UN PIED-NOIR MEURT
DANS LES FLANDRES
7-8 Avril 1917 au 3ème régiment d'infanterie
Envoyé par J. B. Lemaire

               Le 8 Avril 1917, Dimanche de Pâques, la reine de Belgique assiste à la messe dite en son honneur dans la chapelle de l'hôpital " ambulance de l'océan " à La Panne sur la côte flamande belge près de Nieuport.
               Au terme de ce même jour un soldat du 3ème R.I., parmi d'autres, Bernard Auguste Salvator Della Maggiora décédera dans la même ambulance, des suites de ses blessures reçues la veille au cours d'un "coup de main".
               Ce "coup de main " faisait partie de toute une série d'actions offensives décidées par le commandement pour tester la résistance des lignes allemandes et ramener des prisonniers à interroger dans la perspective des grandes offensives en préparation.
               Apparemment ce n'est pas une des innombrables actions routinières de patrouille, d'éclairage, d'observation ou autre mais une opération qui a marqué la vie du 3ème R.I. pendant le premier conflit mondial. Elle figure au journal de marche du régiment, elle a été concoctée par le général de division lui-même puisqu'il en a suivi personnellement le déroulement et les résultats. Elle a été menée dans le cadre de deux régiments de la 29ème D.I. et en ce qui concerne le 3ème R.I., le détachement était composé de volontaires venant de différentes compagnies. Aux dires mêmes du général Rouquerol, dans ses mémoires de guerre page 70 "il est vrai que c'étaient là les meilleurs des soldats, les entraîneurs des autres". De plus elle a sa place dans le livret historique d'une petite centaine de pages qui a raconté l'histoire du 3ème R.I. pendant la guerre 1914-1918. C'est donc un fait d'armes important et une des premières opérations de "commandos" de la deuxième moitié du conflit.
               Nous vous proposons d'y consacrer une petite étude dans le cadre du 3ème R.I. car ce régiment est l'un de ceux qui ont laissé le plus d'archives sur la première guerre mondiale, notamment photographiques prises par la reine de Belgique et conservées par le commandant de la 29ème division d'infanterie, le général Gaston Rouquerol qui s'était lié d'amitié avec le couple royal de Belgique. A la mort de ce général, son épouse confia ses archives personnelles à l'école Polytechnique où l'on peu consulter un fonds à son nom regroupant 9 cartons de documents, notamment sur la période de son long séjour dans le secteur de Nieuport à la tête de la 29ème division d'infanterie.
               Dans un premier temps, nous présenterons brièvement le 3ème régiment d'infanterie. Dans un second temps, nous relaterons les circonstances du "coup de main" du 7 Avril 1917, dans un troisième temps, ce seront la vie et la personnalité du soldat Bernard Della Maggiora qui retiendront notre attention et dans un quatrième temps nous vous soumettrons les différentes analyses et leçons qui ont pu être tirées de cette opération par le commandement.
               L'ensemble des données militaires sont issues des archives et de la bibliothèque du service historique de l'armée de terre (S.H.A.T.) à Vincennes ainsi que du fonds Rouquerol détenu à l'école Polytechnique, quant aux données biographiques du soldat elles proviennent du registre matricule du recrutement de Constantine en dépôt au centre des archives d'outre mer (C.A.O.M.) à Aix-en-Provence complétées par des documents d'état civil et des témoignages familiaux.

Le 3ème régiment d'infanterie :
               Voyons tout d'abord ce qu'en dit le"Recueil d'historiques de l'infanterie française" du général Adolenko.
               Issu des "bandes" du bas Moyen-âge puis dénommé PIEMONT vers le milieu du XVIème siècle, il fait partie des quatre plus anciens régiments de France avec le 1er R.I. (Picardie), le 5ème R.I. (Navarre) et le 7ème R.I. (Champagne), tous descendants des "Bannières de Picardie" créées vers 1494 date officielle généralement retenue.
               Dès l'apparition de ces régiments, de nombreuses rivalités se manifestèrent, chacun réclamant l'honneur et le privilège de monter le premier à l'assaut.
               Henri IV fit tirer au sort entre les quatre régiments rivaux et il en ressortit le rang suivant, hormis les Gardes Françaises qui passaient toujours en tête :
                   1 Picardie
                   2 Navarre
                   3 PIEMONT
                   4 Champagne

               En 1666, Louis XIV reconnu Navarre, Piémont et Champagne égaux en droits et devant chacun à tour de rôle occuper la première place.
                   Les "quatre vieux" étaient considérés comme les meilleurs de l'armée et servaient de modèle aux autres unités. Ils bénéficiaient de quelques privilèges comme celui de monter le premier à l'assaut, de choisir leurs quartiers, de n'être jamais dissous et de juger eux-mêmes leurs cadres et leurs hommes.
                   Le 3ème R.I. a existé sans discontinuité de 1507 à 1940 :
               En 1584 il prit le nom de Piémont.
               En 1791 il devint 3ème régiment d'infanterie.
               En 1796 par décret 3ème demi-brigade d'infanterie de ligne.
               En 1803, 24 Septembre, 3ème régiment d'infanterie de ligne.


Reconstitution le 2 Décembre 2001: caporal fourrier du 3ème R.I.L. à Austerlitz

               En 1814, régiment du Dauphin.
               En 1815, cent jours, 3ème régiment d'infanterie de ligne.


Reconstitution : sergent sapeur et caporal grenadier du 3ème R.I.L

               En 1815, Septembre/ Octobre, il est licencié.
               En 1820, 3ème régiment d'infanterie de ligne.
               En 1882, 3ème régiment d'infanterie.
Quand même dissous en 1940, 1962 et 1967, il a été remis sur pied en 1968 et joue actuellement le rôle de régiment de place au camp de Garrigues près de Nîmes.
Son drapeau porte les inscriptions suivantes: Gênes 1800, Austerlitz 1805, Wagram 1809, Bomarsund 1854, Verdun 1916, Vauxaillon 1918, Thiérache 1918, Authion 1945.

