Après le col de Bès... vers Philippeville
Bône - La Calle
Par Henri LUNARDELLI
Publications du Centenaire de l'Algérie ( 7 tomes):
Georges Rozet, 1929. -


De La Calle, nous étions revenus vers l'ouest par Bône, Aïn Mokra, Herbillon…Voici la suite de la description de " l'admirable pays qu'est la nouvelle France. "

Lorsque ensuite, après le col de Bès, vous rentrerez à l'intérieur des terres. ne manquez pas de faire, sur la droite, le petit aller et retour de 3 kilomètres environ qui vous conduira aux carrières de marbre du Filfila. Un joli nom qui, par hasard, devient ici descriptif. Ce sont des fils, en effet, de longs fils d'acier, bizarrement coudés sur des poulies, qui, actionnés par des moteurs à pétrole, en un circuit compliqué et sans fin-, attaquent en plein sol, scient et découpent, en cubes d'une tonne et davantage, l'admirable marbre de cette région, plus blanc et d'un grain plus fin que le carrare lui-même. Mines inépuisables, d'ailleurs, où la Rome africaine a trouvé longtemps de quoi figurer ses dieux et ses empereurs et qui nous fournissent encore un des plus beaux marbres statuaires du monde.


Avant d'arriver, en plongée rapide, sur Philippeville, voici d'autres mines encore. Cette fois, c'est le fer qu'on va chercher au pied de la montagne déjà riche de sa toison forestière.

Cela, et de grandes prairies, de larges vignobles, précédés de pins ou d'allées de palmiers, explique la jeune prospérité de ce port artificiel. Nous y arrivons par une route à revêtement moderne, suivie d'une somptueuse avenue de platanes et de palmiers, à double contre-allée: entrée telle qu'en ont peu de grandes villes en France. Philippeville, par cette voie triomphale, évoque le Rusicade romain dont elle est descendue.
De celui-ci, à vrai dire, il reste peu de chose: des gradins de théâtre à demi escamotés par des constructions récentes quelques colonnes dans la cour du Musée, un de ces petits musées de sous-préfecture dont les clefs se rouillent. Entrez-y cependant: vous y verrez -outre un Antonin colossal, barbu et défiguré, mais très noble encore sous sa cuirasse - un Bacchus en mosaïque dont l'expression de volupté pensive et presque mélancolique semble n'être déjà plus païenne.


Quant à la ville actuelle, une longue rue, toute en arcades, lui conserve une physionomie africaine malgré l'activité et la gaîté européennes qui s'y déploient. Elle s'épanouit au bord de la mer, en une place avenante, puis en une terrasse concave qui court le long du port, encerclant une blanche flottille de bateaux de pêche à l'ancre, rangés comme à la parade.


Mais ce qu'il ne faut pas manquer d'aller voir au nord-ouest, c'est l'ancien port de Rusicade, Stora, joliment blotti sous des escarpements tout crépus de chênes-lièges. Promenade doublement exquise puisqu'on peut la faire, aller et retour, par deux chemins, l'un en bordure du rivage, l'autre en corniche sinueuse et verdoyante, parmi les menues villas et la flore fantasque et débordante d'une sorte de serre naturelle.

4 kilomètres de ce film en couleur, et voici Stora, ses petites maisons vieillottes, aux jardins en escaliers, son port lilliputien dont les seules fortifications sont des vestiges de citernes et de murailles romaines et l'unique bouche à feu un canon périmé sur lequel jouent les gamins du village. Stora, tout imprégné d'odeurs de sardines et de saumure, luisant d'écailles d'argent et vibrant de canzonettas qui ont survécu à la naturalisation de ses pêcheurs italiens: une bien délicate marine à la manière de 1840.

Elle vous mettra sans doute en goût d'en voir une autre du même style en poussant jusqu'au port suivant, Collo, qui eut la gloire de fournir Rome de la pourpre la plus fine et qui se borne aujourd'hui à embarquer les lièges de la Kabylie dite de Collo. Délicieux voyage matinal - après la belle sortie de Philippeville, sous les eucalyptus et entre les orangeries que de rouler, par Praxbourg. dans cet éden forestier où tout est vert, sauf quelques grands stellaires jaunes qui rappellent nos ajoncs, sauf la chaussée excellente et la chéchia rouge des bornes kilométriques - en marbre, s'il vous plaît - de la "nationale " mollement sinueuse et ondulée.