LE SIGNAL
Gabriel NUCCI

Ce texte de Gabriel NUCCI (19, route de Paris, 69160 TASSIN LA DEMI LUNE) vient d'obtenir le premier prix de la nouvelle, ainsi que la médaille d'argent de la ville de MARSEILLE, au XXVIIIème concours international littéraire des ARTS et LETTRES de France.

SLIMANE regardait VEDEN Cet homme là était condamné. Lui SLIMANE le savait. Dans quelques heures il mourrait sur le bord de la route. C'était écrit : MEKTOUB ! Ce café qu'il buvait, c'était son dernier café. Il n'y aurait plus d'autre cigare dans sa main, après celui qui s'y consumait lentement, et qui, dans un instant serait écrasé dans le cendrier.

Oui, cet homme là allait mourir parce que c'était ainsi. Et lui SLIMANE, n'y pouvait rien. Le destin de ce mort en sursis ne le concernait pas plus que la fumée de son cigare qui s'étirait paresseusement en longues volutes bleutées au-dessus de sa tête.

RACHID lui avait tout expliqué . VEDEN devait mourir parce que c'était un personnage important, parce qu'il fallait prouver que l’armée de libération nationale frappait qui elle voulait, quand elle voulait, parce que le bruit des armes devait réveiller une opinion assoupie, secouer la léthargie des douars , et rallier à la cause , par la peur ou l'espérance les fellahs du massif

Alors , tout à l'heure, quand VEDEN remonterait dans sa traction noire pour reprendre le chemin de l'exploitation forestière qu'il dirigeait dans le massif, lui SLIMANE, enlèverait les draps, blancs comme des linceuls, qui séchaient là haut sur la terrasse.

Et à ce signal, des hommes qu'il ne connaissait pas, descendraient du massif dans l'ombre des chênes liège, jusqu'à la route sinueuse, d'où ils pointeraient leurs armes à la sortie d'un virage.

Et le destin de VEDEN serait scellé là.

Lui, SLIMANE, il n'y pouvait rien Le destin de VEDEN ne le concernait pas, pas plus que celui de RACHID qui finirait sans doute sous quelque balle française, après avoir parlé, dans un de ces endroits où l'on parle toujours, parce que l'électricité dans les couilles çà fait toujours parler

Non vraiment, lui SLIMANE il n'y pouvait rien.

Ah, il aurait bien voulu ne pas avoir à toucher à ces draps, là haut , sur la terrasse 1 Mais comment faire autrement ?

ABDOU avait refusé de payer son impôt aux collecteurs du F.L.N. On l'avait retrouvé égorgé sur le côté du chemin qui menait à sa maison. LAMINE avait refusé d'ouvrir sa porte à un combattant qui, blessé par les éclats de la bombe qu'il venait de faire exploser au marché, cherchait un refuge.

Et l'autobus qui assurait la liaison avec Constantine, s'était arrêté sur la route, à quelques mètres de la tête de LAMINE, posée sur le sol, les yeux crevés par les corbeaux qui se pressaient autour, et le sexe dans la bouche, comme un monstrueux cigare.

Et KAHOUL, éventré, égorgé, émasculé, pour avoir prévenu le maire, son ami de l'attentat qui se préparait contre lui. Et aussi AMEZIANE, le chaouch du sous préfet, qui n'avait pas voulu se joindre à la révolte contre les français et qui était tombé sous les balles des rebelles, à moins de cinquante mètres de la gendarmerie...

Non vraiment, le destin de VEDEN ne le concernait pas, et s'il était dit qu'il devait mourir qu'il meure.

Lui, SLIMANE, il ne voulait pas sa mort, certes ... Mais il ne voyait aucune raison d'entraver la marche inexorable d'une fatalité qui, tout à l'heure, s'abattrait sur VEDEN dans le fracas des armes, et l'abandonnerait sur le bord de la route, dépouille sanglante et froide, point final à l'encre rouge de l'histoire de sa vie.

L'après midi s'étirait lentement. La pièce, largement ouverte au sud et à l'ouest, était baignée de soleil . On apercevait au loin nettement dessinés, les premiers et sombres massifs de chênes liège, derrière lesquels surgissaient d'autres massifs, dans une succession de plans qui finissaient par se noyer à l'infini dans les brumes bleutées du ciel d ' été .

Bientôt le djebel Sidi Achour tout proche, engloutirait le soleil derrière sa muraille de granit bleu où les chênes liège mettaient des tâches sombres.