               Il débarqua en 1830 à Sidi Ferruch puis rentra en France dès la prise d'Alger avant de revoir l'Afrique entre 1859 et 1864, en 1881 et de 1956 à 1962.

               Toutefois le site internet intitulé "Historiques de régiments" diverge sur quelques dates puisque l'auteur écrit:

               "" Le 3ème régiment d'infanterie a été créé au XVIe siècle en 1570 sous le nom de "Bandes de Piémont". Il s'est illustré à Rocroi en 1643 et à Austerlitz en 1805.
               Le 1er janvier 1791, il devient le 3ème régiment d'infanterie puis est licencié.
               Constitué de nouveau en 1794 puis congédié , il a été reformé en 1796, pour être dissous en 1815 puis enfin ressuscité en 1820.
               A Jemmapes il emporte d'assaut la position autrichienne et s'empare de la batterie d'artillerie qui l'occupait avant que celle-ci ait pu amener ses avants-trains et faire retraite.
               Il a participé ensuite à toutes les guerres.
               Il stationne au camp de Garrigues près de Nîmes. Il est désormais le régiment de manœuvre de l'école d'application de l'infanterie (E.A.I.). En Mars 1995, il célébra son 500ème anniversaire.
               Pour les inscriptions au drapeau il donne: Jemmapes 1792, Austerlitz 1805, Wagram 1809, Bomarsund 1854.""

               Nous ajouterons que dans l'entre-deux-guerres, en 1920, il a pris l'appellation de 3ème régiment d'infanterie alpine (3ème R.I.A.). De toutes façons sa vocation était déjà "alpine" avant la déclaration de guerre de 1914, celle-ci trouvant ses deux premiers bataillons en manœuvres de montagne alors qu'ils étaient en garnison à Digne dans les Basses-Alpes.

               Quant à sa devise: " résolus de crever plutôt que de ne pas tenir bon ", elle remonterait à la bataille d'Austerlitz et il la tiendrait de sa résistance aux attaques répétées (cinq en une heure) des Autrichiens qu'il a subi, conjointement avec la Légion corse, devant Tellnitz qu'ils durent finalement évacuer, le 2 Décembre 1805. (selon l'étude d'Eman Vovsib publiée sur internet " napoleon-series.org ").

Quelques insignes du 3ème régiment d'infanterie et d'autres du temps où il était appelé régiment d'infanterie alpine :


               En 1914, il tenait garnison à Digne (1er et 2ème bataillons) et à Hyères (3ème bataillon) avec un détachement à Marseille, une section spéciale (de mise à l'épreuve des éléments indisciplinés et incorrigibles) et un régiment de réserve, le 203ème R.I.R.. Il avait également un régiment territorial qui lui était rattaché, le 145ème R.I.T..Ces trois unités étaient constitués de provençaux. Il n'y avait que très peu de Pieds-noirs (moins de dix). Nous avons relevé quelques noms sur le monument aux morts de Constantine :
DELESTRADE Louis Marius, né le 1/10/1887 à Marseille, tombé le 25/11/1916 à Progart (Somme).
ERNST Albert, né le 7/1/1880 à Dornach (Alsace), tombé le 2/10/1918 à Auve (Marne).
GIACCHINO Victor, né en 7/1892 à Jemmapes (Ctine), Caporal, tué le 23/3/1916 à Malancourt.
JEAN Xavier Louis, né le 22/4/1893 à Aïn Smara (Ctine), Sgt fourrier, tué le 22/3/1916 à Haucourt (Meuse).
OLIVA Antoine, né le 29/7/1892 à Aïn Tinn (Ctine), tombé le 14/8/1914 à Coincourt (Mte et Melle).

               Dès le début des hostilités il fut dirigé sur la Meurthe et Moselle près de la frontière de 1871 avec l'Allemagne où il connut ses premières épreuves au feu. C'est à trois bataillons qu'il monte en ligne du côté de Diarville dans la nuit du 7 au 8 Août 1914. Puis à Saint-Nicolas-de-Port où ses hommes franchissent la Meurthe le 10 Août.
               Pris sous le feu de l'artillerie ennemie entre Coincourt et Montcourt à 40 kilomètres à l'Est sud-est de Nancy, les 1er et 2ème bataillons conduisent l'attaque avec au sud le 141ème R.I. et au nord le 112ème R.I.. Le 3ème bataillon suit en réserve. Le capitaine de la 5ème compagnie tombe le premier.
               Quand la nuit arrête le combat, les pertes sont sévères et les unités mélangées sont à 500 mètres de l'objectif du bois du Haut-de-la-Croix. Quinze officiers et cinq cent trente six hommes sont tombés mais l'ennemi a battu en retraite.
               La frontière d'Alsace-Lorraine est franchie la nuit du 16 au 17 Août 1914. Le 3ème R.I. est placé en réserve de division.

               Après la contre-offensive ennemie, la retraite de la IIème Armée est générale devant un ennemi supérieur en nombre; le régiment reçoit l'ordre de se replier par échelons.
               La nuit du 21 au 22 Août se passe à Vitrimont à l'ouest de Lunéville. Le 29 Août la 7ème compagnie prend la ferme de Vitrimont.

               Le 6 Septembre, le régiment entre dans la bataille de la Marne et poursuivra l'ennemi jusqu'au 15 au nord-ouest de Verdun où il restera dix huit mois.
               Dans la nuit du 20 au 21 Septembre le 2ème bataillon à 4 compagnies et 2 compagnies du 3ème bataillon perdent dix officiers et cinq cent cinquante et un hommes.
               Le 24 Septembre, risquant d'être tourné, le régiment se replie avec trois officiers et cent trente trois hommes de pertes.

