d'altruisme et non plus d'égoïsme. Un langage, avouons-le, qui ne séduirait pas les électeurs.

Alors, vers quel abîme nous précipitons-nous? Car la corde finira par craquer, et elle craquera d'autant plus brutalement qu'à la dégradation économique et politique se mêle une autre dégradation plus perverse et plus tragique, la dégradation morale et spirituelle. Les valeurs ancestrales ont disparu, balayées par une certaine histoire, le mensonge et la désinformation sont érigés en institution.

Tenez, je ne peux résister à la tentation de vous en fournir la dernière prouve. Vous le savez, la France est aujourd'hui accusée par de pseudo - historiens de n'avoir apporté que ténèbres et oppression à ses anciennes colonies (Au fait, n'est-ce pas en 1830 qu'ont disparu en Algérie les florissants marchés d'esclaves? Coïncidence plutôt troublante qu'on préfère passer sous silence). Or, un pas supplémentaire vient d'être franchi par je ne sais plus quelle association subventionnée par notre travail et nos économies, laquelle demande que soit reconnue la part importante prise par les immigrés dans le développement actuel de la France. Comme si les Français eux-mêmes n'y avaient que très peu contribué. Vous verrez que bientôt la même association épaulée par des consœurs et des journalistes vassaux prétendra que ce sont les immigrés qui ont fait la France. Au stade où nous en sommes, tout est possible.

Que la colonisation ait été entachée d'erreurs, nul ne le nie. Si cela n'avait pas été, nous serions encore aujourd'hui dans notre pays. Mais que représentent ces erreurs, face à la somme incalculable de bienfaits apportée à des gens vivant à l'ère médiévale? Les Marocains ne se sont pas gênés de me le dire récemment. Au lieu de calomnier la période coloniale, les Algériens auraient été mieux inspirés d'en tirer profit: ils n'en seraient pas où ils en sont.

Avant d'être colonisatrice, la France n'a-t-elle pas été elle-même colonisée? Qu'on se rappelle la résistance désespérée de Vercingétorix aux légions de Jules César et l'intelligence de ses compatriotes qui, après sa défaite, ont compris qu'ils avaient tout à gagner à pactiser avec l'occupant. De là est née la civilisation gallo-romaine à laquelle nous devons tant. Et, à la suite des Romains, n'y a-t-il pas eu les Goths, puis les Francs? Loin de jeter l'anathème sur leurs envahisseurs, les Gaulois ont su assimiler ce qu'ils avaient de meilleur. Les maîtres, qui nous ont enseigné l'histoire, ne nous ont jamais demandé de rougir du temps où notre pays était colonisé.

Alors, une question vient à l'esprit: la France qui nous a si froidement livrés à nos bourreaux, qui continue à mentir avec aplomb sur notre peuple et notre œuvre, est-elle celle qu'on nous a appris à aimer sur les bancs d'école? Sommes-nous vraiment ses enfants, puisque les pouvoirs publics persistent à nous considérer comme des étrangers? Des lois sont promulguées, qui ne sont appliquées qu'au compte-gouttes, le ministre de l'éducation nationale prend personnellement la défense des désinformateurs, le droit de réponse aux attaques dont nous sommes l'objet nous est refusé, la honte du 19 mars est célébrée avec éclat, etc...

A la Marseillaise, nous substituons plus volontiers le Chant des Africains. Avons-nous raison? Lorsque nous disons que nous serions prêts à mourir aux pieds du drapeau français, ce qui était vrai il y a 53 ans, le serait-il encore aujourd'hui?

Ce n'est là qu'une question aux rebondissements multiples, une question à laquelle je m'interdis d'apporter une réponse. Si nous entendons être considérés comme citoyens français et non comme sujets, battons-nous pour que cela soit! Depuis 35 ans, notre passivité et notre désunion ont été les meilleures armes de nos adversaires. Des amis métropolitains ne cessent de nous le répéter.

Puissent les vacances qui commencent nous redonner vigueur et courage pour réaliser l'unité qui sera seule capable de faire entendre notre voix!

(Revue Ensemble, N° 208, pages 4 à 6, Juillet 1997)