LA GERBE

De Gaëtan DALAUT
Une petite sélection de Poèmes

SYLLOGISME

"In vino veritas," a dit un jour Horace,
Mais Allah qui sait tout le savait bien avant.
La boisson fait parler, on s’en repent souvent
Car ce que l’on a dit parfois fort embarrasse.

Allah. Qu’il soit loué - leur accordant sa grâce
Interdit aux Croyants tout 1iquide enivrant.
Il faut suivre sa Loi, sans faiblir, en fervent
Car 1’insinuante tentation terrasse,

Sans chercher à savoir si la sévérité
S’applique au Vin tout seul, non à la Vérité.
Il faut, sans discuter que 1’âme ne modèle.

Doit-on dire le Vrai ? Sachons le désormais :
« Oui, pourtant pas toujours » répondra l’infidèle.
L'Arabe en général, lui répondra « Jamais ».

FATALISME

« Il vaut mieux être assis que debout » dit le sage,
« Il est préférable d’être couché qu’assis,
Mieux encore être mort " sans attendre un sursis
Car la vie, après tout, n’est que très court passage.

A quoi bon commencer par un apprentissage ?
L’Avenir est à Dieu, rien n’est plus imprécis.
Si ton pain n’est pas frais, sois heureux du rassis,
Etre privé de tout se supporte à l’usage.

Qu’ont donc fait les Roumis avec tout leur progrès ?
Les douros qu’ils gagnent, qu'en font-ils donc après ?
Travailler pour d’autres, toujours comme une bête

A quoi bon ? Dieu sait tout car il est le plus grand
Allah est bien Allah, Mohamed son Prophète
Vouloir faire mieux qu'eux n’est que péché flagrant.


SUR DES PROVERBES ARABES

Au chien pourvu d’argent, on dit « Monsieur le Chien ».
Lorsqu'un fellah riche te dépasse à dos d’âne
Mets ta main sur, ton cœur et dis « Qu’Allah me damne
S’il est plus beau cheval, Monseigneur, que le tien ».

Prends tout ce que tu peux sans jamais laisser rien,
Mieux en main un moineau que dix sur une liane,
Pour l’homme ruiné - comme, à la courtisane,
Il reste les Souhaits pour Capital et Bien.

Tous ceux qui sont riches sont aimés, lorsque même
Ils seraient chiens et fils de chiens tel les Roumis.
Si c’est ton intérêt, déclare : « Je vous aime ».

Et proclame partout qu’ils sont tes bons amis,
Mais à l’occasion traite les comme proie,
Allah sait ce qu’il fait s’il les met sur ta voie.

LA MER

La petite Mauresque est née à la montagne
Mais n’a jamais quitté son gourbi du vallon.
Elle suivit un soir la femme d’un colon
En robe de brocart couleur tabac d’Espagne.

Rendue, à la villa que de nuit l’auto gagne,
L’enfant, sur des tapis fut couchée au salon
Pour s’endormir bien tard, s’étendant de son long.
Vers la plage au réveil de suite on l’accompagne.

Surprise, elle observe pensivement la mer,
Elle en boit un peu d’eau, le goût du sel amer
L'emplit de peur - « Je veux rentrer chez moi » - dit elle

- « Et je sais maintenant, mon Père avait raison,
Je ne boirai pas l’eau qui doit être mortelle,
Dieu nous donne la douce, aux Roumis le poison ».


LA NORIA

La noria se dresse au haut du potager,
Jardin de fleurs jadis, luxe bien inutile
Aujourd'hui sur un sol aussi riche et fertile.
A quoi bon Fleurs, Beauté, Parfums, mieux vaut manger.

Un vieux mulet blessé, donc plus à ménager,
Tourne le jour durant sur la piste d’argile
Les yeux bandés, d’un pas qui n’a plus rien, d’agile
Mais qu’un coup de bâton souvent fait allonger.

Tel est l’ultime sort pour certains ici-bas,
Faire encore ruisseler l’eau qui ne leur sert pas,
Epuisant pour d’autres leurs forces misérables

Sans joie et sans espoir, sans profit, sans arrêt
Car des gardiens sont là, toujours inexorables,
Deux des enfants de l’homme : Egoïsme, Intérêt.

LE JARDIN PUBLIC

Dans le petit jardin, face, à l’Hôtel de Ville,
Chacun des bancs de pierre est toujours occupé.
On s’y prélasse ainsi que sur un canapé,
La parole est libre mais souvent incivile.

Tout près d’individus d’allure louche ou vile
Ou de bourgeois cossus en veston non fripé
On y rencontre aussi, sans en être frappé,
Quelque Arabe affublé comme en un vaudeville.