Extrait du cahier de correspondance du 3ème R.I. du 18/9 au 18/11/1914 :
" 13/10/14 Etat faisant connaître le nombre de tués, blessés,
disparus ou évacués depuis le début de la campagne :
Date et lieux des combats
Tués, blessés ou disparus
Evacués
Officiers
Troupe
Officiers
Troupe
14 Août Coincourt
19 et 20 Août Dieuze
26 Août Lamath
29 Août bois de Bareth
20 Septembre Béthencourt
23 Septembre bois de Malancourt
27 Septembre }
4 Octobre } bois de Chappy
10 et 11 Octobre }
18
4
-
-
12
3
-
-
-
815
654
11
55
591
242
6
22
9
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
"        TOTAL        "
37
2405
7
150

Il s'installe dans les tranchées dans le secteur de la Meuse à Verdun, d'Octobre 1914 à Avril 1916. La rude vie du "poilu" commence.
               L'ennemi entreprend l'utilisation de nouveaux moyens de combat tels que bombes, lance-flammes et mines.

               Le 21 Février 1915, le 3ème régiment d'infanterie est là lorsque l'Allemand déclenche sa grande attaque sur Verdun. Six de ses officiers et deux cent cinquante de ses hommes seront mis hors de combat.

               Il mènera aussi de violents combats sur les pentes du Mort-Homme aux côtés du 6ème régiment de tirailleurs.
Le 11 Février 1916, la 5ème compagnie puis les jours qui suivirent, les 6ème, 7ème et 2ème compagnies subissent des pertes sévères dans les combats sur les pentes ouest du Mort-homme.
               Le 20 Mars 1916, après la prise par l'ennemi de la totalité du bois de Malancourt, le 2ème bataillon contre attaque et réussit à reprendre la lisière du bois. Les 21, 22 et 23 Mars, les 3ème et 6ème compagnies subissent de violentes attaques entre cette lisière et Hautcourt.
               A partir du 24 Mars 1916, le régiment est relevé. Quinze officiers et quatre cent six hommes sont tombés au court du dernier mois à Verdun.

               Puis c'est la Belgique dans le secteur de Nieuport, d'Avril 1916 à Octobre de la même année. Plaine humide et sans abri où l'eau à vingt centimètres de profondeur empêche de creuser des tranchées. L'ennemi bien enterré au sud de Lombartzyde multiplie les actions d'artillerie, répétées et violentes, dénommées "bamboulas" par nos hommes. Il appartient à la 29ème division d'infanterie, 36ème corps d'armée, région fortifiée de Dunkerque.
               Durant l'été 1916, les villages belges de Coxyde et d'Oost Dunkerke sont animés et offrent quelques satisfactions matérielles telles que représentations théâtrales ou visites du couple royal belge qui fait de nombreuses photographies dont la plupart de celles concernant les troupes françaises dans la zone de Nieuport se trouvent aux archives de l'école polytechnique dans le fonds Rouquerol.

               Le régime des permissions est définitivement codifié: deux permissions de onze jours par an soit onze jours tous les six mois selon les possibilités du service.
          A compter du 1er Avril 1917, les personnels résidants en Corse, Algérie, Tunisie, Maroc et Portugal ne pourront bénéficier que d'une seule permission de vingt et un jours par an. Ceux qui depuis le 1er Octobre 16 ont bénéficié de onze jours, n'auront que dix jours jusqu'au 1er Octobre 17 pour compléter leur allocation (rapports journaliers du chef de corps, SHAT, s/série 25N).

               L'utilisation des gaz fait son entrée par les Anglais puis l'ennemi. L'examen des vents devient une des principales préoccupations du commandement.

               A partir du 6 Octobre le régiment est relevé . Le 3ème bataillon fut le dernier à quitter le secteur de Nieuport et subit une dernière "bamboula" qui lui coûte 3 tués et 15 blessés.

               Le régiment est cantonné au camp de Crève-cœur dans la Somme (secteur de Berny en Santerre) où la bataille sévit depuis trois mois.
Entraînement jusqu'au 4 Novembre 1916. Il assurera une relève le 20 Novembre dans le secteur de Berny en Santerre où il perdra dix tués et trente blessés en trois semaines.
               Le 10 Décembre c'est le départ en camion pour une période d'un mois de repos à Libus et Sommereux.
               Le régiment retrouve un secteur amélioré. Les défenses et l'organisation sont plus poussées.
               La supériorité des moyens est de notre côté et nous avons l'initiative des "bamboulas".
               Le 7 Avril 1917, aura lieu l'attaque dont nous donnerons les détails dans le prochain paragraphe.
               Ici s'arrête la période qui nous intéresse. Toutefois nous rappellerons comment le régiment termina la guerre.
               Longtemps confiné dans le rôle ingrat et sans gloire de défense de secteur, rôle rempli particulièrement dans la plaine difficile de Nieuport, écarté de toutes les opérations offensives de 1915-16 et 17, le 3ème R.I. n'avait pas bonne réputation. Il obtint pourtant coup sur coup dans les derniers mois de la guerre, deux citations à l'ordre de l'Armée qui lui valurent la fourragère aux couleurs de la croix de guerre 1914-18 et se montra digne de sa devise "plutôt crever que de ne pas tenir bon".

Il totalisa 902 tués selon le détail ci-après :
1914 : 217
1915 : 157
1916 : 180
1917 :  77
1918 : 271

Le coup de main du 7 Avril 1917 :

               Les relations que nous allons vous soumettre sont tirées du journal de marches et opérations (J.M.O.) du régiment et de différents historiques parus dans l'immédiat après-guerre. Les références vous en seront accessibles dans la bibliographie à la fin de l'article.

Extrait du J.M.O. du 3ème régiment d'infanterie du 7 Avril 1917

7 Avril : En exécution de la note de la 29ème D.I. 38481/3 du 7 Avril les coups de main prévus auront lieu aujourd'hui à 19h 30.

A partir de 13 heures action violente de notre artillerie (A.C. et A.L.) et de nos engins de tranchée. D'après le plan d'action établi par le commandant de l'artillerie.

La mise en place et le départ à l'assaut des 3 détachements se sont effectués dans les conditions fixées.

