Honneur à l'armée d'Afrique
Par Pierre Pasquini
(ACEP-ensemble N°236 de février 2003)


Allocution prononcée par Maître Pierre PASQUINI, dernier ministre des anciens combattants, le 10 juin 2000 au Rassemblement des Pieds-Noirs :

"je vous salue toutes et tous. Votre présence ici est un témoignage solennel de fidélité à notre Histoire.
Votre mémoire est une citadelle; les jours, les mois, les années n'auront jamais aucune prise sur elle et ne pourront jamais ouvrir une brèche sur le rempart de vos souvenirs.
40 ans ne sont rien.
Rien n'a atténué la force incroyable de notre attachement à notre patrimoine
il nous est chevillé au corps, dans l'esprit et en fait, nous vivons avec lui.
NOUS, nous pouvons dire que le destin nous a infligé d'emporter un morceau de notre Patrie à la semelle de nos souliers.
Au sein de ce patrimoine, le blason le plus essentiel est l'ARMEE D'AFRIQUE.
Son origine se situe au 14 juin 1830 lors du débarquement sur la presqu'île de Sidi-Ferruch.
Sidi-Ferruch ! On a détruit l'immense monument qui était érigé sur le sommet de la colline. J'habitais juste en bas dans les maisons de bois de la plage Moretti à côté du Marabout et à 500 mètres de cette tour majestueuse où nous venions jouer.
On a avancé diverses origines à cette expédition : les raids, les razzias des felouques dites barbaresques sur les côtes de Corse et de Provence. On nous a dit qu'elle avait été motivée par le coup d'éventail donné par le Dey d'Alger à notre Consul de l'époque. Il y a peut-être autre chose 15 années seulement séparent Waterloo de Sidi-Ferruch. Au lendemain de Waterloo, on s'est débarrassé de l'Empereur qu'on a envoyé mourir à Sainte-Hélène, mais comme la légende Napoléonienne était en marche, on a voulu aussi se débarrasser de ce que l'on appelait les demi soldes, ces soldats qui vont continuer de rêver aux gloires de l'Empire et on les a invités à aller les retrouver sur la terre Algérienne.
Les premiers colons descendent des derniers soldats de l'Empire. Les médias ont souvent évoqué les gros colons, mais ils ont très rarement évoqué les colons d'origine, ceux qui avaient, par exemple, défriché la Mitidja, malgré la malaria, le choléra et le typhus.


Le général CLAUZEL pensa le premier à des Corps auxiliaires d'indigènes recrutés dans les tribus Zouaouas qui fournissaient l'Armée Ottomane du Dey. Ainsi naquirent les Zouaves et les Chasseurs d'Afrique dont les chefs furent DUVIVIER et LAMORICIERE. En mars 1831, naissait la Légion Etrangère qui fut de toutes les batailles et je suis sûr que vous connaissez les vers célèbres : "Qui sait si l'inconnu qui dort sous l'arche immense, n'est pas cet étranger devenu fils de France, non par le sang reçu, mais par le sang versé". Le général VOIROL décide de la création des Spahis au burnous rouge qu'illustra BOURNAZEL, tandis que le sergent indigène YUSUF, à force de mener les charges de sa cavalerie, devient maréchal de camp. L'infanterie coloniale se bat au Maroc, au Sénégal et le premier régiment d'infanterie colonial marocain est le régiment le plus décoré de France. Le maréchal BUGEAUD, plus qu'un autre, est à l'origine de notre Histoire parce qu'en créant le soldat laboureur, il attacha les soldats à la terre et nous en descendons aussi. Il passa partout au point qu'en Algérie, avant que nous ne la quittions, beaucoup chantaient encore : "As-tu vu la casquette, la casquette ... ?".
Enfin, le général RANDON créa les Tirailleurs. Les Tirailleurs!! Au printemps, tous les mercredis, ils défilaient au cours de retraites au flambeau précédées du bélier et de la nouba. Chez nous, quand le drapeau passait, tout le monde se levait, tout le monde se découvrait.
Les Tirailleurs ! Qui a vu le 4ème R.TT. revenir de la campagne de Tunisie en 1943 ou le 7ème R.T.A. revenir de l'hexagone en 1945, a vu des hommes qui avaient tout donné d'eux-mêmes sauf la vie. L'Armée d'Afrique avec ses drapeaux est allée partout. L'Armée d'Afrique avec ses chefs, CHANGARNIER, CAVAIGNAC, SAINT?ARNAUD, PELISSIER, MAC MAHON va se battre en Crimée, à Sébastopol, à l'Alma, à Balaklava, puis en Italie, à Magenta, Palestro, Solférino, au Mexique où la Légion s'illustre à Camerone. C'est l'Armée d'Afrique avec FLATTERS qui conquiert le Sahara ; avec GARNIER et NEGRIER, elle est en Cochinchine et au Tonkin; les Tirailleurs entrent au Congo, comme à Tombouctou ; le 1er R.T.A. et le 1er Spahi sont au Dahomey ; tandis que les Chasseurs d'Afrique conquièrent Madagascar. C'est essentiellement l'Armée d'Afrique qui conquiert l'Empire.