Vers le sud la maison du haut de sa colline, surplombait le port et la baie.

La mer, jusqu'à l'infini, semblait pétrifiée comme une immense flaque d'eau gelée retenant prisonnier le bleu d'un ciel sans nuages où quelques goélands planaient paresseusement

C'est beau - dit VEDEN - Regardez toubib.

Debout devant la fenêtre, il enfermait le paysage dans un geste ample de son bras.

Plus l'heure de mon départ approche et plus je découvre les beautés de ce pays. C'est déjà la nostalgie çà ! Et pourtant dieu sait que nous menons une drôle de vie depuis cinq ans enfermés dans ce massif tellement impénétrable que notre armée a fini par l'abandonner aux fellaghas après avoir multiplié les opérations destinées à les anéantir.
- Autant chercher une aiguille dans une meule de foin - dit le docteur GUIGUE - il aurait fallu tout brûler pour y voir clair.
- Brûler ces forêts de chênes liège !!! C'est impensable ! C'est toute la vie économique du pays toute sa richesse qui seraient détruites.. Et puis, à quoi bon ! Vous le savez bien, il faudra partir de toutes façons

Dans quinze jours, à Paris, au siège de la compagnie des lièges, je m'installerai dans un beau bureau où ça sentira bon le bois ciré et le cuir. Nous irons au spectacle, nous recevrons des amis, nous nous promènerons n'importe où, n'importe quand, vous vous rendez compte il! Sans crainte de prendre une balle ou un coup de boussaadi. J'aurai perdu cette angoisse terrible, permanente qui m'habite depuis cinq ans, cinq ans de récoltes incendiées, d'ouvriers égorgés , de coups de feu sur ma maison , de veilles la nuit quand les chacals s'agitent alentour.

Et je serai malheureux dans mon beau bureau . Oui, je serai malheureux. Il me semble que je ne vais pas terminer une tranche de ma vie, mais que c'est ma vie même qui s'arrêtera au moment où le bateau m'emportera de ce port et dénouera un à un les fils qui m'attachent au rivage.

J'aurai les yeux rivés sur ce massif où j'ai passé dix ans de ma vie. Le clocher de l'église, le minaret de la mosquée auront depuis longtemps disparus que j'apercevrai encore, du bateau qui m'emporte, le djebel Sidi Achour, et je dessinerai à ses pieds, cette route que j'ai faite tant et tant de fois et qui par cent dix sept virages, vient mourir à la porte même de l'exploitation, comme si le monde s'arrêtait là.

Il écrasa son cigare dans le cendrier et se laissa aller dans un fauteuil.
- Vous auriez pu rester encore - dit le docteur GUIGUE.
- Non, mon successeur est déjà arrivé. Le fils de notre président qu'on a casé là en attendant mieux. Qu'il n'y connaisse pas grand-chose n'a pas tellement d'importance... C'est du moins ce que moi je ressens de sa désignation. Cela prouverait qu'à Paris, le sort de la compagnie est joué, que l'indépendance de l'Algérie est désormais inéluctable, bref, que nous n'avons plus rien à faire ici. Et croyez-moi mon cher, les politiciens peuvent se tromper, les pieds noirs peuvent encore rêver ... Mais les financiers eux, se trompent bien rarement et ne rêvent jamais dans leur évaluation des profits où le subjectif, le passionnel représentent d'infimes décimales.

Et puis cela fait dix mois maintenant que ma femme est rentrée. Je ne puis plus longtemps lui imposer cette angoisse qui ne la quitte pas et qui altère gravement son équilibre. Ma présence auprès d'elle est nécessaire.

Vous allez me manquer, VEDEN. Votre visite hebdomadaire c'est un peu ma récréation et l'occasion d'un bon repas. SLIMANE a fait de gros progrès grâce à vous. Le jeudi, rien à faire pour le sortir de la cuisine tellement il est absorbé par les préparatifs du repas en votre honneur.

Allez, trinquons à votre retour en France, à la santé de votre épouse, à nos prochaines retrouvailles à Paris... Inch Allah !

SLIMANE déposait sur la table basse une bouteille de whisky, deux verres.

Les deux hommes s'étaient levés. Contraste étonnant entre la haute silhouette de VEDEN, son visage bronzé marqué de reliefs puissants comme ces figures abruptement taillées dans les pipes de bruyère, et la rondeur du docteur GUIGUE, sa petite taille, son visage blanc et lisse, et ce crâne, aussi nu et rond que la calotte d'un poulpe.