- Le détachement de gauche (s/lieutenant Muret) est arrivé au parapet vers 108, s'est déployé et a combattu à la grenade et au pistolet contre une dizaine d'Allemands puis s'est replié vers un point de départ.

-Le détachement du centre (s/lieutenant Delpont) a coiffé le mamelon vert. Cet officier, le caporal Duchêne et plusieurs hommes ont sauté dans la tranchée ennemie et jeté des grenades sur le groupe assez important qui se trouvait au nord de 83b et qui se défendait énergiquement.
Le s/lieutenant Delpont après s'être avancé vers 111 en terrain découvert et avoir jugé de la situation, fit à la main le signal du retour, s'engagea dans les chevaux de frise et fut probablement frappé au moment où il les franchissait.

- Le détachement de droite (sergent Brulat) arrivé sans encombre au point 112, pénétra dans la tranchée ennemie et remplit presque entièrement sa mission en combattant à la grenade jusqu'à épuisement des munitions.
Le sergent Brulat, le caporal Auroux et trois hommes ont disparu pendant le retour avant d'avoir retraversé le réseau ennemi.


En rouge, les mouvements du 7 Avril 1917

L'ennemi avait maintenu les effectifs en première ligne; il avait renforcé en matériel et en personnel pendant une accalmie.

La réaction ennemie et les tirs de barrage étaient d'une extrême violence.

L'effectif sorti de nos lignes a été de :
                              2 officiers
                              47 hommes

Pertes :
              17 blessés: 1 officier (s/lieutenant Muret)
                              16 hommes (1)
(1)

Caporal Malo Marcel
Soldat Maillard Georges
Soldat Bernard Rosin
Soldat Grenu Gaston
Soldat Rosano Joseph
Soldat Gouteux Prosper
Soldat Saulière Jean
Soldat Ras Jules
5ème compagnie
10ème compagnie
11ème compagnie
11ème compagnie
3ème compagnie
5ème compagnie
7ème compagnie
9ème compagnie
caporal Estéoule
soldat Vigouroux Justin
soldat LeDouarin Joseph
soldat Gabriel Pascal
  "     Cambremont Gaston
soldat Della-Majiora
soldat Grossi Marcel
soldat Mathon Alphonse
6ème compagnie
10ème compagnie
11ème compagnie
11ème compagnie
5ème compagnie
5ème compagnie
10ème compagnie
9ème compagnie


Les trois quarts ont été blessés par éclats de grenade, les autres par éclats d'obus et un par balle de mitrailleuse.

     Six disparus: 1 officier (s/lieutenant Delpont)

     5 hommes:

sergent Brulat Paul
caporal Auroux Edmond
soldat Marveiller Charles
soldat Cailler Léon
soldat Letellier Jean-Baptiste
10ème compagnie
11ème compagnie
10ème compagnie
9ème compagnie
9ème compagnie

Un cadavre visible dans les fils de fer allemands diminue d'un le chiffre de ces disparus.
(Voir rapport annexé pour renseignements complémentaires).

Ici s'arrête le rapport inscrit au journal de marche du 3ème régiment d'infanterie à la date du 7 Avril 1917. Rappelons que le "rapport annexé" dont il fait mention, ne s'y trouvait pas.

Nous vous proposons maintenant de prendre connaissance de la relation de ladite affaire d'après un historique du 3ème R.I. publié en 1920 par la librairie militaire Chapelet 136, Boulevard St Germain à Paris (bibliothèque des Invalides, n° DD HIS 14-18 INF), au chapitre "les Flandres, Janvier 17- Mars 18" page 31 :

     "" La 29ème division d'infanterie, 36ème corps d'armée est de retour dans le secteur de Nieuport, devant Lombaertzyde.
     Le 7 Avril, un détachement de volontaires commandés par les sous-lieutenants Delpont et Muret, tente un coup de main sur les organisations de la première ligne ennemie en avant de notre poste avancé du Mamelon-vert.

     Pendant deux jours, notre artillerie a effectué la préparation et arrosé les tranchées et boyaux allemands dans la zone d'action du détachement.
     A 19 heures 30, avec un courage superbe et un entrain admirable, nos hommes franchissent le parapet et s'avancent en trois groupes vers la première ligne ennemie, dépassent ses défenses accessoires et pénètrent dans les tranchées.

     Malheureusement, l'interruption un peu trop longue du tir de notre artillerie entre la fin de la préparation et l'heure H a permis aux défenseurs ennemis de se ressaisir: nos groupes sont accueillis à la grenade et battent en retraite après un violent corps à corps.

     Le sous-lieutenant Delpont et sept hommes restent sur le terrain ; le sous-lieutenant Muret et vingt hommes sont ramenés blessés dans nos lignes.""

Le soldat Della Maggiora :

     Bernard Auguste Salvator DELLA MAGGIORA est né à Philippeville (dépt de Constantine) en Algérie le 23 Septembre 1880, rue des Aurès, maison Caille.

     Par son père Giovanni Raffaele Alessandro dit Jean (Lucques 12.10.1851-PHville 17.5.1886) , il a des origines lucquoises mais peut-être aussi piémontaises car son patronyme (pas encore bien fixé à cette époque entre Maggiora, Della Maggiora, Maggiore et autres variations), pourrait bien signifier que leurs ancêtres seraient originaires de la bourgade de Maggiora située près du lac Majeur et connue pour la qualité de son vin réputé dans la province de Novara.
     Par sa mère, Mathilde DANOVARO née à Philippeville le 29 mars 1863, il a des origines que par nos recherches nous avons été en mesure d'approfondir beaucoup plus, tant elles sont chargées d'Histoire.
     En effet, ses grands-parents, Giuseppe Salvator Danovaro et Caterina Maria Regina Borghero sont de purs Tabarquins, c'est à dire des descendants de ces hardis Génois de Pegli qui dès 1540 s'étaient établis sur l'îlot de Tabarka. A cette époque, la côte d'Afrique du nord venait d'être restituée à la chrétienté par Charles Quint qui bailla Tabarka à la famille des Ducs Lomellini seigneurs de Pegli dans le but de commercer avec les tribus Kroumires de l'intérieur et de collecter le corail comme cela se faisait déjà sur les côtes de l'Italie et des îles de la mer tyrrhénienne.