Le premier conflit mondial vit 170.000 des nôtres quitter les rivages d'Afrique du Nord, soit le quart de notre population de l'époque. Le second conflit mondial voit la plus grande déroute de la France. Elle est à terre et capitule. Qui va relever son honneur, sinon les Africains ? En Erythrée, à Cub-Cub, à Keren ou à Massaouah; en juin 1942, à Bir-Hakeim, quelques mois plus tard, à El Alamein, ils se signalent au monde libre.
Qui facilite le débarquement américain du 8 novembre 1942, sinon les Algérois ? Et ce sont les troupes des divisions d'Alger, de Constantine, d'Oran et de Tunis qui, en bandes molletières, feront échec à VON ARNIM et à ROMMEL.
L'Armée d'Afrique, après l'île d'Elbe et la Corse, se prépare à venir libérer la France. On lève en masse 27 classes de 18 ans à 45 ans, plus que n'en avait mobilisé le Reich Hitlérien et cinq promotions de Cherchell vont instruire les officiers et les sous-officiers dont le rôle essentiel est d'aller mourir pour leur Pays. A eux tous, ils représenteront 6.000 citations au combat.


En Italie, Cassino n'est pas tombée, alors on confie les plans d'une nouvelle offensive à l'un des nôtres, le Général JUIN. Le lendemain de l'offensive du 11 mai 1944, sur la ligne Gustave, un gigantesque drapeau tricolore est déployé sur le Mont Faito. Rome sera prise, conquise et l'Armée d'Afrique va défiler dans Rome. Qui lave l'affront Mussolinien du 10 juin 1940, sinon l'Armée d'Afrique ? Ce n'était rien, de Tarente, de Brindisi, de Bari, cette Armée d'Afrique est venue débarquer sur le rivage de la France.
Le 15 août 1944, c'était un fait unique dans l'Histoire du Monde, un fait comme il n'y en avait jamais eu et comme il n'y en aura jamais plus : pour la première fois dans l'Histoire du Monde, un Pays allait être libéré par l'Armée et les enfants de son Empire. MONTSABERT a pris pour insigne les trois croissants du Monument Romain de Constantine qui dominait le Rhummel et surplombait Sidi M'Cid. C'est lui qui va, avec la 3ème Division d'infanterie algérienne, libérer Marseille. Après Hyères, Toulon, Marseille, Nîmes, Montpellier, Alès, Lyon, Strasbourg, Colmar, Stuttgart, Bershtesghaden, le Rhin, puis le Danube portent la marque des Tunisiens, des Marocains et des Algériens qui sont passés partout en gueulant à pleine voix : "C'est nous les Africains..."
Comment ces centurions n'auraient-ils pas de toute leur âme, de toutes leurs forces, défendu l'Algérie puisqu'au départ, c'était bien ce qui leur avait été demandé. Je sais bien que se trouvent pêle-mêle dans votre mémoire les souvenirs de ces Centurions et nous savons qu'ils sont impossibles à citer tant ils furent nombreux. C'est une masse d'héroïsme, de patriotisme et de gloire qu'on suscité et engendré les colonels et les généraux de la Guerre d'Algérie.
Mais il reste NOUS, NOUS les Pieds-Noirs, 40 ans après, comme si c'était hier, avec l'Histoire de l'Algérie et l'Histoire de l'Afrique du Nord gravées dans le cœur.
Nous sommes la citadelle. Nous avons offert à la France des moments de gloire et des hommes dignes d'une grande Histoire.
Avec nos femmes, nos enfants, pour toujours, par nos espérances, par notre courage, par notre foi. Oui, nous avons au cœur une invincible ardeur."

Remarquable discours qui replace l'armée d'Afrique dans son véritable contexte et dans sa mission : "Défendre l'honneur de la France et de son drapeau, partout où le besoin s'en faisait sentir".
Les conflits de 14/18 et 39/45 coûtèrent à chaque fois, à l'armée d'Afrique, en perte humaine, plus du tiers des effectifs engagés dans les batailles.


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