Mais le jardin public appartient au très vieux
Comme aux petits enfants ouvrant juste les yeux.
Souvent, près d’un vieillard qui tousse et qui crachote,

En voiture, un bébé prend l’air et la maman
Coudoyant son voisin, le surveille et tricote
Entre une fin de vie et le commencement.


LE PETIT CIREUR

Qu’il s'appelle Salah, Kacem ou Mohamed,
C'est le petit cireur sa boite en bandoulière,
Maigre sous des haillons ou sa blouse roulière
Dont les siens ont quitté, jadis, l’ancestral bled.

Il est né citadin, à Bône ou Bab-el-Oued
Mais la rue est pour lui partout hospitalière
Qu’il s'appelle Salah, Kacem ou Mohamed,
C'est le petit cireur sa boite en bandoulière.

Il connaît sa ville, de son A jusqu’au Z.
Il cire les souliers pour tâche journalière,
Mais en une pour tout de façon cavalière
C’est Gavroche, Algérien, le petit yaouled
Qu’il s'appelle Salah, Kacem ou Mohamed.

LE SALAOUECHE

Il est connu le salaouèche,
Plus encore que n’est le loup blanc,
Il travaille à la tire-au-flanc
Aussi, bat-il toujours la dèche.

Il n’en est pas, pour autant bléche,
Son verbe suave est cinglant.
Il est connu le salaouèche,
Plus encore que n’est le loup blanc.

Il lit, flagelle La Dépêche,
A quelque tribun ressemblant,
Il n’est l’esclave d’aucun clan
Mais pour une anisette il prêche.
Il est connu le salaouèche.


LES MARCHANDS DE BROCHETTES

Sur la table qui sert comme planche à hacher,
Près d'un petit kanoun où de la braise brille,
Le marchand a posé la fressure qu’on grille
Qu'il avait, le matin, achetée au boucher.

Au soir, il découpe, pour pouvoir embrocher,
Cœur, mou, foie, en morceaux pas plus gros qu’une bille,
Sur le feu maintenant la brochette grésille,
Et de la fumée âcre, ainsi que d'un bûcher.

S'élève en exhalant l’odeur du suif qui fume,
Mais le client qui l’aime, avec plaisir la hume
Et de la brochette qu’il tient dans une main

Il sort chaque morceau de viande encore brûlante
Qu’il roule dans du sel, du piment, du cumin
Et mange satisfait de sa saveur violente.

LE MARCHAND DE BEIGNETS

Assis, jambes en croix, sur la maçonnerie
Abritant un fourneau, le foyer au dessous
D’un récipient plein d’huile, en cuivre roux,
Le Tunisien, d’abord, cuit sa pâtisserie.

Puis dans de la pâte, la veille au soir pétrie,
Il modèle ensuite des disque plats et mous
Qui glissés dans l’huile tournent en un remous
Où d'autres les suivent, à leur tour, en série.

Du bout d'un fil de fer, il sort prêt et fumant
Le beignet blond qu’attend, depuis un long moment,
Le client qui le prend, la salive à la bouche

Et, tandis qu’il le tient, chaud et presque bouillant,
L'huile encore suintant dans la main qui le touche
En marchant, il croque le ftaïr croustillant.


LE MARCHE ARABE

Le marché, souk Arabe, en un quadrilatère
Se dresse surmonté de quatre minarets,
Sa visite vaut bien d’y faire des arrêts
Au milieu du fouillis et des gens sans mystère.

Au centre, une fontaine où, l’on se désaltère,
Quelques Cafés Maures, autour, pour cabarets
Près de tas de ferraille et charbon des forêts.
Au dedans, rien d’autre que strict utilitaire.

Tout est sordide, usé, friperie, et souliers
En rebuts des logis, magasins, ateliers
Tout semble hors d'usage si rien ne périclite,

Mais parmi ces choses de mêmes acabits,
Il n'en est pas une, fut-elle hétéroclite,
Qui n’apporte du luxe en de lointains gourbis.

HAMMAM MESKOUTINE

Le long d’une paroi de calcaires blanchâtres,
L’eau de la cascade ruisselle, encore bouillant
Tandis qu’aux alentours sur le sol verdoyant
Des vapeurs s’élèvent de sources où les pâtres

Font en plein air durcir des œufs aux eaux saumâtres,
Thermales au puissant pouvoir calcifiant.
Certaines jaillirent jadis édifiant
De haute cairns coniques de sédiments grisâtres.

Les sources n’y sont plus ayant changé de cours,
Mais sur les tumulus se répète toujours
Un conte de noce impure pétrifiée.

Et sous ce sol d’Etna, dans un site Africain,
En évocation, l’idée horrifiée
Peut voir les Cyclopes et près du feu Vulcain.