     Caterina Maria, elle, faisait partie des Borghero, groupe de familles piliers de la communauté tabarquine de San Pietro alors que par sa mère elle descendait des Moretto dont le bisaïeul, Giuseppe était venu de Gênes en 1740.
C'est Nicolà Moretto, un de ses petits cousins, qui en 1800, étant esclave à Tunis, trouva, dans des circonstances mystérieuses (miracle ou pas ?) la statue qui deviendra celle de "la Madonna dello Schiavo"

aujourd'hui exposée dans sa chapelle à Carloforte et fêtée le 28 Novembre en mémoire des quatre ans d'esclavage endurés par quelque 800 Carlofortins de 1798 à 1803.

Le bisaïeul de Giuseppe Salvator, Antonio Maria Danovaro, fils d'Ambroggio, était né à Rivarolo in Ponsevia dans la banlieue de Gênes et s'était marié à Tabarka au début de 1738 avec Gerolama CHIAPPE dite " Tabarquine " donc supposée née à Tabarka sur la terre d'Afrique ou tout du moins d'une famille établie de longue date.
Peu de temps après leur union, à l'instar de cent autres familles de Tabarka surpeuplée, ils émigrèrent dans l'île, alors inhabitée, de San Pietro au sud ouest de la Sardaigne que Carlo Emmanuel III, roi de Sardaigne et Duc de Savoie avait décidé de mettre en valeur alors qu'il venait de la recevoir du roi d'Espagne.
C'est ainsi qu' Antonio Danovaro, maçon de son état, devint Maître bâtisseur, notable électeur et premier responsable de la police de la nouvelle place de Carloforte dès 1740.

Recensement de l'île de San Pietro(1738-1745)

Antonio Danovaro est le sixième en partant du haut

          Deux de ses fils Agostino et Ambroggio devinrent maires de Carloforte, le premier en 1790-91 et le second en 1793-94 (attesté par un document de l'occupation française de l'île renommée "de la Liberté" sous la révolution). Agostino est également connu pour avoir été le maître- d'œuvre de l'église San Carlo Borromeo à Carloforte.
          Mais il eu un troisième fils, moins chanceux puisqu'il mourut vraisemblablement prématurément, Bernardo (Carloforte 22.2.1747- ? ) le grand-père de notre Giuseppe Salvator (Carloforte 17.12.1832-Phville 11.2.1891) qui émigra à Philippeville aux environs de 1851 où il ne connut qu'un destin de journalier et de terrassier miséreux mais honnête et fut à l'origine de la lignée Danovaro de Philippeville par ses deux enfants dont Mathilde mère de notre Bernard et Joseph Pierre (PHville 13.10.1869-) habile maçon et stucateur qui sera connu pour avoir contribué à la confection des staffs du théâtre de Philippeville élogieusement surnommé " la petite Scala ".
          Bernard, le soldat du 3ème R.I., descendait donc de la branche la moins favorisée des Danovaro, Tabarquins "rapatriés" sur l'île de San Pietro par Gerolama Chiappe et génois par Mastro Antonio Danovaro de Rivarolo in Ponsevia.
          Le destin semblait s'acharner sur la famille puisque Mathilde, sa mère mariée à seize ans et demi, se retrouva veuve en Mai 1886 soit à 23 ans avec quatre enfants en bas âge, Bernard 5 ans et demi, Augustine 3 ans, Salvator 23 mois et Dona 3 mois (ce dernier décèdera peu après).
          Bernard dut rapidement gagner sa vie, il apprit le métier de tonnelier mais courait aussi dans les rues de Philippeville, ville de garnison où il n'hésitait pas à faire le coup de poing et parfois plus dans le quartier réservé. Au milieu de la faune interlope qui hantait ces lieux de perdition, il commençait à se faire une place. Heureusement, il n'eut jamais maille à partir avec la justice étant assez intelligent pour ne jamais dépasser les limites de la loi.
          Il avait les cheveux châtains, les yeux marrons et le visage ovale. A vingt ans il mesurait 1,69 m et était tatoué des lettres BM à l'avant-bras droit. Il avait un niveau d'instruction de 1.2.3. ce qui signifie qu'il savait lire, écrire et compter sans difficulté.
          Il demeurait rue du Sphinx (qui deviendra plus tard la rue Antoine Bruno, la rue la plus longue de Philippeville puisqu'elle va de l'avenue de la République jusqu'au Montplaisant, traversant ainsi la petite ville du nord au sud dans toute sa longueur sur environ deux kilomètres).
Son casier judiciaire était vierge.
          Immatriculé au recrutement de Constantine avec la classe 1901 sous le n°119,il fut incorporé le 14 Novembre 1902 à la 21ème section de commis et ouvriers d'administration militaire (C.O.M.A) en Algérie. Il y effectua son service militaire et fut rendu à la vie civile le 17 Octobre 1903, après un an sous les drapeaux comme c'était la loi pour les jeunes appelés du contingent algérien. Le certificat de bonne conduite lui fut accordé.
          Dans la disponibilité et la réserve il fut affecté successivement aux :

21ème C.O.M.A.

          En 1910 il transféra sa résidence en Métropole. La légende raconte qu'il avait quitté Philippeville avec une femme " des maisons ", en bateau un jour de temps gris et froid. Etait-ce " un barbeau " ? Aucune importance il n'a pas démérité à la guerre. De plus sa compagne était déjà dans le métier avant qu'il la connaisse. C'était le genre " amant de cœur ", pas du tout sordide proxénète qui exploite les " innocentes colombes " forcées à pratiquer le commerce de leurs charmes. Enfin en Algérie, comme dans tous les pays du sud, les filles étaient surveillées de près dans les familles et les jeunes gens faisaient quasiment tous leur " éducation charnelle " dans les " maisons closes ". C'est une réalité qu'il est hypocrite de masquer. Il habita donc Toulon le 21 Janvier 1910, boulevard Bazeilles, n°26 puis le 22 Février 1910, rue Samalgue, n°15 et en Avignon à partir du 21 Juin 1910, rue du Chevalier, n°47.

