HIPPONE et BONE
Extrait de : Bône Militaire - 44 siècles de luttes du XXIVe avant notre ére
au XXe siècle après notre ère du Capitaine MAITROT
Bône - Imp. Centrale A.M. MARIANI, rue du Docteur-Purseigle - 1934

Chapitre 1
Migration du XXIVe siècle avant notre ère - Etymologie d'Hippone et Bône
« Sur les rives occidentales de l'Asie, que baignent les flots de la Méditerranée, vint s'établir, dès la plus haute antiquité, une tribu cananéenne chassée des steppes de l'intérieur par une invasion étrangère. »

C'est ainsi que M. BOUYAC commence son ouvrage sur Hippone et Bône.

Il veut parler des Phéniciens qui, chassés par les Arias Japhétiques, vers le milieu du XXIVe siècle avant notre ère vinrent s'établir en Asie Mineure et, de là, rayonnant sur toute la Méditerranée, vinrent fonder des Colonies sur toutes les côtes de cette mer.
Cette dissertation sur l'origine des Phéniciens, sur les commencements de leurs comptoirs et, par suite, sur la fondation d'Hippone vers le milieu du XIe siècle avant notre ère, est probablement très exacte.

Mais qu'il me soit permis de ne pas partager l'opinion de mon éminent précurseur.

Les Phéniciens sont venus en Mauritanie au XIe siècle, c'est sans conteste possible ; mais avant cette époque, la côte était certainement habitée par un peuple civilisé qui a laissé des traces indéniables.

Quand M. BOUYAC, en 1890, a publié son ouvrage, on n'avait encore trouvé quoique ce fût qui put fixer les idées à ce sujet.

Tout dernièrement, M. CHEVILLOT, un colon duquel j'aurai l'honneur de parler à plusieurs reprises, découvrit dans sa propriété un monument du style égyptien dit du bossage ; on pourrait donc conclure que des Egyptiens sont venus sur cette côte. De quelle façon ? En passagers ou en colons ? La question est, en l'admettant, je crois, facile à résoudre.

Les Hébreux, sur l'appel de Joseph sont, c'est incontesté, venus d'Orient dans le pays de Goschen, chassés par la migration japhétique ; pourquoi, de leur côté, les Egyptiens, les Arias primitifs, n'auraient-ils pas poussé aussi dans l'inconnu, en venant fonder une colonie au milieu des Imoschach, les Schachim de la Genèse ? C'est d'ailleurs dans l'ordre de marche des peuples qui ont toujours, au moins d'une façon presque générale, émigré de l'Est à l'Ouest. Les Egyptiens ne sont pas venus en passagers mais bien en colons stables, parce que le monument en question, sur la description duquel j'insisterai quand le moment en sera venu, est de même structure apparemment que les Pyramides et a dû servir de nécropole ; et comme cette nécropole a dû demander un temps et une peine infinis à construire, elle a certainement été édifiée par des habitants qui ont dû séjourner longtemps en cet endroit. Des savants placent l'érection de ce monument vers le XXe siècle. Etant donné le temps qu'il a fallu pour le construire et surtout le temps qui s'est écoulé avant que le besoin de le construire se fût fait sentir, on peut placer vers le XXIVe siècle, la première migration des Egyptiens sur cette côte

J'irai même plus loin et je dirai que, en cet endroit, il dut y avoir un port, car les déserts de Libye étaient beaucoup trop à cette époque, couverts de ténèbres mystérieusement effrayantes, pour que les peuples superstitieux de l'Egypte eussent osé s'y aventurer. Le voyage de migration et les relations qui ont dû exister entre la Mère-Patrie et la Colonie, se sont donc, à peu près certainement, faits par la voie de mer. (1)

J'avance, peut-être, des choses extraordinaires, mais, comme c'est, paraît-il, le seul monument de cette espèce en Algérie, il peut être permis de forger de nombreuses hypothèses.

Du XXIVe au XIe siècle, il est probable qu'il s'est produit des perturbations politiques et ethniques et quand les Phéniciens sont arrivés sur la côte africaine, il n'était plus question de la Colonie égyptienne; c'est possible.

A moins que ces murailles cyclopéennes ne soient attribuées aux Djouhala ou aux Beni-Sfao (2) les premiers des aborigènes de l'Afrique du Nord, quarante siècles avant notre ère. Mais, c'est là une hypothèse tout aussi hardie que celle que j'ai formulée ces primitifs n'ont, jusqu'ici, marqué leur passage que par des instruments très rustiques, très rares d'ailleurs, dans la région Bônoise. Et l'on peut se demander si les partisans de cette acceptation ne font pas un rapprochement un peu risqué avec les murailles pélasgiques de la vieille Europe. D'autres archéologues voient, dans cette muraille, un quai phénicien et appuient leur hypothèse sur ce que le devant de ce monument est fortement ensablé

Avant de parler de la fondation d'Hippone, qu'il me soit permis de donner d'abord à l’étymologie de ce nom et, en même temps, celle du nom de sa sœur cadette, Bône.

En phénicien, UBBON signifie golfe.
Hippone étant situé au fond d'un golfe, d'Ubbon on a fait Hippone.
En phénicien, IPO signifie joli ; en hébreu, on dit IPA.
La situation merveilleuse de la cité de Saint Augustin ferait admettre encore cette étymologie.

PTOLEMEE, et bien d'autres savants depuis lui, prétendent que ce nom vient de cheval.