Il était le même, il y avait vingt ans, quand il s'était installé au village où son crâne chauve avait tellement impressionné, qu'en l'adoptant on l'avait rebaptisé "Fartass", autrement dit "le chauve".

Pour ZOHRA, je vous tiendra! au courant - dit-il - Mais je n'ai pas grand espoir. Sa tuberculose est trop avancée, et l'envoyer en France dans un sana comme vous le souhaitez, ne changerait malheureusement rien. Elle est bien usée, la pauvre ! Et puis, elle ne parle pas un mot de français ... et pour tout dire, les français lui font peur.

Je sais. Quand ma femme l'a recueillie, elle hurlait dans la rue, face au Corps de son fils embroché à l'étal du boucher, comme un vulgaire mouton, avec cette étiquette qu'elle ne savait lire: « Voilà ce qui arrive aux fellaghas assassins « .
- Il avait quand même tué le caïd BOUDRAA et le capitaine BETOUX
- Oui, oui ... mais tout de même! Ah, toubib, je n'ai pas d'enfant, mais j'imagine la douleur animale mordant furieusement dans le corps de cette femme, dans son ventre où s'était allumée une étincelle de vie. Il n'avait pas vingt ans. Quelle saloperie d'époque !

Soignez la bien docteur, et tenez moi au courant. Et pour MESSAOUDA, si sa mère devait mourir, n'oubliez pas que BOUCHOUK le boulanger doit la prendre chez lui. Ils sont vaguement parents. Pour l'instant je crois qu'elle est bien traitée chez l'instituteur. Il m'arrive de la croiser quand je traverse le village. Elle pousse le landau du bébé avec le drôle d'air d'une petite bonne femme consciente de ses responsabilités. Je souris toujours. Elle a dix ans, onze ans peut-être...

La sonnette de la porte d'entrée grésilla brusquement. Une note aiguë suivie de deux coups brefs.

Le docteur sourit. - C'est TCHICO ça, le copain de SLIMANE.

Je me demande ce qu'il va me proposer aujourd'hui.. Ah, celui là ! Je me demande s'il sait seulement que nous sommes en guerre, et que lui aussi devra choisir entre la valise et le cercueil ! Quel homme heureux il!

Un bruit de voix montait du rez-de-chaussée.
- Salam SLIMANE, la besse, Purée comme tu es beau pour un arabe. Ho là là, et tu sens bon. Tu es tombé dans l'eau d'la fleur d'oranger ou quoi ?

Les rires des deux hommes emplissaient la cage d'escalier, tandis qu'ils montaient à l'étage.

Toi TCHICO, tu as du tomber dans le broumége, pourquoi tu sens la sardine pourrie

Un européen au broumége, il sent encore meilleur qu'un arabe à la fleur d'oranger, j'te jure sur les os de mes morts.

Entendez-les - disait le docteur. Ces deux là quand ils allaient à l'école, ils en ont tellement fait voir à l'instituteur, qu'il a fini par demander sa mutation, le pauvre, pour le nord de la France ... Le nord, vous vous rendez compte ?

Et dans tous les coups de ce brigand de TCHICO, on retrouve SLIMANE. SLIMANE qui vole de la dynamite sur le chantier du port, et TCHICO qui fait sauter tous les coins de la côte pour ramener des tas de poissons. SLIMANE qui pisse dans la forge de MORGERA... Une odeur infecte ! pendant que TCHICO, à la demande générale, tordait le cou au coq du forgeron qui réveillait le quartier tous les matins. Et le purin qu'ils ont caché sous létal de FLAMBO, qui criait "Poisson frais, poisson frais..." dans une odeur qui tenait les clients à distance, tandis que nos deux zèbres, un peu plus loin, vendaient tranquillement leur poisson éclaté à la dynamite.

Ah, ces deux là, c'est cul et chemise... Bonjour TCHICO.

Bonjour docteur. Bonjour monsieur VEDEN. Non ... Non, docteur, je n'ai rien pour vous aujourd'hui. C'est monsieur VEDEN que je venais voir. Oui, je dois monter en forêt histoire de préparer la prochaine battue aux sangliers pour les chasseurs. lis y vont avec l'armée, bien sûr pour la protection. mais comme les soldats tirent aussi à la mitraillette ou au fusil de guerre, je peux vous dire qu'on ne manquera pas de saucisses et de fromage de tête.