          A la mobilisation d'Août 1914, étant en métropole, il fut affecté à la15ème section de C.O.M.A. à Marseille le 31 Août 1914 et enfin le 6 Septembre, au 3ème R.I. où il rejoignit la 10ème Compagnie le 20 Septembre, il avait presque 34 ans.
          De là il suivit le destin de son régiment en Meurthe et Moselle puis Verdun (voir fiches de stationnement des compagnies, sur demande à l'auteur).
          Le 1er Avril 1916, le régiment est envoyé en Belgique, secteur de Nieuport.
          Le 2 Avril 1916, Bernard Della Maggiora avec un groupe de camarades passe du 3ème au 2ème bataillon, il est muté à la 6ème compagnie.


          Le 25 ou 26 Mai, il rentre de permission, ce qui laisse à supposer qu'il était absent depuis le 8 Mai environ (11jours de permission et au moins 6 jours de délai de route pour faire l'aller et retour en Algérie).

Le 12 Septembre 1916, il est blessé et évacué.
Son nom était souvent déformé. Ici : Delamajor a.l.d. Della Maggiora

          A partir du 6 Octobre 1916, pendant la bataille de la Somme, il suit son régiment au camp de Crèvecoeur où ils bénéficieront d'un entraînement aux nouvelles méthodes de combat pour y prendre part du 4 au 20 Novembre.
          Le 8 Janvier 1917, le 3ème R.I. revient dans les Flandres et le 15, Bernard Della Maggiora renforce la 5ème compagnie puis part en permission d'où il rentrera le 5 Février.
          Et enfin, le 7 Avril 1917, il se portera volontaire pour le fameux coup de main qui lui coûtera la vie. Selon la mémoire familiale il a été rapporté qu'il avait déclaré à sa famille, au grand désespoir de sa mère, qu'il se portait toujours volontaire car il voyait trop de pères de famille tomber et laisser des enfants orphelins alors que lui il était célibataire.
          Cité à l'ordre de la division le 10 Avril en ces termes par le général Rouquerol et mentionné dans les " rapports journaliers du chef de corps du 3ème R.I.:
" X.- Ordre de la division n° 245 du 10 Avril 1917 , le général G. Rouquerol commandant la 29ème D.I. cite à l'ordre de la Division, les militaires dont les noms suivent:

          Le soldat Della-Majiora Bernard, Mle 013530, de la 5ème Cie du 3ème Rgt d'Infrie.
          " Soldat d'un grand courage, a été grièvement blessé au cours d'une attaque à laquelle il prenait part comme volontaire.
          Le caporal Malo Marcel, Mle 12560, de la 5ème Cie du 3ème R.I.
          " Caporal d'un grand courage, a été grièvement blessé au cours d'une attaque à " laquelle il prenait part comme volontaire.
" Déjà titulaire d'une citation à l'ordre de la Brigade."
          Le soldat Gazel Paul, Mle 3888, de la 2ème Cie du 3ème R.I.
          " Etant guetteur dans une tranchée soumise à un violent bombardement, n'a pas " cessé d'assurer son service avec un admirable sang-froid jusqu'au moment où il a été " grièvement blessé par un éclat de torpille.


           Le général cdt la 29ème D.I.
          Signé : G. Rouquerol

          Ainsi se termina la vie de ce pied-noir, à 23 heures un jour de Pâques dans les Flandres

Commentaires et réflexions du commandement:

          Le jour même, 8 Avril 1917, le général Rouquerol adressait une lettre aux autorités du 36ème corps d'armée, en ces termes :

29° Division d'Infanterie          S.P. N°129          Q.G., le 8 Avril 1917.
Etat-Major - 3° Bureau
          -----------
N°          /3
                                                        Le Général G. ROUQUEROL
                                                        Commandant la 29° Division d'Infanterie
                                                        au général Commandant le 36° Corps d'Armée

          J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint les rapports des Colonels Cdt les 3° et 141° Rgts d'Infanterie, au sujet des évènements du 7 Avril au soir.
          Il résulte de ces deux rapports que les deux détachements ont pénétré sans difficultés dans les tranchées allemandes; ils y ont trouvé une forte occupation et une résistance énergique. Si le 141° a réussi à ramener tout son monde, il n'en est malheureusement pas de (A) même du 3° où un Officier (S/Lt Delpot ) et 5 hommes sont portés disparus (très probablement tués ou grièvement blessés). On me rend compte que de nos lignes on aperçoit un cadavre français contre les parapets allemands en face du mamelon vert.
          La conduite de ces deux détachements a été excellente; j'ai passé ce matin l'inspection des hommes revenus indemnes, leur moral est parfait; ils sont pleins d'ardeur et ne demandent qu'à recommencer, malgré les pertes lourdes subies par les deux détachements.
L'opération à ce point de vue à eu les plus heureux résultats, et aura, j'en suis convaincu, d'heureuses conséquences dans l'ensemble des deux régiments. D'après les déclarations des hommes contrôlées par recoupements sur les reproductions des lignes allemandes, où ils avaient préparé l'opération, les pertes des Allemands auraient été beaucoup plus lourdes que les nôtres.
Le capitaine Rougé n'a prescrit le repli que parce que ses pertes l'alourdissaient et que la prolongation du sévère combat à la grenade dans lequel il était engagé, devenait dangereux pour la sécurité de tout le détachement. Au 3°, le S/Lt Delpont a disparu, après avoir donné l'ordre de repli, au moment où il franchissait le parapet allemand l'un des derniers; le fait que tous les blessés sans exception sont des blessés par éclats de grenades, et que tous les hommes ont épuisé les 15 grenades dont ils étaient porteurs, témoigne que chacun a fait son devoir.
          En ce qui me concerne, j'estime que la non-réussite complète de l'opération provient de ce que, au moment où nos détachements ont abordé les tranchées ennemies, celles-ci n'avaient pas été suffisamment martelées. Pendant l'interruption du tir, les Allemands avaient réoccupé ceux des abris non démolis, dans lesquels la reprise rapide du 75 les a laissés indemnes; leur moral et leur force de résistance étaient intacts. Il aurait fallu à ce moment reprendre le feu non pas seulement pendant une ou deux minutes avec le 75 mais pendant un heure avec du 155 à tir rapide. J'estime qu'avec l'artillerie lourde à tir lent dont dispose le secteur de Nieuport, en quantité fort restreinte, il était difficile de faire mieux entre les organisations bétonnées très fortes de l'ennemi. D'un avis unanime les hommes des détachements se déclaraient émerveillés du travail fait par notre artillerie; mais j'estime que ce travail était insuffisant, la cause en étant au matériel (comme quantité et surtout comme qualité).
                                                                  Signé : G. Rouquerol

