CARILLON D'EXIL EN DOUCE LOIRE
Envoyé par Jean Claude Pons
( Les Bahuts du Rhumel - René BLANC - 25 septembre 2000)


-------Si vos pas vous mènent un jour sous les cieux du Maine et Loire, à quelques encablures de Saumur, ne vous privez pas du détour qui vous fera découvrir l'ancienne prieurale de CUNAULT, une merveille du XI° siècle, édifiée sur la rive gauche du plus long fleuve de France.

-------Là se déroule l'exil sonore et néanmoins nostalgique des quatre cloches qui carillonnèrent autrefois au clocher à cinq pointes de la cathédrale de CONSTANTINE, un clocher parfois fréquenté, on s'en souvient, par de caquetantes cigognes.

-------La plus grosse (1 m 75 de diamètre à la base, 2181 kg) fut un do, baptisé Augustin, don de l'empereur Napoléon III (1). Viennent ensuite, le ré, Félix-Louis (1431 kg), le mi bémol, Dolorès Joséphine (1241 kg) et le sol, Emma-Viventa, la plus petite, mais ne pesant pas moins de 828 kilos.

-------Ces vénérables compatriotes ont été baptisés en 1869 par Mgr Barthélémy de Las Cases et, pendant 93 ans, leurs six tonnes de bronze vibrèrent au dessus du Rocher, pour clamer la joie ou déplorer l'infortune des hommes.

-------Vint 1962, quand la cathédrale, ancienne mosquée Souk-El-Ghezel, dut être rétrocédée au culte musulman. Qu'allait-il alors advenir des cloches?

-------Les frères Roland , entrepreneurs de travaux publics à Constantine, décidèrent d'enlever et d'acheminer, à leurs frais, ces quatre énormes masses jusque dans le Loiret où Mgr Pinier (évêque de Constantine) avait négocié leur sauvegarde avec le diocèse d'Orléans.

-------Mais, très vite, on dut se résigner à la navrante évidence : aucun clocher ne serait assez solide pour supporter un tel poids ; l'infortuné "quatuor constantinois" fut donc impitoyablement mis en dépôt en attendant d'être fondu.

-------C'est alors qu'un providentiel "téléphone arabe" se fit entendre jusqu'en Maine et Loire où le père Louis Boreau, recteur de Notre Dame de Cunault - située à mis chemin entre Angers et Saumur - s'en fut examiner ces cloches sacrifiées, qu'il souhaitait accueillir chez lui… mais se trouva quelque peu confondu devant leur masse imposante.

-------Sans doute aurait-il renoncé à son projet de les voir transférées jusqu'à son sanctuaire renommé, si des paroissiens, Mme et M. Lefèvre, n'avaient pris le relais des frères Roland, en assurant à leurs frais, le transport des encombrantes rapatriées.

-------Parvenues à bon port, elles furent prises en charge par l'association " Les Amis de Cunault " qui a pour but la sauvegarde du célèbre monument angevin. Il fallut alors édifier une solide charpente, capable de supporter les six mille kilos des futures occupantes du clocher. 25 tonnes de bois et quatre années de labeur furent nécessaires pour mener à bonne fin la réalisation de cette gigantesque entreprise, comparable à celle des anciens bâtisseurs de cathédrales.

-------Parallèlement à cet ouvrage titanesque, des techniciens en électronique installaient un tableau de commandes pour coordonner la mise en branle et l'ample mouvement des quatre majestueuses masses de bronze.

-------Enfin, le 9 octobre 1966, sous l'égide de M. Jean Foyer, Garde des Sceaux, en présence de M.Augutin Ibazizen, conseiller d'Etat, Mgr Mazerat, évêque d'Angers et de Mgr Pinier, évêque de Constantine et d'Hippone, procédèrent à l'inauguration de ce nouveau carillon.

-------A Dolorès-Joséphine et Emma Viventa, l'annonce des messes ; à Félix-Louis le glas des sépultures ; à Dolorès-Joséphine le triple appel quotidien de l' Angelus, au trio encore valide, le jubilant carillon des mariages et des baptêmes.

-------Dès lors, depuis plus de trente ans, c'est au coeur de " la douceur angevine " que retentissent les notes claires du choeur d'airain né au bord du Rhône impétueux… riverain nonagénaire du fougueux Rhumel…paisible retraite aux berges majestueuses de l'aimable Loire.

(1)En faisant sonner ce bourdon, à Pâques 1998, on s'aperçut qu'il vibrait d'étrange façon. Une expertise révéla une "paille" datant du moment de la fonte, qui avait, peu à peu, provoqué une fissure ; la cloche était désormais incapable de remplir son office…(Lors de mon séjour à Cunault, j'ai pu rencontrer le recteur actuel de la prieurale qui espère qu'avec le soutien des pouvoirs publics locaux, Augustin pourra être réparé, mais là encore les travaux seront assez importants car il faudra ouvrir le clocher- JC Pons)