Alors, monsieur VEDEN, si vous pouvez m'emmener avec vous ce soir, je prendrai pas cet autobus où ça sent l'arabe ... sans la fleur d'oranger - ajouta-t-il malicieusement en regardant SLIMANE.

Demain c'est jour de marché - dit SLIMANE - Et tu aiguises les couteaux au marché. J'en ai beaucoup qui m'ont demandé. Alors tu restes là. Autrement ils donneront les couteaux à TAHAR, et tu perds tout le flouss.

Mon zob ! Ils donneront rien du tout à TAHAR. Quand il aiguise les couteaux, lui, tu es sûr qu'ils vont couper en zig zag. Non, non, je monte avec monsieur VEDEN si il veut bien.

Bien sûr - dit VEDEN - Comme çà tu pourras m'expliquer comment tu prends tant de pageots et de sars, à croire qu'ils se donnent rendez-vous avec toi. On part tout de suite.

SLIMANE, en proie à une soudaine excitation, débarrassait la table. Son plateau à la main il quitta la pièce, le front moite, les idées embrouillées.
- Non, pas TCHICO, pas TCHICO... Son destin n'avait rien à voir avec celui de VEDEN. Les draps, là haut sur la terrasse, il fallait qu'il les enlève dans un moment mais pour VEDEN seulement, pas pour TCHICO. TCHICO n'avait rien à voir là dedans.

Oui mais ... il serait dans la voiture de VEDEN le couilloune. Il voulait monter dans le massif au lieu d'aiguiser tranquillement ses couteaux au marché.

Et si VEDEN ne partait pas ce soir ! S'il passait la nuit ici, chez le docteur, comme cela lui arrivait parfois ?

Oui, c'est çà ... Il fallait empêcher VEDEN de partir. La voiture ... oui, la voiture ... Il fallait trafiquer la voiture pour qu'elle reste là, le long du trottoir.

SLIMANE, un couteau effilé à la main, sortit doucement. La traction noire était là, à quelques mètres, dans la rue.

Il enfonça rapidement son couteau dans un des pneus arrière, puis dans l'autre. La voiture lentement s'affaissait tandis qu’il regagnait la cuisine.

Là haut VEDEN s'apprêtait au départ.
- Comme d'habitude je vous téléphonerai sitôt arrivé docteur. Une demi heure environ. Allez TCHICO, on y va!

SLIMANE, par la fenêtre observait les trois hommes en conversation sur le trottoir.
- Putain - dit TCHICO - Le pneu est crevé. regardez, il est tout plat. Allez, je vais le changer. Ho, SLIMANE, arroua, viens ici, fissa.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu gueules comme çà ? -Chouf le pneu, bordel de cagaille. On va le changer.
- Et l'autre, là, tu l'as vu ? Il est crevé aussi. Alors comment tu vas faire hein ? La voiture elle a qu'une roue de secours.
- Merde alors - dit VEDEN - C'est encore un coup de ces maudits yaouleds qui traînent dans la rue. Il faut pourtant que je rentre ce soir, on m'attend.
- Prenez ma roue de secours - dit le docteur - Ma traction est du même modèle. Ça devrait aller.

TCHICO avait déjà placé le cric sous la voiture et l'actionnait avec des gestes précis tandis que VEDEN et le docteur remontaient à l'étage.
- Allez, SLIMANE, dépêche toi, dio cane. Va chercher la roue de Fartass. Tu as peur de te salir les mains ou quoi ?
- Tu vas perdre plein d'argent demain au marché...
- Eh merde! Fous moi la paix avec le marché. Allez fissa, va chercher la roue.

En quelques minutes, avec une extraordinaire dextérité, TCHICO avait remplacé les pneus.

Bon, je vais changer l'eau aux olives. Va dire à monsieur VEDEN qu'on peut partir.

Tu sais, TCHICO, monsieur VEDEN il disait tout à l'heure qu'il aimerait bien avoir une de tes palengrotes que tu montes avec le crin de cheval. Il part bientôt en France. Il aimerait bien montrer aux frankaouis ta palengrote, parce que c'est une ligne qui ramène plein de poissons, et que là bas ils connaissent rien pour la pêche. J'te jure qu'il a dit comme çà. Et que tu lui ferais un grand plaisir...