(A) plus pour le 3° et le 141° un total de 9 tués et 35 blessés.

          Plus tard dans ses mémoires de guerre, le général Rouquerol écrira ce qui suit (p.69, 70, 71 dactylographiées):
7 Avril - Coups de mains exécutés devant Lombartzyde par des détachements du 141e et du 3e Régiments d'Infanterie.
          Je prescrivais donc que le 141e et le 3e Régiments d'infanterie feraient exécuter un coup de main simultanément chacun dans son secteur pour pénétrer les lignes ennemies, y opérer des destructions et en ramener si possible des prisonniers.
          L'opération fut longuement et minutieusement préparée. Des figuratifs des parties des lignes ennemies à attaquer avaient été aussi exactement pris du camp d'après les renseignements fournis par les photographies aériennes. Les détachements y furent soigneusement exercés, chaque exécutant dans le rôle spécial qui lui avait été assigné. Le colonel Hardy donnant tous ses soins à cette préparation.

Puis le général cite les lettres des 8, 9, 10, et 17 Avril 1917 :

          "" Le coup de main fut exécuté le 7 Avril au soir. Les deux détachements " pénétrèrent " sans difficulté chez l'ennemi mais ils y rencontrèrent une forte " occupation et une " résistance énergique. Ils se battirent vigoureusement et se " retirèrent après avoir subi de " fortes pertes, relativement aux effectifs. Au total 9 tués " et 35 blessés, plus au 3e " régiment, un officier (s/Lt Delpont) et cinq disparus, " probablement grièvement blessés " ou morts (de nos lignes on apercevait un cadavre " français contre le parapet allemand " en face du mamelon vert).
          " Le lendemain matin j'allais inspecter les détachements et le soir je " portais dans les " hôpitaux aux blessés, leurs œufs de Pâques sous la forme de " médailles. Les hommes étaient enthousiastes, ne demandant qu'à recommencer, " pleins de confiance et convaincus que la prochaine fois ils feraient mieux.
          " Au détachement du 141e le capitaine Rougé n'avait donné l'ordre de " repli que parce que ses pertes l'alourdissaient et que la continuation du sérieux " combat à la grenade dans lequel il était engagé aurait compromis la sécurité de tout le " détachement. Au détachement du 3e le s/Lt Delpont avait disparu au moment où, après " avoir donné l'ordre de repli, il franchissait, l'un des derniers, le parapet allemand.
          " Le fait que tous les blessés, sans exception, l'avaient été par éclats de " grenades et que tous les hommes avaient épuisé les quinze grenades dont ils étaient " porteurs, témoignait que chacun avait fait son devoir. Sauf les cinq disparus et le s/Lt " Delpont, tous les autres blessés et morts avaient été ramenés dans nos lignes. Des " hommes étaient retournés ramasser leurs camarades tombés entre les lignes. Un " capitaine, le seul revenu complètement indemne sur quatre officiers était, pour son " compte, retourné deux ou trois fois pour rapporter ses propres soldats. C'était un " modeste et je n'ai appris ce détail que de la bouche de ses hommes; aussi fallait-il les " entendre parler de leur officier; parmi eux se trouvait un enfant de 18 ans, engagé " volontaire.
          " Il est vrai que c'étaient là les meilleurs d'entre les soldats, les " entraîneurs des autres.