PTOLEMEE écrit (XX-157)
« Hypo est une colonie de Tyr. Son nom est d'origine phénicienne. Il est possible que cette ville ait été fondée par les habitants d'Hypo-Zaritus, ce qui lui aurait fait donner, par les Grecs, le nom de Ippou Akra que portait chez eux cette dernière place.

Et d'autres personnes ajoutent que, comme les Grecs formaient rarement des noms composés avec des vocables de langues différentes, Akra étant grec, Ippou l'est aussi et elles ont traduit Ippou Akra par la tête de cheval, en ajoutant que cette acceptation est vraisemblable, étant donnée la situation de la ville, élevée sur deux monticules, qui représenteraient les deux oreilles d'une tête chevaline.

Le capitaine de POUYDRAGUIN place Ippou Akra qu'il appelle Ippou Akron au Cap de Garde, ce qui serait plus rationnel au point de vue géographique. Mais, peu importe cette position.

En dehors de ces considérations, on pourrait encore ajouter que le pays fournit une quantité assez considérable de chevaux.

Je reconnais que le mélange de deux vocables de langues différentes ne se faisait pas dans les mots composés grecs, mais tout change, si l'on considère Ippou non comme une étymologie, mais comme un dérivé. Je m'explique : il est possible que des Grecs, (ceux dAgatocle, au IVe siècle), arrivant sur la côte, aient, par suite de la position de la ville, par suite de la présence des chevaux, ou pour toute autre raison qui nous échappe actuellement, pris le mot phénicien Ubbon pour le mot grec Ippos et que le nom de la ville, par suite d'une erreur de compréhension, se soit composé du phénicien Ubbon, accepté pour Ippos et du grec Akra.

Mais en tous cas, il est, à mon avis, téméraire de croire qu'on a attendu l'arrivée des Grecs pour baptiser Hippone, surtout qu'il existe déjà deux étymologies très acceptables, d'une ancienneté plus grande.

M. PAPIER prétend que les deux mots n'ont absolument rien de grec et signifieraient, l'un Ubbon, golfe, et l'autre Hagra, fort : le fort du golfe.

On pourrait même ajouter, dans le même ordre d'idées, sans toutefois beaucoup de vraisemblance, que Hippone est un mot grec sans aucune transformation ;on lit dans Littré: « Hippone, divinité qui présidait aux chevaux et aux étables, honorée surtout par les gens de la campagne. Ippona de Ippos, cheval. »

BOCHART écrit que les Phéniciens n'ont certainement pas appelé la ville, Hippone, d'un mot grec qui aurait trait soit aux chevaux, soit aux écuries. Il admet l'hypothèse de Ubo ou Ubbo parce que la ville se trouvait au fond d'un golfe.

Le golfe, en Syrien, ajoute-t-il (3), se dit Ubo ou Ubbon selon d'autres auteurs. En Arabe, Ubbon signifie également un lac ou une baie. Dans Giggérius on trouve le mot Alubbo qui signifie baie ou lac. »

Le docteur SHAW (4) prétend que la situation basse du pays et les inondations auxquelles il est sujet, justifient l'étymologie de baie ou de lac.

On fait généralement dériver le nom de Bône de celui d'Hippône. C'est très admissible. I est une lettre faible qui disparaît, le P et l'O latins se transforment tout naturellement en un B et un N arabes et la terminaison féminine A est à sa place à la fin d'un nom de ville.

Le docteur SHAW écrit « Bona est sans doute une corruption du mot Hippo ou Hippone, quoique ce ne soit pas proprement ici qu'il faille chercher cette ancienne ville, mais parmi un tas de ruines qui est à un mille au sud.

On peut m'objecter que Bône existait en même temps qu'Hippone et qu'on aurai pas débaptisé l'ancienne ville en faveur de la nouvelle. Aussi dois-je ajouter que les premiers auteurs arabes emploient généralement les noms de Médinat--Seybouse et Médinat-Zacui. Lorsqu'El BEKRI écrit Bouna, il ajoute toujours el Hadita (la neuve) lorsqu'il s'agit de Bône.

C'est seulement au XIVe siècle, que IBN KHALDOUN et Léon l'Africain employèrent les vocables de Bona et de Belad el Hanneb, d'une façon courante.

Une légende locale veut que le premier de ces noms vienne d'une maraboute célèbre, encore honorée de nos jours, et qui vivait au Xle siècle ; elle s'appelait la Bouna. Certaines personnes l'ont, un peu à la légère, confondue avec Sainte Monique, par une assonance assez semblable à celle qui a fait confondre Ubbon et Ippou.

Le second vient des nombreux jujubiers qui entouraient la ville et, encore maintenant, par dérivation, les Arabes appellent Bône : Anabah.

1 - Voir à ce sujet, du même auteur, Arabes et Auvergnats Société d'Archéologie de Constantine; Bône à travers les Siècles, éditeur A.-M. MARIANI, à Bône.
2 - On peut s'étonner avec juste raison des noms donnés par certaines personnes à des peuplades voisines de la préhistoire alors que ces noms sont nettement arabes.
Djouhala vient de el djouhall, les païens (des religions non révélées) avant l'islamisme.
Beni Sfao a de grandes affinités avec Beni Sfao, les fils de l'incapacité légale.
3 - BOCHART, Chan. Lib. 1. Cap 24.
4 - Dr. M. D. SHAW. Voyage en Barbarie, 1743.

(Revue Ensemble N°221, pages 69 à 72)


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