Ah, il a dit çà ? - TCHICO se rengorgeait de plaisir. - C'est sûr que c'est une bonne ligne. Avec çà, le poisson bessif tu le remontes.

Pourquoi tu lui en donnes pas une, hein TCHICO ? Va la chercher, il sera content.

Ouais, tu as raison. Bon, qu'il m'attende hein. J'en ai pour cinq minutes.

Dès qu'il se fut éloigné, SLIMANE grimpa rapidement à l'étage.

Voilà, c'est prêt ... Mais TCHICO il est parti. Il devait faire quelque chose. Il a dit que c'était pas la peine de l'attendre.

Bon, j'y vais. La nuit va bientôt tomber. Allez, salut docteur, salut SLIMANE. A bientôt, jeudi prochain, sans doute, et de toutes façons, tout à l'heure au téléphone.
- Inch'Allah !

SLIMANE, du pas de la porte regardait la traction noire qui s'éloignait lentement.

Il referma la porte et s'engagea dans les escaliers jusque sur la terrasse où les draps éblouissants de blancheur sous les rayons du soleil couchant, s'agitaient faiblement sur les étendages.

Il scruta longuement la montagne sombre cherchant un signe qui ne venait pas, et, avec des gestes brusques, enleva les draps.

VEDEN traversait le village lorsqu'il aperçut MESSAOUDA poussant le landau du bébé.

Au coup de Klaxon la fillette agita le bras et s'approcha de la voiture qui s'arrêtait.

Alors,' MESSAOUDA, tu vas bien J'ai vu la mère ce matin à l'hôpital. Le docteur dit que ça va bien. Bientôt elle pourra revenir à la maison. Et toi, tu es contente chez l'instituteur ?

Oui, monsieur VEDEN. je promène surtout le bébé parce qu'à la maison il pleure tout le temps. Tenez, regardez comme il est beau!

Une vraie petite bonne femme -pensait VEDEN attendri - tandis que MESSAOUDA, le bébé dans les bras faisait des grimaces pour lui tirer un sourire.

Si ZOHRA mourait ... Il faudrait que je vois Aline. On pourrait peut être l'adopter. Pourquoi pas, pourquoi pas ?

L'idée s'insinuait en lui, l'envahissait tout entier bien qu'il la sut déraisonnable. Un court instant il lui semblait qu'il n'avait plus de raison de se sentir déjà orphelin de l'Algérie.
- Holà, monsieur VEDEN, alors vous partiez sans moi ? Heureusement que je vous ai vu en revenant de la maison. Tenez, j'ai un cadeau pour vous, une palengrote. C'est tout du crin de cheval, de la queue, que j’ai tressé. Les poissons ils aiment tellement qu'ils s'accrochent tout seuls aux hameçons.

TCHICO s'installait dans la voiture, tout essoufflé.
- Allons-y dit VEDEN- Il est déjà sept heures. Au revoir MESSAOUDA. La voiture démarra dans un crissement de pneus.

Le docteur GUIGUE reposa le téléphone. Il était vingt heures trente. Cela faisait trois fois qu'il appelait chez VEDEN, sans résultat. Non, monsieur VEDEN n'était pas encore arrivé.

Il reprit l'appareil, composa un Numéro.
- Allô, c'est le P.C. du colonel MAYAN ? Ici docteur GUIGUE. Passez-moi le colonel. Oui, c'est urgent, très urgent.

PETIT GLOSSAIRE

ARROUA: Viens.
BÉSSIF: Par force.
BOUSSAADI Poignard effilé.
BROUMEGE Mélange fermenté de sardines pilées, fromage pourri qu'on émiette dans l'eau pour attirer le poisson.
CAGAILLE: Chiasse, colique.
CHANGER L’EAU DES OLIVES: Uriner (Pour un homme seulement)
CHOUF :- Regarde.
COUILLOUNE. Couillon, bourricot.
DIOCANE: Juron Bônois.
FARTASS.- Teigneux, chauve
. FELLAGHAS. - : Partisan de l'indépendance, soulevé contre l'autorité française.
FISSAH. Vite.
FLOUSS: Argent, monnaie.
INCHALLAH. A la grâce de dieu,
LA BESSE: Ca va ?
PALENGROTE. Ligne à plusieurs hameçons.
YAOULEDS: Petits garçons des rues.
ZOB : Phallus.
(Revue Ensemble, N° 214 Octobre 1998, Pages 60 à 67)


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