          " En définitive le résultat matériel de l'expédition n'était pas celui que " l'on aurait pu espérer. Aucun prisonnier n'avait été ramené mais le résultat moral était " excellent. Les hommes savaient désormais qu'ils pouvaient aller chez les Boches et " les régiments du Midi, si injustement décriés (il est vrai qu'ils ne comptaient plus " guère que la moitié de méridionaux) avaient montré qu'ils étaient capables de mener " énergiquement une opération tout comme les meilleures troupes. "
          " Les communiqués boches, encore plus menteurs que les nôtres " racontaient les faits à leur manière. Ils ne parlaient pas de prisonniers mais de " " cadavres français, c'est donc que nos disparus avaient été tués. Les pertes des " Allemands devaient être plus fortes que les nôtres aux dires des hommes qui avaient " vu de nombreux cadavres dans leurs lignes.
          " Quant aux communiqués français, ils étaient tout à fait fantaisistes. Ils " parlaient d'une action du 3 Avril quand ce jour il n'y avait rien eu, si ce n'est peut-être " une action d'artillerie un peu plus violente et que j'avais fait exécuter pendant cette " période afin que le jour de l'opération les Boches ne vissent tout d'abord rien " d'anormal dans l'ouverture du bombardement initial. Ils mentionnaient aussi le 8 à " Plaschendaele une action qui n'avait existé que dans l'imagination du rédacteur du " bulletin. Enfin ils faisaient à l'opération devant Lombartzyde un honneur hors de " proportion avec les faits. " Je supposait que notre nouveau commandant de Corps d'Armée (mais c'était peut-être " bien un jugement téméraire de ma part) cultivant le bluff, voulait montrer que là où il " arrivait tout changeait en bien ? Il n'était bien entendu pour rien dans l'affaire et si un " événement fâcheux s'était produit, ce n'est pas lui qui l'aurait endossé.
          " Quoiqu'il en soit, la réussite de l'opération n'avait pas été complète " et j'en donnais les causes dans ma lettre du 8 Avril au commandant de Corps " d'Armée, transmissive des comptes rendus des deux chefs de corps des 3e et 141e " régiments d'infanterie.
          " A mon avis, lorsque nos détachements avaient abordé les tranchées " ennemies, celles-ci n'avaient pas été suffisamment martelées. Pendant l'interruption " du tir les Allemands avaient réoccupé ceux des abris qui n'avaient pas été démolis et " dans lesquels la reprise rapide du 75 les avaient laissés intacts, leur moral et leur force " de résistance étaient indemnes. C'est à ce moment qu'il aurait fallu reprendre le feu, " non pendant une ou deux minutes avec le 75 mais pendant une heure avec du 155 à tir " rapide. J'estimais qu'avec l'artillerie lourde à tir lent dont disposait le secteur de " Nieuport, en quantité fort restreinte, il était difficile de faire mieux contre les " organisations bétonnées, très fortes de l'ennemi. D'un avis unanime les hommes se " déclaraient émerveillés du travail fait par notre artillerie mais j'estimais que ce travail " était insuffisant, la cause en était au matériel, comme quantité et surtout comme " qualité.
          Quelques jours après le coup de main, le colonel Hardy, très fier de son régiment auquel il se donnait tout entier me priait d'assister à une explication de l'opération donnée dans des figuratifs du commandant Ribaillet. Je profitais de la circonstance pour faire amende honorable à un sergent que j'avais donné l'ordre de casser, sur les premiers rapports qui m'avaient été adressés, à propos de l'affaire. Sa conduite avait été au contraire parfaite et je l'en complimentais devant sa compagnie en lui donnant une poignée de main.
          Je me suis toujours bien trouvé de cette manière de réparer une erreur involontaire et je l'avais déjà employée à Reims comme je l'ai raconté.

Ici s'arrêtent les commentaires du général Rouquerol concernant le fait d'armes qui fait l'objet de notre étude.


          Plaque d'identité et médailles de Bernard Della Maggiora remises à la famille.
          Une fois de plus, son nom est mal orthographié, même sur la plaque d'identification.

Conclusion :

          Nous avons pu à travers cette recherche, dégager plusieurs enseignements sur les plans historique, humain et psychologique.

          Sur le plan historique, nous avons été amenés à mieux comprendre le fonctionnement de la guerre dans le cadre de petites unité comme le régiment ou la compagnie et nous avons compris le travail de fourmi qui se cache derrière les " grandes batailles " comme la Marne et Verdun où le hasard joue plus que la " stratégie ".

          Sur le plan humain, nous avons pu cerner le destin d'un combattant de base et de son sacrifice consenti dans le cadre du quotidien dont il est l'otage, au delà des " élucubrations " qui pullulent dans les romans, élucubrations qui n'ont de réel que l'imagination de l'auteur qu'elles soient excessivement patriotiques ou antimilitaristes, elles restent des élucubrations.
          Cet exemple n'a de valeur que pour rendre hommage à la mémoire des innombrables Pieds-Noirs, souvent fils d'étrangers comme Bernard Della Maggiora, qui n'ont jamais marchandé leurs sacrifices à la France dont l'honneur et les valeurs ont toujours motivé leurs engagements au delà des obligations élémentaires du citoyen.

          Enfin, sur le plan psychologique, nous avons pu constater que les responsables aux différents niveaux, n'agissaient malheureusement pas toujours à l'unisson et avaient trop fréquemment une humaine tendance à faire prévaloir leurs intérêts personnels sur ceux du service, ainsi qu'à se laisser dominer par des sentiments d'inimitiés personnelles au lieu de les sublimer au regard de la haute mission dont ils étaient investis. Voir les remarques acerbes du général de Division vis à vis de son général de Corps d'Armée.

Jean-Bernard LEMAIRE
St Germain-en-Laye le 02 février 2004

Sources :

- Archives du Service Historique de l'Armée de Terre (S.H.A.T.) à Vincennes, cartons 22 N2082 à 2549 (secteur de Nieuport), 24 N633 à 3192 (Nieuport Belgique), 25 N1 (3 R.I.,situations de prises d'armes), 25 N2 (3 R.I., rapports journaliers), 25 N3, 25 N4 (3ème R.I. opérations), Série 26 N (JMO, microfilms), 26 N1371 (3 R.I., positions des compagnies),
- Fonds Rouquerol, école Polytechnique. 9 cartons documents et nombreuses photos.
- Gaston Rouquerol (gal) , Après la victoire, 222p, Berger Levrault, Paris 1919. n° K VI 49 réserve niveau 0. Bibliothèque de Polytechnique.
- Historique du 3ème régiment d'infanterie, collectif, 1920, librairie militaire Chapelet, 136, bd St Germain, Paris. Bibliothèque des Invalides n° DD HIS 14-18 INF. et usuels de la bibliothèque du S.H.A.T.
- Bibliothèque du S.H.A.T., Historique du 3ème R.I. n° 14333 ; 3ème R.I. 14-18, Chapelot 1920 n° A 2g 2350 avec photos; 3ème R.I. n° D940.
- Centre des archives d'Outre-mer à Aix en Provence, Etat civil d'Algérie 1830-1895 et Registres matricules d'Algérie 1830-1920, microfilms en accès libre.
- Service central d'état civil à Nantes.
- Site internet : memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
- Monument aux morts de Philippeville à Toulouse au cimetière de Salonique et sur internet : francegenweb.org (dans les chapitres, memorial et classement par régiment).
- Archivio di stato di Cagliari "segretaria di stato"(isola di San Pietro, Tabarchini, passaporti).